Texte intégral
Monsieur le Président, cher Serge Eyrolles,
Mesdames, Messieurs,
Comme vous le savez, mes missions gouvernementales me confient la charge du développement de l'économie numérique. À ce titre, on pourrait attendre de moi que j'intervienne ici, au Salon du Livre, pour saluer les progrès technologiques accomplis par la nouvelle génération des outils de lecture, et vous faire la réclame des derniers lecteurs économiques.
Au risque de décevoir cette attente, je dirai plutôt quelques mots des livres, que j'aime, et de l'édition.
Les outils numériques de lecture, pour n'en dire qu'un mot, sont bien là. Ici, dans ce Salon, sous une forme qui paraît désormais plus opérante et plus viable que n'avaient pu l'être les générations précédentes des lecteurs électroniques, que l'on appelle des « liseuses ». Mais nous ne les avons pas attendus pour faire déjà bien d'autres expériences de lecture sur des supports numériques : dans nos foyers et dans nos bureaux, chacun de nous écrit et lit tous les jours devant un écran d'ordinateur. De fait, nous lisons quotidiennement des milliers de signes numérisés.
Sur nos écrans, nous lisons également des pages ou des chapitres de livres, puisque nous avons accès via l'Internet à un nombre désormais considérable d'ouvrages numérisés. Ceux du domaine public, que les bibliothèques mettent à la disposition hors les murs et loin des rayonnages, je pense bien sûr au fonds déjà considérable de Gallica ou au projet encore plus ambitieux d'Europeana ; ceux du domaine privé, que les éditeurs éditent en nourrissant peu à peu leurs catalogues d'oeuvres numérisées.
Je viens de dire que nous lisons des livres sur nos écrans d'ordinateur. Voilà qui n'est pas parfaitement exact.
Il vaudrait sans doute mieux dire que nous lisons des oeuvres écrites, ou bien que nous lisons des livres qui, déjà publiés et imprimés sur du papier, sont ensuite diffusés sous la forme de fichiers numériques. Il y a là, après tout, une nuance importante et une ambiguïté.
Il faut distinguer deux réalités : d'une part, le livre qui est d'abord édité et imprimé avant que d'être reproduit et diffusé électroniquement ; puis, d'autre part, l'oeuvre qu'on peut dire « nativement » numérique, parce qu'elle est d'emblée conçue pour n'être éditée que numériquement.
L'oeuvre électronique, vous en débattrez aujourd'hui, n'est pas nécessairement textuelle : elle peut mêler au texte des images, du son, de la vidéo, et cette variété de contenus exige une réflexion nouvelle.
Les filières et les modèles sont distincts selon que l'on traite du livre numérisé ou de l'oeuvre numérique, et ils le sont encore selon le type d'écrits concernés, puisque, comme vous le savez, la donne est considérablement modifiée selon le type d'oeuvres.
Les revues savantes, auxquels un lecteur abonné peut accéder via des plateformes comme Cairn ou JStor, ont beaucoup gagné à la diffusion numérique, parce que la dématérialisation a soulagé une partie de leurs coûts éditoriaux et qu'elle a accru leur diffusion. Mais la chose n'était concevable que parce que ces revues ont maintenu leur qualité éditoriale, leurs critères de scientificité, et parce que ce passage au numérique est réellement avantageux.
Ce qui est vrai dans un secteur savant restreint de l'édition numérique ne l'est pas nécessairement pour la littérature générale, ni même pour d'autres formes d'édition scientifique ou pédagogique, dont l'existence éditoriale exige davantage d'étapes et l'intervention d'intermédiaires plus nombreux.
La question doit donc être posée des effets que peut avoir la diffusion ou l'édition numérique sur l'ensemble de cette chaîne. Et c'est bien l'une des questions auxquelles vos Assises Professionnelles vont se consacrer aujourd'hui.
Permettez-moi de vous dire que les résultats de vos travaux, comme les décisions qu'ils favoriseront, sont attendus.
Ils le sont parce que les acteurs de votre filière ont une stratégie commune à concevoir, et ils le sont parce les inquiétudes sont réelles et que les modèles économiques sont à la fois en gestation et exposés à des risques. Bien sûr, actualité oblige, nous pensons tous au risque du piratage. Nous savons très bien que le livre, quel qu'il soit, encourra le risque d'être pillé dès l'instant où il sera diffusé en ligne. Ce risque est réel et le Gouvernement s'emploie donc à le conjurer. Mais d'autres risques existent, qui sont bien plus spécifiques à vos activités.
La chaîne éditoriale que j'évoquais tout à l'heure est le gage d'une qualité et d'une variété éditoriales dont on peut craindre qu'elle soit qualitativement bouleversée. Elle le sera, et elle le sera très vite, si nous ne laissons se développer qu'une forme de diffusion à bas coût, qui prétendrait vendre du texte en ligne, le plus immédiatement possible, à des lecteurs-consommateurs qui seront inéluctablement dupés par le développement d'une édition sans contenu éditorial.
Après tout, on peut dès aujourd'hui envoyer aux internautes, à des prix dérisoires, des fichiers numérisés d'ouvrages. Techniquement, faire rapidement de mauvais livres à bas coûts est parfaitement possible.
Les maisons d'éditions peuvent être remplacées par des serveurs à forte contenance et le travail éditorial s'en trouvera évacué. Ce que j'annonce là est sans doute un peu caricatural, mais le risque existe et l'on ne pourra me semble-t-il s'y soustraire qu'en concevant une offre légale soucieuse de la protection, certes, mais avant tout de la qualité des oeuvres.
La qualité d'une oeuvre écrite, sa valeur, c'est cela que l'on appelle l'édition. Et je suis persuadée que l'édition a au moins cette chance qu'elle peut méditer les difficultés qu'ont rencontrées les secteurs de l'audiovisuel pour éviter les écueils et faire preuve d'ingéniosité.
En se servant bien sûr de l'Internet, qui, aujourd'hui déjà, est un vecteur inestimable de promotion, de connaissance et de vente des oeuvres écrites.
Le rappel de ces principes ne fait pas pour autant un modèle économique de diffusion numérique du livre. Pour qu'un tel modèle économique existe, il faut, comme vous le savez, qu'une filière industrielle et commerciale soit constituée de façon stable, qu'elle soit régulée et pourvoyeuse d'emploi, et qu'elle produise des richesses.
L'édition est un processus par définition médiateur, parce qu'elle conduit un texte à son lecteur.
Cette médiation ne délivre toute sa valeur, celle de l'émotion, celle de la connaissance, celle de l'esprit, qu'à la condition que la propriété intellectuelle et le droit d'auteur aient encore un sens.
Ils en ont un à vos yeux, ils en ont un aux miens. J'aime le livre. Non pas tel ou tel livre, non pas seulement celui que je lis en ce moment (et pour lequel il serait inconvenant que je fasse ici de la publicité) ; ce que j'aime, c'est cet objet et son ergonomie extraordinaire. La petitesse du livre, sa maniabilité exceptionnelle, sa beauté graphique et sa sensualité, en font un objet d'usage courant, pour lequel nous avons un attachement très particulier.
Je ne crois pas un instant que l'heure soit venue de le remplacer ou de l'oublier. Non pas tant parce que la page imprimée recèlerait quelque vertu intrinsèque et sacrée, mais bien pour des raisons technologiques et industrielles qui sont liées à mes missions.
Car le « livre papier », celui que je tiens, ceux dont nous sommes entourés, ne sont pas les produits d'une époque industrielle antérieure au numérique. Ce sont des produits, conçus pour beaucoup par des PME, qui toutes font usage d'outils et de technologie numériques, à chaque étape de la chaîne éditoriale, comme du processus de diffusion et de vente.
Ne m'en veuillez pas de rappeler pareille évidence, mais le livre est à sa façon le produit, déjà, de l'innovation numérique. Il me paraît important qu'il le reste.
Je vous souhaite d'excellents travaux.
Source http://www.salondulivreparis.com, le 30 mars 2009
Mesdames, Messieurs,
Comme vous le savez, mes missions gouvernementales me confient la charge du développement de l'économie numérique. À ce titre, on pourrait attendre de moi que j'intervienne ici, au Salon du Livre, pour saluer les progrès technologiques accomplis par la nouvelle génération des outils de lecture, et vous faire la réclame des derniers lecteurs économiques.
Au risque de décevoir cette attente, je dirai plutôt quelques mots des livres, que j'aime, et de l'édition.
Les outils numériques de lecture, pour n'en dire qu'un mot, sont bien là. Ici, dans ce Salon, sous une forme qui paraît désormais plus opérante et plus viable que n'avaient pu l'être les générations précédentes des lecteurs électroniques, que l'on appelle des « liseuses ». Mais nous ne les avons pas attendus pour faire déjà bien d'autres expériences de lecture sur des supports numériques : dans nos foyers et dans nos bureaux, chacun de nous écrit et lit tous les jours devant un écran d'ordinateur. De fait, nous lisons quotidiennement des milliers de signes numérisés.
Sur nos écrans, nous lisons également des pages ou des chapitres de livres, puisque nous avons accès via l'Internet à un nombre désormais considérable d'ouvrages numérisés. Ceux du domaine public, que les bibliothèques mettent à la disposition hors les murs et loin des rayonnages, je pense bien sûr au fonds déjà considérable de Gallica ou au projet encore plus ambitieux d'Europeana ; ceux du domaine privé, que les éditeurs éditent en nourrissant peu à peu leurs catalogues d'oeuvres numérisées.
Je viens de dire que nous lisons des livres sur nos écrans d'ordinateur. Voilà qui n'est pas parfaitement exact.
Il vaudrait sans doute mieux dire que nous lisons des oeuvres écrites, ou bien que nous lisons des livres qui, déjà publiés et imprimés sur du papier, sont ensuite diffusés sous la forme de fichiers numériques. Il y a là, après tout, une nuance importante et une ambiguïté.
Il faut distinguer deux réalités : d'une part, le livre qui est d'abord édité et imprimé avant que d'être reproduit et diffusé électroniquement ; puis, d'autre part, l'oeuvre qu'on peut dire « nativement » numérique, parce qu'elle est d'emblée conçue pour n'être éditée que numériquement.
L'oeuvre électronique, vous en débattrez aujourd'hui, n'est pas nécessairement textuelle : elle peut mêler au texte des images, du son, de la vidéo, et cette variété de contenus exige une réflexion nouvelle.
Les filières et les modèles sont distincts selon que l'on traite du livre numérisé ou de l'oeuvre numérique, et ils le sont encore selon le type d'écrits concernés, puisque, comme vous le savez, la donne est considérablement modifiée selon le type d'oeuvres.
Les revues savantes, auxquels un lecteur abonné peut accéder via des plateformes comme Cairn ou JStor, ont beaucoup gagné à la diffusion numérique, parce que la dématérialisation a soulagé une partie de leurs coûts éditoriaux et qu'elle a accru leur diffusion. Mais la chose n'était concevable que parce que ces revues ont maintenu leur qualité éditoriale, leurs critères de scientificité, et parce que ce passage au numérique est réellement avantageux.
Ce qui est vrai dans un secteur savant restreint de l'édition numérique ne l'est pas nécessairement pour la littérature générale, ni même pour d'autres formes d'édition scientifique ou pédagogique, dont l'existence éditoriale exige davantage d'étapes et l'intervention d'intermédiaires plus nombreux.
La question doit donc être posée des effets que peut avoir la diffusion ou l'édition numérique sur l'ensemble de cette chaîne. Et c'est bien l'une des questions auxquelles vos Assises Professionnelles vont se consacrer aujourd'hui.
Permettez-moi de vous dire que les résultats de vos travaux, comme les décisions qu'ils favoriseront, sont attendus.
Ils le sont parce que les acteurs de votre filière ont une stratégie commune à concevoir, et ils le sont parce les inquiétudes sont réelles et que les modèles économiques sont à la fois en gestation et exposés à des risques. Bien sûr, actualité oblige, nous pensons tous au risque du piratage. Nous savons très bien que le livre, quel qu'il soit, encourra le risque d'être pillé dès l'instant où il sera diffusé en ligne. Ce risque est réel et le Gouvernement s'emploie donc à le conjurer. Mais d'autres risques existent, qui sont bien plus spécifiques à vos activités.
La chaîne éditoriale que j'évoquais tout à l'heure est le gage d'une qualité et d'une variété éditoriales dont on peut craindre qu'elle soit qualitativement bouleversée. Elle le sera, et elle le sera très vite, si nous ne laissons se développer qu'une forme de diffusion à bas coût, qui prétendrait vendre du texte en ligne, le plus immédiatement possible, à des lecteurs-consommateurs qui seront inéluctablement dupés par le développement d'une édition sans contenu éditorial.
Après tout, on peut dès aujourd'hui envoyer aux internautes, à des prix dérisoires, des fichiers numérisés d'ouvrages. Techniquement, faire rapidement de mauvais livres à bas coûts est parfaitement possible.
Les maisons d'éditions peuvent être remplacées par des serveurs à forte contenance et le travail éditorial s'en trouvera évacué. Ce que j'annonce là est sans doute un peu caricatural, mais le risque existe et l'on ne pourra me semble-t-il s'y soustraire qu'en concevant une offre légale soucieuse de la protection, certes, mais avant tout de la qualité des oeuvres.
La qualité d'une oeuvre écrite, sa valeur, c'est cela que l'on appelle l'édition. Et je suis persuadée que l'édition a au moins cette chance qu'elle peut méditer les difficultés qu'ont rencontrées les secteurs de l'audiovisuel pour éviter les écueils et faire preuve d'ingéniosité.
En se servant bien sûr de l'Internet, qui, aujourd'hui déjà, est un vecteur inestimable de promotion, de connaissance et de vente des oeuvres écrites.
Le rappel de ces principes ne fait pas pour autant un modèle économique de diffusion numérique du livre. Pour qu'un tel modèle économique existe, il faut, comme vous le savez, qu'une filière industrielle et commerciale soit constituée de façon stable, qu'elle soit régulée et pourvoyeuse d'emploi, et qu'elle produise des richesses.
L'édition est un processus par définition médiateur, parce qu'elle conduit un texte à son lecteur.
Cette médiation ne délivre toute sa valeur, celle de l'émotion, celle de la connaissance, celle de l'esprit, qu'à la condition que la propriété intellectuelle et le droit d'auteur aient encore un sens.
Ils en ont un à vos yeux, ils en ont un aux miens. J'aime le livre. Non pas tel ou tel livre, non pas seulement celui que je lis en ce moment (et pour lequel il serait inconvenant que je fasse ici de la publicité) ; ce que j'aime, c'est cet objet et son ergonomie extraordinaire. La petitesse du livre, sa maniabilité exceptionnelle, sa beauté graphique et sa sensualité, en font un objet d'usage courant, pour lequel nous avons un attachement très particulier.
Je ne crois pas un instant que l'heure soit venue de le remplacer ou de l'oublier. Non pas tant parce que la page imprimée recèlerait quelque vertu intrinsèque et sacrée, mais bien pour des raisons technologiques et industrielles qui sont liées à mes missions.
Car le « livre papier », celui que je tiens, ceux dont nous sommes entourés, ne sont pas les produits d'une époque industrielle antérieure au numérique. Ce sont des produits, conçus pour beaucoup par des PME, qui toutes font usage d'outils et de technologie numériques, à chaque étape de la chaîne éditoriale, comme du processus de diffusion et de vente.
Ne m'en veuillez pas de rappeler pareille évidence, mais le livre est à sa façon le produit, déjà, de l'innovation numérique. Il me paraît important qu'il le reste.
Je vous souhaite d'excellents travaux.
Source http://www.salondulivreparis.com, le 30 mars 2009