Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les députés,
Les Mahorais, il y a 25 ans, ont exprimé le désir de voir leur île maintenue au sein de la République française. Ils n'ont cessé, depuis, de confirmer cet attachement. Le projet de loi, que je présente aujourd'hui devant votre Assemblée, s'inscrit dans cette histoire.
Avant d'en exposer le contenu, je veux rendre hommage à celles et ceux qui ont uvré pour faire entendre les aspirations d'une population qui reconnaît, dans nos institutions, un espace où ses attentes et son identité peuvent être respectées.
Ma pensée va donc à Mayotte, à ses reponsables politiques d'hier et d'aujourd'hui, aux signataires de l'accord sur " L'avenir de Mayotte ", dont l'histoire retiendra qu'ils furent des visionnaires. Ma pensée va aussi au Mouvement des Femmes Mahoraises, dont je sais le rôle. Je tiens également tout particulièrement à saluer le travail de Jacques Floch, votre rapporteur, qui a pris à cur la cause de Mayotte, et qui a su, une nouvelle fois avec conviction, la faire entendre au sein de votre commission des lois.
En présentant aujourd'hui devant l'Assemblée Nationale ce projet de loi relatif à Mayotte, je souhaite d'emblée vous en faire partager les enjeux.
- Vous me permettrez de commencer par une observation qui ralliera tous les esprits républicains et qui m'est inspirée par les déplacements que j'ai effectués à Mayotte, à plusieurs reprises ces derniers mois : l'attachement de cet ensemble d'îles et de leurs habitants à la France, à notre République est sans ambiguité. Pour prendre la mesure exacte de ce lien, il faut rappeler que la société mahoraise est une société ouverte ; que son identité est le fruit d'une longue histoire, au cours de laquelle n'ont cessé de se conjuguer des influences diverses : arabe, perse, malgache, bantoue, française. On se tromperait en pensant que cette société est figée, arc-boutée sur des structures traditionnelles. L'aspiration des Mahorais à une évolution politique, économique et sociale témoigne de leur étonnante capacité d'adaptation et d'intégration.
- Enfin, et c'est le deuxième enjeu, j'ai le sentiment qu'avec ce projet de loi comme avec l'ensemble des actions qu'il conduit pour l'île, l'Etat apporte une réponse aux attentes des Mahorais désireux que leur île puisse véritablement participer au développement national et saisir les opportunités considérables qui ne manqueront pas de se présenter. Certains ont pu parler d'urgence sociale à propos de la situation dans l'île. Il est dans nos intentions d'y répondre avec force. Le Premier ministre l'a montré avec solennité lors de son déplacement dans l'île, le 27 janvier 2001, en rappelant les efforts récemment engagés. J'y reviendrai tout à l'heure.
- Le dernier enjeu est plus institutionnel. L'Assemblée nationale et le Sénat n'ont pas eu l'occasion de se prononcer très souvent sur le statut de l'île et sur le sort de nos concitoyens mahorais. Depuis 1976, Mayotte vit dans le provisoire et je suis heureux de présenter aujourd'hui un texte qui mettra fin à cette situation qui a trop duré. Il ne s'agit pas d'imposer à la représentation nationale une forme de culpabilité, mais plutôt, en adoptant ce texte, de rattraper le temps perdu.
Avant d'entrer dans le détail de ce texte, je souhaite revenir devant vous, mesdames et messieurs les députés, sur les conditions dans lesquelles il a été élaboré. Elles ont été exemplaires et donnent toute sa légitimité à cette démarche commune.
Le travail qui a conduit à l'adoption du texte par le conseil des ministres, il y a un peu plus d'un mois, s'est déroulé en trois étapes.
1) La première étape a permis de dégager les axes d'une réforme en profondeur du statut de Mayotte. Le Gouvernement a préparé un texte d'orientation, "L'accord sur l'avenir de Mayotte ", qui a été discuté point par point avec les principales forces politiques de l'île et qui a été signé le 27 janvier 2000 par l'Etat, représenté par M. Jean-Jack QUEYRANNE, auquel je souhaite rendre ici hommage, par le président du conseil général M. BAMANA et par trois partis représentés au conseil général, à savoir le RPR, le PS et le MPM (Mouvement populaire mahorais).
2) La deuxième étape est tout à fait fondamentale à mes yeux. Le Parlement a décidé d'organiser une consultation de la population mahoraise, appelée à se prononcer sur les orientations de l'accord. Le OUI a recueilli près de 73 % des votants, soit plus de la moitié des inscrits sur les listes électorales, validation indispensable, aux yeux du Gouvernement, à la poursuite de la démarche engagée : il n'était pas question d'imposer à Mayotte des décisions venues de Paris. Il s'agissait, au contraire, comme nous l'avons voulu dans les Départements d'outre-mer avec la Loi d'orientation du 13 décembre, d'associer la population aux projets de réforme.
3) Nous avons ensuite pu préparer le projet de loi au cours d'un automne particulièrement productif. Je souhaite ici souligner l'état d'esprit qui a régné pendant ces longues séances de travail, à Mayotte comme à Paris. Les signataires de l'accord, mais pas seulement eux - je pense ici aux parlementaires de Mayotte qui s'étaient opposés aux termes de l'accord - , y ont pris part avec un sérieux et un engagement qu'il faut saluer.
Enfin, le projet de loi, qui a été présenté aux membres du comité de suivi en décembre dernier, a fait l'objet d'une consultation du conseil général qui l'a adopté le 15 janvier 2001 par 14 voix sur les 18 votants.
Respect des engagements pris, transparence, large concertation, recherche d'un consensus le plus large possible, consultation de la population, association des élus à toutes les phases de préparation du projet de loi ; telle est la méthode que le Gouvernement a mis en uvre pour ce texte. Mayotte mérite ce marathon législatif.
J'en viens maintenant au contenu de ce projet de loi, ample, complet et, je le crois, ambitieux.
I. Mesdames et messieurs les députés, sur le plan institutionnel, ce projet est la réponse historique à 25 ans d'attente.
La loi du 24 décembre 1976 a doté l'île d'un régime temporaire, Mayotte étant une collectivité territoriale de la République, définie par l'article 72 de la Constitution de 1958. Cette loi prévoyait qu'une consultation devrait être organisée dans les trois ans sur ce statut. Ce délai a été porté à cinq ans par une loi du 22 décembre 1979, qui n'a jamais été suivie d'effet.
Il convenait de sortir de cette situation et de mettre fin à cette incertitude et ce, pour trois raisons principales auxquelles le projet apporte une réponse.
1) La première raison, et non la moindre, tient à l'appartenance de Mayotte à la République. Mayotte fait partie de la République et ne peut cesser d'y appartenir sans le consentement de la population. Ce sont les termes de la Constitution. Ce sont aussi ceux qui figurent à l'article 1er du projet que le Gouvernement vous soumet.
L'insertion de Mayotte dans son environnement régional est un des chantiers majeurs des prochaines années. Les échanges sont d'ailleurs déjà très nombreux entre les différentes îles de cette partie de l'Océan indien. Le projet de loi permettra à Mayotte d'espérer vivre en harmonie avec les Etats de son environnement et notamment avec les Comores. Ceci n'est certes pas facile. Pour y parvenir, la collectivité départementale bénéficiera progressivement de tous les dispositifs existants pour la coopération régionale en vigueur dans les départements d'outre-mer. Il y a matière à conduire des actions de codéveloppement, par exemple, en matière de santé ou de protection civile.
2) La deuxième raison tient aux institutions mahoraises elles-mêmes. Comment croire aujourd'hui, en effet, qu'une administration puisse être crédible, efficace et moderne, alors que son statut est précaire et que la décentralisation ne connaît aucun commencement de réalisation ? L'accord sur l'avenir de Mayotte, que le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution, a prévu la création d'une collectivité départementale. Le projet de loi la place dans le cadre de l'article 72 de la Constitution : cette collectivité bénéficiera progressivement du droit commun applicable aux régions et aux départements d'outre-mer. Permettez-moi de préciser ici, mesdames et messieurs les députés, que l'insertion de Mayotte dans la troisième partie du code général des collectivités départementales consacrée aux départements est plus qu'une simple technique de rédaction : c'est la manifestation d'une véritable volonté politique. Le Gouvernement souhaite ainsi montrer le cap et permettre l'alignement sur le droit commun le plus souvent possible, le plus tôt possible.
Les institutions mahoraises bénéficieront ainsi de la décentralisation qui confie aux élus locaux des responsabilités croissantes. Il est ainsi proposé, à l'article 2 du projet, de transférer l'exécutif, actuellement exercé par le préfet, au président du conseil général après le renouvellement de 2004, puis de conférer un caractère exécutoire de plein droit à ses décisions après le renouvellement de 2007. En 2010, le conseil général de Mayotte pourra proposer au Gouvernement une nouvelle évolution statutaire, si tel est son souhait. C'est en cela que Mayotte sort du provisoire. Son statut de collectivité départementale, qui sera parvenu en 2007 au terme de la démarche progressive qui est proposée, lui permettra d'exercer pleinement ses nouvelles compétences dans un cadre juridique sécurisé. Si de nouvelles évolutions sont souhaitées, il appartiendra aux élus mahorais et à eux seuls d'en prendre l'initiative.
De même, les 17 communes de Mayotte ne sont pas oubliées et elles ne se sont d'ailleurs pas trompé sur l'importance de l'évolution proposée puisqu'elles ont massivement approuvé "l'accord sur l'avenir de Mayotte".
Alors qu'elles sont régies, depuis leur création en 1977, par les dispositions du code antérieur à la décentralisation, les communes bénéficieront en premier lieu des dispositions du code des collectivités territoriales, figurant dans le titre Ier du projet de loi, qui posent les grands principes de la décentralisation. Surtout, le titre IV du projet prévoit que de nouvelles compétences, comme l'exploitation des ports de plaisance ou la gestion des écoles maternelles et élémentaires, leur seront transférées. De nouvelles ressources financières leur sont attribuées : une dotation de rattrapage et de premier équipement, prévue à l'article 34, sera versée de 2002 à 2005. Un fonds intercommunal de péréquation, proposé à l'article 35, destiné à contribuer au fonctionnement et à l'investissement dans les communes leur permettra de rattraper leur retard en équipements publics, par exemple pour la voirie, l'éclairage public, l'adduction d'eau ou encore les équipements culturels et sportifs. Pour le reste, l'extension des dispositions du Code Général des Collectivités Territoriales relatives aux communes sera réalisée par la voie d'ordonnances.
Ces évolutions seront accompagnées d'un effort très important pour la formation des agents publics et des élus. Le contrat de plan a d'ores et déjà prévu 30 MF sur ce sujet. Une mission du Centre national de la fonction publique territoriale a eu lieu récemment. Des actions concrètes suivront très vites. Une modernisation, en outre, des moyens d'action de l'Etat et une clarification des compétences exercées par les différentes collectivités sont également engagées. La décentralisation à Mayotte appelle de la part de l'Etat un véritable effort, comme cela a été le cas en son temps en métropole et dans les départements d'outre-mer.
Un dernier point me semble devoir être évoqué à propos de l'évolution institutionnelle de Mayotte. Il concerne l'Europe. Mayotte est aujourd'hui au regard du droit communautaire un " pays et territoires d'outre-mer " (PTOM), qui a bénéficié d'environ 10 millions d'euros au titre du Fonds européen de développement (FED) sur la période 1996 à 2000. Ces crédits s'élèveront à environ 15 millions d'euros sur la période 2001-2006. Même si ces montants sont importants, le rapprochement vers le droit commun, que veut favoriser ce projet de loi, ne pourra pas rester sans conséquence sur la position de Mayotte par rapport à l'Europe. Le Gouvernement est déterminé à poursuivre les travaux avec Bruxelles pour que Mayotte s'inscrive, à terme, dans le droit commun des régions ultrapériphériques.
3) La troisième raison qui militait en faveur de cette évolution est d'ordre juridique. Placée dans notre édifice institutionnel entre les territoires d'outre-mer et les départements d'outre-mer, Mayotte est depuis longtemps régie par un droit hybride, extrêmement complexe et peu favorable à un accès de tous aux règles de droit, peu favorable également aux investissements économiques et au développement de l'île. Le Gouvernement de Lionel JOSPIN a d'ores et déjà réalisé un important travail d'alignement sur le droit commun notamment par un train d'ordonnances du printemps 2000, consacré par exemple à la réforme de l'état civil. Le projet de loi qui vous est soumis réalise, par son article 3, de nouvelles avancées pour l'identité législative : dans toute une série de matières, il est proposé que le droit commun soit applicable de plein droit à Mayotte, sans qu'il soit besoin de prévoir dans les textes des mentions spécifiques d'applicabilité.
II. Le deuxième volet du projet de loi sur lequel je souhaite insister porte sur le développement économique de Mayotte. Mesdames et messieurs les députés, ce texte donne à Mayotte les moyens de prendre en main son avenir.
Il vient ainsi compléter ce que le Premier ministre a appelé "le Nouvel effort" pour Mayotte lors de son déplacement dans l'île, le 27 janvier dernier.
Le contrat de plan signé le 8 septembre 2000 prévoit un doublement des interventions de l'Etat, dont le volume passe à 4,386 milliards de francs, soit 877 MF par an, contre 2,268 milliards de francs pour la période précédente. Ce nouvel effort prendra corps, petit à petit, dans la vie quotidienne des Mahorais, avec l'amélioration des infrastructures de transport, et notamment du réseau routier ou du port de Longoni ; mais aussi, par exemple, avec un effort significatif en matière de logement social auquel sont consacrés 915 MF dans le contrat de plan.
Le titre V du projet de loi vient compléter ces actions déjà engagées.
En matière économique, le texte propose différents outils qui donneront aux Mahorais les moyens de conduire des actions de développement à la hauteur des formidables potentialités que présentent ces îles.
L'effort d'équipement des collectivités et la création d'entreprises seront soutenus par la mise en place, d'une part, d'une agence de développement, instituée à l'article 39, qui prendra la forme d'un groupement d'intérêt public et qui permettra la collaboration d'acteurs publics et privés pour la promotion de Mayotte ; d'autre part, d'un fonds mahorais de développement, prévu à l'article 38.
Cet effort pour le développement de Mayotte s'appuiera sur la création de trois compagnies consulaires - chambre de commerce et d'industrie, chambre de métiers et chambre d'agriculture - qui se substitueront, avant la fin 2004, à l'actuelle compagnie consulaire.
En matière d'aménagement foncier, le projet qui vous est soumis vise à donner à la collectivité départementale les moyens d'assurer un développement durable et équilibré de l'île. La pression foncière est une réalité qu'il convenait de prendre en compte. Un droit de préemption sera ouvert à la collectivité départementale par l'article 42, sauf dans la zone dite des cinquante pas géométriques.
En matière de protection de l'environnement enfin, le projet étend à Mayotte de nombreuses règles du code de l'environnement. La beauté du lagon et la richesse des ressources naturelles justifient, je crois, cette modernisation du droit applicable.
Pour terminer sur ce point, je souhaite évoquer en quelques mots les conditions d'intervention des services publics à Mayotte. Nos concitoyens souffrent aujourd'hui d'une carence des services publics qui sont freinés par un droit inadapté et qui pourtant incarnent la solidarité nationale. La situation actuelle n'a, là aussi, que trop duré : les tarifs de l'électricité sont beaucoup plus élevés qu'ailleurs en France ; la Poste n'est pas présente à Mayotte dans des conditions de droit commun. Le projet de loi répond, je crois, aux attentes des Mahorais. En matière d'électricité ou de télécommunications, le droit commun s'appliquera tout en étant adapté aux réalités locales.
III. Mesdames et messieurs les députés, avec ce projet de loi, j'ai la conviction que Mayotte est à un tournant de son histoire. En effet, au-delà les institutions et des outils de développement économique, c'est l'ensemble de la société mahoraise qui connaît un exceptionnel mouvement de modernisation.
Mayotte, je vous l'ai dit, est une société profondément attachante. C'est aussi, à plusieurs égards, une société tendue, qui connaît des difficultés sérieuses : en matière de logement, dans plusieurs zones de l'île et notamment dans la banlieue de Mamoudzou ; en matière, également, d'immigration clandestine. Le préfet de Mayotte qui appliquera, à partir du 1er mai prochain, de nouvelles règles de droit commun à l'entrée et au séjour des étrangers, a mis sur pied récemment un plan d'action, " le plan Lagon ", qui renforce les moyens de l'Etat, et qui optimise ceux qui existent déjà.
C'est l'ensemble de la vie sociale qui va être touchée par l'élan ainsi donné à Mayotte, mais cette modernisation concerne au premier chef les droits des femmes, le statut civil de droit local et la justice.
1) Les femmes sont l'élément stabilisateur de la société mahoraise, qui est matriarcale. Elles sont propriétaires de leur maison, leurs maris ne le sont pas. Les coutumes africaines tendent ainsi à neutraliser certains effets de la loi islamique. Les femmes mahoraises aspirent à une reconnaissance de leur rôle social. Elles sont d'ailleurs entrées massivement dans les 17 conseils municipaux de Mayotte, grâce à la loi du 6 juin 2000 sur la parité. Alors que les conseillères municipales n'étaient que 20, elles sont aujourd'hui près de 250 soit 48,8 % des élus municipaux. C'est là, plus encore qu'ailleurs, une révolution tranquille. La réforme de l'état des personnes engagée par des ordonnances intervenues dans l'année 2000 a renforcé le droit des femmes. Il faut aller plus loin. Ce projet de loi affirme ainsi que les femmes ayant le statut civil de droit local peuvent librement exercer une profession, percevoir les gains et les salaires en résultant et en disposer.
2) Le Gouvernement s'est engagé par ailleurs dans la modernisation du statut civil de droit local, au sens de l'article 75 de notre Constitution, inspiré du droit coranique, dans lequel s'inscrivent 95 % des Mahorais. Nous n'avons pas voulu imposer un dispositif qui aurait pu apparaître comme un déracinement pour certains et notamment pour les plus âgés, qui restent attachés à des textes et à des traditions pluriséculaires. Ainsi, l'institution de la collectivité départementale ne signifie pas que la population relevant du statut civil de droit local devra renoncer à ce statut reconnu par la Constitution depuis 1958.
En revanche, le projet organise en ses articles 47 à 49 les modalités simplifiées de renonciation à ce statut au profit du statut civil de droit commun, qui sera constatée par le juge. Le projet organise également les relations juridiques entre des personnes relevant de statut civil différent.
3) Le troisième volet est la réforme de la justice cadiale. Les cadis sont actuellement des agents de la collectivité territoriale de Mayotte qui assurent, pour la population de statut personnel local, des fonctions de juges, de notaires, de tuteurs et d'administrateurs. Le Gouvernement a souhaité doter Mayotte d'une organisation judiciaire modernisée, pour une justice de meilleure qualité et plus professionnelle. Les missions des cadis seront désormais recentrées sur des fonctions de médiation et de conciliation et, lorsqu'ils exerceront des fonctions juridictionnelles, ils seront les assesseurs de magistrats professionnels. Ce dispositif devrait permettre une prise en considération à la fois des traditions locales et des impératifs d'une justice de notre temps.
Cette modernisation de la société touchera très vite l'ensemble des habitants de Mayotte.
IV. Au-delà du projet de loi statutaire qui vous est soumis, je voudrais vous dire quelques mots sur la politique de développement social de Mayotte. Le Premier ministre Lionel Jospin a tracé, fin janvier, à Mayotte, les grandes lignes de la politique du gouvernement en matière de droits sociaux et notamment la méthode retenue, en accord avec les élus : procéder par ordonnances.
Pour compléter le projet de loi que nous allons examiner aujourd'hui et demain, je voudrais vous dire que la loi d'habilitation a été préparée et qu'elle a été soumise pour avis au conseil général de Mayotte et au Conseil d'Etat. Le conseil des Ministres l'examinera dans une semaine, le 11 avril. Mon objectif est que cette loi d'habilitation soit adoptée avant la fin de l'actuelle session, en juin.
Ainsi, des ordonnances en matière sociale pourront être adoptées au début de l'automne, et permettre une mise en uvre rapide des premières mesures concernant deux domaines majeurs, l'emploi et la protection sociale. Un calendrier très court donc, qui a pour but de répondre aux attentes fortes de la société mahoraise. Je peux, aujourd'hui, vous apporter quelques précisions à ce sujet.
- Le développement économique et celui de l'emploi doit aller de pair avec la mise en uvre progressive d'une protection sociale adaptée à la situation mahoraise.
En effet, la protection sociale dissociée du développement produirait des effets pervers en aggravant les inégalités et les phénomènes d'exclusion. Il faut que les Mahorais, et en particulier les très nombreux jeunes, ainsi que les femmes mahoraises, disposent avant tout de revenus tirés du travail. Nous voulons ouvrir à Mayotte la voie du développement, de la responsabilité et de la dignité, et non celle de l'assistance.
Plusieurs dispositifs sont à l'étude pour développer l'emploi, mais d'ores et déjà je peux vous indiquer que celui des emplois jeunes, adapté à Mayotte, sera mis en place dès cette année : 300 postes y seront créés. Cela permettra de développer des activités d'utilité sociale et de répondre aux besoins d'encadrement et de développement des associations et des collectivités locales.
De même, sera prévu un cadre pour la mise en place d'un régime conventionnel d'indemnisation du chômage en cas de licenciement économique, car aucune protection n'existe actuellement. Une réflexion est également engagée sur la façon d'indemniser le chômage partiel afin de diminuer les conséquences, parfois dramatiques pour les salariés, des baisses conjoncturelles d'activité des entreprises, l'activité économique dans une île étant plus sujette qu'ailleurs à des variations.
Le code du travail devra aussi être complété, pour mieux assurer notamment l'hygiène et la sécurité au travail, car les travailleurs mahorais doivent aussi bénéficier des règles protectrices.
Le statut des travailleurs indépendants, commerçants et artisans, sera précisé. Ce sera également le cas pour les exploitants agricoles car ces activités doivent s'effectuer dans un cadre juridique clair, et tout doit être mis en uvre pour éviter un exode rural massif qui bouleverserait la société mahoraise.
- J'en viens à la protection sociale. Elle est aujourd'hui très incomplète, et rien ne justifie que de nombreux habitants bénéficient d'une protection faible, voire nulle dans des domaines aussi importants que l'enfance, la famille, la maladie, le handicap ou encore la retraite. Cette exigence se traduira dans des ordonnances que prépare le Gouvernement.
La première priorité en la matière, c'est l'enfance et la famille.
La première mesure concerne les allocations familiales, qui sont d'un niveau modeste et versées exclusivement aux salariés, ce qui aggrave les inégalités sociales.
Aussi, elles seront généralisées à toutes les familles résidentes à Mayotte, et pour les familles étrangères, elles devront être en situation régulière, avec une durée minimale de résidence. La première étape aura lieu au 1er janvier 2002 et concernera les travailleurs indépendants. La deuxième étape concernant toutes les autres familles, aura lieu dans le courant l'année 2002, le plus tôt possible, dès que les modalités de gestion, garantissant rigueur et équité, seront en place. Dès lors, le nombre de familles allocataires sera multiplié par trois.
Les allocations familiales seront également revalorisées fortement, en deux étapes, la première dès le 1er octobre prochain, la deuxième au 1er mars 2002. Ainsi, d'ici un an, le montant des allocations familiales sera augmenté de 50 % environ pour les familles de un ou deux enfants, et de 33 % pour les familles de trois enfants ; la hausse sera plus faible au-delà, car la politique familiale doit favoriser la réduction de la natalité à Mayotte.
Ces mesures étaient très attendues, elles seront mises en uvre très rapidement.
Comme vous le savez, l'éducation est une priorité majeure pour Mayotte, et 1,2 milliard de francs sont consacrés aux institutions scolaires, de 2000 à 2004. Encore faut-il que les enfants puissent les fréquenter, dans de bonnes conditions.
Aussi, deux mesures de politique familiale seront mises en uvre rapidement pour favoriser la scolarité des enfants :
a) L'allocation de rentrée scolaire, qui est très faible - 150 francs dans le primaire, 300 francs dans le secondaire - sera doublée, dès la prochaine rentrée scolaire. Elle sera ainsi portée à 300 francs dans le primaire et à 700 francs dans le secondaire, dont 500 francs seront versés à la famille, et 200 francs aux établissements scolaires pour l'achat de fournitures scolaires remises aux enfants.
b) Une deuxième mesure est une aide à la restauration scolaire, qui existe dans les départements d'outre-mer et qui sera versée aux gestionnaires. Un grand nombre d'enfants à Mayotte ne prennent pas de repas avant de partir à l'école le matin, souvent très tôt. Certains n'ont pas non plus de repas à midi. Une telle situation n'est pas tolérable : nous voulons, avec les élus, favoriser la construction des restaurants scolaires, pour garantir une alimentation saine et régulière aux enfants mahorais.
Les plus démunis, et je pense en particulier aux personnes âgées et aux personnes handicapées qui perçoivent actuellement une allocation minimale de 420 francs par mois seulement, seront concernés par ces réformes : le montant sera augmenté significativement, et progressivement pour mettre fin à ces situations trop difficiles. Une première revalorisation notable de ces allocations minimales interviendra dans les mois qui viennent. C'est une mesure de justice sociale.
Voilà les premières mesures sociales que je voulais vous indiquer, sachant que d'autres sont en préparation.
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les députés,
Ce projet de loi est, pour Mayotte, une inflexion majeure, attendue par les Mahorais. La maturité dont ils ont fait la preuve, ces trois dernières années, démontrent qu'ils sauront faire vivre la collectivité départementale que ce projet institue.
Au-delà du statut de l'île, pour moi ce projet illustre la vision de la République qu'incarne l'outre-mer français : une République forte et cohérente, solidaire et tolérante ; une République unie sans être uniforme. Mayotte a été pendant un quart de siècle dans l'insécurité et l'incertitude. Nous avons mis fin à cette période, par une méthode adaptée, dont nous pourrons, j'en suis certain, tirer des enseignements pour d'autres lieux de l'outre-mer.
Ce que Mayotte sera dans dix ans, nul ici ne peut le dire avec certitude. J'ai toutefois la conviction que la voie pour un développement harmonieux et solidaire est ouverte. J'ai la conviction que les errements passés appartiennent définitivement à l'histoire. J'ai aussi la conviction que c'est désormais aux Mahorais qu'il appartient de bâtir l'avenir de leur collectivité, dans la République.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 9 avril 2001)
Mesdames et messieurs les députés,
Les Mahorais, il y a 25 ans, ont exprimé le désir de voir leur île maintenue au sein de la République française. Ils n'ont cessé, depuis, de confirmer cet attachement. Le projet de loi, que je présente aujourd'hui devant votre Assemblée, s'inscrit dans cette histoire.
Avant d'en exposer le contenu, je veux rendre hommage à celles et ceux qui ont uvré pour faire entendre les aspirations d'une population qui reconnaît, dans nos institutions, un espace où ses attentes et son identité peuvent être respectées.
Ma pensée va donc à Mayotte, à ses reponsables politiques d'hier et d'aujourd'hui, aux signataires de l'accord sur " L'avenir de Mayotte ", dont l'histoire retiendra qu'ils furent des visionnaires. Ma pensée va aussi au Mouvement des Femmes Mahoraises, dont je sais le rôle. Je tiens également tout particulièrement à saluer le travail de Jacques Floch, votre rapporteur, qui a pris à cur la cause de Mayotte, et qui a su, une nouvelle fois avec conviction, la faire entendre au sein de votre commission des lois.
En présentant aujourd'hui devant l'Assemblée Nationale ce projet de loi relatif à Mayotte, je souhaite d'emblée vous en faire partager les enjeux.
- Vous me permettrez de commencer par une observation qui ralliera tous les esprits républicains et qui m'est inspirée par les déplacements que j'ai effectués à Mayotte, à plusieurs reprises ces derniers mois : l'attachement de cet ensemble d'îles et de leurs habitants à la France, à notre République est sans ambiguité. Pour prendre la mesure exacte de ce lien, il faut rappeler que la société mahoraise est une société ouverte ; que son identité est le fruit d'une longue histoire, au cours de laquelle n'ont cessé de se conjuguer des influences diverses : arabe, perse, malgache, bantoue, française. On se tromperait en pensant que cette société est figée, arc-boutée sur des structures traditionnelles. L'aspiration des Mahorais à une évolution politique, économique et sociale témoigne de leur étonnante capacité d'adaptation et d'intégration.
- Enfin, et c'est le deuxième enjeu, j'ai le sentiment qu'avec ce projet de loi comme avec l'ensemble des actions qu'il conduit pour l'île, l'Etat apporte une réponse aux attentes des Mahorais désireux que leur île puisse véritablement participer au développement national et saisir les opportunités considérables qui ne manqueront pas de se présenter. Certains ont pu parler d'urgence sociale à propos de la situation dans l'île. Il est dans nos intentions d'y répondre avec force. Le Premier ministre l'a montré avec solennité lors de son déplacement dans l'île, le 27 janvier 2001, en rappelant les efforts récemment engagés. J'y reviendrai tout à l'heure.
- Le dernier enjeu est plus institutionnel. L'Assemblée nationale et le Sénat n'ont pas eu l'occasion de se prononcer très souvent sur le statut de l'île et sur le sort de nos concitoyens mahorais. Depuis 1976, Mayotte vit dans le provisoire et je suis heureux de présenter aujourd'hui un texte qui mettra fin à cette situation qui a trop duré. Il ne s'agit pas d'imposer à la représentation nationale une forme de culpabilité, mais plutôt, en adoptant ce texte, de rattraper le temps perdu.
Avant d'entrer dans le détail de ce texte, je souhaite revenir devant vous, mesdames et messieurs les députés, sur les conditions dans lesquelles il a été élaboré. Elles ont été exemplaires et donnent toute sa légitimité à cette démarche commune.
Le travail qui a conduit à l'adoption du texte par le conseil des ministres, il y a un peu plus d'un mois, s'est déroulé en trois étapes.
1) La première étape a permis de dégager les axes d'une réforme en profondeur du statut de Mayotte. Le Gouvernement a préparé un texte d'orientation, "L'accord sur l'avenir de Mayotte ", qui a été discuté point par point avec les principales forces politiques de l'île et qui a été signé le 27 janvier 2000 par l'Etat, représenté par M. Jean-Jack QUEYRANNE, auquel je souhaite rendre ici hommage, par le président du conseil général M. BAMANA et par trois partis représentés au conseil général, à savoir le RPR, le PS et le MPM (Mouvement populaire mahorais).
2) La deuxième étape est tout à fait fondamentale à mes yeux. Le Parlement a décidé d'organiser une consultation de la population mahoraise, appelée à se prononcer sur les orientations de l'accord. Le OUI a recueilli près de 73 % des votants, soit plus de la moitié des inscrits sur les listes électorales, validation indispensable, aux yeux du Gouvernement, à la poursuite de la démarche engagée : il n'était pas question d'imposer à Mayotte des décisions venues de Paris. Il s'agissait, au contraire, comme nous l'avons voulu dans les Départements d'outre-mer avec la Loi d'orientation du 13 décembre, d'associer la population aux projets de réforme.
3) Nous avons ensuite pu préparer le projet de loi au cours d'un automne particulièrement productif. Je souhaite ici souligner l'état d'esprit qui a régné pendant ces longues séances de travail, à Mayotte comme à Paris. Les signataires de l'accord, mais pas seulement eux - je pense ici aux parlementaires de Mayotte qui s'étaient opposés aux termes de l'accord - , y ont pris part avec un sérieux et un engagement qu'il faut saluer.
Enfin, le projet de loi, qui a été présenté aux membres du comité de suivi en décembre dernier, a fait l'objet d'une consultation du conseil général qui l'a adopté le 15 janvier 2001 par 14 voix sur les 18 votants.
Respect des engagements pris, transparence, large concertation, recherche d'un consensus le plus large possible, consultation de la population, association des élus à toutes les phases de préparation du projet de loi ; telle est la méthode que le Gouvernement a mis en uvre pour ce texte. Mayotte mérite ce marathon législatif.
J'en viens maintenant au contenu de ce projet de loi, ample, complet et, je le crois, ambitieux.
I. Mesdames et messieurs les députés, sur le plan institutionnel, ce projet est la réponse historique à 25 ans d'attente.
La loi du 24 décembre 1976 a doté l'île d'un régime temporaire, Mayotte étant une collectivité territoriale de la République, définie par l'article 72 de la Constitution de 1958. Cette loi prévoyait qu'une consultation devrait être organisée dans les trois ans sur ce statut. Ce délai a été porté à cinq ans par une loi du 22 décembre 1979, qui n'a jamais été suivie d'effet.
Il convenait de sortir de cette situation et de mettre fin à cette incertitude et ce, pour trois raisons principales auxquelles le projet apporte une réponse.
1) La première raison, et non la moindre, tient à l'appartenance de Mayotte à la République. Mayotte fait partie de la République et ne peut cesser d'y appartenir sans le consentement de la population. Ce sont les termes de la Constitution. Ce sont aussi ceux qui figurent à l'article 1er du projet que le Gouvernement vous soumet.
L'insertion de Mayotte dans son environnement régional est un des chantiers majeurs des prochaines années. Les échanges sont d'ailleurs déjà très nombreux entre les différentes îles de cette partie de l'Océan indien. Le projet de loi permettra à Mayotte d'espérer vivre en harmonie avec les Etats de son environnement et notamment avec les Comores. Ceci n'est certes pas facile. Pour y parvenir, la collectivité départementale bénéficiera progressivement de tous les dispositifs existants pour la coopération régionale en vigueur dans les départements d'outre-mer. Il y a matière à conduire des actions de codéveloppement, par exemple, en matière de santé ou de protection civile.
2) La deuxième raison tient aux institutions mahoraises elles-mêmes. Comment croire aujourd'hui, en effet, qu'une administration puisse être crédible, efficace et moderne, alors que son statut est précaire et que la décentralisation ne connaît aucun commencement de réalisation ? L'accord sur l'avenir de Mayotte, que le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution, a prévu la création d'une collectivité départementale. Le projet de loi la place dans le cadre de l'article 72 de la Constitution : cette collectivité bénéficiera progressivement du droit commun applicable aux régions et aux départements d'outre-mer. Permettez-moi de préciser ici, mesdames et messieurs les députés, que l'insertion de Mayotte dans la troisième partie du code général des collectivités départementales consacrée aux départements est plus qu'une simple technique de rédaction : c'est la manifestation d'une véritable volonté politique. Le Gouvernement souhaite ainsi montrer le cap et permettre l'alignement sur le droit commun le plus souvent possible, le plus tôt possible.
Les institutions mahoraises bénéficieront ainsi de la décentralisation qui confie aux élus locaux des responsabilités croissantes. Il est ainsi proposé, à l'article 2 du projet, de transférer l'exécutif, actuellement exercé par le préfet, au président du conseil général après le renouvellement de 2004, puis de conférer un caractère exécutoire de plein droit à ses décisions après le renouvellement de 2007. En 2010, le conseil général de Mayotte pourra proposer au Gouvernement une nouvelle évolution statutaire, si tel est son souhait. C'est en cela que Mayotte sort du provisoire. Son statut de collectivité départementale, qui sera parvenu en 2007 au terme de la démarche progressive qui est proposée, lui permettra d'exercer pleinement ses nouvelles compétences dans un cadre juridique sécurisé. Si de nouvelles évolutions sont souhaitées, il appartiendra aux élus mahorais et à eux seuls d'en prendre l'initiative.
De même, les 17 communes de Mayotte ne sont pas oubliées et elles ne se sont d'ailleurs pas trompé sur l'importance de l'évolution proposée puisqu'elles ont massivement approuvé "l'accord sur l'avenir de Mayotte".
Alors qu'elles sont régies, depuis leur création en 1977, par les dispositions du code antérieur à la décentralisation, les communes bénéficieront en premier lieu des dispositions du code des collectivités territoriales, figurant dans le titre Ier du projet de loi, qui posent les grands principes de la décentralisation. Surtout, le titre IV du projet prévoit que de nouvelles compétences, comme l'exploitation des ports de plaisance ou la gestion des écoles maternelles et élémentaires, leur seront transférées. De nouvelles ressources financières leur sont attribuées : une dotation de rattrapage et de premier équipement, prévue à l'article 34, sera versée de 2002 à 2005. Un fonds intercommunal de péréquation, proposé à l'article 35, destiné à contribuer au fonctionnement et à l'investissement dans les communes leur permettra de rattraper leur retard en équipements publics, par exemple pour la voirie, l'éclairage public, l'adduction d'eau ou encore les équipements culturels et sportifs. Pour le reste, l'extension des dispositions du Code Général des Collectivités Territoriales relatives aux communes sera réalisée par la voie d'ordonnances.
Ces évolutions seront accompagnées d'un effort très important pour la formation des agents publics et des élus. Le contrat de plan a d'ores et déjà prévu 30 MF sur ce sujet. Une mission du Centre national de la fonction publique territoriale a eu lieu récemment. Des actions concrètes suivront très vites. Une modernisation, en outre, des moyens d'action de l'Etat et une clarification des compétences exercées par les différentes collectivités sont également engagées. La décentralisation à Mayotte appelle de la part de l'Etat un véritable effort, comme cela a été le cas en son temps en métropole et dans les départements d'outre-mer.
Un dernier point me semble devoir être évoqué à propos de l'évolution institutionnelle de Mayotte. Il concerne l'Europe. Mayotte est aujourd'hui au regard du droit communautaire un " pays et territoires d'outre-mer " (PTOM), qui a bénéficié d'environ 10 millions d'euros au titre du Fonds européen de développement (FED) sur la période 1996 à 2000. Ces crédits s'élèveront à environ 15 millions d'euros sur la période 2001-2006. Même si ces montants sont importants, le rapprochement vers le droit commun, que veut favoriser ce projet de loi, ne pourra pas rester sans conséquence sur la position de Mayotte par rapport à l'Europe. Le Gouvernement est déterminé à poursuivre les travaux avec Bruxelles pour que Mayotte s'inscrive, à terme, dans le droit commun des régions ultrapériphériques.
3) La troisième raison qui militait en faveur de cette évolution est d'ordre juridique. Placée dans notre édifice institutionnel entre les territoires d'outre-mer et les départements d'outre-mer, Mayotte est depuis longtemps régie par un droit hybride, extrêmement complexe et peu favorable à un accès de tous aux règles de droit, peu favorable également aux investissements économiques et au développement de l'île. Le Gouvernement de Lionel JOSPIN a d'ores et déjà réalisé un important travail d'alignement sur le droit commun notamment par un train d'ordonnances du printemps 2000, consacré par exemple à la réforme de l'état civil. Le projet de loi qui vous est soumis réalise, par son article 3, de nouvelles avancées pour l'identité législative : dans toute une série de matières, il est proposé que le droit commun soit applicable de plein droit à Mayotte, sans qu'il soit besoin de prévoir dans les textes des mentions spécifiques d'applicabilité.
II. Le deuxième volet du projet de loi sur lequel je souhaite insister porte sur le développement économique de Mayotte. Mesdames et messieurs les députés, ce texte donne à Mayotte les moyens de prendre en main son avenir.
Il vient ainsi compléter ce que le Premier ministre a appelé "le Nouvel effort" pour Mayotte lors de son déplacement dans l'île, le 27 janvier dernier.
Le contrat de plan signé le 8 septembre 2000 prévoit un doublement des interventions de l'Etat, dont le volume passe à 4,386 milliards de francs, soit 877 MF par an, contre 2,268 milliards de francs pour la période précédente. Ce nouvel effort prendra corps, petit à petit, dans la vie quotidienne des Mahorais, avec l'amélioration des infrastructures de transport, et notamment du réseau routier ou du port de Longoni ; mais aussi, par exemple, avec un effort significatif en matière de logement social auquel sont consacrés 915 MF dans le contrat de plan.
Le titre V du projet de loi vient compléter ces actions déjà engagées.
En matière économique, le texte propose différents outils qui donneront aux Mahorais les moyens de conduire des actions de développement à la hauteur des formidables potentialités que présentent ces îles.
L'effort d'équipement des collectivités et la création d'entreprises seront soutenus par la mise en place, d'une part, d'une agence de développement, instituée à l'article 39, qui prendra la forme d'un groupement d'intérêt public et qui permettra la collaboration d'acteurs publics et privés pour la promotion de Mayotte ; d'autre part, d'un fonds mahorais de développement, prévu à l'article 38.
Cet effort pour le développement de Mayotte s'appuiera sur la création de trois compagnies consulaires - chambre de commerce et d'industrie, chambre de métiers et chambre d'agriculture - qui se substitueront, avant la fin 2004, à l'actuelle compagnie consulaire.
En matière d'aménagement foncier, le projet qui vous est soumis vise à donner à la collectivité départementale les moyens d'assurer un développement durable et équilibré de l'île. La pression foncière est une réalité qu'il convenait de prendre en compte. Un droit de préemption sera ouvert à la collectivité départementale par l'article 42, sauf dans la zone dite des cinquante pas géométriques.
En matière de protection de l'environnement enfin, le projet étend à Mayotte de nombreuses règles du code de l'environnement. La beauté du lagon et la richesse des ressources naturelles justifient, je crois, cette modernisation du droit applicable.
Pour terminer sur ce point, je souhaite évoquer en quelques mots les conditions d'intervention des services publics à Mayotte. Nos concitoyens souffrent aujourd'hui d'une carence des services publics qui sont freinés par un droit inadapté et qui pourtant incarnent la solidarité nationale. La situation actuelle n'a, là aussi, que trop duré : les tarifs de l'électricité sont beaucoup plus élevés qu'ailleurs en France ; la Poste n'est pas présente à Mayotte dans des conditions de droit commun. Le projet de loi répond, je crois, aux attentes des Mahorais. En matière d'électricité ou de télécommunications, le droit commun s'appliquera tout en étant adapté aux réalités locales.
III. Mesdames et messieurs les députés, avec ce projet de loi, j'ai la conviction que Mayotte est à un tournant de son histoire. En effet, au-delà les institutions et des outils de développement économique, c'est l'ensemble de la société mahoraise qui connaît un exceptionnel mouvement de modernisation.
Mayotte, je vous l'ai dit, est une société profondément attachante. C'est aussi, à plusieurs égards, une société tendue, qui connaît des difficultés sérieuses : en matière de logement, dans plusieurs zones de l'île et notamment dans la banlieue de Mamoudzou ; en matière, également, d'immigration clandestine. Le préfet de Mayotte qui appliquera, à partir du 1er mai prochain, de nouvelles règles de droit commun à l'entrée et au séjour des étrangers, a mis sur pied récemment un plan d'action, " le plan Lagon ", qui renforce les moyens de l'Etat, et qui optimise ceux qui existent déjà.
C'est l'ensemble de la vie sociale qui va être touchée par l'élan ainsi donné à Mayotte, mais cette modernisation concerne au premier chef les droits des femmes, le statut civil de droit local et la justice.
1) Les femmes sont l'élément stabilisateur de la société mahoraise, qui est matriarcale. Elles sont propriétaires de leur maison, leurs maris ne le sont pas. Les coutumes africaines tendent ainsi à neutraliser certains effets de la loi islamique. Les femmes mahoraises aspirent à une reconnaissance de leur rôle social. Elles sont d'ailleurs entrées massivement dans les 17 conseils municipaux de Mayotte, grâce à la loi du 6 juin 2000 sur la parité. Alors que les conseillères municipales n'étaient que 20, elles sont aujourd'hui près de 250 soit 48,8 % des élus municipaux. C'est là, plus encore qu'ailleurs, une révolution tranquille. La réforme de l'état des personnes engagée par des ordonnances intervenues dans l'année 2000 a renforcé le droit des femmes. Il faut aller plus loin. Ce projet de loi affirme ainsi que les femmes ayant le statut civil de droit local peuvent librement exercer une profession, percevoir les gains et les salaires en résultant et en disposer.
2) Le Gouvernement s'est engagé par ailleurs dans la modernisation du statut civil de droit local, au sens de l'article 75 de notre Constitution, inspiré du droit coranique, dans lequel s'inscrivent 95 % des Mahorais. Nous n'avons pas voulu imposer un dispositif qui aurait pu apparaître comme un déracinement pour certains et notamment pour les plus âgés, qui restent attachés à des textes et à des traditions pluriséculaires. Ainsi, l'institution de la collectivité départementale ne signifie pas que la population relevant du statut civil de droit local devra renoncer à ce statut reconnu par la Constitution depuis 1958.
En revanche, le projet organise en ses articles 47 à 49 les modalités simplifiées de renonciation à ce statut au profit du statut civil de droit commun, qui sera constatée par le juge. Le projet organise également les relations juridiques entre des personnes relevant de statut civil différent.
3) Le troisième volet est la réforme de la justice cadiale. Les cadis sont actuellement des agents de la collectivité territoriale de Mayotte qui assurent, pour la population de statut personnel local, des fonctions de juges, de notaires, de tuteurs et d'administrateurs. Le Gouvernement a souhaité doter Mayotte d'une organisation judiciaire modernisée, pour une justice de meilleure qualité et plus professionnelle. Les missions des cadis seront désormais recentrées sur des fonctions de médiation et de conciliation et, lorsqu'ils exerceront des fonctions juridictionnelles, ils seront les assesseurs de magistrats professionnels. Ce dispositif devrait permettre une prise en considération à la fois des traditions locales et des impératifs d'une justice de notre temps.
Cette modernisation de la société touchera très vite l'ensemble des habitants de Mayotte.
IV. Au-delà du projet de loi statutaire qui vous est soumis, je voudrais vous dire quelques mots sur la politique de développement social de Mayotte. Le Premier ministre Lionel Jospin a tracé, fin janvier, à Mayotte, les grandes lignes de la politique du gouvernement en matière de droits sociaux et notamment la méthode retenue, en accord avec les élus : procéder par ordonnances.
Pour compléter le projet de loi que nous allons examiner aujourd'hui et demain, je voudrais vous dire que la loi d'habilitation a été préparée et qu'elle a été soumise pour avis au conseil général de Mayotte et au Conseil d'Etat. Le conseil des Ministres l'examinera dans une semaine, le 11 avril. Mon objectif est que cette loi d'habilitation soit adoptée avant la fin de l'actuelle session, en juin.
Ainsi, des ordonnances en matière sociale pourront être adoptées au début de l'automne, et permettre une mise en uvre rapide des premières mesures concernant deux domaines majeurs, l'emploi et la protection sociale. Un calendrier très court donc, qui a pour but de répondre aux attentes fortes de la société mahoraise. Je peux, aujourd'hui, vous apporter quelques précisions à ce sujet.
- Le développement économique et celui de l'emploi doit aller de pair avec la mise en uvre progressive d'une protection sociale adaptée à la situation mahoraise.
En effet, la protection sociale dissociée du développement produirait des effets pervers en aggravant les inégalités et les phénomènes d'exclusion. Il faut que les Mahorais, et en particulier les très nombreux jeunes, ainsi que les femmes mahoraises, disposent avant tout de revenus tirés du travail. Nous voulons ouvrir à Mayotte la voie du développement, de la responsabilité et de la dignité, et non celle de l'assistance.
Plusieurs dispositifs sont à l'étude pour développer l'emploi, mais d'ores et déjà je peux vous indiquer que celui des emplois jeunes, adapté à Mayotte, sera mis en place dès cette année : 300 postes y seront créés. Cela permettra de développer des activités d'utilité sociale et de répondre aux besoins d'encadrement et de développement des associations et des collectivités locales.
De même, sera prévu un cadre pour la mise en place d'un régime conventionnel d'indemnisation du chômage en cas de licenciement économique, car aucune protection n'existe actuellement. Une réflexion est également engagée sur la façon d'indemniser le chômage partiel afin de diminuer les conséquences, parfois dramatiques pour les salariés, des baisses conjoncturelles d'activité des entreprises, l'activité économique dans une île étant plus sujette qu'ailleurs à des variations.
Le code du travail devra aussi être complété, pour mieux assurer notamment l'hygiène et la sécurité au travail, car les travailleurs mahorais doivent aussi bénéficier des règles protectrices.
Le statut des travailleurs indépendants, commerçants et artisans, sera précisé. Ce sera également le cas pour les exploitants agricoles car ces activités doivent s'effectuer dans un cadre juridique clair, et tout doit être mis en uvre pour éviter un exode rural massif qui bouleverserait la société mahoraise.
- J'en viens à la protection sociale. Elle est aujourd'hui très incomplète, et rien ne justifie que de nombreux habitants bénéficient d'une protection faible, voire nulle dans des domaines aussi importants que l'enfance, la famille, la maladie, le handicap ou encore la retraite. Cette exigence se traduira dans des ordonnances que prépare le Gouvernement.
La première priorité en la matière, c'est l'enfance et la famille.
La première mesure concerne les allocations familiales, qui sont d'un niveau modeste et versées exclusivement aux salariés, ce qui aggrave les inégalités sociales.
Aussi, elles seront généralisées à toutes les familles résidentes à Mayotte, et pour les familles étrangères, elles devront être en situation régulière, avec une durée minimale de résidence. La première étape aura lieu au 1er janvier 2002 et concernera les travailleurs indépendants. La deuxième étape concernant toutes les autres familles, aura lieu dans le courant l'année 2002, le plus tôt possible, dès que les modalités de gestion, garantissant rigueur et équité, seront en place. Dès lors, le nombre de familles allocataires sera multiplié par trois.
Les allocations familiales seront également revalorisées fortement, en deux étapes, la première dès le 1er octobre prochain, la deuxième au 1er mars 2002. Ainsi, d'ici un an, le montant des allocations familiales sera augmenté de 50 % environ pour les familles de un ou deux enfants, et de 33 % pour les familles de trois enfants ; la hausse sera plus faible au-delà, car la politique familiale doit favoriser la réduction de la natalité à Mayotte.
Ces mesures étaient très attendues, elles seront mises en uvre très rapidement.
Comme vous le savez, l'éducation est une priorité majeure pour Mayotte, et 1,2 milliard de francs sont consacrés aux institutions scolaires, de 2000 à 2004. Encore faut-il que les enfants puissent les fréquenter, dans de bonnes conditions.
Aussi, deux mesures de politique familiale seront mises en uvre rapidement pour favoriser la scolarité des enfants :
a) L'allocation de rentrée scolaire, qui est très faible - 150 francs dans le primaire, 300 francs dans le secondaire - sera doublée, dès la prochaine rentrée scolaire. Elle sera ainsi portée à 300 francs dans le primaire et à 700 francs dans le secondaire, dont 500 francs seront versés à la famille, et 200 francs aux établissements scolaires pour l'achat de fournitures scolaires remises aux enfants.
b) Une deuxième mesure est une aide à la restauration scolaire, qui existe dans les départements d'outre-mer et qui sera versée aux gestionnaires. Un grand nombre d'enfants à Mayotte ne prennent pas de repas avant de partir à l'école le matin, souvent très tôt. Certains n'ont pas non plus de repas à midi. Une telle situation n'est pas tolérable : nous voulons, avec les élus, favoriser la construction des restaurants scolaires, pour garantir une alimentation saine et régulière aux enfants mahorais.
Les plus démunis, et je pense en particulier aux personnes âgées et aux personnes handicapées qui perçoivent actuellement une allocation minimale de 420 francs par mois seulement, seront concernés par ces réformes : le montant sera augmenté significativement, et progressivement pour mettre fin à ces situations trop difficiles. Une première revalorisation notable de ces allocations minimales interviendra dans les mois qui viennent. C'est une mesure de justice sociale.
Voilà les premières mesures sociales que je voulais vous indiquer, sachant que d'autres sont en préparation.
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les députés,
Ce projet de loi est, pour Mayotte, une inflexion majeure, attendue par les Mahorais. La maturité dont ils ont fait la preuve, ces trois dernières années, démontrent qu'ils sauront faire vivre la collectivité départementale que ce projet institue.
Au-delà du statut de l'île, pour moi ce projet illustre la vision de la République qu'incarne l'outre-mer français : une République forte et cohérente, solidaire et tolérante ; une République unie sans être uniforme. Mayotte a été pendant un quart de siècle dans l'insécurité et l'incertitude. Nous avons mis fin à cette période, par une méthode adaptée, dont nous pourrons, j'en suis certain, tirer des enseignements pour d'autres lieux de l'outre-mer.
Ce que Mayotte sera dans dix ans, nul ici ne peut le dire avec certitude. J'ai toutefois la conviction que la voie pour un développement harmonieux et solidaire est ouverte. J'ai la conviction que les errements passés appartiennent définitivement à l'histoire. J'ai aussi la conviction que c'est désormais aux Mahorais qu'il appartient de bâtir l'avenir de leur collectivité, dans la République.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 9 avril 2001)