Interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, à France-inter le 27 juin 2001, sur les grandes orientations du projet de loi sur l'eau, son départ annoncé du gouvernement et sur la désignation du futur candidat à l'élection présidentielle chez les Verts.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli - Le projet de loi sur l'eau appliquant le principe de "pollueurs-payeurs" présenté aujourd'hui en Conseil des ministres par D. Voynet, après trois ans de gestation et au moins 17 versions, a-t-il une chance d'être adopté pendant cette législature ? Le poids des lobbies, à moins d'un an de l'élection présidentielle, ne le condamne-t-il pas d'avance ? Et ce dernier projet de loi présenté par la ministre de l'Environnement avant son départ du Gouvernement ne l'est-il que pour la forme ? Et est-ce qu'il aboutira ?
- "Il doit aboutir parce qu'on ne peut pas se résigner à que ce soit les lobbies qui fassent la politique de l'eau en France. Ce n'est d'ailleurs pas le cas à cette heure. C'est vrai que certains des usagers avaient manifesté des craintes avant même que la première ligne de ce projet loi soit écrite. Ils ont été largement associés à l'élaboration de ce projet et je crois qu'on a toutes les occasions de les convaincre et les associer à notre travail. Mais on ne peut pas se contenter de la situation actuelle. Actuellement, ce sont les usagers domestiques et parmi eux les plus modestes d'entre eux qui payent 73 % du total des redevances alors qu'ils ne sont responsables que de 20 à 30 % de la pollution. Ce n'est pas normal."
Comment expliquez-vous les incroyables difficultés que vous avez rencontrées, jusque, y compris la position du Conseil d'Etat qui ne cesse de répéter que tout cela est inconstitutionnel parce que les redevances doivent être votées par le Parlement ?
- "Justement, c'est l'un des objets du projet de loi qui est de faire voter les redevances par le Parlement. Aujourd'hui, elles ne le sont pas. Donc le Conseil d'Etat constate qu'elles ne le sont pas et il a largement soutenu la démarche du Gouvernement pour rendre les redevances constitutionnelles. Je crois que notre stratégie n'est pas seulement de faire une loi et de s'en tenir là. Nous avons depuis quatre ans adopté tous les moyens qui sont à notre disposition : des inspections surprises chez les industriels pollueurs ou chez les éleveurs porcins, des règles de bon usage des produits phytosanitaires dans le monde agricole, la mise ne oeuvre de la réglementation pour éviter les constructions en zone inondable, etc., la mise en place des contrats territoriaux d'exploitation. Cela ne suffit pas. La qualité de l'eau continue à se dégrader. Dans un certain nombre de régions, on ne peut plus boire l'eau du robinet. Il fallait agir plus largement, plus intensément. C'est l'objet de cette loi."
Mais jusqu'où allez-vous demander aux agriculteurs de payer ? Ils polluent beaucoup et ils payent peu : 69 % de l'eau consommée alors qu'ils n'acquittent que 5 % de la redevance prélèvement ?
- "Et ils bénéficient, pour développer leurs activités, d'un régime d'indemnités de la part de Bruxelles tout à fait favorable. Le projet de loi amorce un rééquilibrage. J'aimerais que l'on puisse aller plus loin. Je doute que cela soit possible au cours de la discussion parlementaire. Mais si les députés souhaitaient renforcer ce volet de la loi, j'en serais tout à fait heureuse. Cela dit, ce n'est qu'un volet, un petit volet de la loi. Pour l'essentiel, ce projet de loi a trois objectifs : mettre en oeuvre le principe pollueur-payeur, mais aussi assurer la transparence dans le domaine de la fixation du prix de l'eau, que ce soit pour les usagers qui doivent ce qu'ils payent et pourquoi ils payent, mais aussi que ce soit pour les élus locaux. Quand un élu local veut négocier avec une société distributrice d'eau, le contrat qui permet d'assurer le service dans sa commune, il doit savoir ce qu'il y a dans le contrat ; il doit avoir les moyens de négocier. C'est tout l'enjeu de la mise en place du Haut conseil de l'eau et de l'assainissement. On veut aussi, dernier objet, avoir une approche sociale de ces questions. Actuellement, il y a encore des familles qui se voient couper l'eau. Cela ne doit plus être possible. Il y a encore des familles qui ne peuvent pas savoir exactement ce qu'elles doivent payer puisqu'il n'y a pas de compteur individuel dans les logements sociaux. Il y a aussi des familles qui souffrent d'une part fixe trop élevée. Toutes ces réformes ont pour objet de faire payer exactement le prix de l'eau consommée avec un grand souci de limiter la casse pour les usagers."
Ce n'est une image facile ni même un jeu de mot. La transparence de l'eau, on ne la connaît pas : les fourchettes varient de 1 à 4 dans ce que nous payons nous les particuliers. Pourquoi ?
- "Parce que le service rendu n'est pas le même. On pourrait, de façon très commode, convenir que les régies sont moins chères que les entreprises privées - c'est vrai - de 20 % à peu près. Mais le service rendu n'est pas tout à fait le même. On paye en fonction de la sensibilité de la ressource, en fonction de la pollution de l'eau. Quand il faut financer des efforts de dépollution très importantes, cela coûte plus cher. On paye en fonction de la qualité des réseaux et des installations de filtration. Et puis, on paye en fonction des stratégies des compagnies. La transparence doit être assurée."
Au total, si on fait les comptes, ce projet de loi sur l'eau devrait rapporter à peu près entre 400 et 500 millions de franc au lieu du milliard que vous escomptez et on se retrouve à peu près dans ...
- ."..Vous êtes en train de parler des contributions agricoles ..."
Oui, sauf qu'on se retrouve dans presque la même situation qu'avant.
- "Alors, la logique du projet de loi est absolument limpide et c'est bien normal pour un projet de loi qui concerne l'eau. Les sommes prélevées sur le monde agricole restent modestes. Elles n'ont pas pour objet de pénaliser le monde agricole mais d'inciter à changer les comportements et d'épargner l'eau et à bien gérer l'eau. D'ailleurs, les agriculteurs qui mettront en place des contrats de gestion à l'échelle d'un bassin, de façon collective, ne seront pas toucher de la même manière que ceux qui continueront à utiliser l'eau de façon irresponsable. Actuellement, une bonne partie des agriculteurs ne payent pas du tout leur eau, ce n'est pas normal. Nous commençons le rééquilibrage ; il faudra davantage au cours des années à venir. "
C'est votre successeur, peut-être monsieur Cochet, qui devra gérer cela. Quand on voit le rapport ...
- "C'est l'oeuvre pratiquement d'une génération. Il paraît évident qu'une partie du monde agricole est aujourd'hui prête à changer de comportement. Cela n'est pas encore la majorité des agriculteurs. On doit à la fois avoir une loi, la faire respecter mais aussi mettre en place sur le terrain tout un tas d'actions - d'éducation, d'incitation, de formation -qui permettront aux agriculteurs de plus en plus responsables d'être des acteurs de la politique de l'eau."
Mais quel déséquilibre ! Encore une fois, des taxes pour les pollueurs-payeurs, c'est la règle du jeu et, en face, 10 milliards de subventions pour l'agriculture intensive.
- "Nous souffrons actuellement d'une survalorisation du lobby agricole et d'une sous-présence du lobby des consommateurs. Les consommateurs sont les grands gagnants d'un projet de loi comme celui-ci puisqu'il s'agit effectivement de faire payer moins aux usagers qui actuellement assument l'essentiel des politiques de réseau et d'assainissement et de faire payer plus à ceux qui polluent vraiment. On devrait entendre davantage, pour soutenir ce projet de loi, la voix des consommateurs, des associations d'usagers et de protection de l'environnement."
Quand on vous dit que ce projet de loi ne passera pas dans cette législature, que répondez- vous ?
- "Je pense qu'il passera car on a besoin de ce projet pour préparer le programme d'intervention des agences de l'eau d'une part et pour rendre constitutionnelles les redevances. Le Conseil d'Etat a bien insisté sur ce point."
Les Verts, comment ça va. Vous êtes passée de justesse à la tête du mouvement ?
- "Vous le savez, nous devons obtenir 60% des voix pour être élu chez les Verts. C'est exigeant. Il n'y a pas beaucoup d'élus du peuple français qui le seraient, si on leur demandait d'atteindre cette barre. J'ai franchi cette barre dans des conditions qui sont toujours un petit peu curieuses. Chez les Verts, tout est transparent. Les journalistes ont accès à toutes nos discussions internes. Je suis bien convaincue qu'elles sont bien aussi vives dans les autres partis, simplement elles ne sont pas publiques."
Est-ce que le mouvement s'est "voynetisé", parce que c'est un peu la crainte de beaucoup.
- "Je déteste ce mot et il n'a pas de sens."
Attendez ! Eux disent que si. Vous occupez tous les leviers de commande, vous et ceux qui se réclament de votre courant.
- "Non. Sur quatre porte-parole des Verts, il y en a un seul qui se considère proche de moi. Sur neuf députés européens, il y en a deux qui se considèrent comme proches de moi. Sur cinq députés, il y a en un ; sur les huit élus que nous avons obtenus à la mairie de Lyon, il y en un. Donc ne tombons pas dans un piège grossier. Mais c'est vrai que si on peut me convaincre aujourd'hui que je ne suis pas la bonne personne pour permettre à ce parti de monter en qualification et de réduire le fossé qui existe entre les attentes des Français à notre égard et notre capacité de les assumer, moi je suis prête à l'entendre. Mais je ne suis pas prête à aborder cette discussion sous la forme d'une répartition de verroterie entre sensibilités du mouvement qui n'ont guère de sens politiquement. Nous sommes extrêmement proches les uns des autres, politiquement, et la campagne pour les élections primaires au sein de Verts l'a très bien montré : A Lipietz et N. Mamère défendaient les mêmes valeurs."
Dites-vous comme A. Lipietz : la barre à gauche toute ? La gauche de la gauche de la gauche ?
"Je n'ai pas entendu A. Lipietz dire cela. J'ai entendu certains de ses contradicteurs le caricaturer ainsi. Je ne partage pas cette façon de voir. Pour l'essentiel, les Verts savent que c'est en faisant gagner la gauche qu'ils vont grandir et que c'est en faisant grandir les Verts qu'on fera gagner la gauche."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 27 juin 2001)