Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "LCI" le 22 mai 2007, sur les mesures fiscales annoncées lors de la campagne électorale, la préparation du budget 2008, le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Vous êtes ministre des comptes publics. A qui obéissez vous : à J.-L. Borloo, à F. Fillon, ou à N. Sarkozy en direct ?

R.- Ecoutez, Bercy a été divisé en deux, donc chaque ministre est évidemment indépendant, comme tous les autres ministres et je relève du Premier ministre et puis du président de la République.

Q.- Vous êtes aussi ministre des Comptes sociaux. M. Hirsch vient de déclarer qu'il était plutôt opposé aux franchises en matière de Sécurité sociale. Doit-il quitter le Gouvernement, s'il est contre cette mesure ?

R.- Les choses ne se passent pas comme ça. La franchise est un point important du programme de N. Sarkozy, elle sera appliquée, les modalités doivent en être discutées. M. Hirsch a dit ce qu'il en pensait, voilà.

Q.- Comment convaincre que c'est une bonne idée ?

R.- D'abord parce que c'est dans le projet de N. Sarkozy. Ce qui nous engage, c'est le projet, on sort d'une campagne extraordinaire avec un taux de participation fabuleux, ce qui nous engage, c'est le projet de N. Sarkozy. Après, on peut discuter des modalités sur beaucoup de choses, ouvrir le dialogue, bien évidemment c'est la volonté du Gouvernement mais les fondamentaux sont là, ont été posés devant les Français.

Q.- L'un des fondamentaux c'est le travail, X. Bertrand l'a rappelé hier, on travaillera le lundi de Pentecôte ; est-ce que ce n'est pas une mauvaise idée, est-ce que ce n'est pas finalement quelque chose qui ne marche pas, le lundi non chômé ?

R.- Non, je crois que c'est une bonne idée qui a été probablement mal vendue à l'époque, le débat ne s'était pas très bien passé, vous vous en souvenez, cela avait duré trop longtemps, peu de compréhension. L'idée qu'on puisse travailler une journée pour la solidarité nationale est une bonne idée, il faut simplement probablement la clarifier encore.

Q.- Vous parlez du projet qui vous engage, mais le projet va coûter cher à l'Etat. Par exemple, exonérer 95 % d'impôts sur les successions, combien cela va-t-il coûter ?

R.- Le projet ne va pas coûter cher. D'abord on l'avait chiffré au moment de la campagne, cela avait fait l'objet d'un certain nombre de débats, le projet est un projet de croissance, c'est aussi un projet d'investissement, donc l'ensemble des mesures notamment fiscales sont des mesures qui permettent cela. C'est vrai pour les heures supplémentaires, c'est vrai pour les autres mesures. Et en ce qui concerne les droits de succession, c'est une mesure de justice fiscale.

Q.- Et vous arrivez à estimer combien cela peut coûter sur une année ?

R.- Non, pas encore parce que ça dépend où on fait passer le curseur. Mais l'idée est restée la même, c'est-à-dire que 95 % des droits de successions, enfin des successions, c'est-à-dire, en dehors des grosses successions, puissent être exonérées. C'est justice que de faire cela.

Q.- Si les heures supplémentaires ne sont pas taxées, ni en impôts sur le revenu pour le salarié, ni en cotisations pour l'entreprise, là aussi ça a un coût, vous arrivez à l'estimer ?

R.- Là aussi, ce sont plusieurs milliards d'euros, évidemment, cela dépend aussi de ce que nous prenons. Là aussi, les modalités doivent être discutées. N. Sarkozy l'avait dit lorsqu'il était candidat, il le fera alors qu'il est président de la République. Tout ça, c'est au coeur de l'action gouvernementale. Les textes sont en cours de préparation entre Matignon, l'Elysée, les ministères compétents et puis cela fera l'objet d'une présentation en Conseil des ministres assez rapidement.

Q.- On sait à peu près combien les Français investissent dans leur résidence principale, notamment pour l'acheter chaque année ? Vous voulez les exonérer des intérêts, ils pourront les retirer de leur impôt sur le revenu. Cela, vous pouvez le chiffrer quand même ?

R.- Oui, on peut le chiffrer. Là aussi, cela dépend de la manière dont les choses sont faites mais le crédit d'impôt immobilier c'est très important, c'est un crédit d'impôt, cela veut dire que vous retirez les taux d'intérêt de votre impôt, et si vous ne payez pas d'impôt, l'Etat vous rembourse. Donc c'est une mesure extrêmement puissante en faveur de la propriété et c'est une mesure extrêmement incitatrice. Alors après cela dépend ce que vous faites, est-ce que vous le plafonnez, est-ce que vous ne plafonnez pas ? Est-ce que vous considérez que c'est l'ensemble des intérêts qui sont concernés ? Là aussi les modalités doivent être discutées et c'est en cours. Ce que je voudrais quand même dire c'est que les propositions de N. Sarkozy qui sont le fondement de la campagne présidentielle - et c'est pour ça que les Français ont voté - ne seront pas dénaturées. Elles seront appliquées de la façon la plus pure et la plus efficace possible.

Q.- Y compris le bouclier fiscal à 50 % maximum de ses revenus ? C'est, j'ai compris, sur les revenus 2007 ?

R.- Le bouclier fiscal lui aussi fait partie du paquet fiscal d'une certaine manière, du mois de juillet et il sera mis en application le plus vite possible.

Q.- Défiscaliser le travail des étudiants, c'est aussi une des promesses de campagne ?

R.- Oui, il faut libérer le travail, il faut regarder tout ce qui freine le travail dans beaucoup de domaines et le travail étudiant était freiné. Enfin c'est assez anormal, quand vous êtes étudiant, de travailler, de prendre du temps et en même temps de voir ceci intégré dans le revenu de vos parents par exemple. Ce qui n'a aucune réalité avec vos propres revenus et votre propre richesse. Un étudiant par essence est pauvre...

Q.- Vous ne savez pas non plus combien ça va coûter, vous n'avez pas une idée ? Cela ne s'est pas chiffré pendant la campagne ça ?

R.- Oui, on a chiffré cela pendant la campagne évidemment donc...

Q.- C'est combien ?

R.- Ce sont plusieurs centaines de millions d'euros, mais ce n'est pas un coût... Je crois qu'il faut sortir de cela. Et puis, je le dis c'est un peu paradoxal, je suis un ministre politique, je ne suis pas un comptable en charge des comptes. Je suis en train d'essayer de faire en sorte qu'on puisse arbitrer entre des mesures et ces mesures ont un intérêt absolument majeur : soit elles relancent le travail, soit elles permettent de relancer le travail c'est-à-dire relancer la croissance et relancer le pouvoir d'achat. Les mesures sont vertueuses, elles sont faites pour ça, elles sont faites pour complètement désinhiber la société française du travail et en tout cas du fait, que depuis les 35 heures, on croit un peu moins dans le travail et un peu plus dans le non travail.

Q.- Alors en tenant toutes ces promesses, est-ce que vous reconnaissez que du coup, cela va vous obliger à gérer le déficit public et la dette sur les cinq ans, comme l'a dit F. Fillon, peut-être en n'étant pas forcément vertueux dès la première ou la deuxième année ?

R.- C'est possible, il faut parfois...

Q.- On peut déraper un petit peu, comme disent les spécialistes ?

R.- Vous savez, regardez une entreprise ! Une entreprise, très souvent lorsqu'elle est en passe d'investir, elle accepte de passer un peu de temps pour investir et un peu d'argent pour investir, elle en recueille les fruits un peu plus tard. C'est vrai aussi pour un ménage, c'est vrai pour les comptes publics. Il faut simplement que ce soit bien vérifié, bien vérifiable, bien carré. Donc c'est bien ce que nous faisons.

Q.- On pourrait creuser un peu le déficit pendant un an ou deux, mais sur cinq ans...

R.- Je ne sais pas, on a en tout cas un objectif très majeur, qui est au bout de cinq ans, de parvenir à un équilibre des comptes publics le plus important possible, de réduire la dette de l'Etat à 60 %, d'avoir diminué les prélèvements obligatoires d'une façon significative, 4 points de PIB en dix ans, donc au bout de cinq ans, une part importante du chemin qui est faite. Cela nous engage autant que les autres mesures : le cadrage de la dépense publique au sens large du terme - collectivités et comptes sociaux compris - est un engagement de N. Sarkozy qu'on va tenir, la maîtrise des dépenses publiques : qu'un euro dépensé soit un euro utile. Je souhaiterais aussi pouvoir communiquer par exemple tous les trois mois sur la nature des dépenses publiques, pouvoir dire aux Français : "vous avez cotisé à l'Etat d'une certaine façon, voilà ce que nous avons fait de votre argent". Cela n'a jamais été fait.

Q.- Vous vous attelez dans les semaines qui viennent au budget 2008. Sur quelles perspectives de croissance 2007 allez-vous fonder vos calculs ? On va faire quoi : 2,5 ; 2,6 ; 2,7, plus ?

R.- Ecoutez, je pense qu'il faut tabler sur des perspectives de croissance prudentes, donc probablement aux alentours de 2,25 % ou 2,5 %, nous verrons...

Q.- Pas plus ?

R.- Non, je ne pense pas qu'on puisse construire un budget sur des perspectives de croissance qui ne seraient pas prudentes. Il vaut mieux avoir de bonnes nouvelles après que de mauvaises nouvelles après. Donc il faut travailler sur des perspectives de croissance, prudentes.

Q.- Vous espérez qu'une cagnotte se constitue ?

R.- Non, je ne crois pas, enfin le terme de cagnotte est un faux terme. En réalité, qu'est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire que si nous encaissons plus d'argent, si l'Etat, si les collectivités locales, si les comptes sociaux encaissent plus d'argent, ce n'est pas une cagnotte qu'on constitue, c'est du désendettement qu'on produit. 1.200 milliards d'euros d'endettement, c'est important, c'est là-dessus qu'on doit jouer d'abord.

Q.- Serez-vous le ministre du Budget qui instaurera la retenue à la source pour l'impôt sur le revenu ?

R.- Moi, là-dessus, j'ai une position assez prudente, d'une certaine façon, il faut regarder, je crois que ce n'est pas un problème de doctrine.

Q.- Cela fait dix ans qu'on regarde.

R.- Oui, mais ce n'est pas un problème de doctrine entre nous, cela veut dire qu'on va taxer les revenus de l'année, cette année-là, qu'il n'y ait de décalage d'un an. Il y a quand même deux prudences à obtenir. Un : il faut évidemment que la confidentialité soit de mise, je ne vois pas pourquoi les Français, leurs revenus seraient connus de leur employeur. Et deux : il ne faut quand même pas non plus que l'on décharge l'administration pour charger les entreprises en tâches administratives. Sous ces deux réserves, on va évidemment avancer là-dessus.

Q.- Vous êtes aussi le ministre de la Fonction publique, c'est assez inédit d'avoir les deux portefeuilles. Est-ce que les syndicats vous laisseront ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux ?

R.- Ecoutez, les syndicats ne sont pas très favorables à cette vision-là. J'ai commencé à recevoir les syndicats, j'ai eu la FSU, la CGT hier, je vois d'autres syndicats tout à l'heure. Moi je leur ai réaffirmé l'idée que le président de la République s'était exprimé là-dessus, donc le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite - c'est vraiment utiliser cette vague massive de départs en retraite - es un point très important parce que si on veut maîtriser la dépense publique, il faut évidemment aussi maîtriser les charges salariales. Et la masse salariale, c'est 45 % des dépenses, donc il faut évidemment faire quelque chose, on ne peut pas faire en sorte que grosso modo, la moitié des fonctionnaires partiront en retraite dans les dix ans et ne pas utiliser cela. En même temps, il ne faut pas avoir une vision comptable des choses, il faut avoir une vision humaine, une vision de ressources humaines. La première des ressources humaines, ce sont les fonctionnaires. Donc il faut là-dessus, faire le un sur deux. Et en même temps, en contre partie du un sur deux, montrer que les fonctionnaires, qui se sont paupérisés d'une certaine façon depuis ces dernières années, pourront en recueillir les fruits, et que la moitié de l'économie revienne aux fonctionnaires pour qu'on ait des fonctionnaires plus actifs, mieux payés, plus responsabilisés.

Q.- Que faut-il à l'UMP, un secrétaire général qui obéisse à l'Elysée, ou une direction collégiale ?

R.- J.-P. Raffarin remettra un rapport je crois aujourd'hui sur une nouvelle manière de gouverner l'UMP. Il faut respecter évidemment la démocratie au sein du parti politique, c'est un acquis et c'est très important. Et en même temps, il faut faire évoluer le mode de gouvernance de l'UMP pour tenir compte du fait que le président de la République est issu de nos rangs. Ce qui est très important, c'est qu'il y ait la démocratie et en même qu l'on consacre toute l'énergie nécessaire de notre famille politique - au sens large du terme, maintenant, très large, au-delà de l'UMP - à faire réussir le président de la République, le Gouvernement et F. Fillon, parce que c'est faire réussir la France. Donc il ne faut pas qu'il y ait de débats internes à l'UMP, il faut qu'il y ait des débats, au contraire, qui construisent la France de demain.