Texte intégral
Discours de Monsieur Alain Richard, ministre de la Défense, sur le projet de loi portant réforme du code de justice militaire (au Sénat, le 2 mars 1999)
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Le projet de loi portant réforme du code de justice militaire que je vous présente aujourdhui au nom du Gouvernement, et qui a été adopté en première lecture à lAssemblée Nationale, vise à rapprocher la procédure suivie devant la juridiction militaire du droit commun procédural.
Il sinscrit dans le cadre plus vaste de la réforme de la justice dont les principales orientations ont été développées par ma collègue, Madame la Garde des Sceaux, en juin 1998.
Nous satisferons ainsi aux prescriptions de larticle 229 de la loi du 4 janvier 1993 :
celui-ci établit en effet que ses dispositions seront applicables aux procédures de la compétence des tribunaux militaires. Cette application a été reportée à trois reprises. Nous avons souhaité mener cette réforme à son terme.
Ce projet sinscrit également dans notre volonté collective de renouveler le lien qui unit la Nation à son armée, en contribuant à ne conserver, dans les règles de toute nature relatives aux armées, que les dispositions spécifiques nécessaires à létat de militaire ou à lemploi des forces.
Avant de vous en présenter les principales dispositions, je voudrais rappeler quelques caractéristiques essentielles des règles de procédure pénale spécifiques au traitement des affaires militaires, issues de la loi du 21 juillet 1982.
Le législateur dalors y a conservé la distinction traditionnelle fondée sur lidée que les affaires pénales militaires doivent être jugées différemment en temps de paix et en temps de guerre.
En effet, en temps de guerre, limpératif de protection de la Nation devant le danger lemporte sur toute autre considération pour justifier la mise en place de juridictions militaires destinées à réprimer les infractions commises par les militaires et les infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.
En revanche, en temps de paix, le législateur a estimé quil ne devait y avoir quune seule justice répressive selon le principe constitutionnel dégalité devant la loi. Cette considération nous a donc conduit à supprimer les tribunaux permanents des forces armées pour confier le jugement des infractions militaires à des juridictions de droit commun spécialisées.
A titre secondaire, en temps de paix, la loi distingue les infractions commises sur le territoire national de celles commises hors de ce territoire.
Les infractions commises sur le territoire national sont soumises, depuis le 1er janvier 1983, à des juridictions de droit commun spécialisées qui sont, dans le ressort de chaque cour dappel, un tribunal de grande instance et une cour dassises désignés par décret.
Ces juridictions appliquent la procédure pénale de droit commun sous réserve de quelques particularités :
· si le procureur de la République apprécie librement lopportunité dengager laction publique, son acte de poursuite doit, sauf exception, être précédé dune dénonciation ou dun avis du ministre de la défense ;
· la mise en mouvement de laction publique par la partie lésée nest possible quen cas de décès, de mutilation ou dinfirmité permanente.
En matière militaire, les juridictions de droit commun spécialisées connaissent des crimes et délits spécifiquement militaires, cest-à-dire prévus et réprimés par le code de justice militaire, et des crimes et délits de droit commun commis par des militaires dans lexécution du service.
Elles sont compétentes à légard des militaires de carrière, des militaires servant en vertu dun contrat et de ceux qui effectuent leur service national. Leur compétence sétend également aux personnes majeures complices ou coauteurs dinfractions commises par des militaires.
Sagissant des infractions commises hors du territoire national, la situation est plus complexe.
· elles peuvent tout dabord être jugées par des juridictions militaires établies par décret auprès des forces stationnant ou opérant à létranger. Il en est ainsi pour les forces françaises stationnées en Allemagne.
· en outre, pour satisfaire aux accords de défense liant la France à huit Etats africains et donnant compétence aux juridictions militaires françaises, la loi du 21 juillet 1982 a créé le tribunal des forces armées siégeant à Paris.
· enfin, lorsque aucun tribunal nest mis en place, les militaires sont justiciables de la juridiction de droit commun spécialisée, qui est généralement celle du lieu de situation de leur unité dorigine en France.
Si les juridictions de droit commun spécialisées appliquent le code de procédure pénale, les juridictions militaires appliquent, quant à elles, les règles de procédure prévues par le code de justice militaire qui sont aujourdhui assez éloignées du droit commun. Quelques particularités apparaissent très singulières :
· dune part, en cas de dénonciation par le ministre de la Défense ou lautorité militaire habilitée, le commissaire du Gouvernement est tenu de mettre en mouvement laction publique ;
· dautre part, le militaire peut être placé en détention, avant même tout acte de poursuite, en vertu dun ordre dincarcération du commissaire du Gouvernement valable pour une durée de cinq jours ;
· enfin, les jugements rendus par ces juridictions, notamment en matière délictuelle, ne sont pas susceptibles dappel.
Pour satisfaire à notre volonté politique dalignement sur le droit commun, ces spécificités devaient être remises en cause. Par ailleurs, il nous fallait également se conformer aux prescriptions de la convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, je conclurai ce rappel du droit existant en précisant que les règles de procédure pénale applicables en temps de guerre ne sont pas modifiées par le présent projet de loi. Les circonstances exceptionnelles du temps de guerre et la nécessité de la défense de la Nation justifient toujours autant, sans autre considération, lapplication de règles spécifiques. Il en est de même dans tous les états démocratiques.
La réforme que jai lhonneur de soumettre à votre examen ne vise donc que le temps de paix. Ses objectifs sont clairs et sinscrivent dans le mouvement de réforme des forces armées entrepris depuis 1996.
Il sagit tout dabord de poursuivre luvre de rapprochement entre la procédure pénale militaire et le droit commun.
Comme je lai souligné au début de ce propos, le présent projet de loi sinscrit dans le prolongement de la réforme de 1982 qui vise à réduire les particularismes des règles pénales spécifiques.
Avec cette réforme, les personnes justiciables des juridictions des forces armées bénéficieront des garanties du droit commun, et notamment des dispositions concernant lintervention de lavocat au cours de la garde à vue et des dispositions relatives à la détention provisoire et à linstruction.
Par ailleurs, pour lavenir, en raison de la nouvelle rédaction retenue du code de justice militaire, les dispositions relatives au renforcement de la présomption dinnocence et à la présence de lavocat dès le début de la garde à vue seront applicables de plein droit.
Ce rapprochement substantiel des procédures a conduit lAssemblée Nationale, avec lapprobation du Gouvernement, à unifier les terminologies applicables devant les juridictions militaires et de droit commun. Sont ainsi supprimées dans le projet de loi les désignations « chambre de contrôle de linstruction » et « commissaire du Gouvernement » qui correspondaient respectivement à la « chambre daccusation » et au « procureur de la République ».
Je veux par ailleurs souligner que le projet de loi va plus loin que la seule incorporation des règles du code de procédure pénale modifié par la loi du 4 janvier 1993. Ce texte permet dorénavant lexamen successif de la même affaire par deux juridictions dun degré différent. Ladoption de la règle du double degré de juridiction constitue un acquis important. Cette règle est, en outre, conforme à la convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales.
Ce projet de loi va permettre dassurer la cohérence générale des dispositions relatives à lorganisation juridictionnelle, tout en conservant des règles minimales destinées à garantir la stabilité et la spécificité de linstitution militaire.
Cet objectif est garanti par une modification substantielle des règles de compétence puisque le Gouvernement, suivant en cela la proposition de la commission de la Défense nationale et des forces armées de lAssemblée Nationale, vous propose dadopter le principe de la compétence exclusive du tribunal aux armées de Paris pour les infractions commises hors du territoire, avec toutefois la possibilité dinstituer des chambres détachées auprès des forces stationnant ou opérant hors de France.
A la suite du vote de la loi, le tribunal aux forces armées de Baden-Baden sera en effet supprimé par décret. Nous pourrons ainsi satisfaire le souhait de nos partenaires allemands de voir disparaître cette juridiction qui correspondait à un autre contexte historique.
Enfin, ne demeureront que les dispositions de procédure strictement nécessaires à garantir la spécificité du métier des armes, la stabilité des armées et la protection des intérêts de la Défense nationale. Il en va ainsi des règles relatives :
· à la possibilité dinstaurer le huis clos et à labsence de jury populaire dans le cas où les débats risqueraient dentraîner la divulgation dun secret de la Défense nationale ;
· à lavis préalable du ministre de la Défense avant toute mise en mouvement de laction publique, que celle-ci intervienne à linitiative du ministère public ou de la partie lésée.
Je voudrais souligner limportance que revêtent ces spécificités. Notre responsabilité collective, que nul nignore, est de veiller aux intérêts de la Défense nationale. Nul ne saurait ignorer quelle présente des particularités quil nous faut apprécier sereinement et qui peuvent justifier, selon le cas, certaines dérogations. Il en va particulièrement ainsi pour lavis du ministre, qui ne lie dailleurs pas le cours de la justice. Cet avis est une disposition protectrice des droits de lhomme et une garantie pour le justiciable militaire :
· dune part, les droits statutaires des militaires comportent des restrictions par rapport à ceux des autres citoyens : les militaires nont pas la liberté dassociation professionnelle et leur expression est strictement encadrée. Dans ce cadre, lavis du ministre permet dassurer la sauvegarde des intérêts du personnel militaire en portant à la connaissance de la justice lensemble des éléments, et notamment du contexte professionnel, de lespèce ;
· dautre part, il est très important que le ministère public ne soit pas le seul à pouvoir obtenir lavis du ministre. Il convient que ce droit soit aussi ouvert lorsque la personne lésée a mis en mouvement laction publique. Il en va particulièrement ainsi alors que les missions confiées par lautorité publique aux militaires peuvent revêtir un caractère sensible.
Par ailleurs, cette procédure particulière en temps de paix quest lavis du ministre préfigure la procédure en temps de guerre et en temps de crise : mobilisation, mise en garde, état de siège ou durgence. le ministre de la Défense retrouve alors des prérogatives essentielles dans le déclenchement de laction publique devant les juridictions militaires. Il est fondamental de ne pas compromettre lexercice de ces prérogatives exceptionnelles en supprimant, en temps de paix, lavis du ministre, et donc tout lien entre le monde militaire et le monde judiciaire. Là encore, il est de notre responsabilité collective de ne pas hypothéquer le futur et davoir toujours à lesprit la sauvegarde des intérêts fondamentaux du pays. Comme le disait en 1982 Robert Badinter, alors garde des sceaux, il est nécessaire de veiller à ne pas ouvrir la possibilité dentreprises de déstabilisation de larmée républicaine. Nul ne sait si cette préoccupation ne retrouvera pas dans lavenir toute son actualité.
LAssemblée Nationale a, au regard de ces particularismes, inséré un article 45 bis dans le projet de loi étendant les cas de constitution de partie civile. Le gouvernement soutient cet article qui ne remet pas en cause lavis du ministre. Votre commission des lois et votre commission de la défense souhaitent confirmer cette orientation dans un article 46. Le gouvernement nest pas opposé à un tel article qui napporterait pas de changement de fond par rapport à larticle 45 bis.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous présente aujourdhui un projet de loi mettant en conformité le code de justice militaire avec les progrès du droit positif.
Les travaux préparatoires particulièrement enrichissants de la Haute Assemblée, et jen remercie Monsieur René Garrec, ainsi que Monsieur Serge Vinçon, font apparaître que le Gouvernement et le Sénat apprécient de la même manière la portée du texte qui vous est soumis et lutilité quil revêt. Les propositions daméliorations que nous allons examiner, à linitiative de votre commission, me semblent clarifier grandement le projet ; elles lui apportent sur de nombreux points des précisions qui me paraissent utiles.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, cest avec la conviction profonde que ce projet constitue une avancée pour les libertés publiques et la qualité du lien entre larmée et la Nation que je souhaite que la Haute Assemblée veuille bien ladopter.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 1999)
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Le projet de loi portant réforme du code de justice militaire que je vous présente aujourdhui au nom du Gouvernement, et qui a été adopté en première lecture à lAssemblée Nationale, vise à rapprocher la procédure suivie devant la juridiction militaire du droit commun procédural.
Il sinscrit dans le cadre plus vaste de la réforme de la justice dont les principales orientations ont été développées par ma collègue, Madame la Garde des Sceaux, en juin 1998.
Nous satisferons ainsi aux prescriptions de larticle 229 de la loi du 4 janvier 1993 :
celui-ci établit en effet que ses dispositions seront applicables aux procédures de la compétence des tribunaux militaires. Cette application a été reportée à trois reprises. Nous avons souhaité mener cette réforme à son terme.
Ce projet sinscrit également dans notre volonté collective de renouveler le lien qui unit la Nation à son armée, en contribuant à ne conserver, dans les règles de toute nature relatives aux armées, que les dispositions spécifiques nécessaires à létat de militaire ou à lemploi des forces.
Avant de vous en présenter les principales dispositions, je voudrais rappeler quelques caractéristiques essentielles des règles de procédure pénale spécifiques au traitement des affaires militaires, issues de la loi du 21 juillet 1982.
Le législateur dalors y a conservé la distinction traditionnelle fondée sur lidée que les affaires pénales militaires doivent être jugées différemment en temps de paix et en temps de guerre.
En effet, en temps de guerre, limpératif de protection de la Nation devant le danger lemporte sur toute autre considération pour justifier la mise en place de juridictions militaires destinées à réprimer les infractions commises par les militaires et les infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.
En revanche, en temps de paix, le législateur a estimé quil ne devait y avoir quune seule justice répressive selon le principe constitutionnel dégalité devant la loi. Cette considération nous a donc conduit à supprimer les tribunaux permanents des forces armées pour confier le jugement des infractions militaires à des juridictions de droit commun spécialisées.
A titre secondaire, en temps de paix, la loi distingue les infractions commises sur le territoire national de celles commises hors de ce territoire.
Les infractions commises sur le territoire national sont soumises, depuis le 1er janvier 1983, à des juridictions de droit commun spécialisées qui sont, dans le ressort de chaque cour dappel, un tribunal de grande instance et une cour dassises désignés par décret.
Ces juridictions appliquent la procédure pénale de droit commun sous réserve de quelques particularités :
· si le procureur de la République apprécie librement lopportunité dengager laction publique, son acte de poursuite doit, sauf exception, être précédé dune dénonciation ou dun avis du ministre de la défense ;
· la mise en mouvement de laction publique par la partie lésée nest possible quen cas de décès, de mutilation ou dinfirmité permanente.
En matière militaire, les juridictions de droit commun spécialisées connaissent des crimes et délits spécifiquement militaires, cest-à-dire prévus et réprimés par le code de justice militaire, et des crimes et délits de droit commun commis par des militaires dans lexécution du service.
Elles sont compétentes à légard des militaires de carrière, des militaires servant en vertu dun contrat et de ceux qui effectuent leur service national. Leur compétence sétend également aux personnes majeures complices ou coauteurs dinfractions commises par des militaires.
Sagissant des infractions commises hors du territoire national, la situation est plus complexe.
· elles peuvent tout dabord être jugées par des juridictions militaires établies par décret auprès des forces stationnant ou opérant à létranger. Il en est ainsi pour les forces françaises stationnées en Allemagne.
· en outre, pour satisfaire aux accords de défense liant la France à huit Etats africains et donnant compétence aux juridictions militaires françaises, la loi du 21 juillet 1982 a créé le tribunal des forces armées siégeant à Paris.
· enfin, lorsque aucun tribunal nest mis en place, les militaires sont justiciables de la juridiction de droit commun spécialisée, qui est généralement celle du lieu de situation de leur unité dorigine en France.
Si les juridictions de droit commun spécialisées appliquent le code de procédure pénale, les juridictions militaires appliquent, quant à elles, les règles de procédure prévues par le code de justice militaire qui sont aujourdhui assez éloignées du droit commun. Quelques particularités apparaissent très singulières :
· dune part, en cas de dénonciation par le ministre de la Défense ou lautorité militaire habilitée, le commissaire du Gouvernement est tenu de mettre en mouvement laction publique ;
· dautre part, le militaire peut être placé en détention, avant même tout acte de poursuite, en vertu dun ordre dincarcération du commissaire du Gouvernement valable pour une durée de cinq jours ;
· enfin, les jugements rendus par ces juridictions, notamment en matière délictuelle, ne sont pas susceptibles dappel.
Pour satisfaire à notre volonté politique dalignement sur le droit commun, ces spécificités devaient être remises en cause. Par ailleurs, il nous fallait également se conformer aux prescriptions de la convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, je conclurai ce rappel du droit existant en précisant que les règles de procédure pénale applicables en temps de guerre ne sont pas modifiées par le présent projet de loi. Les circonstances exceptionnelles du temps de guerre et la nécessité de la défense de la Nation justifient toujours autant, sans autre considération, lapplication de règles spécifiques. Il en est de même dans tous les états démocratiques.
La réforme que jai lhonneur de soumettre à votre examen ne vise donc que le temps de paix. Ses objectifs sont clairs et sinscrivent dans le mouvement de réforme des forces armées entrepris depuis 1996.
Il sagit tout dabord de poursuivre luvre de rapprochement entre la procédure pénale militaire et le droit commun.
Comme je lai souligné au début de ce propos, le présent projet de loi sinscrit dans le prolongement de la réforme de 1982 qui vise à réduire les particularismes des règles pénales spécifiques.
Avec cette réforme, les personnes justiciables des juridictions des forces armées bénéficieront des garanties du droit commun, et notamment des dispositions concernant lintervention de lavocat au cours de la garde à vue et des dispositions relatives à la détention provisoire et à linstruction.
Par ailleurs, pour lavenir, en raison de la nouvelle rédaction retenue du code de justice militaire, les dispositions relatives au renforcement de la présomption dinnocence et à la présence de lavocat dès le début de la garde à vue seront applicables de plein droit.
Ce rapprochement substantiel des procédures a conduit lAssemblée Nationale, avec lapprobation du Gouvernement, à unifier les terminologies applicables devant les juridictions militaires et de droit commun. Sont ainsi supprimées dans le projet de loi les désignations « chambre de contrôle de linstruction » et « commissaire du Gouvernement » qui correspondaient respectivement à la « chambre daccusation » et au « procureur de la République ».
Je veux par ailleurs souligner que le projet de loi va plus loin que la seule incorporation des règles du code de procédure pénale modifié par la loi du 4 janvier 1993. Ce texte permet dorénavant lexamen successif de la même affaire par deux juridictions dun degré différent. Ladoption de la règle du double degré de juridiction constitue un acquis important. Cette règle est, en outre, conforme à la convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales.
Ce projet de loi va permettre dassurer la cohérence générale des dispositions relatives à lorganisation juridictionnelle, tout en conservant des règles minimales destinées à garantir la stabilité et la spécificité de linstitution militaire.
Cet objectif est garanti par une modification substantielle des règles de compétence puisque le Gouvernement, suivant en cela la proposition de la commission de la Défense nationale et des forces armées de lAssemblée Nationale, vous propose dadopter le principe de la compétence exclusive du tribunal aux armées de Paris pour les infractions commises hors du territoire, avec toutefois la possibilité dinstituer des chambres détachées auprès des forces stationnant ou opérant hors de France.
A la suite du vote de la loi, le tribunal aux forces armées de Baden-Baden sera en effet supprimé par décret. Nous pourrons ainsi satisfaire le souhait de nos partenaires allemands de voir disparaître cette juridiction qui correspondait à un autre contexte historique.
Enfin, ne demeureront que les dispositions de procédure strictement nécessaires à garantir la spécificité du métier des armes, la stabilité des armées et la protection des intérêts de la Défense nationale. Il en va ainsi des règles relatives :
· à la possibilité dinstaurer le huis clos et à labsence de jury populaire dans le cas où les débats risqueraient dentraîner la divulgation dun secret de la Défense nationale ;
· à lavis préalable du ministre de la Défense avant toute mise en mouvement de laction publique, que celle-ci intervienne à linitiative du ministère public ou de la partie lésée.
Je voudrais souligner limportance que revêtent ces spécificités. Notre responsabilité collective, que nul nignore, est de veiller aux intérêts de la Défense nationale. Nul ne saurait ignorer quelle présente des particularités quil nous faut apprécier sereinement et qui peuvent justifier, selon le cas, certaines dérogations. Il en va particulièrement ainsi pour lavis du ministre, qui ne lie dailleurs pas le cours de la justice. Cet avis est une disposition protectrice des droits de lhomme et une garantie pour le justiciable militaire :
· dune part, les droits statutaires des militaires comportent des restrictions par rapport à ceux des autres citoyens : les militaires nont pas la liberté dassociation professionnelle et leur expression est strictement encadrée. Dans ce cadre, lavis du ministre permet dassurer la sauvegarde des intérêts du personnel militaire en portant à la connaissance de la justice lensemble des éléments, et notamment du contexte professionnel, de lespèce ;
· dautre part, il est très important que le ministère public ne soit pas le seul à pouvoir obtenir lavis du ministre. Il convient que ce droit soit aussi ouvert lorsque la personne lésée a mis en mouvement laction publique. Il en va particulièrement ainsi alors que les missions confiées par lautorité publique aux militaires peuvent revêtir un caractère sensible.
Par ailleurs, cette procédure particulière en temps de paix quest lavis du ministre préfigure la procédure en temps de guerre et en temps de crise : mobilisation, mise en garde, état de siège ou durgence. le ministre de la Défense retrouve alors des prérogatives essentielles dans le déclenchement de laction publique devant les juridictions militaires. Il est fondamental de ne pas compromettre lexercice de ces prérogatives exceptionnelles en supprimant, en temps de paix, lavis du ministre, et donc tout lien entre le monde militaire et le monde judiciaire. Là encore, il est de notre responsabilité collective de ne pas hypothéquer le futur et davoir toujours à lesprit la sauvegarde des intérêts fondamentaux du pays. Comme le disait en 1982 Robert Badinter, alors garde des sceaux, il est nécessaire de veiller à ne pas ouvrir la possibilité dentreprises de déstabilisation de larmée républicaine. Nul ne sait si cette préoccupation ne retrouvera pas dans lavenir toute son actualité.
LAssemblée Nationale a, au regard de ces particularismes, inséré un article 45 bis dans le projet de loi étendant les cas de constitution de partie civile. Le gouvernement soutient cet article qui ne remet pas en cause lavis du ministre. Votre commission des lois et votre commission de la défense souhaitent confirmer cette orientation dans un article 46. Le gouvernement nest pas opposé à un tel article qui napporterait pas de changement de fond par rapport à larticle 45 bis.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous présente aujourdhui un projet de loi mettant en conformité le code de justice militaire avec les progrès du droit positif.
Les travaux préparatoires particulièrement enrichissants de la Haute Assemblée, et jen remercie Monsieur René Garrec, ainsi que Monsieur Serge Vinçon, font apparaître que le Gouvernement et le Sénat apprécient de la même manière la portée du texte qui vous est soumis et lutilité quil revêt. Les propositions daméliorations que nous allons examiner, à linitiative de votre commission, me semblent clarifier grandement le projet ; elles lui apportent sur de nombreux points des précisions qui me paraissent utiles.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, cest avec la conviction profonde que ce projet constitue une avancée pour les libertés publiques et la qualité du lien entre larmée et la Nation que je souhaite que la Haute Assemblée veuille bien ladopter.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 1999)