Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur l'euro et la construction européenne, le rôle du Sénat, la décentralisation et le cumul des mandats, la lutte contre l'insécurité, Paris le 19 janvier 1999.

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Circonstance : Présentation des voeux du Sénat à la presse à Paris le 19 janvier 1999

Texte intégral

Mesdames, Messieurs les journalistes,
Permettez-moi de vous remercier davoir répondu, aussi nombreuses et aussi nombreux, à linvitation que jai eu le plaisir de vous adresser.
Nous sommes réunis, aujourdhui, pour célébrer, selon un tradition bien établie, cette nouvelle année qui constitue, en loccurrence, la dernière année du siècle.
Jobserve, pour men féliciter et men réjouir, quelle a commencé dans une douce europhorie, à peine tempérée par la crise brésilienne, avec lavènement, tant attendu, de la monnaie européenne.
Avant même sa naissance, leuro avait dailleurs administré la preuve de sa viabilité, de son rôle damortisseur et de sa vertu danti-dépresseur en faisant de la future zone euro un îlot de stabilité dans un océan de tempêtes économiques et monétaires.
Aujourdhui, leuro est enfin devenu une réalité monétaire. Comme toute monnaie, il présente deux faces.
Côté pile, leuro est un point darrivée. Cest le point daboutissement dune grande aventure, devenue indispensable après léchec de la communauté européenne de défense, celle de la construction de lEurope économique.
Lavènement de leuro parachève le désarmement douanier et létablissement du marché unique.
Côté face, leuro est le point de départ dune nouvelle aventure européenne. Leuro est, en effet, un révélateur de la nécessité daller plus loin pour bâtir une Europe politique. Laprès euro appelle de nouveaux pas dans la voie de lintégration européenne, cest-à-dire de nouvelles avancées vers lEurope politique.
Déjà, le besoin dun gouvernement économique de leuro se fait sentir, pour faire contrepoids à la Banque centrale européenne et éviter de livrer leuro à la seule force des marchés.
Ce besoin nouveau se surajoute, en les exacerbant, à des nécessités anciennes, celles dune défense européenne et dune politique étrangère commune.
Cest ce débat sur lavenir de la construction européenne, bref sur le projet européen, et sur lEurope de laprès euro, qui devrait être au coeur de la campagne en vue des prochaines élections européennes.
LEurope qui se dessine devant nos yeux est, tout à la fois notre avenir, notre nouvelle frontière et notre terre promise : sa configuration doit susciter, dans tous les partis politiques, des réflexions, des débats et des programmes.
Certains souhaitent que lEurope soit, dès demain, fédérale ; peut-être le sera-t-elle, à terme. Sûrement même. Mais il me semble dangereux de brusquer les étapes de cette construction sui generis, au risque de détourner les peuples de cette formidable et patiente aventure qui conditionne la survie de notre identité et de notre civilisation, dans un monde caractérisé par le monopole dun seul gendarme, lhégémonie de son billet vert et limpérialisme de son mode de vie qui se prend pour une culture.
Aussi me semble-t-il indispensable de passer par une étape confédérale qui permettra de bâtir lunion européenne, en partant du bas, et en ne déléguant à léchelon européen que le strict nécessaire par application du principe de subsidiarité, tout en veillant à résorber le déficit démocratique qui affecte parfois les institutions européennes.
La forme confédérale permettra de concilier la nécessaire montée en puissance de lunion européenne avec lindispensable préservation de lidentité et de la spécificité de la nation française.
Pour ma part, je suis convaincu quau delà de la péripétie rhône-alpine, lopposition républicaine saura se retrouver sur ce projet mobilisateur qui constitue, pour certaines de ses composantes, une avancée significative.
Enfin, la recherche dun accord sur un projet européen commun devra précéder le choix de la tête de liste.
Par ailleurs, le rôle de leuro ne se limite pas à cette fonction daccélérateur de la construction européenne.
Leuro est également le révélateur de nos blocages, de nos faiblesses et de nos handicaps qui découlent, pour lessentiel, du coût trop élevé du fonctionnement de la Maison France.
La monnaie européenne, instrument de mesure commun des coûts de production, risque dexacerber la concurrence entre les territoires qui composent la zone euro.
Il est donc indispensable et urgent que les Etats membres de lunion européenne sengagent, résolument, dans un processus dharmonisation fiscale et sociale.
Cest à ce prix que nous éviterons que leuro ne devienne un facteur de « déménagement du territoire « , au risque de transformer le formidable espoir quil suscite en une cruelle désillusion.
Pour la France, recueillir les fruits de leuro passe par une réduction de nos dépenses publiques, un desserrement de létau des prélèvements obligatoires et un allégement du coût du travail peu qualifié.
Le Sénat, qui depuis deux ans élabore, lors de la discussion du projet de loi de finances, une alternative budgétaire, -pour montrer quune autre politique est possible-, ne ménagera pas ses efforts pour inspirer, accompagner et soutenir cette ardente obligation de lassainissement de nos finances publiques.
Je ne vous surprendrai pas en affirmant, haut et clair, que le Sénat, loin de constituer une « anomalie « dans la vie politique française, représente une chance pour notre démocratie.
Les bienfaits du bicamérisme ne sont plus à démontrer : deux chambres légifèrent mieux quune assemblée unique. Par ailleurs, lexistence dune deuxième chambre, au-delà de sa fonction de contrepoids indispensable à léquilibre de la démocratie, permet dassurer la représentation des territoires et, dans certains pays, des minorités.
Il nest donc pas surprenant que nombre de jeunes démocraties, en Europe centrale et orientale ou en Afrique, se dotent dun Sénat. Montesquieu et Tocqueville nont pas fini de faire des émules. Mais encore faut-il, pour que le bicamérisme produise tous ses effets bénéfiques, que le Gouvernement résiste à la tentation de multiplier les déclarations durgence. En outre, le Gouvernement ne doit pas hésiter à saisir le Sénat, en priorité, des textes sur lesquels la Haute assemblée dispose dun indéniable savoir faire. Je pense notamment à la décentralisation, à laménagement du territoire, à laudiovisuel, à lagriculture et à lépargne.
Pour que les vertus du bicamérisme soient mieux perçues par nos concitoyens, encore faut-il également que se comble le fossé qui existe entre, dune part, la qualité des travaux du Sénat et, dautre part, son image parfois brouillée.
Cest à cette tâche, difficile mais exaltante, que jai décidé de matteler en espérant, bien sûr, mesdames et messieurs les journalistes que vous accepterez de seconder mes efforts.
Parmi les propositions en vue dune rénovation du Sénat que jai exposées à mes collègues, lors de mon discours dinvestiture, figurent le renforcement de la mission de contrôle, une plus grande implication dans le processus de la construction européenne par linstallation dune antenne à Bruxelles et la création dune association des Sénats européens, la redécouverte de la fonction de représentation des collectivités territoriales et laccentuation du rôle de force de réflexions et de propositions que doit assurer le Sénat.
Ces deux dernières perspectives retiendront plus particulièrement mon attention.
En premier lieu, il sagit de réaffirmer avec force que si le Sénat est une assemblée parlementaire à part entière, il bénéficie dun bonus constitutionnel qui réside dans sa mission de représentant des collectivités territoriales de la République.
Cette responsabilité spécifique impose au Sénat de redevenir la Maison des collectivités locales (de métropole et doutre-mer) et le veilleur de la décentralisation.
Cest dans cet esprit que jai décidé daller au-devant des élus locaux en organisant, dans chaque région, des Etats généraux de la décentralisation. La tenue de chacun de ces Etats généraux sera précédée par la rédaction dun cahier de doléances regroupées par thèmes et établi sur le fondement des réponses à un questionnaire adressé aux élus locaux. Les doléances exprimées viendront enrichir la réflexion de la mission dinformation sur la décentralisation que le Sénat vient de créer. Elles pourront ainsi déboucher sur la rédaction de propositions de loi.
Dès le début de mes déplacements en province, jai été frappé par lampleur du malaise des élus locaux qui sont tenus pour responsables de tous les dysfonctionnements de la vie quotidienne, alors même que leur action, souvent contrariée par labsence de moyens, ne sinscrit pas toujours dans un contexte de sécurité juridique.
Cette responsabilisation tous azimuts des maires, qui découle de notre société de « garantisme « et de sa judiciarisation croissante, alimente une crise des vocations municipales. Aujourdhui, un maire sur deux nenvisage pas de se représenter lors des prochaines élections municipales de 2001.
Cette situation est grave car nous risquons de nous acheminer vers une démocratie fantôme, cest-à-dire vers une démocratie sans élus et sans électeurs.
Il est urgent de réagir. Cette riposte peut emprunter deux formes : dune part, la recherche des voies et moyens susceptibles daccroître la sécurité juridique de laction publique locale, sans pour autant accréditer lidée dune irrresponsabilité des élus ; dautre part, lédiction dun véritable statut de lélu avec une amélioration de la situation matérielle des élus locaux, un accroissement de leur protection sociale et la définition de garanties de réinsertion professionnelle à lissue de leur mandat.
Une telle entreprise aura certes un coût ; mais la démocratie na pas de prix.
Représenter les collectivités locales, cest également devenir lintercesseur et lavocat des élus locaux. Cest en cette double qualité que le Sénat sest opposé au « jusquau boutisme « du Gouvernement en matière de limitation du cumul des mandats.
Le Sénat a en effet estimé quen létat actuel dinachèvement de la décentralisation et en labsence dun véritable statut de lélu local, il convenait de maintenir la possibilité dexercer simultanément un mandat national et une fonction exécutive locale et une seule.
Il sagit là dun texte dattente ou dune étape intermédiaire qui pourra être dépassée, dans le sens dune limitation plus stricte, si le Gouvernement se décide à relancer la décentralisation.
Noublions pas que la décentralisation, aujourdhui au milieu du gué, constitue une réforme bénéfique qui libère les initiatives locales et conforte la démocratie de proximité.
La seconde attribution du Sénat quil convient, à mes yeux, de développer, réside dans sa fonction de force de réflexion et de proposition. Le Sénat, qui dispose de la durée, doit éclairer et préparer lavenir des françaises et des français.
Il sagit de faire du Sénat un laboratoire didées en vue de laction politique.
Le Sénat doit semparer des problèmes qui préoccupent ou inquiètent nos concitoyens comme la réforme de la fiscalité, lavenir du système des retraites, le devenir de la protection sociale, lévolution du système éducatif ou la sécurité.
Ce dernier thème, celui de la sécurité, suscite en moi une grande inquiétude qualimentent la progression de la délinquance, le rajeunissement des délinquants, et la multiplication des zones de non droit ou de non application de la légalité républicaine.
Ce phénomène de linsécurité a pris une telle ampleur quil devient explosif pour notre société démocratique. Nous savons tous que linsécurité réelle ou ressentie, fait le lit des extrêmes dont elle nourrit les fantasmes, grossit les caricatures et radicalise les propositions simplistes. Cest à nous républicains quil appartient, dans un grand sursaut national, de nous emparer du redoutable problème de la sécurité, en faisant taire nos divisions politiques pour rechercher de vrais remèdes à ce cancer social.
Toutes les solutions devront être examinées sans tabous.
Il peut sagir de la destruction des ghettos propices à la délinquance en substituant à un habitat concentré dans des tours un habitat plus pavillonnaire et dispersé.
Cette politique, que jai pratiquée dans ma bonne ville de Remiremont, est onéreuse ; mais elle savère efficace et propice à une intégration réussie.
Il sagit également de sanctionner, avec vigueur, la première infraction, tout en préférant à des peines privatives de liberté effectuées dans lunivers carcéral, des travaux dintérêt général assortis dune sensibilisation civique.
Il peut sagir, en outre, de créer des internats éducatifs dinsertion dont lobjet serait, au-delà de léloignement des délinquants récidivistes du lieu de leurs méfaits, de leur dispenser, dans un lieu fermé ou semi-ouvert, une éducation civique et une formation professionnelle.
Toutes ces mesures auront un coût budgétaire élevé ; mais nous devons consentir des efforts à la hauteur du défi à relever.

Mesdames, Messieurs, je men voudrais de conclure mes propos sur une note aussi grave.
Cest pourquoi, je me permets, dans le huis clos convivial de notre rencontre daujourdhui, de vous demander de bien vouloir partager lenthousiasme qui manime dans la défense et lillustration du Sénat, et surtout de le faire partager à vos lecteurs et à vos auditeurs.
Je ne doute pas que vous serez sensibles à mon appel. Cest avec un vif plaisir que je vous adresse mes voeux les plus chaleureux pour cette dernière année du siècle dont la chronique sannonce riche en péripéties, en événements, en débats et en petites phrases...
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.sénat.fr)