Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur les perspectives de l'exportation de l'agroalimentaire dans le cadre de l'OMC, Paris, le 9 mai 2001.

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Circonstance : Déjeuner-débat devant le Comité Sully à Paris, le 9 mai 2001

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Vous m'avez demandé d'intervenir aujourd'hui devant vous sur le thème de "la place de l'agro-alimentaire dans la politique du commerce extérieur de la France et les enjeux de l'OMC ".
Il s'agit là d'un sujet passionnant, vaste et complexe. Mais avant d'en venir à la place de l'agro-alimentaire dans la politique du commerce extérieur de la France, je souhaiterais partir de l'existant, c'est-à-dire de la place de l'agro-alimentaire dans le commerce extérieur de la France. Le temps m'étant mesuré, et l'essentiel étant de laisser une large place au débat, je le ferai par touches successives, quitte à parfois forcer le trait. Vous me pardonnerez, j'espère, d'être parfois trop rapide, ou trop abrupt. Mais quelques tendances de fond méritent, je crois, d'être soulignées.
La première de ces tendances concerne notre excédent agroalimentaire. Cet excédent a enregistré un record en 1997, avec 67,4 milliards de francs. Depuis cette date, il tourne autour de 60 milliards de francs, exactement 61,4 milliards l'an dernier. Certes, notre taux de couverture reste exceptionnel, à près de 134%, mais en moyenne, le taux de progression de notre excédent aura été relativement faible sur les dix dernières années, à 1,6% par an.
Derrière cette stabilité relative de notre solde extérieur - mais il faut toujours se méfier de l'eau qui dort - on trouve en réalité une double évolution : une forte progression de l'excédent des industries agroalimentaires (qui croît en moyenne de 5% par an depuis 10 ans), mais une forte diminution du solde des produits agricoles, divisé par deux entre 1990 et 2000 (il est passé de 21,1 à 10,8 milliards de francs). Les vins et spiritueux, qui étaient en 1990 derrière les céréales, sont aujourd'hui largement en tête. Les produits "strictement" agricoles (c'est-à-dire non transformés) font aujourd'hui un quart de nos exportations agroalimentaires, contre un tiers il y a dix ans.
Cette progression des produits transformés, dans notre solde extérieur comme dans nos exportations agricoles et agroalimentaires, était la première tendance qu'il me paraissait important de souligner.
Seconde tendance qui apparaît lorsque l'on examine les données de notre commerce extérieur depuis 10 ans : la dégradation de notre excédent avec les pays de l'Union, alors que nos échanges avec les pays tiers progressent régulièrement.
Cette tendance pourrait après tout être indépendante de notre volonté, si cette moindre performance s'expliquait par un faible dynamisme des achats de nos partenaires. Mais ce n'est pas le cas. Et c'est précisément la troisième tendance lourde que je souhaitais souligner dans cette introduction générale : la tendance de fond est au recul de nos parts de marché sur l'ensemble de l'Union européenne. Prenons la période 1993-2000 et nos parts de marchés sur différents pays : en Allemagne c'est 13,8% en 93, 12,2% en 2000. En Italie, on est passé de 22,8% à 18,4%. En Espagne, enfin, de 23,6% à 17,1%.
Les raisons de ce recul sont multiples : atomisation de notre offre, concurrence intra-communautaire (l'Espagne, par exemple, a su remarquablement tirer profit de son adhésion en terme de gains de parts de marché), mise en cause de notre part exclusive sur les produits à forte valorisation comme les vins, où la concurrence des producteurs du " nouveau monde " s'exerce sur l'ensemble des marchés importateurs, etc. Masqué par l'accumulation régulière d'excédents, ce recul est préoccupant puisqu'il est à la fois régulier et général. Il y aura là, je crois, matière à réflexion pour le futur Conseil supérieur des exportations agricoles et alimentaires, dont je présiderai, avec Jean Glavany, la première réunion le 5 juin prochain.
Au-delà de ce portrait très général, mais néanmoins riche d'enseignements, quelles sont nos priorités en terme de commerce extérieur ?
Défendre, tout d'abord nos points forts à l'export. J'en citerai deux pour éclairer mon propos : les céréales et les vins et spiritueux.
Dans le domaine des exportations de céréales, on sait la contrainte que l'Accord de Marrakech a représentée pour nos exportations bénéficiant de restitutions. Mais à la limite, là n'est pas, à mon sens, le problème principal. Ce qui rend ces contraintes extrêmement pesantes, c'est que nous sommes les seuls à les subir.
Et c'est bien là l'idée que nous défendons, dans la cadre de la négociation agricole qui a débuté le 1er janvier 2000 : les contraintes doivent s'exercer également sur l'ensemble des soutiens à l'exportation , crédits export, aide alimentaire, monopoles de commercialisation. Et nous voulons des résultats aussi rapidement que possible, notamment à l'OCDE, où il existe désormais un projet d'arrangement qui n'est plus refusé, pour peu de temps encore, j'espère, que par le Canada. Ce projet limite les durées de crédit possibles pour les exportations de produits agricoles (il rendrait par exemple impossible le recours, par les Etats-Unis, au GSM 103). Il contraint les signataires à 80% d'élément-don au moins sur l'aide alimentaire. Et il encadre aussi précisément que possible la politique de crédit que pourraient mettre en place les monopoles de commercialisation, dont les pays du groupe de Cairns ont fait leur spécialité.
Naturellement, un bon résultat à l'OCDE ne suffira pas. Il faudra consolider, et si possible améliorer, l'arrangement, s'il existe, à l'OMC. Mais il s'agit là d'un premier progrès par rapport à l'existant.
Dans le domaine des vins et spiritueux, second exemple que je voulais évoquer, là aussi nous devons avoir une stratégie claire. J'entends dire ici ou là que notre politique en matière d'AOC est peut-être trop conservatrice, et que nous devrions, pourquoi pas, envisager de développer une politique de marques. Pour vous dire les choses franchement, je n'ai pas de religion sur cette question. Ce que je constate en revanche, c'est que notre système d'indications géographiques est peut-être suranné, mais que nos appellations sont contrefaites partout dans le monde par des producteurs peu scrupuleux, avec la neutralité au moins bienveillante de leurs gouvernements. Nous nous battrons donc pour élargir la protection dont bénéficient nos indications géographiques, que ce soit à l'OMC ou dans le cadre d'accords bilatéraux qui pourraient être négociés par la Commission. Nous avons, pour ce faire, donné un nouveau mandat de négociation à la Commission, sous présidence française, avec l'idée que nous devions conduire une politique offensive pour préserver, et si possible augmenter encore, nos parts de marché. Je veillerai à ce que cette stratégie soit appliquée.
Défendre et consolider nos points forts nationaux, tel était le premier axe en matière de politique extérieure que je voulais évoquer devant vous avec ces deux exemples, mais on pourrait, naturellement, en donner d'autres. Car le deuxième point fort dont nous devons assurer la défense est plus général que tel ou tel poste d'excellence de notre balance commerciale : il s'agit tout simplement de la PAC, et du modèle alimentaire européen.
Assurer la défense du modèle alimentaire européen, c'est assurer la défense de la diversité, de la qualité et de la sûreté alimentaires. Il s'agit donc d'un objectif qui relève de plusieurs catégories de la négociation agricole.
- au titre de l'accès au marché, garantir l'information du consommateur et assurer une concurrence loyale au moyen de la réglementation de l'étiquetage ;
- au titre du soutien interne, obtenir que les notions de boîte verte et de boîte bleue soient maintenues. L'illusion, entretenue par les Etats-Unis lors de l'adoption du Fair Act, d'une politique agricole pure et parfaite semble avoir vécu. Nous avons aujourd'hui démontré que les aides classés en boîte bleue avaient des effets moins perturbateurs sur les marchés que les marketing loans américains ;
- au titre des considérations non commerciales enfin, qui sont expressément prévues à l'article 20 de l'Accord de Marrakech, nous devons promouvoir le rôle multifonctionnel de l'agriculture, et la défense de la sûreté alimentaire (notamment à travers un débat sur le principe de précaution).
Enfin, pour mémoire, mais le sujet est important, nous devons éviter d'apparaître comme une forteresse assiégée, et rappeler sans relâche que l'Union européenne est le premier importateur de produits agricoles au monde. Notre politique en faveur des pays en développement est mal connue, parce que mal valorisée. L'initiative " tout sauf les armes ", que le commissaire Lamy a défendue, mérite d'être partout rappelée, afin que d'autres pays industrialisés et certains pays émergents prennent le relais et adoptent le même genre d'initiatives.
Voilà, en quelques mots, le panorama que je dresse de la place de l'agroalimentaire dans la politique du commerce extérieur de la France et les enjeux de l'OMC.
La dernière partie de ma présentation, je souhaiterais la consacrer à une question qui devrait paraître naturelle, mais qui n'est que rarement abordée. Cette question pourrait être formulée de la façon suivante : s'il est acquis, au moins pour un grand nombre de membres de l'OMC, qu'il existe une spécificité agricole, existe-t-il une spécificité des exportations agricoles ?
En effet, dire que la production est spécifique, cela ne signifie pas forcément que l'exportation l'est également. Or il existe une littérature économique de plus en plus dense sur le premier point, mais très peu de choses sur le second. C'est dommage, car la question de la spécificité des exportations agro-alimentaires devrait être au cur de notre réflexion sur la place de l'agroalimentaire dans notre politique extérieure, surtout si l'on ne veut pas que cette politique soit uniquement défensive.
Pour ma part, et à ce stade de ma réflexion - mais j'aimerais également recueillir votre opinion sur ce sujet, au cours du débat -, je vois 3 spécificités.
La première de ces spécificités concerne les barrières à l'entrée. Dans le cas des produits agricoles, les barrières à l'entrée peuvent se mettre en place très rapidement, beaucoup plus rapidement que pour les produits industriels (on l'a vu encore récemment avec la mise en place d'embargos à la suite de l'apparition de foyers de fièvre aphteuse en Europe).
D'autre part, dans le cas des produits agricoles, la mise en place des barrières entraîne parfois la perte des produits en instance de dédouanement, puisqu'il s'agit, souvent, de produits périssables. La première spécificité du secteur tient donc, à mon avis, à sa plus grande vulnérabilité à des réglementations visant à limiter l'accès aux marchés, qui peuvent être plus rapidement mises en place que dans les autres secteurs de l'économie.
La seconde spécificité du secteur tient à la "typicité" des marchés, qu'on ne rencontre guère pour les autres exportations. Pour les exportations en général, les marchés peuvent être particuliers, ils sont rarement typiques, au sens où les habitudes de consommation peuvent varier considérablement d'un pays à l'autre. La conséquence de cette typicité, que n'efface pas la mondialisation, est que les marchés sont plus régionaux que mondiaux.
C'est vrai, par exemple, pour les produits laitiers, pour lesquels le fait majeur des dernières années est le tassement des volumes "grand export" et le développement des échanges intra-zones. Cause ou conséquence de cette évolution, c'est dans ce secteur que la stratégie d'internationalisation par implantations multiples des grands opérateurs a également été la plus rapide, notamment depuis 1995.
La troisième spécificité tient, en dernier lieu, à la concentration du secteur exportateur. Alors même que la production, qu'il s'agisse d'ailleurs de produits agricoles ou de produits transformés, est répartie sur l'ensemble du territoire national, l'exportation est, elle, très concentrée, beaucoup plus en tout cas que dans les autres secteurs de l'économie. On rappellera, ainsi, qu'à peine 1% des entreprises agricoles et 5% des industries agro-alimentaires sont exportatrices, contre 22% des entreprises des autres industries, et que, avec 60% des exportations réalisées par 30 groupes, les IAA se détachent nettement des autres secteurs .
En citant ces chiffres, je ne porte absolument pas un jugement de valeur sur le fait de savoir si cette concentration est une bonne ou une mauvaise chose. C'est d'ailleurs, sans doute, une bonne chose pour l'exportation de produits agricoles, les sociétés de négoce ou les coopératives ayant développé un métier et un savoir-faire qu'aucun producteur individuel ne peut envisager d'acquérir. En revanche, dans le domaine de l'agro-alimentaire, cette concentration montre qu'a contrario, il existe encore en France un réservoir sans doute très important d'exportateurs potentiels.
C'est pourquoi je pense que l'on peut rester très optimiste sur notre capacité à exporter demain. Nous avons des points forts, que nous défendrons. Nous avons des convictions, que nous soutiendrons à l'OMC. Enfin, nous avons encore une force de réserve en matière d'entreprises exportatrices, qui sont prêtes, j'en suis sûr, à monter progressivement en puissance sur les marchés internationaux.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mai 2001)