Texte intégral
Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais, tout dabord, féliciter André Capet, député du Pas-de-Calais, et vice-président du Conseil régional Nord Pas-de-Calais, davoir pris linitiative dorganiser la manifestation qui nous rassemble aujourdhui, consacrée au devenir du commerce hors taxes intra-communautaire.
André Capet a réalisé un travail très important sur cette question, au cours de ces derniers mois, notamment dans le cadre de la mission détude que lui a confiée le Premier ministre, et sur laquelle je reviendrai.
Ce travail a été mené dune façon à la fois volontariste et pragmatique, dune façon prenant autant en compte les réalités des régions les plus concernées - notamment celle, quAndré Capet connaît particulièrement bien, de Calais - que le contexte européen dans son ensemble.
Tout cela a permis davancer considérablement sur ce dossier difficile et de faire évoluer les choses en Europe, en traçant des pistes, variées, pour de possibles solutions.
Ce colloque constitue lune des traductions de ces efforts. Intervenant à quelques mois de la date jusquici retenue pour la suppression définitive du commerce hors taxes intra-communautaire, il doit permettre de préciser, aujourdhui, ces solutions, puis de les faire vivre.
Vos débats, tout au long de cette journée, qui nest dailleurs pas achevée, y auront largement contribué. Vous avez notamment rappelé, ou mis en évidence, les spécificités, les contraintes particulières, qui peuvent exister, sur cette question, pour le transport aérien, pour le transport maritime, ainsi que pour certaines industries et certaines régions plus particulièrement concernées.
Lors de votre dernière table ronde, que présidera dans quelques minutes Mme Mary ORourke, ministre des entreprises publiques de la République dIrlande, que je tiens à saluer tout particulièrement, vous vous pencherez plus spécialement sur la dimension communautaire de ce dossier.
André Capet ma fait lamitié de me demander de prononcer lallocution de clôture de ce colloque. Des contraintes dagenda ne mont pas permis de venir à 17h30, horaire prévu pour la fin de vos travaux. Jinterviens donc un peu plus tôt, et je vais être amené, ce faisant, à anticiper sur ce qui va se dire, justement, lors de cette dernière table ronde. Je voudrais demander à Mme ORourke de bien vouloir men excuser.
En même temps, vous comprendrez quen tant que membre du gouvernement que dirige Lionel Jospin, et étant le dernier ministre à intervenir devant vous, je me doive, aussi, de vous dire ce que le gouvernement compte faire au cours de ces toute prochaines semaines, en direction de ses partenaires de lUnion, de la Commission, et en direction des régions et des opérateurs concernés en France.
Comment avons-nous abordé ce dossier, comment le traitons-nous ? Quels sont nos objectifs en la matière ?
Nous avons deux préoccupations en tête :
- dun côté, le respect de notre engagement européen, et donc la volonté de ne faire que des propositions qui soient compatibles et cohérentes avec la politique densemble que nous menons au sein de lUnion européenne ;
- de lautre, la priorité absolue accordée à lemploi, priorité en France, mais que nous voulons aussi voir mieux partagée au plan européen.
Vous comprendrez que je sois, en tant que ministre chargé des Affaires européennes au sein du gouvernement, très attaché à ces deux éléments.
Le respect de nos engagements européens veut dire, en premier lieu, quil faut prendre les choses telles quelles sont, sur ce dossier. Lorsquil a été décidé, il y a huit ans, dans le cadre des deux directives 91-680 sur la TVA, et 92-12 sur les accises, de supprimer le commerce hors taxes à compter du 1er juillet 1999, cela ne sest fait ni par surprise, ni sans raison.
Ces deux directives ont été adoptées, sur proposition de la Commission, par les Etats-membres de lUnion, à lunanimité, comme cest encore la règle en matière fiscale. Elles sont le résultat dune volonté commune des gouvernements des 12 pays qui composaient à lépoque la Communauté.
Pourquoi ont-ils pris cette décision ? Non pas par volonté forcenée de faire rentrer des recettes fiscales supplémentaires dans leurs caisses, mais par cohérence avec la démarche densemble menée à lépoque, consistant à créer, dès 1993, le marché unique, et à lancer, en même temps, la marche vers la monnaie unique.
Or, tant les principes fondateurs du marché unique, que le processus dharmonisation fiscale quinduisait la marche vers la monnaie unique, rendaient difficilement concevable le maintien des ventes hors taxes dans le cadre déchanges intra-communautaires.
Toutefois, conscients des difficultés que cela posait à certains opérateurs, ces Etats ont décidé de repousser cette suppression au 1er juillet 1999, afin de laisser aux opérateurs le temps nécessaire pour sy adapter. Mais cela ne change rien au fait quune décision de principe a été prise à lépoque. Il ne faut pas loublier, pas plus quil ne faut oublier que cette suppression aurait pu, aurait dû, normalement, intervenir dès 1993.
Respecter nos engagements européens nécessite de bien avoir en tête ce contexte, si nous voulons que nos propositions puissent être recevables et acceptables pour nos partenaires et par la Commission.
Que constatons-nous, toutefois, depuis la prise de cette décision, en 1991 ? Essentiellement trois choses :
- la première, cest que le Marché unique existe, il est devenu une réalité très importante de lUnion européenne. Son fonctionnement nest pas parfait, son cadre juridique nest pas totalement achevé, mais, pour lessentiel, il est en place.
- la deuxième, cest que lharmonisation fiscale, dans laquelle devait sinscrire la suppression du commerce hors taxes, na que très peu avancé jusquici, ce que nous regretterons.
Mais il ne vous aura pas échappé à quel point le passage à leuro remet ce sujet à lordre du jour des priorités en Europe. La France, avec la présidence allemande de lUnion, qui est sur la même ligne que nous sur ce dossier, est déterminée à voir les Quinze avancer rapidement dès le Conseil européen de Cologne de juin prochain.
Nous souhaitons, vous le savez, y voir adopter un « paquet fiscal » qui comprenne trois éléments :
un code de bonne conduite en matière de fiscalité des entreprises ; une directive sur la fiscalité de lépargne, destinée à introduire un minimum de taxation des revenus de lépargne sous forme dintérêts reçus par les résidents dun autre Etat membre ; et enfin une directive sur la fiscalité applicable aux intérêts et redevances payés entre sociétés dun même groupe, mais qui sont résidentes dEtats-membres différents.
Ce nest quun début : il faudra aller plus loin, dans un deuxième temps, et pour cela changer les règles de décision au sein du Conseil des ministres, pour introduire la règle du vote à la majorité qualifiée aussi dans le domaine fiscal.
Existence du marché unique, relance de lharmonisation fiscale : nous devons avoir ces deux éléments là également en tête lorsque nous parlons, aujourdhui, du devenir du commerce hors taxes.
- mais, la troisième chose que nous constatons depuis 1991, cest que le délai de huit ans, accordé à lépoque aux opérateurs pour se préparer à la suppression du commerce hors taxes, na été que très peu mis à profit. Dans le cas, très particulier, du transport maritime, et notamment du trafic trans-Manche, le maintien temporaire du commerce hors taxes a même pu servir de fondement à la mise en oeuvre de stratégies ambitieuses de développement.
Il ne sagit pas dune critique, mais dun constat. Dès lors quun long délai pour cette suppression avait été fixé, il était sans doute inévitable que de tels comportements apparaissent. Cela doit dailleurs nous inciter à tirer les enseignements de cette expérience. Sans doute, en effet, les choses auraient-elles été plus simples si ce délai avait été plus court, interdisant le développement de telles stratégies transitoires.
Mais ce qui compte, aujourdhui, cest de constater que, du fait de limportance prise par le commerce hors taxes intra-communautaire depuis 1991, sa suppression brutale, telle quelle avait été décidée, au 1er juillet 1999, poserait de graves problèmes en matière demploi, à certains opérateurs et à certaines régions, en France et en Europe.
Pour ce qui concerne notre pays, je pense plus particulièrement aux transporteurs maritimes, et à la région du port de Calais. Cela ne veut pas dire que ces problèmes demplois ne se poseront que là, mais que cest là quils seront les plus concentrés.
Or, je le disais, la priorité absolue accordée à lemploi, en France et en Europe, est le second élément qui détermine notre comportement sur ce dossier.
Vous le savez, le gouvernement que dirige Lionel Jospin sest très fortement investi, dès son arrivée au pouvoir, en juin 1997, pour réorienter la construction européenne, dans un sens favorable à la croissance et à lemploi. Il est parvenu à le faire dès le Conseil européen dAmsterdam, puis, quelques mois plus tard, à Luxembourg lors dun Conseil européen extraordinaire tout entier consacré à lemploi.
Depuis, une dynamique sest mise en place. Nous sommes en train de travailler, avec nos amis allemands, à lélaboration dun Pacte européen pour lemploi, dont nous avons jeté les bases à Vienne, en décembre dernier, et que nous voulons conclure à Cologne, au mois de juin.
Dans ce contexte, il aurait été étrange que nous naccordions pas aux conséquences sur lemploi de la suppression du commerce hors taxes toute lattention quelles méritent, et que nous nen tirions pas un certain nombre de conclusions.
Nous avons donc décidé de rouvrir, au nom de lemploi, ce dossier au niveau communautaire.
Nous lavons fait, depuis plusieurs mois, au Conseil des ministres chargés de léconomie et des Finances, où Dominique Strauss-Kahn est intervenu à plusieurs reprises.
Nous lavons fait, également, à loccasion de rencontres bilatérales, avec nos partenaires, et particulièrement lors des derniers sommets franco-allemand de Potsdam et franco-britannique de Saint-Malo.
Dans un premier temps, cela na pas suffi à provoquer un réel mouvement, et je dois dire que nous avons été déçus par le rapport de la Commission, remis il y a trois mois sur ce sujet. Nous attendions un plan daction, nous navons eu que le rappel de quelques principes.
Mais les choses ont aujourdhui changé. Toutes ces réunions, tous ces contacts, ont créé les conditions nous permettant dobtenir, enfin, lors du Conseil européen de Vienne de décembre dernier, une réelle réévocation de cette question. Le Conseil européen a en effet souhaité que, sur la base de propositions de la Commission, soient recherchées les solutions « y compris la prorogation limitée des dispositions transitoires ».
Il est dores et déjà prévu que la Commission rédige une communication sur ce point, qui sera discutée lors du Conseil Ecofin du 15 mars.
Compte tenu de cette situation nouvelle, qui offre une réelle opportunité davancer, que va faire, maintenant, le gouvernement ?
Essentiellement deux choses :
Tout dabord, le gouvernement a décidé de proposer une solution concrète et précise à nos partenaires et à la Commission. Cette proposition est, comme je lai indiqué, fondé sur la prise en compte et de nos engagements communautaires, et du souci de prendre une mesure réellement efficace en termes demploi.
Cette proposition est inspirée, très largement, des recommandations quAndré Capet a formulées dans le rapport quil a remis au Premier ministre.
Elle consiste à ne rétablir que progressivement, en quelques années, les accises. Pour le gouvernement, ce délai devrait être suffisamment long pour avoir un sens, mais pas trop long non plus pour quun message clair soit adressé aux opérateurs, leur permettant, cette fois-ci, de sadapter. Une durée denviron trois ans, nous amenant en 2002, nous paraîtrait la bonne.
Par contre, comme la écrit André Capet, il ne paraît ni raisonnable, ni réaliste, de demander le report de lapplication de la TVA. On ne peut en effet demander à la Commission de formuler une telle proposition, qui reviendrait à remettre complètement en question la décision de principe de 1991. Or, noublions pas quelle dispose du monopole dinitiative en la matière. Si nous voulons quelle formule effectivement une proposition, suggérons lui quelque chose de praticable. On ne peut, non plus, imaginer quun report de lapplication de la TVA serait susceptible dêtre adopté à lunanimité par le Conseil des ministres de lUnion. Un, voire deux Etats membres ont en effet très clairement indiqué quils le refuseraient.
La solution que nous proposons, concernant les accises, est, au contraire, nous semble-t-il, tout à fait recevable et acceptable par tous. Elle ne remet pas en cause les décisions de principe qui ont été prises, elle ne bouleverse pas la situation densemble, au regard, notamment, du processus dharmonisation fiscal, elle reste transitoire avec un délai clairement indiqué. Mais elle permettra aux opérateurs concernés de ne remonter leurs tarifs que progressivement, et non brutalement, et dabsorber ainsi ce changement dans la durée.
Elle est dautant plus recevable quun rétablissement intégral de ces accises dès juillet prochain poserait de réelles difficultés techniques, dans le cadre, notamment, du trafic maritime trans-Manche. Les règlements actuels paraissent en effet impraticables, et ne permettent pas de dire, de façon simple, comment appliquer de manière uniforme ce régime des accises au cours dune traversée.
Lidée, avancée par la Commission, dappliquer les accises françaises dans un sens de la traversée, les accises britanniques dans lautre, mais sauf dans les eaux territoriales de lautre pays, est peut être concevable en théorie, elle est, en fait, impraticable. Je crois que tous les opérateurs en sont conscients. Les autorités françaises tout autant.
Ne serait-ce que pour cette raison technique, il paraît indispensable de se donner un peu de temps pour mettre au point un régime simple et satisfaisant pour tous. Je suis persuadé que la Commission le comprendra.
Avec cette proposition, que le Premier ministre a officiellement adressée au président Santer, nous nous situons tout à fait dans le cadre que jai défini au début de mon intervention : respect de nos engagements européens, mais nécessité de faire bouger concrètement les choses en faveur de lemploi.
Le second axe de laction que nous allons mener au cours des mois qui viennent concernera les opérateurs et les régions susceptibles dêtre affectées. Il sagira de se mobiliser pour prendre les meilleures mesures nationales et communautaires possibles, qui permettront datténuer les conséquences de cette situation. Pour ce qui concerne les opérateurs, je pense particulièrement à la société Sea France, qui opère sur le trans-Manche, et dont la restructuration devra être menée à bien. Pour les régions, je pense notamment à celle de Calais. Les fonds structurels européens et laction nationale daménagement du territoire devront être utilisés au mieux pour aider à la reconversion des régions concernées.
La Commission sest engagée à trouver, avec les autorités nationales, des solutions socialement acceptables et à mettre à leur disposition des instruments financiers supplémentaires. Nous comptons sur ses propositions.
Voilà, mesdames et messieurs, ce que sera la politique du gouvernement sur ce dossier, au cours des mois à venir.
Cest une politique réaliste, pragmatique, équilibrée et, en même temps, efficace, au service de lemploi. Nous la mènerons, nen doutez pas, dune façon déterminée, envers nos partenaires, envers la Commission européenne, et en liaison étroite avec les opérateurs et les régions concernées. Nous parviendrons, jen suis persuadé, à faire encore bouger les choses et à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)