Texte intégral
G. Cahour.- Bonjour F. Bayrou.
Bonjour.
Président du MoDem, le Mouvement démocrate. Merci d'être notre invité
jusqu'à 9 h. La réforme des institutions adoptée, hier, en Congrès, à
Versailles. Adoptée de justesse, oui mais adoptée tout de même, F.
Bayrou. C'est une victoire pour la droite ?
Je ne dirais pas ça comme ça ! On a des problèmes d'institutions, ils
sont importants, il fallait y répondre. Est-ce que la réforme y répond
? A mon avis, non. Est-ce que c'est une victoire politique ? C'est une
victoire terriblement étriquée, c'est un score étriqué, on est passé à
deux voix, ou une voix de plus que la majorité. Je pensais pour moi que
la marge serait beaucoup plus importante étant donné l'incroyable
climat de marchandage, de menaces d'un côté, de promesses de l'autre,
d'arrangements, qui s'est passé autour de ce texte, mais c'est adopté
et il n'y a rien à dire de plus sur ce sujet. Après, le contenu des
choses...
Vous, vous avez voté contre. Vous dites, il était « insuffisant » ce
texte, cette réforme des institutions, mais le fait d'être insuffisant
est-ce que ça mérite de voter contre ? Est-ce que ce n'est pas plutôt
une abstention ? Quand on vote contre c'est qu'on n'est pas d'accord.
Eh bien, excusez-moi de vous dire, je n'ai jamais employé le mot «
insuffisant ».
C'est en substance ce que vous nous disiez.
Non, pas du tout, c'est vous qui l'employez. Je dis qu'on n'a pas
répondu aux questions qui se posent. Les questions qui se posent,
quelles sont-elles ? Il y en avait pour moi trois principales. La
première, on a une loi électorale qui est injuste, profondément
injuste, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Est-ce que c'est
changé ? La réponse est non. Deuxièmement, on a un problème sur lequel
tout le monde se penche, qui est « est-ce qu'on a une indépendance de
la justice ? » et rien n'est changé et même plutôt aggravé de ce point
de vue-là. Et troisièmement, est-ce qu'on a une indépendance des médias
? Est-ce que la Constitution garantit l'indépendance des médias ? La
réponse est non. J'ai failli faire adopter un amendement sur ce sujet,
c'est passé à quelques voix, mais il n'y a pas eu de progrès
substantiel sur ce sujet. Et donc, sur les trois grands sujets de notre
"démocratie", entre guillemets, française, il n'y a eu aucun progrès,
et donc j'ai voté non.
Alors, F. Bayrou, au PS, tout le monde a voté contre sauf J. Lang, on
pourra y revenir ; à droite, six députés ont voté contre. Vous parlez
de marchandage, mais finalement les élus socialistes sont soit plus
disciplinés ou alors c'est eux qui ont reçu le plus de pressions que
ceux de droite.
Mais moi, vous savez, j'ai un principe simple : c'est la liberté de
vote.
Oui, mais est-ce que c'est pas la meilleure démonstration justement
qu'à droite, six députés ont voté contre, qu'il y a eu une vraie
liberté de vote ?
Non, vous savez, à droite, il y a plusieurs dizaines de députés à l'UMP
qui avaient annoncé que le texte était mauvais, qui ont voté contre en
première lecture, qui ont voté contre en deuxième lecture, et qui ont
fini par voter pour parce que, vous savez bien, les pressions ont été
énormes. Ça ne ressemble pas à ce que j'aime de la République.
Quelles pressions ?
Attendez, ça ne ressemble pas à ce que j'aime de la République. Pour
moi, la République ou la démocratie c'est assez simple : vous êtes élu,
vous exercez votre mandat en conscience, qu'importe les pressions et
qu'importe les menaces d'un côté ou les promesses de l'autre qu'on fait
sur vous, vous votez un texte parce que vous le trouvez bon, ou vous ne
le votez pas ou vous votez contre parce que vous ne le trouvez pas bon.
C'est aussi simple que ça. Et donc, ce n'est pas du tout l'ambiance.
Alors, qu'est-ce qu'il y eu comme pressions ? Vous savez bien, aux uns
on a promis des missions parlementaires rémunérées, dit-on - ce que je
dis là c'est ouvert, ça été écrit dans tous les journaux. Aux autres,
on a promis des secrétariats d'Etat le jour où le Gouvernement serait
changé. Aux troisièmes, on a dit : « attention, si vous ne votez pas,
on va découper votre circonscription, vous ne pourrez plus être député
», puisque vous savez on s'en va vers un grand marchandage de découpage
des circonscriptions. Bon, tout ça, franchement, c'est petit, ce n'est
pas à la hauteur de ce qu'on voudrait. C'est pas digne, voilà. Alors,
c'est passé à une voix, point.
Mais, alors le fait que à gauche, parce qu'on a quand même du mal à
concevoir qu'au Parti socialiste tout le monde soit convaincu que c'est
une mauvaise réforme des institutions, et pourtant il n'y en a pas un
seul qui a voté pour, pas un seul qui se soit abstenu. Est-ce que là
aussi, il n'y a pas des pressions tout simplement à gauche ? Est-ce que
finalement on n'en a pas fait, cette réforme des institutions, plutôt
qu'un vote de conscience, un vote de conviction, un vote de clan ?
Vous êtes en train de décrire exactement avec des mots qui pourraient
être les miens, vous êtes en train de décrire la réalité des dérives
que nous avons sous les yeux, donc voilà. C'est un vote de clan.
Oui, mais un vote d'anti-Sarkozy pour ce qui pourrait être au Parti
socialiste et qui pourrait aussi peut-être être votre cas.
Vous présentez ça sous un angle que je n'aime pas. Je ne vote pas pour
ou contre en fonction de N. Sarkozy, je vote pour ou contre en fonction
de ce qui me paraît bon et juste. Et si on avait mis le principe d'une
loi électorale juste en disant, par exemple, il faut que la
représentation des Français soit équitable, amendement que j'avais
présenté, j'aurais voté pour et aucune pression n'aurait pu me faire
changer. Pourquoi ? Parce que revenez à la source, essayons ensemble de
comprendre pourquoi on est dans cet espèce d'univers bloqué ? Pourquoi
? Parce que les députés de la majorité doivent leur siège à N. Sarkozy
ou au Président qui vient d'être élu ; les députés de l'opposition
doivent leur siège au principal parti de l'opposition. Donc, aucun des
deux n'est libre. Tant que vous n'aurez pas une représentation des
Français, non pas en fonction du parrainage qui est le vôtre mais en
fonction du courant politique, des citoyens qui vous donnent leur
confiance, vous n'aurez pas les voix libres qui sont capables de dire à
la tribune de l'Assemblée nationale : « ceci va et nous allons le
soutenir, et ceci ne va pas ».
F. Bayrou, il y a plusieurs voix qui s'élèvent en disant que cette
réforme des institutions elle va renforcer encore le pouvoir du
Président qui est déjà un pouvoir beaucoup trop important, mais on a du
mal à comprendre ces arguments parce qu'il n'y aura pas plus de deux
mandats pour le Président ; les nominations seront contrôlées,
éventuellement bloquées par le Parlement ; l'article 49-3 qui permet de
faire passer un texte sans débat, sans vote, sera limité ; la moitié de
l'ordre du jour sera contrôlée par le Parlement ; et il y aura plus de
travail en commission pour préparer les lois. Donc, on a du mal à
comprendre comment tout cela peut donner plus de pouvoir au chef de
l'Etat.
Franchement, c'est des discussions oiseuses, si vous me permettez de le
dire, parce que vous avez vu à quel point vos auditeurs décrochaient au
fur et à mesure que vous avanciez vos explications.
C'est gentil, merci !
Non, je ne dis pas ça pour vous.
Non mais, excusez-moi, mais je reprends quelques points de la réforme
des institutions, ça me paraît le minimum pour que tout le monde
comprenne, je ne suis pas sûr que tout le monde l'ait en tête ça.
Non ! Il n'y a pas de réforme majeure des institutions. Il n'y a pas eu
la réforme qui aurait permis d'avancer. Est-ce qu'il y a limitation du
pouvoir du président de la République ? Non, aucune limitation du
pouvoir du président de la République parce que...
... oui, mais est-ce qu'il a plus de pouvoir ?
Mais, vous voulez me...
Ma question à moi c'était est-ce qu'il aura plus de pouvoir ?
Il aura transféré une partie des pouvoirs apparents qui appartiennent
aujourd'hui au Gouvernement, il les aura transférés au principal parti
de la majorité. J'ai dit à la tribune quand on a discuté de ce texte :
« Jusqu'à maintenant, c'est Monsieur Karoutchi qui avait une partie de
l'ordre du jour, à partir de maintenant ça sera Monsieur Copé ». Et
franchement, entre Copé et Karoutchi, vous voyez bien qu'il n'y a pas
de différence substantielle. Tout ça est d'apparence. En revanche, une
des raisons pour lesquelles j'ai voté contre ce texte, c'est qu'il y a
des pièges dans ce texte pour nos institutions et qui se révèleront au
fur et à mesure qu'on avancera dans le temps. Le piège principal, selon
moi, on le découvrira le jour où Sénat et Gouvernement ne seront pas du
même bord. Or, en fonction du mode électoral du Sénat, comme vous le
savez, il est à peu près fatal que dans les années qui viennent Sénat
et Gouvernement ne soient pas du même bord. Ce jour-là, il y aura des
germes de blocage très important dans nos institutions et je crois que
beaucoup de gens le savent, on en découvrira le caractère pernicieux
lorsque ces choses se révèleront.
Donc, le chef de l'Etat n'aura pas plus de pouvoir entre ses mains.
Non, il n'aura pas plus de pouvoir entre ses mains.
Donc, finalement, on reste dans une espèce de statu quo.
Oui ! Le texte, vous venez de le dire, le texte n'a pas répondu aux
questions fondamentales qui se posent à la démocratie française.
Mais est-ce que ça c'est vraiment le drame que nous décrivent les
opposants à la réforme des institutions ?
Non, il n'y a pas de drame. A court terme, il ne se passera rien, à
long terme il y a des risques de blocage. Le président de la République
va avoir ce pouvoir que moi j'ai toujours considéré comme secondaire,
qui est qu'il va pouvoir s'exprimer- il le voulait à tout prix - devant
les députés et les sénateurs réunis en Congrès à Versailles. Bon, ce
sera un show de plus mais ça ne changera pas, en tout cas pour moi, et
je ne me suis pas opposé à ce point de la réforme.
Vous auriez aimé qu'elle doit donc plus ambitieuse.
J'aurais aimé qu'elle traite des questions. Comprenez, il y a des
millions de Français parmi ceux qui nous écoutent qui ne sont pas
représentés au Parlement comme ils devraient l'être. Je prends un
exemple très bête, vous êtes de gauche à Neuilly, votre voix ne sert
jamais à rien. Vous êtes de droite ou du centre à Saint Denis, votre
voix ne sert jamais à rien. Pourquoi est-ce que ces citoyens-là n'ont
pas le droit d'être représentés dans la démocratie française ? Qu'est-
ce qui justifie que le fait que vous soyez dans une zone acquise à
l'autre camp rendre votre voix inutile. Mais vous vous rendez bien
compte que ça ne va pas.
Vous auriez fait quoi, vous, contre ça alors ?
Moi, j'aurais mis un contingent raisonnable - j'avais demandé 10 %, de
sièges - qui représente tous les courants des partis politiques
français de manière que tout courant qui apparaît, qui est en
émergence, comme on dit, qui n'existait pas hier et qui va exister
demain...
... mais qu'est-ce que ça change pour le neuilléen de gauche ?
Eh bien, il serait représenté, sa voix serait prise en compte. La voix
des minoritaires serait prise en compte. Vous comprenez ça ?
Mais le neuilléen de gauche, il aura de toute façon des députés de
gauche à l'Assemblée nationale.
Eh bien, ça n'est pas sa voix...
... pas forcément Neuilly, mais bon, il y aura des députés de gauche.
Ca n'est pas sa voix qui les aura élus. Mais vous voyez, tout ça
pousse, en réalité, au bipartisme, qu'il n'y ait que de deux partis, un
à droite et un à gauche. Et, on vient d'avoir une illustration...
... bipartisme, donc pas vous !
Oui, mais parce que la France est pluraliste et parce qu'elle le sera
et parce que ce courant politique-là que je représente, il va se faire
entendre. Je prends un exemple, la semaine dernière, sans polémique
aucune, il y a eu cette affaire Tapie incroyable, affaire Tapie,
j'imagine qu'on va en dire un mot.
On va en parler tout à l'heure après la météo.
Il y a eu cette incroyable affaire Tapie et la majorité évidemment n'a
rien dit, et le PS pendant huit jours n'a rien dit. Si nous n'avions
pas été là, si je n'avais pas été là pour dire : "attention, feu
orange, alarme, il se passe quelque chose, qui n'est pas normal en
France, qui n'est même pas normal dans un pays de droit habituel et ce
quelque chose-là il faut y prêter attention", qui l'aurait dit ? Et
donc, vous voyez bien qu'il y a dans le pluralisme quelque chose de
très important pour le citoyen, c'est qu'il a des voix indépendantes
qui le représentent et qui disent : « il faut changer les choses » même
si ça n'arrange pas les partis au pouvoir.
On va parler de Tapie juste après la météo. Encore un mot de la réforme
des institutions. Je lisais cet article très intéressant dans la
presse, ce matin, avec une petite mise en perspective des précédents
débats institutionnels qui ont eu lieu en France, avec par exemple la
volonté de De Gaulle de faire élire le président de la République au
suffrage universel en 1962 qui avait conduit le Parlement à renverser
le Gouvernement Pompidou. « Qui reviendrait-il aujourd'hui sur cet
acquis ? » nous dit ce journal, c'est Le Figaro. Il y a également la
possibilité pour 60 parlementaires de saisir le Conseil
constitutionnel...
... c'est Giscard, oui.
Voilà, sous Giscard. Eh ben, en 1974, 273 élus, PS et PC, avaient voté
en bloc contre cette proposition de V. Giscard d'Estaing, alors
qu'aujourd'hui l'opposition se sert régulièrement de cette disposition.
Alors, est-ce que finalement c'est la règle : voilà, un débat
institutionnel, eh bien on vote contre quand on est dans l'opposition
par principe ?
Monsieur, c'est ridicule ! Le vote contre par principe ou le vote pour
par principe, c'est ridicule.
C'est ridicule de le faire ou c'est ridicule de concevoir que cela
existe ?
Non, c'est ridicule de penser que - ou en tout cas de constater que -
nous sommes dans une démocratie où on réforme les institutions bloc
contre bloc, ça ne devrait pas se passer comme ça.
Mais c'est une réalité, mais ça ne devrait pas se passer comme ça.
Non, ça ne devrait pas se passer comme ça parce que les institutions
c'est notre garantie à tous, c'est fait pour que la voix de tous les
Français puisse se faire entendre.
F. Bayrou est notre invité jusqu'à 9 h.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le
31 juillet 2008
Bonjour.
Président du MoDem, le Mouvement démocrate. Merci d'être notre invité
jusqu'à 9 h. La réforme des institutions adoptée, hier, en Congrès, à
Versailles. Adoptée de justesse, oui mais adoptée tout de même, F.
Bayrou. C'est une victoire pour la droite ?
Je ne dirais pas ça comme ça ! On a des problèmes d'institutions, ils
sont importants, il fallait y répondre. Est-ce que la réforme y répond
? A mon avis, non. Est-ce que c'est une victoire politique ? C'est une
victoire terriblement étriquée, c'est un score étriqué, on est passé à
deux voix, ou une voix de plus que la majorité. Je pensais pour moi que
la marge serait beaucoup plus importante étant donné l'incroyable
climat de marchandage, de menaces d'un côté, de promesses de l'autre,
d'arrangements, qui s'est passé autour de ce texte, mais c'est adopté
et il n'y a rien à dire de plus sur ce sujet. Après, le contenu des
choses...
Vous, vous avez voté contre. Vous dites, il était « insuffisant » ce
texte, cette réforme des institutions, mais le fait d'être insuffisant
est-ce que ça mérite de voter contre ? Est-ce que ce n'est pas plutôt
une abstention ? Quand on vote contre c'est qu'on n'est pas d'accord.
Eh bien, excusez-moi de vous dire, je n'ai jamais employé le mot «
insuffisant ».
C'est en substance ce que vous nous disiez.
Non, pas du tout, c'est vous qui l'employez. Je dis qu'on n'a pas
répondu aux questions qui se posent. Les questions qui se posent,
quelles sont-elles ? Il y en avait pour moi trois principales. La
première, on a une loi électorale qui est injuste, profondément
injuste, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Est-ce que c'est
changé ? La réponse est non. Deuxièmement, on a un problème sur lequel
tout le monde se penche, qui est « est-ce qu'on a une indépendance de
la justice ? » et rien n'est changé et même plutôt aggravé de ce point
de vue-là. Et troisièmement, est-ce qu'on a une indépendance des médias
? Est-ce que la Constitution garantit l'indépendance des médias ? La
réponse est non. J'ai failli faire adopter un amendement sur ce sujet,
c'est passé à quelques voix, mais il n'y a pas eu de progrès
substantiel sur ce sujet. Et donc, sur les trois grands sujets de notre
"démocratie", entre guillemets, française, il n'y a eu aucun progrès,
et donc j'ai voté non.
Alors, F. Bayrou, au PS, tout le monde a voté contre sauf J. Lang, on
pourra y revenir ; à droite, six députés ont voté contre. Vous parlez
de marchandage, mais finalement les élus socialistes sont soit plus
disciplinés ou alors c'est eux qui ont reçu le plus de pressions que
ceux de droite.
Mais moi, vous savez, j'ai un principe simple : c'est la liberté de
vote.
Oui, mais est-ce que c'est pas la meilleure démonstration justement
qu'à droite, six députés ont voté contre, qu'il y a eu une vraie
liberté de vote ?
Non, vous savez, à droite, il y a plusieurs dizaines de députés à l'UMP
qui avaient annoncé que le texte était mauvais, qui ont voté contre en
première lecture, qui ont voté contre en deuxième lecture, et qui ont
fini par voter pour parce que, vous savez bien, les pressions ont été
énormes. Ça ne ressemble pas à ce que j'aime de la République.
Quelles pressions ?
Attendez, ça ne ressemble pas à ce que j'aime de la République. Pour
moi, la République ou la démocratie c'est assez simple : vous êtes élu,
vous exercez votre mandat en conscience, qu'importe les pressions et
qu'importe les menaces d'un côté ou les promesses de l'autre qu'on fait
sur vous, vous votez un texte parce que vous le trouvez bon, ou vous ne
le votez pas ou vous votez contre parce que vous ne le trouvez pas bon.
C'est aussi simple que ça. Et donc, ce n'est pas du tout l'ambiance.
Alors, qu'est-ce qu'il y eu comme pressions ? Vous savez bien, aux uns
on a promis des missions parlementaires rémunérées, dit-on - ce que je
dis là c'est ouvert, ça été écrit dans tous les journaux. Aux autres,
on a promis des secrétariats d'Etat le jour où le Gouvernement serait
changé. Aux troisièmes, on a dit : « attention, si vous ne votez pas,
on va découper votre circonscription, vous ne pourrez plus être député
», puisque vous savez on s'en va vers un grand marchandage de découpage
des circonscriptions. Bon, tout ça, franchement, c'est petit, ce n'est
pas à la hauteur de ce qu'on voudrait. C'est pas digne, voilà. Alors,
c'est passé à une voix, point.
Mais, alors le fait que à gauche, parce qu'on a quand même du mal à
concevoir qu'au Parti socialiste tout le monde soit convaincu que c'est
une mauvaise réforme des institutions, et pourtant il n'y en a pas un
seul qui a voté pour, pas un seul qui se soit abstenu. Est-ce que là
aussi, il n'y a pas des pressions tout simplement à gauche ? Est-ce que
finalement on n'en a pas fait, cette réforme des institutions, plutôt
qu'un vote de conscience, un vote de conviction, un vote de clan ?
Vous êtes en train de décrire exactement avec des mots qui pourraient
être les miens, vous êtes en train de décrire la réalité des dérives
que nous avons sous les yeux, donc voilà. C'est un vote de clan.
Oui, mais un vote d'anti-Sarkozy pour ce qui pourrait être au Parti
socialiste et qui pourrait aussi peut-être être votre cas.
Vous présentez ça sous un angle que je n'aime pas. Je ne vote pas pour
ou contre en fonction de N. Sarkozy, je vote pour ou contre en fonction
de ce qui me paraît bon et juste. Et si on avait mis le principe d'une
loi électorale juste en disant, par exemple, il faut que la
représentation des Français soit équitable, amendement que j'avais
présenté, j'aurais voté pour et aucune pression n'aurait pu me faire
changer. Pourquoi ? Parce que revenez à la source, essayons ensemble de
comprendre pourquoi on est dans cet espèce d'univers bloqué ? Pourquoi
? Parce que les députés de la majorité doivent leur siège à N. Sarkozy
ou au Président qui vient d'être élu ; les députés de l'opposition
doivent leur siège au principal parti de l'opposition. Donc, aucun des
deux n'est libre. Tant que vous n'aurez pas une représentation des
Français, non pas en fonction du parrainage qui est le vôtre mais en
fonction du courant politique, des citoyens qui vous donnent leur
confiance, vous n'aurez pas les voix libres qui sont capables de dire à
la tribune de l'Assemblée nationale : « ceci va et nous allons le
soutenir, et ceci ne va pas ».
F. Bayrou, il y a plusieurs voix qui s'élèvent en disant que cette
réforme des institutions elle va renforcer encore le pouvoir du
Président qui est déjà un pouvoir beaucoup trop important, mais on a du
mal à comprendre ces arguments parce qu'il n'y aura pas plus de deux
mandats pour le Président ; les nominations seront contrôlées,
éventuellement bloquées par le Parlement ; l'article 49-3 qui permet de
faire passer un texte sans débat, sans vote, sera limité ; la moitié de
l'ordre du jour sera contrôlée par le Parlement ; et il y aura plus de
travail en commission pour préparer les lois. Donc, on a du mal à
comprendre comment tout cela peut donner plus de pouvoir au chef de
l'Etat.
Franchement, c'est des discussions oiseuses, si vous me permettez de le
dire, parce que vous avez vu à quel point vos auditeurs décrochaient au
fur et à mesure que vous avanciez vos explications.
C'est gentil, merci !
Non, je ne dis pas ça pour vous.
Non mais, excusez-moi, mais je reprends quelques points de la réforme
des institutions, ça me paraît le minimum pour que tout le monde
comprenne, je ne suis pas sûr que tout le monde l'ait en tête ça.
Non ! Il n'y a pas de réforme majeure des institutions. Il n'y a pas eu
la réforme qui aurait permis d'avancer. Est-ce qu'il y a limitation du
pouvoir du président de la République ? Non, aucune limitation du
pouvoir du président de la République parce que...
... oui, mais est-ce qu'il a plus de pouvoir ?
Mais, vous voulez me...
Ma question à moi c'était est-ce qu'il aura plus de pouvoir ?
Il aura transféré une partie des pouvoirs apparents qui appartiennent
aujourd'hui au Gouvernement, il les aura transférés au principal parti
de la majorité. J'ai dit à la tribune quand on a discuté de ce texte :
« Jusqu'à maintenant, c'est Monsieur Karoutchi qui avait une partie de
l'ordre du jour, à partir de maintenant ça sera Monsieur Copé ». Et
franchement, entre Copé et Karoutchi, vous voyez bien qu'il n'y a pas
de différence substantielle. Tout ça est d'apparence. En revanche, une
des raisons pour lesquelles j'ai voté contre ce texte, c'est qu'il y a
des pièges dans ce texte pour nos institutions et qui se révèleront au
fur et à mesure qu'on avancera dans le temps. Le piège principal, selon
moi, on le découvrira le jour où Sénat et Gouvernement ne seront pas du
même bord. Or, en fonction du mode électoral du Sénat, comme vous le
savez, il est à peu près fatal que dans les années qui viennent Sénat
et Gouvernement ne soient pas du même bord. Ce jour-là, il y aura des
germes de blocage très important dans nos institutions et je crois que
beaucoup de gens le savent, on en découvrira le caractère pernicieux
lorsque ces choses se révèleront.
Donc, le chef de l'Etat n'aura pas plus de pouvoir entre ses mains.
Non, il n'aura pas plus de pouvoir entre ses mains.
Donc, finalement, on reste dans une espèce de statu quo.
Oui ! Le texte, vous venez de le dire, le texte n'a pas répondu aux
questions fondamentales qui se posent à la démocratie française.
Mais est-ce que ça c'est vraiment le drame que nous décrivent les
opposants à la réforme des institutions ?
Non, il n'y a pas de drame. A court terme, il ne se passera rien, à
long terme il y a des risques de blocage. Le président de la République
va avoir ce pouvoir que moi j'ai toujours considéré comme secondaire,
qui est qu'il va pouvoir s'exprimer- il le voulait à tout prix - devant
les députés et les sénateurs réunis en Congrès à Versailles. Bon, ce
sera un show de plus mais ça ne changera pas, en tout cas pour moi, et
je ne me suis pas opposé à ce point de la réforme.
Vous auriez aimé qu'elle doit donc plus ambitieuse.
J'aurais aimé qu'elle traite des questions. Comprenez, il y a des
millions de Français parmi ceux qui nous écoutent qui ne sont pas
représentés au Parlement comme ils devraient l'être. Je prends un
exemple très bête, vous êtes de gauche à Neuilly, votre voix ne sert
jamais à rien. Vous êtes de droite ou du centre à Saint Denis, votre
voix ne sert jamais à rien. Pourquoi est-ce que ces citoyens-là n'ont
pas le droit d'être représentés dans la démocratie française ? Qu'est-
ce qui justifie que le fait que vous soyez dans une zone acquise à
l'autre camp rendre votre voix inutile. Mais vous vous rendez bien
compte que ça ne va pas.
Vous auriez fait quoi, vous, contre ça alors ?
Moi, j'aurais mis un contingent raisonnable - j'avais demandé 10 %, de
sièges - qui représente tous les courants des partis politiques
français de manière que tout courant qui apparaît, qui est en
émergence, comme on dit, qui n'existait pas hier et qui va exister
demain...
... mais qu'est-ce que ça change pour le neuilléen de gauche ?
Eh bien, il serait représenté, sa voix serait prise en compte. La voix
des minoritaires serait prise en compte. Vous comprenez ça ?
Mais le neuilléen de gauche, il aura de toute façon des députés de
gauche à l'Assemblée nationale.
Eh bien, ça n'est pas sa voix...
... pas forcément Neuilly, mais bon, il y aura des députés de gauche.
Ca n'est pas sa voix qui les aura élus. Mais vous voyez, tout ça
pousse, en réalité, au bipartisme, qu'il n'y ait que de deux partis, un
à droite et un à gauche. Et, on vient d'avoir une illustration...
... bipartisme, donc pas vous !
Oui, mais parce que la France est pluraliste et parce qu'elle le sera
et parce que ce courant politique-là que je représente, il va se faire
entendre. Je prends un exemple, la semaine dernière, sans polémique
aucune, il y a eu cette affaire Tapie incroyable, affaire Tapie,
j'imagine qu'on va en dire un mot.
On va en parler tout à l'heure après la météo.
Il y a eu cette incroyable affaire Tapie et la majorité évidemment n'a
rien dit, et le PS pendant huit jours n'a rien dit. Si nous n'avions
pas été là, si je n'avais pas été là pour dire : "attention, feu
orange, alarme, il se passe quelque chose, qui n'est pas normal en
France, qui n'est même pas normal dans un pays de droit habituel et ce
quelque chose-là il faut y prêter attention", qui l'aurait dit ? Et
donc, vous voyez bien qu'il y a dans le pluralisme quelque chose de
très important pour le citoyen, c'est qu'il a des voix indépendantes
qui le représentent et qui disent : « il faut changer les choses » même
si ça n'arrange pas les partis au pouvoir.
On va parler de Tapie juste après la météo. Encore un mot de la réforme
des institutions. Je lisais cet article très intéressant dans la
presse, ce matin, avec une petite mise en perspective des précédents
débats institutionnels qui ont eu lieu en France, avec par exemple la
volonté de De Gaulle de faire élire le président de la République au
suffrage universel en 1962 qui avait conduit le Parlement à renverser
le Gouvernement Pompidou. « Qui reviendrait-il aujourd'hui sur cet
acquis ? » nous dit ce journal, c'est Le Figaro. Il y a également la
possibilité pour 60 parlementaires de saisir le Conseil
constitutionnel...
... c'est Giscard, oui.
Voilà, sous Giscard. Eh ben, en 1974, 273 élus, PS et PC, avaient voté
en bloc contre cette proposition de V. Giscard d'Estaing, alors
qu'aujourd'hui l'opposition se sert régulièrement de cette disposition.
Alors, est-ce que finalement c'est la règle : voilà, un débat
institutionnel, eh bien on vote contre quand on est dans l'opposition
par principe ?
Monsieur, c'est ridicule ! Le vote contre par principe ou le vote pour
par principe, c'est ridicule.
C'est ridicule de le faire ou c'est ridicule de concevoir que cela
existe ?
Non, c'est ridicule de penser que - ou en tout cas de constater que -
nous sommes dans une démocratie où on réforme les institutions bloc
contre bloc, ça ne devrait pas se passer comme ça.
Mais c'est une réalité, mais ça ne devrait pas se passer comme ça.
Non, ça ne devrait pas se passer comme ça parce que les institutions
c'est notre garantie à tous, c'est fait pour que la voix de tous les
Français puisse se faire entendre.
F. Bayrou est notre invité jusqu'à 9 h.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le
31 juillet 2008