Déclaration de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat à la prospective et au développement de l'économie numérique, sur les enjeux et l'avenir de la société numérique, les libertés, l'accès à l'information et la sécurité, à Paris le 25 juin 2009.

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Circonstance : Colloque « Droits et libertés dans la société numérique » à Paris le 25 juin 2009

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Merci à tous d'avoir répondu ce matin à mon invitation. L'Institut océanographique où nous nous trouvons n'a pas de lien évident avec les sujets que nous allons aborder aujourd'hui, mais j'espère que vous n'êtes pas insensibles au charme de cet amphithéâtre. Après tout, l'univers de l'Internet, avec son surf, ses navigateurs et ses pirates, n'est pas tout à fait étranger à l'univers maritime...
Ce qui va nous occuper toute la matinée est au coeur des interrogations sur l'avenir de la société numérique. Depuis son apparition il y a environ 15 ans, l'Internet et l'ensemble des TIC gagnent petit à petit toutes les sphères de notre existence. L'information, le jeu, le commerce, le débat d'opinion, les rencontres amoureuses trouvent aujourd'hui leur déclinaison et leur extension dans la société numérique. Et je n'oublie pas évidemment les réseaux communautaires et participatifs, la diffusion du savoir, le développement des formes de collaborations citoyennes.
À l'évidence, les usages qui accompagnent la diffusion massive de l'Internet se développent à une vitesse vertigineuse. Cette vitesse n'est pas sans rapport avec l'esprit de liberté qui a inspiré les pionniers de l'Internet : liberté de se jouer des conventions sociales, des limites physiques, à commencer par celles des frontières. Liberté, également, de pouvoir accéder en quelques clics à une profusion de services, d'informations et de contenus en tous genres sans recourir à des intermédiaires comme dans l'univers réel ou « physique ».
Nous verrons au cours de la première table ronde si l'effacement de ces médiations est une avancée pour la démocratie. Car la nature même de notre espace public se transforme sous l'effet du numérique. L'accès en temps réel à l'information, la circulation quasi instantanée des opinions, des rumeurs et des prises de position modifie en retour les exigences des citoyens, qui se veulent souvent plus pressantes et plus réactives vis-à-vis du pouvoir politique.
On évoque aujourd'hui l'idée d'un Gouvernement 2.0, c'est-à-dire celle d'une participation presque constante des citoyens à la décision publique. Cela peut nous sembler utopique aujourd'hui encore, mais qu'en sera-t-il dans les années à venir ?
Nous observons par ailleurs que cette liberté numérique se développe davantage grâce à l'extension de l'Internet hors de sa sphère d'origine. Plus besoin de passer aujourd'hui par son ordinateur personnel pour avoir accès au réseau. Le téléphone devient de plus en plus, surtout en Europe et en Asie, une porte d'entrée. Et demain, toutes sortes d'objets familiers - les automobiles, les appareils ménagers ou de banals produits alimentaires - pourront être répertoriés, identifiés, géocalisés et même mis en relation entre eux grâce aux puces numériques. C'est ce qu'on appelle « l'Internet des objets ».
Ces multiples usages qui se développent au sein de la société numérique nous invitent cependant à nous interroger sur ce qui doit constituer les limites et les règles censés s'imposer à tous. Certains internautes ont très vite formé le voeu de construire une société numérique dans laquelle la liberté serait quasi absolue. Or nous savons que la société numérique n'est pas à l'abri des intentions et des comportements les plus néfastes. Le piratage, la surveillance abusive, l'utilisation frauduleuse ou détournée des contenus sont autant de menaces qui se développent à mesure que la technique progresse.
L'exigence de règles n'est pas pour autant partagée par tous à un même niveau. Elle se heurte surtout à ce qu'est le cadre originel du Web, un espace infini, sans frontières, donnant à tous les internautes un égal accès aux contenus, sinon en droit du moins dans les faits, grâce aux possibilités de la technologie. Ce qui explique les débats passionnées qui entourent aujourd'hui la loi Hadopi ou celle dite Lopsi II, prévoyant un renforcement des moyens de surveillance sur le net en vue de confondre les criminels et les utilisateurs les plus malveillants.
Les intervenants de la deuxième table ronde auront l'occasion de discuter de ces enjeux. J'imagine que des désaccords sont à prévoir, mais c'est ce qui fait l'intérêt de ces débats où nous avons voulu réunir des points de vue de tous horizons. J'imagine aussi que la troisième table ronde sur la place d'Internet par rapport à nos valeurs républicaines ne manquera pas d'être animée.
Quand on parle de valeurs républicaines, on pense d'emblée, de façon un peu abstraite, à notre devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Mais plus concrètement, ces valeurs touchent à des aspects essentiels de notre modèle de société. Une société dans laquelle chaque individu est censé pouvoir se forger une opinion en toute liberté de conscience. Une société dans laquelle, également, le respect de la vie privée est sacré. Or nous voyons bien qu'avec le réseau, cette frontière de la vie privée tend à devenir poreuse, parfois même avec le consentement des intéressés.
Il peut sembler en effet amusant, lorsque l'on a 18 ou 20 ans, de mettre sur sa page Facebook des photos de soi prises au cours de soirée arrosées. Mais l'accès à ces données par tout un chacun peut desservir cruellement la personne concernée : songeons aux recruteurs, aux clients (ou aux beaux-parents !) qui pourraient avoir la curiosité de consulter le profil de l'ancien fêtard... Et je ne parle pas des innombrables informations que toutes les puces intégrées dans les appareils qui nous entourent peuvent révéler sur nos faits et gestes...
Voilà pourquoi on évoque aujourd'hui le principe d'un « droit à l'oubli sur l'Internet » ou encore celui du « silence des puces » : il s'agit de prendre une juste mesure du caractère « intrusif » que peuvent avoir les outils numériques. Je suis persuadée que cette matinée va nous permettre d'approfondir nos réflexions sur tous ces enjeux.
Je remercie tous les intervenants qui ont accepté de se libérer ce matin pour participer à ce colloque, ainsi que Bernard Benhamou, délégué aux usages de l'Internet, qui aura la tâche d'animer les débats.
Merci à vous.
Source http://www.strategie.gouv.fr, le 11 septembre 2009