Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à France 2 le 18 juillet 2008, sur la lutte contre le dopage, la révision de la Constitution, la lutte contre la supopulation dans les prisons et sur l'indemnisation accordée à Bernard Tapie dans l'affaire l'opposant au Crédit Lyonnais.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

J. Wittenberg.- Bonjour à tous, et bonjour à vous, en effet, R. Dati.
 
Bonjour.
 
On va bien sûr démarrer avec l'actualité, le Tour de France cycliste parce que ce Tour de France intéresse malheureusement autant la chronique judiciaire que le compte rendu sportif. Troisième cas de dopage révélé hier. Est-ce qu'il faut, je vous pose cette question en tant que garde des Sceaux, un arsenal plus contraignant pour dissuader les tricheurs aujourd'hui ?
 
D'abord, c'est tout à fait choquant d'avoir des joueurs dopés sur ce Tour de France. En plus, c'est un sport extrêmement familial, ça mobilise toute la France, alors nous sommes en période estivale, donc les gens qui sont sur leurs lieux de vacances, y vont avec leurs enfants, donc c'est profondément choquant. Ensuite, sur l'arsenal répressif, il existe de nombreuses lois qui sont d'ailleurs appliquées. 2006, on crée l'Agence de lutte antidopage ; et puis 2008, 4 juillet 2008, c'est le dernier texte de juillet 2008, qui non seulement renforce les sanctions contre les joueurs qui sont dopés mais également, s'agissant des sportifs qui détiennent des produits dopants et l'environnement qui aussi sont détenteurs de produits dopants. Donc, nous avons créé des qualifications pénales extrêmement lourdes, avec des peines de prison extrêmement lourdes, s'agissant des joueurs qui sont dopés, et de l'environnement qui fournit ces produits dopants.
 
Mais, on a souvent l'impression que les coureurs qui se font "pincer", entre guillemets, finalement ne purgent pas leur peine en France ; si ce sont des coureurs italiens, ils retournent dans leur pays, ou espagnols. Et finalement, la justice intervient au moment des faits et puis après, les coureurs, les équipes disparaissent dans la nature.
 
Parce que... si vous voulez ça n'est pas le cas, parce qu'on s'intéresse au dopage au moment du Tour de France. Ensuite, vous ne suivez pas forcément les procédures, ça ne veut pas dire parce qu'ils sont interpellés, placés en garde à vue, déferrés devant la justice, ça ne veut pas dire que la procédure s'arrête. Les procédures sont suivies et lourdement suivies puisque nous avons plus... Depuis 97, je crois, il y a eu près de 60 procédures de lutte contre le dopage, et la majorité de ces affaires concernent le cyclisme. Donc, les procédures et les instructions sont en cours, et la justice suit ces affaires et de manière la plus ferme qui soit. Simplement, c'est vrai que l'actualité c'est le Tour de France, ensuite on n'a plus d'actualité pour rappeler les procédures qui sont en cours. Mais croyez-moi que la justice est extrêmement vigilante dans cette lutte contre le dopage. Et puis, R. Bachelot est extrêmement vigilante aussi s'agissant de la lutte contre le dopage parce que le sport ça n'est pas ça.
 
Très bien. On va passe à la grande réforme que vous défendez en tant que garde des Sceaux : la révision constitutionnelle. Alors, les dés sont jetés, les députés et les sénateurs sont réunis en Congrès. Lundi, à Versailles, ils vont voter. On dit que ça va se jouer à quatre ou cinq voix. Vous êtes quand même optimiste, vous pensez que cette révision va passer ?
 
Ca va être un sujet de responsabilité, ce n'est pas un jeu, c'est un sujet de responsabilité. Moi, je tiens quand même à rappeler aux Français, c'est quoi cette révision constitutionnelle ? La révision de la Constitution, la Constitution c'est la loi fondamentale de notre République. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que c'est un texte qui dit comment fonctionne notre République, comment fonctionnent nos institutions, quels sont les pouvoirs du Président, quels sont les pouvoirs du Parlement, quels sont les droits que nous accordons aux citoyens. Et dans le cadre...
 
...justement, ça, on ne le sait pas bien qu'il y a des nouveaux droits pour les citoyens dans cette révision.
 
Dans le cadre de la campagne présidentielle, les deux candidats se sont engagés à réviser cette Constitution et à moderniser cette loi par rapport au nouveau fonctionnement de notre République. Pourquoi ? Parce que aussi le quinquennat a beaucoup changé la donne dans le fonctionnement et les équilibres des pouvoirs. Cette révision de la Constitution qu'est-ce qu'elle apporte ? Elle apporte de nouveaux droits pour les citoyens. Désormais, si la révision évidemment est adoptée, les Français, quatre millions de Français avec le soutien de leurs parlementaires pourront demander l'organisation d'un référendum sur un sujet de société. Le défenseur des droits des citoyens, c'est une avancée majeure pour les citoyens, c'est-à-dire qu'en cas de dysfonctionnement avec l'administration, ce défenseur sera aux côtés des citoyens.
 
Madame Dati, si quatre... pardon.
 
Par exemple, en ce qui me concerne, sur la justice, s'il y a des dysfonctionnements de la justice, le justiciable pourra saisir le Conseil supérieur de la magistrature pour pouvoir être entendu en cas de dysfonctionnement de la justice.
 
Alors, s'il y a toutes ces avancées pourquoi vous n'avez pas trouvé de consensus avec les socialistes qui finalement... on sait qu'il faut 3/5e pour que la révision constitutionnelle soit adoptée, est-ce qu'il n'y a pas un premier échec quand même qui est de ne pas avoir trouvé ce consensus avant ?
 
Sur l'opposition et le Parti socialiste, pendant... moi, je les entendais disant « il y a trop de pouvoirs accordés au président de la République et pas assez au Parlement ». Les pouvoirs du président de la République seront désormais encadrés, il ne pourra plus procéder à des nominations de manière seule, tout seul. Il y aura des commissions parlementaires qui encadreront ces nominations. Il ne pourra pas faire plus de deux mandats consécutifs. Donc, il y a quand même des avancées majeures ; s'agissant du pouvoir du président de la République, il sera beaucoup plus encadré. Le Parlement, il pourra mieux travailler, il aura beaucoup plus d'autonomie, et beaucoup plus de pouvoir, ne serait-ce que pour préparer et mieux préparer la rédaction des lois. Donc, il y a beaucoup d'avancées pour le Parlement. Encadrement du pouvoir du président de la République et nouveaux droits pour les citoyens. Alors, l'opposition, si elle en fait un jeu politicien, il faudra qu'elle s'explique devant les Français et devant notamment les Français qui les ont élus. Il faudra qu'ils disent pourquoi ils ne veulent pas donner plus de droits aux citoyens, pourquoi ils ne souhaitent pas encadrer le pouvoir du président, et pourquoi ils ne souhaitent pas que le Parlement ait plus de pouvoir.
 
R. Dati, un des dossiers les plus difficiles de votre ministère, surtout en cette période estivale : la surpopulation carcérale. En juin, il y avait près de 64 000 détenus pour des prisons qui contiennent 51 000 places. Chaque année, jusqu'à l'élection de N. Sarkozy, il y avait la grâce collective du 14 juillet, elle n'existe plus. Comment vous répondez à ce défi aujourd'hui du surpeuplement des prisons françaises ?
 
Nous avons un objectif et c'était un engagement du Président de la République : c'était de lutter contre la récidive et de lutter contre la récidive de délinquants les plus dangereux, des récidivistes, donc nous avons pris des textes de fermeté pour lutter contre la récidive, et notamment des délinquants les plus dangereux. Ensuite, sur la population carcérale, alors on est extrêmement ferme s'agissant de la lutte contre la récidive, et puis pour les personnes condamnées, nous sommes contre les sorties sèches. Les sorties sèches favorisent la récidive, et les grâces collectives favorisent les sorties sèches parce qu'il n'y a pas de projet pour les détenus.
 
Donc, comment vous luttez contre les prisons surpeuplées aujourd'hui ?
 
Comment on lutte contre la surpopulation carcérale ? Il y a deux moyens : on construit des places de prison, ce que nous faisons, il y en aura 3 000 de plus d'ici la fin de l'année, et il y aura 13 200 places de plus d'ici 2012 ; et il faut aménager les peines. Ça veut dire quoi aménager les peines ? Ça veut dire que toute personne détenue aujourd'hui doit avoir un projet, il faut les préparer à la sortie, c'est dans l'intérêt de la société pour favoriser leur réinsertion et donc lutter contre la récidive. Je tiens quand même à donner un chiffre : malgré l'absence de grâce, malgré une politique, enfin en tout état de cause grâce aussi à une politique de fermeté qui a fait diminuer aussi la délinquance, s'agissant de lutte contre la récidive, nous avons doublé le nombre de condamnés placés en aménagement de peine. Nous sommes à plus de 30 % de taux d'aménagement de peine en plus d'un an. Le nombre de condamnés en aménagement de peine a doublé, ne serait-ce que sur les bracelets électroniques, plus de 50 % des détenus aujourd'hui sont placés sous bracelet électronique. Voilà notre politique : c'est d'être ferme s'agissant des délinquants, mais également d'être... pour lutter contre la récidive c'est d'aménager les peines et favoriser leur réinsertion.
 
Une dernière question, il nous reste une minute, Madame la garde des Sceaux. Une décision de justice qui fait quand même beaucoup de remous, c'est l'indemnisation record de 285 millions d'euros accordés à B. Tapie dans le litige qui l'opposait au Crédit Lyonnais. F. Bayrou va demander une commission d'enquête parlementaire, beaucoup de personnes disent que Monsieur Tapie bénéficie de l'appui de N. Sarkozy. Alors, quelle est votre réaction par rapport à tout ça ?
 
Vous me dites : « il reste une minute ». Le sujet est quand même important, on est dans un Etat de droit, on est dans un Etat de droit, il y a une justice indépendante quand même.
 
Ben alors, justement !
 
S'agissant de l'affaire de B. Tapie : 93, il cède la société Adidas ; 95, il se rend compte que lors de cette cession, il y a eu, sans doute, un manquement, des manquements, et qu'il aurait été lésé dans ses intérêts lors de la cession de la Société Adidas. Il saisit la justice en 95. 2005, il y a un arrêt de la Cour d'appel qui, évidemment, condamne ce qu'on appelle le CDR qui était l'ancien, enfin une partie du CDR a repris des actifs du Crédit Lyonnais de l'époque, il y a une décision en faveur de B. Tapie. En 2006, il y a un arrêt de la Cour de cassation, donc la plus haute juridiction de France, qui dit : « la décision doit être cassée et renvoyée à la justice ». Depuis, et ce n'est possible qu'en affaire civile - en matière civile, ça n'est pas possible en matière pénale -, les parties sont d'accord, aussi bien le liquidateur de B. Tapie et la société, le CDR donc qui reprend les actifs du Crédit Lyonnais, sont d'accord pour aller à un tribunal arbitral, aller à l'arbitrage. Oui, d'accord. Il faut l'accord du Tribunal de commerce pour le faire, et il faut notamment des réquisitions du Parquet, le ministère public.
 
Excusez-moi, parce qu'on arrive à la fin de l'émission, les personnes qui sont choquées, selon vous, n'ont pas lieu de l'être.
 
Ils n'ont pas lieu de l'être, c'est une décision de justice et, encore une fois, ce que je tiens à dire, c'est que les intérêts de la société ne sont pas lésés puisque les indemnisations de l'Etat, notamment en matière fiscale, seront réglées, voilà.
 
Très bien, on vous a entendue. Merci Madame R. Dati. Très bonne journée, très bon week-end.
 
Merci.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 août 2008