Déclaration de M.Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques, à l'Assemblée nationale, le 23 janvier 2001.

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Texte intégral


ASSEMBLÉE NATIONALE
EXAMEN EN SECONDE LECTURE DU PROJET DE LOI SUR
LES NOUVELLES RÉGULATIONS ÉCONOMIQUES
Intervention de Laurent Fabius,
Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie,
MARDI 23 JANVIER 2001
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Pour la seconde fois en deux semaines, j'ai l'honneur de soumettre à la représentation nationale un texte en seconde lecture qui, à l'heure de la mondialisation et du numérique, accroît la transparence de notre économie, consolide sa croissance, favorise le retour à l'emploi ; un texte qui renforce en les responsabilisant le civisme des agents économiques et la dimension citoyenne des entreprises, bref le potentiel de notre ; un texte qui organise, " par la régulation ", les relations, sans cesse plus étroites, plus nombreuses, plus complexes, entre la société et le marché, dans le respect de la démocratie, des valeurs de la république et du droit.
Neuf mois se sont écoulés depuis que vous avez examiné ces dispositions pour la première fois. Les rythmes politiques ne sont pas ceux de la biologie, mais je crois, pour reprendre un adjectif qui semble être assez " tendance ", que cette période a été utile. Au Gouvernement pour travailler. Au Parlement aussi. Aujourd'hui, il vous est facile de constater que ce projet s'inscrit dans le cadre d'une politique générale de réduction du déficit, de la dette, des impôts dans un dispositif législatif cohérent qui va de l'accès à l'épargne salariale à la refonte des autorités financières de la place, dans une stratégie globale, à la fois budgétaire et fiscale, industrielle et financière, tendue vers la compétitivité du site France, la dynamique de ses entreprises, le bien être de nos concitoyens.
Là est le rôle ancien de l'État. Là demeure sa mission nouvelle. Tempêtes, marées noires, inondations d'une part, sécurité nucléaire, inquiétude alimentaire, indépendance énergétique d'autre part, c'est vers les pouvoirs publics, garant du temps long, gardien des grands équilibres, tuteur des fondamentaux, que chacun se tourne lorsque des mécanismes strictement économiques trop brutaux pour être viables, ou au contraire non économiques, trop erratiques pour être fiables, conduisent à des déséquilibres insupportables ou suscitent des angoisses collectives. L'individualisme de nos civilisations n'exclut pas, face à l'apparition de nouvelles menaces, la revendication de nouveaux droits. Cette évolution explique que le besoin d'État, plus obligatoirement providence, se maintient dans le même temps où il se transforme. Devoir de prudence et de précaution, d'écoute et de vérité, de prévoyance et de vigilance, c'est à tout cela qu'il faut répondre pour garantir, non pas le risque zéro, idéal hélas inaccessible, mais les sécurités et les solidarités qui fondent aujourd'hui le contrat social et que chacun peut exiger.
A ce titre, les mesures que je défends aujourd'hui, devant vous, au nom du Gouvernement, sont une réponse à un certain nombre de défis actuellement posés à la puissance publique. Entre le marché laissé à lui-même et l'économie administrée, il existe en effet la voie pour la régulation. Elle consiste à concilier les principes de la loi et les pratiques de la vie, la justice sociale et l'efficacité économique. Pour prendre sa pleine dimension, elle suppose une méthode qui, de manière souple, respecte plusieurs étapes : fixer, en vertu de l'égalité et des libertés, un certain nombre d'objectifs qu'il convient de respecter ; définir, dans la concertation, des règles, des garde-fous pour les protéger, les rendre publiques de la façon la plus claire ; doter des instances indépendantes de pouvoirs leur permettant, avec l'appui de l'administration, de sanctionner ceux qui s'affranchissent de ce cadre. C'est en fonction de ces options, de cette démarche, qui ne se limitent pas à un mode de fonctionnement de l'économie, mais forment aussi une approche de société que le Gouvernement vous invite à approuver ce texte et les trois chapitres qui lui donnent sa réalité : droit financier, droit de la concurrence, droit des sociétés.
Le premier volet concerne la régulation du secteur financier. Il s'agit d'instaurer plus de transparence dans les offres publiques d'achat ou de ventes pour éviter l'opacité d'opérations interminables et indéterminées qui peuvent compromettre l'avenir des entreprises. Dans ces circonstances, davantage d'informations données aux salariés, je sais que les groupes de la majorité, comme ceux de l'opposition y sont attachés. C'est d'ailleurs l'intérêt à terme des sociétés concernées. Davantage de vigilance dans la lutte contre le blanchiment des capitaux, vous savez combien cet impératif oriente l'action de la France dans les discussions avec nos partenaires à Bruxelles ou à Washington. Ces derniers mois, souvent sur l'initiative de la France, le refus de " blanchir le blanchiment " s'est imposé dans les esprits et dans les ordres du jour. La publication de la liste des territoires non coopératifs par le GAFI a marqué le premier aboutissement d'efforts qui étaient originellement les nôtres. Lors d'un G7, qui s'est tenu à Prague le 25 septembre, nous avons obtenu que soit abordée l'étape suivante en assortissant ce constat de sanctions dissuasives. Sous notre présidence, l'Union européenne a franchi un nouveau pas en adoptant lors de l'Ecofin du 29 septembre, à Versailles, un accord politique sur la directive " lutte contre le blanchiment " qui précisera la liste des professions soumises à déclarations de soupçons pour que l'argent sale ne circule plus et que soit combattue la criminalité en col blanc. Je souhaite que par l'amélioration que nous apportons à notre dispositif de lutte contre le blanchiment, la France continue à jouer un rôle moteur dans ce combat qui est aussi celui que nous livrons pour une mondialisation humanisée et organisée.
Le deuxième champ de la régulation concerne la concurrence et le droit des concentrations. Une économie peut être compétitive et innovante si la concurrence est loyale et transparente. Il y a peu encore, cette affirmation ne semblait pas aller de soi. J'ai pu constater lors de la navette parlementaire que chacun adhérait aujourd'hui à cette approche et qu'elle permettait de garantir une réelle égalité de tous les acteurs au profit du consommateur. Je m'en réjouis. Concrètement, le texte qui vous est soumis insiste sur deux points. D'une part, un meilleur équilibre de la relation distributeurs/fournisseurs en créant une commission des pratiques commerciales destinée notamment à élaborer des codes de bonne conduite, qui ne doit en aucun cas, devenir un édifice para-juridictionnel supplémentaire. Pour être efficace et utile, cette commission doit au contraire assurer une mission de prévention en préservant l'éthique publique qui doit aussi être la dimension du commerce, activité économique de la cité, activité économique dans la cité, le juge conservant le pouvoir de règlement des litiges. D'autre part, le Gouvernement propose que soient renforcés les pouvoirs du Conseil de la concurrence. Un fonctionnement plus lisible, un traitement des affaires plus rapide, une procédure rénovée et davantage protectrice des droits de la défense, ce sont autant d'avancées qui sont, je le sais, attendues par les acteurs économiques. En matière de contrôle des concentrations, la question des pouvoirs du ministre a conduit le Sénat et votre Assemblée à adopter
deux solutions opposées. J'estime, pour ma part, qu'il est du rôle des pouvoirs publics de rester les garants ultimes de l'utilisation du pouvoir de police économique dans la mesure où celui-ci permet d'agir sur les structures mêmes de l'économie pour parvenir à un équilibre satisfaisant entre constitution d'entreprises capables d'affronter la mondialisation et nécessaire préservation d'une véritable concurrence bénéfique pour les consommateurs et pour les entreprises elles-mêmes. Cette mission doit relever de l'État.
Illustration du travail parlementaire, c'est ce volet qui a suscité de votre part les apports les plus nombreux. Je n'évoquerai que trois exemples de cet important travail. A votre initiative, Monsieur le rapporteur, un mécanisme de règlement exceptionnel des crises agricoles graves a été adopté. Sur l'initiative du Gouvernement, la directive sur les retards de paiement a été transposée à peine 2 mois après son adoption. Dans le secteur de la communication, une réponse a été apportée aux inquiétudes des professionnels de la culture qui s'étaient émus du développement des cartes d'abonnement cinématographique et de la création des multiplexes, compte tenu de la nécessaire stabilité à long terme d'une activité qui, parce qu'elle touche au rêve et à l'esprit, doit demeurer libre et diversifiée. Ne pas entraver l'initiative des distributeurs, fixer le socle minimal des droits qu'il convient de protéger, garantir pour le long terme un fonctionnement équilibré du secteur du cinéma, c'est illustrer la démarche de la régulation.
Le dernier pan de ce projet, portant sur le droit des sociétés, permet un progrès sensible de la démocratie économique selon 4 orientations majeures.
Assurer un meilleur équilibre des pouvoirs au sein des organes directeurs des entreprises en encourageant le non-cumul des fonctions de président du conseil d'administration et de celles de directeur général, mais aussi en limitant le cumul des mandats d'administrateurs ou de dirigeants.
Doter les sociétés d'une plus grande transparence, notamment en matière de rémunérations des mandataires sociaux et par l'extension du champ des conventions réglementées.
Renforcer les pouvoirs des actionnaires minoritaires en abaissant le seuil d'exercice de certains droits essentiels de 10 à 5 %.
Développer la démocratie et l'utilisation des nouvelles technologies en donnant, par exemple, une possibilité de vote électronique, donc une plus grande faculté de participation, aux actionnaires minoritaires.
Cet édifice est encore à compléter. Dans le futur DDOEF, des mesures importantes de protection du consommateur bancaire trouveront leur place. Plusieurs initiatives ont déjà été envisagées pour que soit instauré un service bancaire de base universel et gratuit. Elles sont certainement généreuses, se veulent protectrices pour le consommateur. Toutefois, elles me paraissent périlleuses parce qu'elles risquent d'avaliser en contrepartie le principe des chèques payants. Or, ces moyens de paiement sont souvent utilisés par les personnes âgées ou par nos concitoyens les plus modestes. L'approche du Gouvernement est différente. Il ne pourra définitivement l'exposer que dans un prochain texte, compte tenu des risques constitutionnels qui pèseraient sur des amendements aussi significatifs introduits après réunion de la commission mixte paritaire. Cependant, pour venir en aide aux personnes exclues du système bancaire, conformément aux engagements que nous avons pris ici même, le Gouvernement a d'ores et déjà publié le décret d'application de la loi de lutte contre les exclusions concernant le service bancaire de base. C'est un progrès réel, encore insuffisant. C'est pourquoi, afin d'améliorer les relations entre les banques et les publics les plus fragilisés, il faut rendre moins opaque le " maquis " des tarifs bancaires, éviter les ventes liées ou à perte, favoriser la médiation. Tel est le sens d'un addendum à cette loi, d'ailleurs déjà déposé au Sénat, qui transpose le droit de la consommation aux relations banques-clients. Pour éviter les exclusions bancaires, il faut prendre le problème à sa source et alléger les sanctions qui conditionnent le retour des personnes qui ont commis des erreurs limitées ou des imprudences dans le système. Les pénalités libératoires à acquitter en cas de chèques sans provisions seront donc assouplies, en particulier concernant les chèques de petits montants. Enfin, nous avons l'intention d'avancer sur le chapitre de l'insaisissabilité afin de préserver, pour ceux qui font l'objet de saisies bancaires, le minimum sans lequel on ne peut vivre décemment.
Mesdames et messieurs les députés, ma conclusion va vers le rapporteur et les membres de la commission des finances qui, avec le président de la Commission, se sont beaucoup investis dans l'élaboration de ce texte. Impératif économique, exigence sociale, le projet de loi qui vous est soumis a pour ambition le respect de la transparence et du droit, le développement des entreprises, l'affirmation d'une croissance mieux partagée. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, je suis confiant que vous apporterez votre soutien à cette réforme.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 24 janvier 2001)