Interview de M. Jean-François Copé, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, à LCI le 25 février 2008, sur les polémiques touchant l'action présidentielle, l'engagement de réformes sur les institutions et l'avenir de la télévision publique, ainsi que sur la censure du Conseil constitutionnel sur la rétroactivité prévue dans la loi sur la rétention de sûreté.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier "Casse-toi pauvre con !", est-ce acceptable dans la bouche d'un président de la République, qui plus est, qui a tant insisté sur la politesse et la morale pour les jeunes ?
 
R.- Je trouve qu'on en fait beaucoup, si je peux me permettre.
 
Q.- Il en a fait beaucoup aussi !
 
R.- Je vais vous dire, je trouve qu'on en fait beaucoup. Je ne suis pas sûr que ce type de réaction ne soit pas arrivé à d'autres personnalités, à tel ou tel moment, y compris, peut-être, on ne le saura jamais, à d'autres présidents de la République. Ce que je sais en tout cas, c'est qu'il y a un point sur lequel les temps ont changé, c'est que les Webcam et les portables sont partout, et que, donc, il faudra sans nul doute en tenir compte pour l'avenir.
 
Q.- Ne faut-il pas néanmoins que le Président présente ses excuses ?
 
R.- A celui qui l'a insulté ?
 
Q.- Non, en général aux Français qui ont vu ce spectacle affligeant.
 
R.- Ecoutez, je vais vous dire : je crois que ce qu'on pourrait faire de mieux sur cette histoire, c'est la remettre à ses justes proportions. Je trouve qu'elle a pris une ampleur anormale.
 
Q.- Il persévère un peu facilement quand même le Président en ce moment ?
 
R.- Je ne sais pas si c'est comme ça qu'on doit dire les choses. D'abord, j'ai vu l'image, il l'a dit assez calmement. Et pour le reste, je trouve vraiment que ça prend des proportions anormales.
 
Q.- "N. Sarkozy affaiblit la fonction présidentielle", proteste l'opposition. Que répondez-vous ?
 
R.- Que c'est une manière pour l'opposition de s'engouffrer dans des brèches qui ne valent pas la peine. Et j'ajouterais un autre mot là-dessus, c'est que je les trouve absolument d'une rapidité extraordinaire lorsqu'il s'agit d'attaquer de cette nature, et absolument inexistants en termes de propositions de fond, et on en trouve une nouvelle illustration.
 
Q.- Les députés du groupe UMP défendent-ils à 100 % sur le terrain le président de la République ou prennent-ils leurs distances compte tenu de ses mauvais sondages ?
 
R.- Non, je crois que les députés ne sont pas dans cet état d'esprit. D'abord, ils sont à fond dans leur campagne municipale, disons-le clairement. Et on l'a dit mille fois, il y a une bascule permanente entre les éléments du projet local et aussi des éléments qui tiennent à notre bilan qu'il nous faut valoriser, et puis, en même temps, montrer le vide sidéral des propositions socialistes. Je crois que tous ces éléments doivent surtout nous amener à réfléchir à l'avenir, à l'après-municipales, et à voir comment mieux travailler encore avec le Gouvernement.
 
Q.- Et c'est comment "mieux travailler", c'est prendre le pouvoir au Parlement, c'est renvoyer le Président à ses sondages ?
 
R.- Non, je crois que c'est avoir une réflexion de fond, et je crois qu'il faudra qu'on l'ait avec le Président, avec le Premier ministre, après les municipales, sur comment faire en sorte que les députés soient mieux engagés encore, mieux impliqués dans la fabrication de la réforme. J'ai une idée là-dessus à laquelle je crois profondément, c'est que je pense qu'il faut coproduire les lois, faire de la coproduction. C'est-à-dire, en clair, au lieu que les lois arrivent toutes ficelées à l'Assemblée nationale et qu'on nous demande juste d'appuyer sur le bouton du vote électronique, je voudrais qu'à l'avenir, dès le début de la fabrication de la loi, les députés soient en première ligne, et ce qu'on appelle "la coproduction", c'est ce que j'appelle "la coproduction législative". Quand vous avez dix points importants dans une loi, eh bien que le ministre en prenne trois, quatre, cinq, et que les députés prennent les cinq autres. Et qu'ainsi, ce soit une loi mieux préparée quand elle arrive à l'Assemblée. On va pouvoir l'appliquer sur le rapport Attali, puisque maintenant c'est les députés qui s'en occupent, qui s'en sont emparés, et puis peut-être aussi sur la télévision publique.
 
Q.- Dont vous dirigez la commission. Il y a eu trop de commissions d'experts, trop de parole donnée aux conseillers du Président ?
 
R.- Pardon d'insister là-dessus, mais ce n'est pas tellement mon affaire. Je sais que c'est un débat...
 
Q.- Enfin, c'est plus de place pour eux, c'est moins pour les députés !
 
R.- Non, pas du tout, c'est une répartition des tâches entre les conseillers du Président et les ministres, et cela relève de la décision du président de la République. Après tout, les deux systèmes fonctionnent, en France, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne. Ce n'est pas l'affaire du président de groupe de la majorité que je suis. Ce qui m'importe surtout, c'est qu'on réfléchisse, et vite, au renforcement de la part qui est prise par nous, les députés de l'UMP, dans le travail de réforme. Encore une fois, je le répète, cela ne peut pas nous arriver tout ficelé, il faut qu'on soit, dès l'amont, en première ligne sur ces réformes, et c'est cela que nous allons élaborer ensemble après les municipales.
 
Q.- Un Parlement fort, un Président fort, c'est le régime présidentiel ?
 
R.- Oui, enfin en tout cas à la française, parce que si on va jusque-là, il ne faut pas oublier qu'il y a une dimension très importante qui est liée à la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement. Mais je pense, en revanche que, la Vème République n'interdit pas, bien au contraire, un renforcement du rôle des parlementaires dans la fabrication des lois, c'est aujourd'hui ce qui manque. Et je souhaite que ce soit à travers la réforme des institutions préconisée par monsieur Balladur dans son remarquable rapport, qui soit maintenant mise en oeuvre.
 
Q.- Le Président a demandé au premier président de la cour de cassation des propositions pour que la rétention de sûreté s'applique aux détenus déjà condamnés. C'est-à-dire, en fait, un moyen de contourner la décision de la semaine dernière du Conseil constitutionnel. Est-ce que ce n'est pas un abus de droit, un contournement, ou ce que D. de Villepin a appelé "une monstruosité juridique" ?
 
R.- Je trouve, là encore, que l'attaque est très très violente contre une décision du président de la République que je trouve intéressante. Quel est le sujet ? Il faudrait qu'on s'arrête un instant là-dessus, quel est le sujet ? Nous avons fait campagne pendant les élections présidentielles et législatives sur cette idée qu'il y a vis-à-vis de délinquants extraordinairement dangereux un devoir de vigilance une fois qu'ils sont remis en liberté et que, on ait, un certain nombre de conditions, notamment lorsqu'ils refusent d'être soignés.
 
Q.- Mais ça, c'est pour ceux qui sont condamnés aujourd'hui, pas ceux qui ont été condamnés...
 
R.- Je voudrais juste finir là-dessus, c'est un point très, très important. Que dit le Conseil constitutionnel ? Il dit : sur le fond, c'est conforme à la Constitution. En revanche, se pose un problème de rétroactivité pour ceux qui ont déjà été condamnés, pour lesquels on ne peut pas appliquer de manière rétroactive. "Très bien", a dit le président de la République, dans ce cas, essayons de réfléchir, pour ceux-là, à une solution en attendant que la loi soit applicable. C'est dans cet esprit qu'il a saisi le premier magistrat de l'ordre judiciaire. Et je crois que tout cela doit être remis dans son contexte. Il ne s'agit en aucun cas de contourner, mais bien de trouver une solution dans l'immédiat, conformément aux engagements que nous avions pris devant les Français. Donc, franchement, je regrette les termes très violents que j'ai entendus, en particulier de monsieur Badinter, que je respecte beaucoup, mais je l'invite à avoir cette réflexion-là. Mais en même temps, comme je sais que, sur le fond, il est hostile à cette loi...
 
Q.- Oui, maintenir en détention des gens qu'on "suppose" dangereux, qui n'ont rien fait encore !
 
R.- Mais en même temps, nous avons eu ce débat au Parlement, la majorité l'a adopté, c'est cohérent avec ce que les Français ont voté, c'était en toutes lettres dans notre projet présidentiel et législatif. Il est donc assez normal que l'on réfléchisse à ce qui peut être fait maintenant pour ceux qui ont été antérieurement condamnés, dans le cas de la décision du Conseil constitutionnel.
 
Q.- C. Estrosi, secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, propose de réformer le droit du sol à Mayotte, de changer les règles pour l'immigration. C'est un message de droite dure envoyé à l'électorat pour les municipales ?
 
R.- Non, pas du tout ! Enfin, en tout cas, ce n'est pas du tout comme cela que je l'interprète, et ça ne saurait être ça. En tout cas, je ne suis pas sur cette ligne. Je crois comprendre qu'en réalité, il s'agit juste du point spécifique de Mayotte, et tous ceux qui connaissent la situation sur Mayotte comprennent l'esprit dans lequel cette réflexion a été lancée.
 
Q.- Le groupe UMP voterait un tel projet ?
 
R.- Je n'en sais rien, nous n'en sommes pas encore là, rien n'a été vu. Et comme je vous l'ai dit tout à l'heure, à partir de maintenant, nous, les députés, ce qu'on veut, c'est regarder les textes bien en amont avant qu'ils arrivent tout ficelés chez nous. Donc on va se donner le temps d'y réfléchir. Mais la réflexion en elle-même est très importante et intéressante, pour le cas spécifique de Mayotte.
 
Q.- G. Flosse s'est allié à l'indépendantiste O. Temaru pour retrouver son pouvoir à Tahiti. Camouflet pour l'UMP qui a protesté. Mais que pouvez-vous faire d'autre ?
 
R.- Ecoutez, c'est ce qu'on appelle les "combinazione" politiques, c'était comme ça sous la IIIème République, ce sont des renversements d'alliances qui sont des dénis par rapport à ce que ont choisi les électeurs. Que voulez-vous que je vous dise, voilà !
 
Q.- L'inflation galope pour les produits alimentaires, + 45 % pour les pâtes, + 40 % pour les yaourts - c'est une étude de l'Insee. Que compte faire la majorité, majorité élue sur le pouvoir d'achat, pour lutter contre l'inflation ?
 
R.- D'abord, je peux vous dire que, de ce point de vue, nous sommes très préoccupés parce que l'augmentation massive, spectaculaire, des prix de produits alimentaires, ça ne peut pas être simplement imputable à la conjoncture internationale, je suis désolé. Je peux le comprendre sur certains produits mais pas tous. Donc je ne saurais trop inviter le Gouvernement à se mobiliser dare-dare, pour nous mettre en place des dispositifs de transparence...
 
Q.- Contrôle des prix ?
 
R.- Non, de transparence et d'information, qui permettent aux consommateurs de regarder ; de comparer, et ainsi de prendre des décisions de consommation...
 
Q.- Cela ne va pas faire baisser les prix !
 
R.- Non, mais attendez, comment ça ne peut pas faire baisser les prix ?! Vous savez que l'un des problèmes majeurs que nous avons sur les prix, c'est en réalité l'opacité et la guerre que se livrent les grandes surfaces, on retombe sur les mêmes sujets. Donc je ne saurais trop recommander de toute urgence de veiller à ce qu'on ait un autre dispositif qui permette une authentique transparence des prix sur les produits vendus dans les grandes surfaces.
 
Q.- Première réunion, mercredi, de votre commission sur l'audiovisuel public. Le PS participera-t-il ? Donnerez-vous au PS la place de rapporteur ?
 
R.- Non, ce n'est pas un membre de la commission qui est rapporteur, c'est une personne extérieure, qui est H. Barbaret, qui est magistrat de la Cour des comptes et aujourd'hui directeur général du Louvre, à qui j'ai demandé - il connaît bien la télévision publique pour avoir fait un rapport dessus - d'être le rapporteur général de cette commission. Il y aura différents groupes de travail. J'ai demandé et proposé aux socialistes de nous rejoindre, puisque je n'imagine pas qu'une commission avec des parlementaires ne rassemble pas la majorité et l'opposition. M. Ayrault m'a confirmé qu'il désignerait des membres, nous attendons tous cela ; j'aimerais que ça se passe avant mercredi. Ce qui m'importe en tout cas, aujourd'hui, c'est que ce soit une commission qui, à travers sa diversité, permette d'être audacieuse et courageuse dans ses propositions, sachant que ceux qui n'en sont pas membres, parce que forcément on ne peut pas accueillir tout le monde dans la commission, seront très largement auditionnés, quelle que soit leur profession.
 
Q.- "Courageuse", vous proposerez un plan d'économies massif ?
 
R.- Ce n'est pas tout à fait le seul sujet que nous abordons...
 
Q.- Mais vous l'aborderez quand même ?
 
R.- Le principe, c'est qu'on travaille sans tabou. Et donc, l'idée, c'est qu'on imagine la télévision publique de demain.
 
Q.- Vous pèserez sur les programmes, vous ferez des recommandations de programmes ?
 
R.- D'abord, moi, à titre personnel aujourd'hui, je ne suis pas dans une logique de peser, je suis dans une logique de faire en sorte que nous proposions, dans tous les domaines, un certain nombre de choses, et c'est la commission qui va y travailler. Je l'installe mercredi matin, et à cette occasion, je proposerai, naturellement, une méthode, pour que chacun des modèles, le modèle qui touche aux programmes, qui touche au financement, le modèle économique, à la diversification et puis à la gouvernance, que tout cela nous permette de proposer la télé publique de demain.
 
Q.- Combien faut-il trouver pour compenser la pub ? 800 millions, 1,2 milliard ?
 
R.- Cette querelle de chiffres ne doit pas éternelle, aujourd'hui je ne la tranche pas, mais ce sera une des questions que l'on posera à ceux de mes collègues qui vont travailler spécialement sur cette question du modèle économique. Il y a parmi eu G. Carrez, rapporteur général du budget, qui connaît remarquablement ces questions.
 
Q.- "La redevance n'augmentera pas", a promis le ministre du Budget. Y aura-t-il une redevance, une deuxième redevance quand on a une deuxième télévision dans une résidence secondaire ?
 
R.- Je vais vous dire, j'ai été moi-même ministre du Budget, je connais bien ce dossier, celui de la redevance d'une part, celui de la télévision publique également. Je pense que, dans la catégorie sans tabou, nous allons aborder toutes ces questions. Vous savez que les parlementaires sont pour beaucoup d'entre eux très réticents, pour ne pas dire hostiles, à l'augmentation de la redevance ; les professionnels y sont favorables. On aura ce débat et on discutera tranquillement, on a jusqu'au 31 mai pour remettre notre copie. La seule chose que je peux vous dire, c'est qu'elle sera courageuse, audacieuse et qu'on se dira tout.
 Source : Premier ministre, Servie d'Information du Gouvernement, le 25 février 2008