Déclaration de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, sur les grandes orientations de la politique en faveur des PME à forte croissance (les "gazelles") et sur le projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié, à Paris le 27 novembre 2006.

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Circonstance : Déjeuner-débat de Croissance Plus dans les salons de la Maison des Arts et Métiers, à Paris le 27 novembre 2006

Texte intégral

Monsieur le Ministre, cher Renaud,
Monsieur le Président, cher Geoffroy ROUX DE BEYZIEUX,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
D'abord, permettez-moi de vous dire tout le plaisir que j'ai d'être avec vous, au milieu, non pas d'un troupeau de gazelles, mais au milieu de gens qui portent un esprit d'entreprise. Pace que c'est bien ce qui me touche dans le rassemblement d'aujourd'hui : vous êtes les uns et les autres porteurs d'un projet, porteurs d'une ambition, porteurs d'une certaine idée de votre vie et de la façon dont vous entendez la vivre, et donc, porteurs de liberté. Et je crois que dans une société comme la nôtre, ce sont des éléments essentiels que nous voulons encourager, que nous voulons défendre. Cet esprit, vous le faites vibrer avec d'autant plus de force que, à la tête d'entreprises de croissance, vous êtes davantage maîtres chez vous que ne peut l'être un grand patron dans une grande entreprise qui, avant de pouvoir faire bouger les meubles, doit laisser passer un certain temps. Vous décidez, tous les jours et de vous dépendent les orientations de vos entreprises, de vous dépend l'avenir de vos entreprises et chaque jour, vous engagez l'avenir. Donc, à ce titre, vous méritez évidemment une attention particulière de la part de la société, qui est directement intéressée à votre succès, une attention particulière de la part du Gouvernement, parce que si vous ne représentez pas une future pépinière de très très nombreux jeunes chefs d'entreprise dans notre pays, eh bien, nous ne saurons pas relever les défis de l'avenir. Je l'ai souvent dit, le premier défi du XXIème siècle pour la France, c'est d'être capable d'aborder en tête l'économie de la connaissance, et sans esprit de recherche, sans esprit d'innovation, sans esprit d'entreprise, nous ne parviendrons certainement pas à relever ce défi. C'est dire que vous représentez pour nous, vous représentez aujourd'hui, pour la France, un enjeu parce que, pour que le drapeau français puisse flotter à travers le monde, que nous soyons capables de faire vivre un certain esprit français, cela dépend de vous. Or, la gazelle est un animal particulier. On en a tout à l'heure rappelé un certain nombre des vertus, et c'est vrai qu'elle est légère, elle est rapide, elle est innovante ; elle est entreprenante, elle est jolie è ce qui ne gâche rien -, mais elle a une autre qualité pour tous ceux qui aiment l'Afrique - je ne dirai pas la chasse, mais l'Afrique, au moins regarder les animaux -, c'est que la gazelle, même si elle ne marche pas toujours droit, et parfois même en zig zags, elle regarde rarement en arrière. Donc, je ne suis pas déçu du voyage. Ici, pas de plaintifs, pas de grognons, uniquement des jeunes qui veulent regarder vers l'avenir et voir comment on peut, très rapidement - parce que c'est bien l'ambition qui est la nôtre - essayer de faire progresser les choses. C'est la difficile tâche qu'a reçue Renaud DUTREIL, sachant que, au bout du parcours, il aurait sa tête coupée si les résultats n'étaient pas à la mesure des espoirs que nous avons placés en lui. Je suis heureux de voire qu'il donne, pour le moment, une certaine satisfaction, mais enfin, comme un certain nombre de responsables politiques, et peut-être plus qu'un autre, sa tête est suspendue à vos propres appréciations. Vous le voyez, nous sommes non seulement dans la démocratie participative, mais dans la démocratie directe. Je ne pourrais pas malheureusement pas répondre à autant de questions que je l'aurais souhaité, parce que je dois participer tout à l'heure aux obsèques de Philippe NOIRET, mais je sais que Renaud aura à coeur d'aller jusqu'au bout des premières questions qui ont été posées. Alors, cet échange, vous avez choisi de le placer autour d'un thème, "laissons courir les gazelles". C'est un mot d'ordre auquel je souscris pour ma part pleinement. Oui, il faut davantage de souplesse pour nos jeunes entreprises ; oui, il faut encourager votre esprit d'initiative, votre audace, votre envie de réussir. C'est grâce à vos entreprises que la France tiendra son rang dans la compétition économique mondiale. C'est grâce à vos entreprises que nous créerons les emplois de demain dans notre pays.
Alors, permettez-moi d'abord de revenir un moment sur la situation économique, parce que c'est le terreau duquel il faut que nous partions .
Depuis plusieurs mois, nous nous sommes battus, avec Thierry BRETON, avec Renaud DUTREIL, avec Jean-François COPE, pour essayer d'alléger les contraintes, un certain nombre des contraintes, qui pèsent sur les entreprises et libérer votre potentiel de croissance.
Certaines mesures sont déjà entrées en application :
Je pense à la mise en place du contrat nouvelles embauches, qui a permis à plus de 600 000 personnes de trouver un emploi.
Je pense aussi au crédit impôt recherche, même si j'en connais certaines des limites, qui incite les entreprises à innover.
Nous le savons tous : l'avenir de l'économie française se joue bien dans l'innovation. Nous aurons une industrie forte grâce à une innovation forte. Nous aurons des services performants grâce à une innovation performante. Nous aurons une agriculture dynamique grâce à une innovation dynamique.
Le choix, pour notre pays, est clair.
Soit nous nous satisfaisons d'une situation qui profite à quelques champions de taille mondiale et à un nombre encore trop restreint de salariés.
Soit nous continuons d'investir massivement dans l'enseignement, dans la formation, dans la recherche pour créer de nouveaux champions mondiaux et les emplois de demain : des emplois de longue durée, des emplois mieux payés, des emplois valorisants, qui permettront à tous les Français de croire dans leur avenir.
D'autres mesures vous donneront justement plus de liberté et plus de facilités pour investir dans les produits et les services de demain :
La réforme de l'impôt sur les revenus, le plafonnement de la taxe professionnelle, voilà des décisions que vous attendiez tous et qui renforceront votre activité.
Ces décisions, nous les avons prises en veillant à ce que les salariés aussi puissent en profiter directement. La revalorisation de la prime pour l'emploi, de façon ciblée, le développement de la participation, voilà aussi des mesures qui étaient attendues. Croissance économique et justice sociale, croissance sociale, doivent aller de pair. Elles sont la condition d'un nouvel élan français, et vous savez que, de ce point de vue, il faut être exigeants, car nous ne sommes pas un pays tout à fait comme les autres. Nous sommes un pays où cet équilibre est tout à fait essentiel à l'harmonie de notre société.
Nous avons commencé à jeter les bases de cet élan. Mais nous en avons tous conscience : nous n'en sommes qu'au début, au début d'un processus. Car nous revenons de loin : notre pays - cela a été dit aussi - a été affaibli par la mise en place uniforme des 35 heures, qui a pesé sur la compétitivité des entreprises et bridé les revenus des salariés. Trop de femmes ne travaillent pas le nombre d'heures qu'elles souhaiteraient, trop de jeunes ne se voient proposer que des stages ou des bouts d'emploi, trop de personnes de plus de 50 ans sont mises sur la touche alors qu'elles pourraient faire bénéficier leur entreprise de leur expérience. Trop de salariés, en définitive, ne gagnent pas ce qu'ils méritent au regard de leur engagement et de leurs compétences : ce sera l'un des sujets que nous aborderons lors de la conférence du 14 décembre sur les revenus et l'emploi. Le travail, dans notre pays, doit payer. Les Français doivent avoir la juste récompense de leurs efforts.
Alors, il n'y a pas de fatalité dans tout cela. Nous l'avons montré en nous battant contre le chômage. Nous l'avons montré en relançant l'investissement et la croissance. Nous l'avons démontré aussi en défendant une certaine idée d'un patriotisme économique français et européen. Mais c'est un combat qui se mène dans la durée, jour après jour, pour anticiper les coups durs qui font partie de la réalité économique mondiale et nous préparer aux défis de demain. Nous devons faire face à une pause dans la croissance au troisième trimestre, qui se répercutera sans doute sur les chiffres de l'emploi. Tout ceci, c'est le quotidien de l'action gouvernementale, comme c'est le quotidien de la vie économique et des entreprises. Et c'est bien pour cela que j'entends consacrer ma tâche tout entièrement à la fonction même qui m'a été dévolue par le Président de la République, c'est-à-dire la fonction gouvernementale. Servir les Français au quotidien, cela fait partie des obligations de la fonction.
2. Tout l'enjeu, aujourd'hui, pour nous, c'est de permettre aux nouvelles entreprises de se développer.
Des nouvelles entreprises, il y en a. C'est même l'un des grands succès du quinquennat de Jacques CHIRAC. En 2005, 231 000 entreprises ont été créées contre 170 000 en 2001 - donc, une marge de progression substantielle. L'engagement pris par le Président de la République d'un million d'entreprises nouvelles sur l'ensemble du quinquennat sera probablement dépassé.
Mais ces entreprises doivent avoir les moyens de se développer. A Croissance Plus, c'est un combat que vous menez depuis longtemps. Le gouvernement entend être à vos côtés, et pour cela, nous agissons dans trois directions.
La première direction, c'est la mise en place au 1er janvier d'un statut des entreprises de croissance.
Il concernera les PME de 20 salariés qui ont connu en 2004 et 2005 une croissance d'au moins 15 % de leur masse salariale, soit près de 5000 PME en 2007.
L'impôt sur les sociétés des entreprises de croissance sera gelé pendant la phase de croissance rapide. Elles pourront ainsi réinvestir dans leur développement les bénéfices liés à la croissance.
Les entreprises de croissance pourront différer le paiement des cotisations des nouveaux salariés embauchés.
Enfin, les entreprises de croissance pourront embaucher temporairement des cadres des grandes entreprises ou de la fonction publique grâce à des congés de mise à disposition. Cette mesure vous permettra de bénéficier de l'expérience de personnels qualifiés, dont je sais que vous manquez souvent.
La deuxième direction, c'est de faciliter l'accès au financement pour les entreprises de croissance.
Nous le faisons de deux façons.
D'abord, nous orientons l'investissement vers les premières étapes du développement des PME, grâce à la mise en place de France Investissement. Au total, plus de 3 milliards d'euros seront ainsi mobilisés sur six ans au profit des entreprises de croissance. C'est une innovation majeure. Je me félicite que Croissance Plus y ait pris sa part et que vous ayez accepté, cher Geoffroy, de faire partie du conseil d'orientation de France Investissement.
Ensuite, nous voulons soutenir les investisseurs providentiels, que vous appelez les « Business Angels ». Aujourd'hui, la France n'en compte que 4000, contre 40 000 en Grande Bretagne et 400 000 aux Etats-Unis. Or c'est souvent une aide indispensable pour les entreprises de croissance. Pour une jeune entreprise, bénéficier du financement, mais surtout de l'expérience et des conseils d'un actionnaire qui est lui-même entrepreneur, c'est un atout considérable. Avec Renaud DUTREIL, nous avons pris des mesures fortes pour encourager cette démarche.
Nous avons décidé de reconduire pour 4 ans le mécanisme de réduction d'impôt de 25% pour tout investissement au capital d'une PME. Nous avons également décidé de permettre aux investisseurs particuliers qui souhaitent se regrouper dans une société anonyme ou une société par action simplifiée de bénéficier de cette mesure.
Nous avons enfin accordé aux Sociétés de Capital Risque constituées par des Business Angels deux avantages importants : d'une part l'éligibilité à des garanties d'OSEO pouvant aller jusqu'à 70% des montants investis ; d'autre part, l'éligibilité à la branche publique de France Investissement.
La troisième direction, c'est la simplification des formalités administratives, et je sais que c'est aussi une grave préoccupation pour un certain nombre d'entre vous.
La vie d'un chef d'entreprise est en effet trop souvent marquée par des formalités administratives nombreuses, des heures de paperasserie, des procédures complexes. Ce n'est pas l'idée que je me fais, que nous nous faisons, de votre métier ; ce n'est pas l'idée que je me fais de la performance et de l'efficacité.
Nous avons voulu vous permettre de vous consacrer pleinement à votre activité, à la recherche de nouveaux clients et au lancement de nouveaux projets. Nous nous sommes fixé un objectif clair pour 2007 : réduire de 20 % le coût des 110 formalités administratives les plus courantes. Cela représente pour vous une économie considérable, environ 220 millions d'euros au total. Ce travail de simplification, Jean-François COPE l'a déjà engagé sur une trentaine de procédures et je sais qu'il est pleinement mobilisé pour poursuivre cet effort.
Vous le voyez, le gouvernement est à vos côtés pour vous permettre de vous développer toujours davantage.
3. Ce combat, nous allons continuer à le mener dans les mois qui viennent.
J'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt des 91 propositions qui ont été formulées par votre association. Un grand nombre d'entre elles me paraissent intéressantes. Nous allons les faire expertiser au cours des semaines et des mois qui viennent.
En attendant, le gouvernement a déjà engagé trois chantiers pour apporter des réponses concrètes aux différents problèmes que vous rencontrez.
Le premier chantier, c'est la réduction des délais de paiement.
Il s'agit d'un enjeu majeur pour notre économie et pour nos entreprises : de très nombreuses PME dépendent exclusivement des contrats de sous-traitance qu'elles ont avec les grandes entreprises. Leur trésorerie ne doit pas être fragilisée par des délais de paiement trop long. C'est particulièrement vrai dans les secteurs qui connaissent actuellement des difficultés comme l'aéronautique ou l'automobile.
A ma demande, François LOOS a installé en février dernier un groupe de travail sur cette question et sur la base du plan d'action qu'il a élaboré, nous avons réactivé l'observatoire des délais de paiement, créé un « produit de mobilisation des créances » pour les petites entreprises qui ne trouvent pas de solution de financement auprès des banques, et encouragé la signature d'un code de bonnes pratiques. Nous étudions actuellement des mesures complémentaires, notamment pour l'industrie automobile, que je serai amené à faire connaître dans les tout prochains jours.
Le deuxième chantier, c'est la mobilisation des établissements financiers à vos côtés.
Les banques tout d'abord. Pour se développer, les PME ont besoin d'un accès simple au crédit. Elles doivent notamment bénéficier d'une information la plus claire possible. Le Président de la République avait demandé que les banques intègrent dans leur rapport annuel un relevé précis de leurs actions en faveur du financement des entreprises nouvelles. Dès le premier trimestre 2007, des données précises sur les encours de prêts aux petites entreprises de chaque établissement devraient être publiées.
A côté des banques, les compagnies d'assurance ont également tout leur rôle à jouer pour financer les entreprises de croissance. Vous le savez, elles se sont engagées à investir 6 milliards d'euros supplémentaires dans des sociétés non cotées en bourse. Thierry BRETON suit très régulièrement l'évolution de la situation. L'objectif est aujourd'hui quasiment atteint : au 1er semestre 2006, nous en sommes à 5,8 milliards d'euros investis.
Le troisième chantier, c'est la participation.
Aujourd'hui, les efforts et le travail de nos concitoyens ne sont pas suffisamment récompensés. Beaucoup d'entre eux ont des difficultés à faire face à des dépenses de plus en plus lourdes : hausse des loyers, augmentation du prix de l'essence, abonnements de plus en plus nombreux qu'il faut bien sûr payer chaque mois. Beaucoup d'entre eux ne se sentent pas suffisamment reconnus dans leur travail. La participation est un des moyens de répondre à leurs inquiétudes.
Grâce au projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié, nous étendons la participation à tous :
Nous donnons la possibilité aux entreprises de réaliser des distributions d'actions gratuites qui concerneront l'ensemble des salariés, dans le cadre très simple du Plan d'Epargne Entreprise.
Nous levons également tous les obstacles à la mise en place de la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés : nous simplifions les formalités administratives, nous augmentons les plafonds fiscaux, nous facilitons le passage du seuil de 50 salariés en créant des passerelles entre intéressement et participation. Désormais, pour les petites entreprises, la participation, c'est plus souple, c'est plus sûr et c'est plus incitatif.
Nous avons aussi jugé nécessaire d'encadrer les revenus complémentaires comme les stock-options : car les rémunérations d'un petit nombre alimentent aujourd'hui un sentiment d'injustice et d'inégalité dans notre pays, nous le savons tous, et nous avons donc fixé deux exigences :
Une exigence de transparence : nous instituons l'obligation de publication de l'ensemble des éléments de rémunération des dirigeants.
Une exigence de responsabilité : nous permettons aux organes de direction de fixer une part minimale de titres devant être détenus par les dirigeants. Et nous donnons la possibilité aux conseils d'administrations de définir les modalités d'exercice des « stock options ».
Chers amis,
La France a besoin d'entrepreneurs tels que vous. Elle a besoin de femmes et d'hommes qui s'engagent, qui prennent des risques, qui investissent sur le territoire national et qui marquent des points sur les marchés mondiaux. Tous vos succès, l'innovation, la conquête de nouveaux marchés, la création de milliers d'emplois, ce sont les succès de notre pays tout entier et nous savons que nous pouvons compter sur vote esprit d'entreprise, sur l'ambition qui est la vôtre, avec les salariés de vos entreprises ; pour relever ce défi qui est aujourd'hui le grand défi français : montrer que nous sommes capables de moderniser nos structures, de moderniser notre esprit, de moderniser notre pays tout entier, d'avancer avec continuité, avec détermination, sans retour en arrière. La tâche n'est pas simple. Elle n'est pas simple ; elle n'est pas simple pour les politiques, mais je sais aussi qu'elle n'est pas simple pour vous. Donc, c'est un hommage à l'esprit qui est le vôtre, l'esprit d'entreprise, l'esprit d'innovation, l'esprit de combat dont vous témoignez et dont je souhaite que, chaque jour un peu plus, il imprègne davantage notre pays, parce que c'est un exemple que vous donnez et sais aussi qu'avec votre enthousiasme, avec votre détermination, vous pouvez entraîner beaucoup d'autres derrière vous. Nous franchissons tous les caps de la création d'entreprises. Donc, c'est un esprit qui se répand dans notre pays et qui est indispensable si nous voulons que la France gagne tous les jours davantage sur la scène mondiale.
Je vous remercie.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 28 novembre 2006