Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de l'occasion que m'offre l'association Droit et Commerce, dont je connais la qualité et la réputation, de vous parler ce soir de la lutte contre le blanchiment des capitaux.
La drogue est un des plus grands fléaux de notre temps. La drogue tue des hommes, des femmes, des enfants. Elle provoque des drames personnels, elle brise des familles.
La lutte contre le trafic de drogue est un des grands devoirs de la Communauté internationale civilisée. Elle ne peut pas se limiter au trafic proprement dit. Dans l'action à mener contre la drogue, il faut à la fois prévenir le trafic, réprimer sévèrement les trafiquants et se préoccuper de réinsérer dans la vie sociale les victimes que sont en définitive les drogués. Beaucoup a été fait pour saisir la drogue, agir contre les intermédiaires.
Mais prévenir et réprimer, c'est aussi saisir, en aval du trafic, les profits considérables nés du commerce de la drogue. Il faut être impitoyable.
Ces profits sont criminels et doivent être traqués. C'est une question d'efficacité : ruiner le trafic est le meilleur moyen de le dissuader. C'est aussi une question de morale, et plus simplement de respect de l'ordre de droit dans notre société.
On ne peut pas tout laisser faire au nom de la liberté. Je suis un partisan convaincu des libertés économiques et je crois avoir uvré pour les accroître dans notre pays. J'ai moi-même introduit, en France, au début de cette année, la liberté des mouvements de capitaux. Cette liberté est donnée aux honnêtes gens. Elle n'est pas faite pour les criminels. La liberté n'est pas séparable du droit, en l'occurrence du droit à la vie et à la santé. La liberté n'est donc pas une licence aveugle, destinée à tolérer et à faciliter la dissimulation des profits criminels. De même, le secret bancaire, juste protection de la vie privée des affaires, ne peut être absolu et servir à abriter l'argent du crime.
Tels sont les principes qui inspirent la lutte contre le blanchiment des capitaux, que nous avons décidé d'intensifier. Ces principes font partie du patrimoine commun des démocraties. La loi du 12 juillet 1990 relative à "la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic de stupéfiants" a été votée, à l'Assemblée Nationale comme au Sénat, à l'unanimité. Elle est la mise en uvre d'un accord international très fort.
Avant de commenter les principales dispositions de la loi du 12 juillet 1990 puis de vous exposer les conditions de sa mise en uvre, je voudrais rappeler sa genèse, car elle émane d'un accord international.
L'impulsion politique fut donnée par le Sommet de l'Arche, en juillet 1989. A l'initiative du Président de la République française et du Président des États-Unis d'Amérique, les sept chefs d'État et de Gouvernement ont décidé de convoquer un groupe d'experts chargé "d'évaluer les résultats de la coopération déjà mise en uvre pour empêcher l'utilisation du système bancaire et des institutions financières aux fins de blanchir l'argent, et d'étudier des mesures préventives supplémentaires". Les ministres des finances ont été chargés de mettre en uvre cette décision. Mon collègue américain, M. BRADY, et moi-même avons aussitôt insisté pour que ce groupe d'experts ne se limite pas à une étude, mais propose des actions concrètes. D'où son nom de groupe d'action financière internationale, le GAFI.
La France a été chargée d'animer ce groupe, qui a été présidé par un haut fonctionnaire de mon ministère, M. SAMUEL-LAJEUNESSE, assisté de M. VINCENSINI, qui est à mes côtés ce soir.
Ce groupe associait quinze pays : les Sept, plus l'Australie, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse, ainsi que la Commission des Communautés européennes. Il a travaillé vite et bien. Son rapport, qui a été publié, a été remis dès février. Il comporte quarante recommandations d'action. Il a été formellement approuvé par tous les Gouvernements.
Nous sommes donc en présence d'un texte qui, en vertu de cette adhésion expresse, confirmée pour les Sept lors du Sommet de Houston, a acquis une force comparable à un accord international. Certes, il ne revêt pas la forme juridique habituelle d'une convention internationale. Mais le caractère substantiel et précis des recommandations, l'engagement solennel de tous les Gouvernements lui confèrent une grande autorité. L'État qui n'honorerait pas sa parole se mettrait en marge de la Communauté internationale.
Pour sa part, le Gouvernement français a décidé d'appliquer très vite la totalité des recommandations. Pour ceci, trois lois ont été adoptées.
La première a été présentée par le Ministre des Affaires Étrangères : la loi du 2 juillet 1990 a autorisé la ratification de la Convention des Nations Unies du 20 décembre 1988, dite Convention de Vienne, contre le trafic illicite de stupéfiants. Cette convention oblige les États signataires à réprimer pénalement le blanchiment de capitaux provenant du trafic de stupéfiants et à confisquer les profits de ce trafic. Nous le faisions déjà. Cette convention constitue la base juridique de l'entraide judiciaire internationale en matière de lutte contre le blanchiment.
Deuxièmement, le Parlement a adopté la semaine dernière, sur proposition du Garde des Sceaux, une loi adaptant la législation française aux dispositions de l'article 5 de cette Convention, de façon à permettre l'exécution en France de décisions judiciaires étrangères de confiscation de biens ayant servi au trafic ou de produits du trafic. Le dépôt de l'instrument de ratification de la Convention de Vienne interviendra très rapidement. Ainsi se trouveront respectées les recommandations du GAFI qui relèvent du droit pénal.
J'ai moi-même présenté la troisième loi, du 12 juillet 1990, qui a organisé la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment de capitaux provenant du trafic de stupéfiants.
Les innovations de cette loi du 12 juillet 1990 sont la stricte transposition dans notre droit interne des recommandations du GAFI visant à renforcer le rôle des institutions financières dans la lutte contre le blanchiment.
Le GAFI a procédé à une analyse des techniques et circuits de blanchiment. Il a mis en lumière leur complexité et leur diversité. La première étape, la plus simple, consiste toujours à convertir de grandes quantités d'espèces, souvent de petit montant unitaire, en dépôts bancaires dans les pays de consommation. Ensuite, s'organise la dissimulation. Elle consiste en général à exporter ces dépôts, de préférence vers des destinations où le droit bancaire, le droit des sociétés, le droit pénal rendent improbable la détection de leur origine criminelle, quand ils ne facilitent pas ouvertement la dissimulation de ces fonds sous couvert de sociétés prête-nom. Mais la seule circulation internationale des fonds rend à chaque étape plus difficile la détection et la preuve de leur origine criminelle.
Pour combattre ces circuits criminels très bien organisés, il est indispensable :
- premièrement que les organismes financiers apportent leur concours aux autorités ;
- deuxièmement que, munies de cette aide, les autorités judiciaires et administratives développent une coopération internationale, c'est-à-dire échangent des informations sur les transactions suspectes de blanchiment.
A - La principale disposition de la loi du 12 juillet est, comme vous le savez, la déclaration des soupçons de blanchiment par les banques et les autres institutions financières, qui organise la levée du secret bancaire dans des conditions juridiques tout à fait nouvelles.
Cette procédure de levée du secret bancaire présente quatre caractéristiques importantes. Elle intervient à l'initiative de la banque, elle repose sur la confiance mutuelle entre la banque et un service spécialisé de l'État, elle est couverte par un secret absolu, elle a pour objectif exclusif la lutte contre le blanchiment.
Initiative bancaire. C'est la première fois que le secret bancaire peut être levé à l'initiative de la banque. Cette dérogation à une règle fondamentale du droit bancaire est justifiée par la gravité des crimes en cause. C'est une nécessité. La plupart des opérations suspectes ne peuvent être détectées que par les banques. S'en tenir au silence, ce serait protéger le blanchiment.
Confiance mutuelle. La déclaration est obligatoire. Ce n'est pas une simple faculté que l'on décide ou non d'utiliser. Mais l'État fait confiance à l'honnêteté, à la moralité de la profession bancaire. Les banques ont la pleine responsabilité d'apprécier si une opération est susceptible de constituer un acte de blanchiment. Il n'y a pas de sanction pénale ni même administrative du défaut de déclaration en tant que tel : la bonne foi est présumée. Seuls la complicité, le recel, la concertation frauduleuse constituent des délits. Il y a bien sûr des sanctions administratives, qui relèvent des autorités de contrôle. Elles ne sanctionnent pas l'erreur ponctuelle, mais des défaillances systématiques - "carence des procédures internes de contrôle ou grave défaut de vigilance".
Naturellement, les organismes, leurs dirigeants ou employés qui déclarent de bonne foi, bénéficient d'immunités civiles pénales et professionnelles. Ces immunités s'appliquent même si la déclaration se révèle infondée. Les dirigeants et employés ne peuvent pas être poursuivis pénalement au titre de la violation du secret professionnel. La responsabilité civile des organismes financiers ne peut pas être mise en cause par leur client : c'est l'État qui répond du dommage éventuel.
Le secret. La confiance mutuelle repose sur la garantie que la coopération entre l'organisme financier et l'autorité administrative s'accomplit dans le secret.
Les déclarations sont reçues par un service spécialisé du ministère des finances, en charge du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins - TRACFIN ; plus précisément par une équipe d'agents spécialement habilités au sein de TRACFIN.
Les renseignements reçus par TRACFIN ne peuvent être communiqués qu'à un nombre limité de correspondants, eux-mêmes tenus au secret : officiers de police judiciaire et agents des douanes spécialisés dans la lutte contre la délinquance financière ou le trafic de drogue ; autorités de contrôle ; autorités étrangères exerçant des compétences analogues et offrant des garanties de secret. Cet échange confidentiel d'informations a pour objet d'évaluer la déclaration reçue et de rassembler les renseignements permettant de confirmer ou non le soupçon de blanchiment. Au terme de cet examen, il y a deux hypothèses :
- soit les informations se révèlent infondées ou ne permettent pas de conclure : j'ai déclaré au Parlement et je répète que TRACFIN ne les utilisera pas.
- soit les informations mettent en évidence des faits susceptibles de constituer une infraction de blanchiment, bref conduisent à une présomption : TRACFIN en réfère alors aussitôt au Procureur de la République. Le rôle du service de renseignement s'arrête là. Le Procureur pourra penser que le soupçon n'est pas étayé suffisamment : alors il classera l'affaire. Au cas contraire une enquête judiciaire sera ouverte.
Objet exclusif. Les informations que TRACFIN reçoit des organismes financiers ne peuvent être utilisées qu'"aux seules fins de la lutte contre le blanchiment". Pour répondre une nouvelle fois à une question souvent posée, cela signifie que ces informations ne pourront pas être utilisées à des fins fiscales. Cette règle a quatre conséquences.
Premièrement, les informations ne peuvent pas être communiquées au fisc.
Deuxièmement, les informations recueillies par TRACFIN et transmises au Procureur ne peuvent pas être utilisées à des fins fiscales si le Procureur décide de ne donner aucune suite judiciaire au titre soit du blanchiment, soit des infractions relatives au trafic de stupéfiants.
Lorsque, en revanche, une information judiciaire aura été ouverte au titre du blanchiment, les informations recueillies par la cellule sont à la libre disposition de la justice et pourront être utilisées à la fois pour la poursuite de l'infraction principale et de toutes les infractions connexes éventuelles.
Je rappelle enfin que l'article 40 du Code de Procédure Pénale s'applique naturellement à TRACFIN : c'est à dire que si le service spécialisé de TRACFIN acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, il est tenu d'en donner connaissance au Procureur, qui bien entendu reste maître de l'opportunité des poursuites. Ceci ne concerne pas en pratique les infractions fiscales, puisque l'engagement de l'action pénale relève, en cette matière, d'une procédure spécifique : dépôt de plainte par le Ministre, après avis favorable de la commission des infractions fiscales.
B - La loi du 12 juillet, comporte d'autres innovations. Elles concernent les obligations renforcées de vigilance des organismes financiers.
Je crois que l'on peut distinguer entre celles qui étendent au-delà de la profession bancaire des obligations qui existaient de longue date (identification des clients lors de l'entrée en relation, conservation des pièces relatives aux opérations), et celles qui introduisent des obligations nouvelles, au nombre de trois :
1) la suppression de l'anonymat entre l'organisme financier et son client.
Le GAFI proscrit l'anonymat, qui est un facteur permissif des circuits clandestins de blanchiment. Le Gouvernement a partagé cette analyse. Il est trop facile de dissimuler des fonds d'origine criminelle en acquérant des instruments anonymes cessibles sans formalité. Le seul fait pour les trafiquants de savoir qu'ils sont identifiés par l'organisme financier lors des achats de bons ou de titres au porteur ou de certaines transactions sur l'or, devrait les dissuader.
Bien sûr, l'anonymat vis-à-vis de l'administration fiscale, à la demande du client de la banque, est maintenu. Il correspond à de vieilles habitudes et ne peut être soupçonné de servir au blanchiment des capitaux. J'observe que l'opinion a bien compris la distinction entre l'anonymat bancaire, interdit, et l'anonymat fiscal, qui n'est pas modifié.
Enfin, l'identification systématique du client occasionnel - au-delà d'un seuil de 50 000 F, ou lors de l'ouverture d'un coffre - sera aussi utile pour dissuader les tentatives de blanchiment sous couvert d'anonymat.
2) L'obligation, pour un organisme financier, de se renseigner sur l'identité véritable des personnes au bénéfice desquelles un compte est ouvert ou une opération réalisée lorsqu'il lui apparaît que ces personnes pourraient ne pas agir pour leur propre compte.
La loi crée une obligation de moyens. En Suisse, la loi récente est beaucoup plus exigeante, car l'employé qui aura omis de vérifier, conformément à la vigilance requise, l'identité de l'ayant droit économique, c'est-à-dire du propriétaire réel des fonds, est exposé à des peines d'emprisonnement.
Notre système applique à la lettre la recommandation du GAFI, qui vise en particulier les sociétés de domicile et autres institutions sans activités industrielles ou commerciales agissant en fait pour le compte de tiers. Il faudra veiller à sa mise en uvre raisonnable vis à vis des professions soumises au secret professionnel à l'égard de leur propre clientèle.
3) Enfin, troisième obligation, la vigilance à l'égard des opérations importantes, d'une complexité inhabituelle, et qui ne paraissent pas avoir de justification économique ou d'objet licite.
Pour satisfaire cette obligation, l'organisme financier doit se renseigner auprès de son client et, le cas échéant, établir un compte rendu écrit, accessible à TRACFIN. Cette obligation, introduite par l'article 14 de la loi a déjà suscité des commentaires juridiques approfondis de la part d'auteurs aussi éminents que le Professeur VASSEUR ou M. Pierre BEZARD.
Sans prétendre épuiser le sujet, je me limiterai à quelques remarques simples :
- il est bien évident que, si l'examen particulier prescrit par cet article conduit l'organisme financier à avoir des soupçons de blanchiment de capitaux, il déclare l'opération à TRACFIN.
- lorsqu'au contraire le banquier acquiert, au terme de l'examen, la conviction que l'opération est licite et économiquement justifiée, il n'y a pas à établir un compte rendu. C'est la lecture de la loi elle-même.
- lorsque l'examen fait naître chez le banquier des doutes sur le caractère licite de l'opération - sans qu'il ait pour autant un soupçon de blanchiment - et que le banquier décide, conformément au droit bancaire traditionnel, de ne pas l'exécuter, il n'a pas non plus à établir de compte rendu pour une opération qui n'existe pas.
- lorsque l'examen n'est pas concluant, et que le banquier décide d'exécuter l'opération "au bénéfice du doute", il établit le compte rendu.
En tout état de cause, il doit être clair que les critères qui déclenchent l'examen particulier (importance, complexité inhabituelle, absence de justification économique apparente) sont cumulatifs. Par conséquent, il n'est pas demandé aux organismes financiers de surveiller toutes les opérations dépassant le montant, minimum, qui sera fixé à 1 million de Frs. Je répète que les dispositions de cette loi ne concernent en rien les clients honnêtes. Quand bien même feraient-ils des opérations très importantes et d'une complexité inhabituelle, ils ne seront pas l'objet d'une surveillance permanente ou sournoise de leurs banquiers. Ce n'est ni la lettre ni l'esprit de la loi, laquelle prend soin de préciser que les compte rendus ne sont communicables qu'à TRACFIN et à l'autorité de contrôle et qu'ils ne peuvent être utilisés à d'autres fins que celles prévues par la loi du 12 juillet.
Le rapport du GAFI a d'ailleurs donné un exemple d'opérations justifiant une vigilance particulière, en citant les transactions complexes réalisées avec personnes physiques ou morales résidant dans des paradis financiers, ou plus généralement dans des pays qui refuseraient d'appliquer les recommandations du GAFI.
J'en viens à la mise en uvre concrète de la loi du 12 juillet 1990. Le décret d'application, qui confiera à TRACFIN l'exercice des compétences créées par la loi, est en cours d'examen au Conseil d'État. Les hommes ont été recrutés et formés. Sitôt le décret publié, TRACFIN sera opérationnel.
Il lui reviendra d'expertiser les renseignements utiles à la lutte contre le blanchiment émanant des organismes financiers et de coopérer avec ses homologues étrangers. Les agents composant ce service sont placés sous l'autorité d'un haut fonctionnaire d'une grande expérience et d'une grande rigueur, M. Jean-Claude SAFFACHE, présent ici ce soir, qui a toute notre confiance. Les agents qui dépendent de lui recevront une habilitation spéciale de ma part, les autorisant à recueillir les déclarations de soupçon et plus généralement à exercer les attributions que prévoit la loi.
Ces agents seront issus pour la plupart de l'administration des douanes. Ils perdront, du fait de cette habilitation spéciale, la possibilité d'utiliser concurremment les pouvoirs d'enquête dévolus aux agents des douanes. La loi leur confère un pouvoir d'action particulier, qui est de s'opposer à l'exécution d'une opération faisant l'objet d'une déclaration. Il s'agit d'une procédure exceptionnelle, qui vise un cas bien précis : prévenir le risque que les fonds s'évanouissent vers une destination étrangère indulgente et protectrice. L'opposition est valable douze heures. Au-delà, elle doit être confirmée par un ordre de séquestre délivré par le juge.
Une cloison étanche séparera le service anti-blanchiment de TRACFIN et l'administration fiscale. Michel CHARASSE et moi-même avons donné instruction au Secrétaire Général de TRACFIN de prendre les dispositions propres à prévenir toute exploitation fiscale, même accidentelle, des renseignements recueillis auprès des organismes financiers. L'administration fiscale a des droits de communication propres. La loi n'a pas pour objet de les modifier, en aucun sens.
Permettez-moi d'insister sur un point essentiel : le succès de l'action de TRACFIN dépend entièrement de la qualité du concours des organismes financiers.
Je sais qu'un effort particulier leur est demandé, du fait de la difficulté de détecter les opérations de blanchiment. Le blanchiment est par nature un acte très élaboré de dissimulation de fonds d'origine criminelle.
La bonne application de la loi repose sur le jugement et la rigueur professionnelle des dirigeants et des employés des organismes financiers, à tous les niveaux de leur hiérarchie, qu'il s'agisse de la déclaration, de l'identification ou de l'établissement des comptes-rendus.
L'obligation de déclaration incombe à l'organisme financier et non à la personne présente au guichet. Mais c'est elle qui déclenchera l'alerte au sein de la maison. Les règles internes aux établissements définiront les personnes habilitées à faire la déclaration, afin que les déclarations soient faites en bon ordre, à bon escient et sous le contrôle de la hiérarchie des établissements eux-mêmes.
Le projet de décret prévoit cependant que, dans des cas exceptionnels où l'urgence prime, l'employé puisse faire lui-même la déclaration. Il doit en rendre compte dans les meilleurs délais à sa hiérarchie. Il bénéficie alors des immunités pénales, civiles et professionnelles.
Je sais que les banques ont déjà beaucoup réfléchi à la mise en uvre de loi et ont identifié de nombreuses questions. J'évoquerai deux d'entre elles souvent posées.
- quand, après avoir fait une déclaration de bonne foi, l'organisme financier reçoit un accusé de réception sans opposition du service, que doit-il faire ? Certains estiment que, son soupçon de blanchiment n'ayant pas disparu, il devrait refuser d'exécuter l'opération. Cette attitude est tout à fait possible. En sens contraire, la loi lui donne la certitude d'être protégé, s'il décide d'exécuter l'opération, contre toute poursuite pénale et dégagé de toute responsabilité.
- si, à l'occasion d'une opération qui lui est proposée, l'établissement conçoit des soupçons de blanchiment et refuse d'emblée l'opération, doit-il faire la déclaration ? Mon avis est que la loi, pour qui le fait générateur de la déclaration est l'apparition du soupçon, l'exige. Je ne fais que rejoindre l'opinion exprimée par d'éminents auteurs.
Il y aura des difficultés d'interprétation. Une bonne concertation sur le modèle de celle qui a précédé l'élaboration de la loi permettra de les résoudre :
- les organisations professionnelles ont un rôle pédagogique important à jouer vis à vis de leurs adhérents, et en premier lieu des "correspondants blanchiment" de chaque établissement. Elles pourront s'appuyer, comme le fait déjà l'AFB, sur leur connaissance des règles et pratiques en vigueur dans certaines banques françaises ou étrangères plus avancées que d'autres, y compris en termes d'organisation interne des établissements et de consignes de vigilance au personnel.
- les autorités de contrôle - la Commission Bancaire par exemple - acquerront à l'expérience une vision d'ensemble des mesures adoptées par les organismes, et pourront en apprécier l'efficacité ou au contraire la lourdeur, et suggérer les approches et méthodes qui leur paraîtront les meilleures. Elles aussi conseilleront les "Correspondants Blanchiment".
- le service TRACFIN sera sans doute assez rapidement en mesure de porter un jugement sur le comportement des organismes financiers à son égard : excès de zèle ou excès de prudence dans les déclarations des uns ou des autres, efficacité plus ou moins grande, de son point de vue, des modes d'organisation retenus. Il pourra donc émettre des avis et recommandations de caractère général, en plus de son rôle d'information sur les méthodes et les circuits de blanchiment. Il sera bien placé pour le faire grâce à ses contacts étroits avec les autorités judiciaires et de police, ainsi qu'avec ses homologues étrangers.
- les autorités qui réglementent pourront elles aussi tirer les conséquences de l'expérience en faisant évoluer les textes si nécessaire.
Bref, je fais confiance à la bonne volonté de tous et aux vertus de l'expérience.
Au terme de mon propos, je voudrais indiquer rapidement les directions dans lesquelles se poursuit notre coopération internationale.
1) D'ores et déjà, conformément au mandat donné par les chefs d'État lors du Sommet de Houston en juillet dernier, le GAFI a repris ses travaux, "pour évaluer et faciliter l'application de ses recommandations, et les compléter là où cela sera nécessaire". Il s'est réuni, lundi dernier, à Paris, en formation élargie. Il rassemble désormais tous les pays de l'OCDE et des pays ayant des places financières importantes.
Ses tâches prioritaires ont été rappelées. 1) étendre l'application de ses recommandations au plus grand nombre possible de pays ; 2) surveiller la mise en uvre effective de ses recommandations dans tous les pays qui les ont approuvées ; 3) résoudre les difficultés rencontrées dans cette mise en uvre.
2) D'autre part, le Conseil des communautés européennes examine actuellement un projet de Directive dont les termes s'inspirent étroitement des recommandations du GAFI.
Il est en effet judicieux que tous les pays de la Communauté Européenne se dotent de règles juridiques harmonisées, pour protéger l'ensemble du système financier européen contre le blanchiment mais aussi pour éviter que le laxisme éventuel de certains serve indûment d'argument concurrentiel.
La lutte que la Communauté internationale a engagé contre le blanchiment des profits considérables engendrés par le trafic de drogue est une tâche difficile, de longue haleine.
Lors du débat parlementaire, j'ai dit que j'étais convaincu que notre système financier était foncièrement sain et honnête. L'adhésion des professions financières à cette réforme, leur volonté de coopérer en toute confiance avec le service TRACFIN me confortent dans ce jugement.
Ma principale satisfaction serait que notre détermination collective dissuade les trafiquants de s'aventurer dans notre pays. Mais rien n'est sûr. Il peut y avoir des failles et la bonne foi peut être abusée. C'est pourquoi j'appelle tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ont la charge d'appliquer cette loi, à faire preuve de la plus grande vigilance.
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de l'occasion que m'offre l'association Droit et Commerce, dont je connais la qualité et la réputation, de vous parler ce soir de la lutte contre le blanchiment des capitaux.
La drogue est un des plus grands fléaux de notre temps. La drogue tue des hommes, des femmes, des enfants. Elle provoque des drames personnels, elle brise des familles.
La lutte contre le trafic de drogue est un des grands devoirs de la Communauté internationale civilisée. Elle ne peut pas se limiter au trafic proprement dit. Dans l'action à mener contre la drogue, il faut à la fois prévenir le trafic, réprimer sévèrement les trafiquants et se préoccuper de réinsérer dans la vie sociale les victimes que sont en définitive les drogués. Beaucoup a été fait pour saisir la drogue, agir contre les intermédiaires.
Mais prévenir et réprimer, c'est aussi saisir, en aval du trafic, les profits considérables nés du commerce de la drogue. Il faut être impitoyable.
Ces profits sont criminels et doivent être traqués. C'est une question d'efficacité : ruiner le trafic est le meilleur moyen de le dissuader. C'est aussi une question de morale, et plus simplement de respect de l'ordre de droit dans notre société.
On ne peut pas tout laisser faire au nom de la liberté. Je suis un partisan convaincu des libertés économiques et je crois avoir uvré pour les accroître dans notre pays. J'ai moi-même introduit, en France, au début de cette année, la liberté des mouvements de capitaux. Cette liberté est donnée aux honnêtes gens. Elle n'est pas faite pour les criminels. La liberté n'est pas séparable du droit, en l'occurrence du droit à la vie et à la santé. La liberté n'est donc pas une licence aveugle, destinée à tolérer et à faciliter la dissimulation des profits criminels. De même, le secret bancaire, juste protection de la vie privée des affaires, ne peut être absolu et servir à abriter l'argent du crime.
Tels sont les principes qui inspirent la lutte contre le blanchiment des capitaux, que nous avons décidé d'intensifier. Ces principes font partie du patrimoine commun des démocraties. La loi du 12 juillet 1990 relative à "la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic de stupéfiants" a été votée, à l'Assemblée Nationale comme au Sénat, à l'unanimité. Elle est la mise en uvre d'un accord international très fort.
Avant de commenter les principales dispositions de la loi du 12 juillet 1990 puis de vous exposer les conditions de sa mise en uvre, je voudrais rappeler sa genèse, car elle émane d'un accord international.
L'impulsion politique fut donnée par le Sommet de l'Arche, en juillet 1989. A l'initiative du Président de la République française et du Président des États-Unis d'Amérique, les sept chefs d'État et de Gouvernement ont décidé de convoquer un groupe d'experts chargé "d'évaluer les résultats de la coopération déjà mise en uvre pour empêcher l'utilisation du système bancaire et des institutions financières aux fins de blanchir l'argent, et d'étudier des mesures préventives supplémentaires". Les ministres des finances ont été chargés de mettre en uvre cette décision. Mon collègue américain, M. BRADY, et moi-même avons aussitôt insisté pour que ce groupe d'experts ne se limite pas à une étude, mais propose des actions concrètes. D'où son nom de groupe d'action financière internationale, le GAFI.
La France a été chargée d'animer ce groupe, qui a été présidé par un haut fonctionnaire de mon ministère, M. SAMUEL-LAJEUNESSE, assisté de M. VINCENSINI, qui est à mes côtés ce soir.
Ce groupe associait quinze pays : les Sept, plus l'Australie, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse, ainsi que la Commission des Communautés européennes. Il a travaillé vite et bien. Son rapport, qui a été publié, a été remis dès février. Il comporte quarante recommandations d'action. Il a été formellement approuvé par tous les Gouvernements.
Nous sommes donc en présence d'un texte qui, en vertu de cette adhésion expresse, confirmée pour les Sept lors du Sommet de Houston, a acquis une force comparable à un accord international. Certes, il ne revêt pas la forme juridique habituelle d'une convention internationale. Mais le caractère substantiel et précis des recommandations, l'engagement solennel de tous les Gouvernements lui confèrent une grande autorité. L'État qui n'honorerait pas sa parole se mettrait en marge de la Communauté internationale.
Pour sa part, le Gouvernement français a décidé d'appliquer très vite la totalité des recommandations. Pour ceci, trois lois ont été adoptées.
La première a été présentée par le Ministre des Affaires Étrangères : la loi du 2 juillet 1990 a autorisé la ratification de la Convention des Nations Unies du 20 décembre 1988, dite Convention de Vienne, contre le trafic illicite de stupéfiants. Cette convention oblige les États signataires à réprimer pénalement le blanchiment de capitaux provenant du trafic de stupéfiants et à confisquer les profits de ce trafic. Nous le faisions déjà. Cette convention constitue la base juridique de l'entraide judiciaire internationale en matière de lutte contre le blanchiment.
Deuxièmement, le Parlement a adopté la semaine dernière, sur proposition du Garde des Sceaux, une loi adaptant la législation française aux dispositions de l'article 5 de cette Convention, de façon à permettre l'exécution en France de décisions judiciaires étrangères de confiscation de biens ayant servi au trafic ou de produits du trafic. Le dépôt de l'instrument de ratification de la Convention de Vienne interviendra très rapidement. Ainsi se trouveront respectées les recommandations du GAFI qui relèvent du droit pénal.
J'ai moi-même présenté la troisième loi, du 12 juillet 1990, qui a organisé la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment de capitaux provenant du trafic de stupéfiants.
Les innovations de cette loi du 12 juillet 1990 sont la stricte transposition dans notre droit interne des recommandations du GAFI visant à renforcer le rôle des institutions financières dans la lutte contre le blanchiment.
Le GAFI a procédé à une analyse des techniques et circuits de blanchiment. Il a mis en lumière leur complexité et leur diversité. La première étape, la plus simple, consiste toujours à convertir de grandes quantités d'espèces, souvent de petit montant unitaire, en dépôts bancaires dans les pays de consommation. Ensuite, s'organise la dissimulation. Elle consiste en général à exporter ces dépôts, de préférence vers des destinations où le droit bancaire, le droit des sociétés, le droit pénal rendent improbable la détection de leur origine criminelle, quand ils ne facilitent pas ouvertement la dissimulation de ces fonds sous couvert de sociétés prête-nom. Mais la seule circulation internationale des fonds rend à chaque étape plus difficile la détection et la preuve de leur origine criminelle.
Pour combattre ces circuits criminels très bien organisés, il est indispensable :
- premièrement que les organismes financiers apportent leur concours aux autorités ;
- deuxièmement que, munies de cette aide, les autorités judiciaires et administratives développent une coopération internationale, c'est-à-dire échangent des informations sur les transactions suspectes de blanchiment.
A - La principale disposition de la loi du 12 juillet est, comme vous le savez, la déclaration des soupçons de blanchiment par les banques et les autres institutions financières, qui organise la levée du secret bancaire dans des conditions juridiques tout à fait nouvelles.
Cette procédure de levée du secret bancaire présente quatre caractéristiques importantes. Elle intervient à l'initiative de la banque, elle repose sur la confiance mutuelle entre la banque et un service spécialisé de l'État, elle est couverte par un secret absolu, elle a pour objectif exclusif la lutte contre le blanchiment.
Initiative bancaire. C'est la première fois que le secret bancaire peut être levé à l'initiative de la banque. Cette dérogation à une règle fondamentale du droit bancaire est justifiée par la gravité des crimes en cause. C'est une nécessité. La plupart des opérations suspectes ne peuvent être détectées que par les banques. S'en tenir au silence, ce serait protéger le blanchiment.
Confiance mutuelle. La déclaration est obligatoire. Ce n'est pas une simple faculté que l'on décide ou non d'utiliser. Mais l'État fait confiance à l'honnêteté, à la moralité de la profession bancaire. Les banques ont la pleine responsabilité d'apprécier si une opération est susceptible de constituer un acte de blanchiment. Il n'y a pas de sanction pénale ni même administrative du défaut de déclaration en tant que tel : la bonne foi est présumée. Seuls la complicité, le recel, la concertation frauduleuse constituent des délits. Il y a bien sûr des sanctions administratives, qui relèvent des autorités de contrôle. Elles ne sanctionnent pas l'erreur ponctuelle, mais des défaillances systématiques - "carence des procédures internes de contrôle ou grave défaut de vigilance".
Naturellement, les organismes, leurs dirigeants ou employés qui déclarent de bonne foi, bénéficient d'immunités civiles pénales et professionnelles. Ces immunités s'appliquent même si la déclaration se révèle infondée. Les dirigeants et employés ne peuvent pas être poursuivis pénalement au titre de la violation du secret professionnel. La responsabilité civile des organismes financiers ne peut pas être mise en cause par leur client : c'est l'État qui répond du dommage éventuel.
Le secret. La confiance mutuelle repose sur la garantie que la coopération entre l'organisme financier et l'autorité administrative s'accomplit dans le secret.
Les déclarations sont reçues par un service spécialisé du ministère des finances, en charge du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins - TRACFIN ; plus précisément par une équipe d'agents spécialement habilités au sein de TRACFIN.
Les renseignements reçus par TRACFIN ne peuvent être communiqués qu'à un nombre limité de correspondants, eux-mêmes tenus au secret : officiers de police judiciaire et agents des douanes spécialisés dans la lutte contre la délinquance financière ou le trafic de drogue ; autorités de contrôle ; autorités étrangères exerçant des compétences analogues et offrant des garanties de secret. Cet échange confidentiel d'informations a pour objet d'évaluer la déclaration reçue et de rassembler les renseignements permettant de confirmer ou non le soupçon de blanchiment. Au terme de cet examen, il y a deux hypothèses :
- soit les informations se révèlent infondées ou ne permettent pas de conclure : j'ai déclaré au Parlement et je répète que TRACFIN ne les utilisera pas.
- soit les informations mettent en évidence des faits susceptibles de constituer une infraction de blanchiment, bref conduisent à une présomption : TRACFIN en réfère alors aussitôt au Procureur de la République. Le rôle du service de renseignement s'arrête là. Le Procureur pourra penser que le soupçon n'est pas étayé suffisamment : alors il classera l'affaire. Au cas contraire une enquête judiciaire sera ouverte.
Objet exclusif. Les informations que TRACFIN reçoit des organismes financiers ne peuvent être utilisées qu'"aux seules fins de la lutte contre le blanchiment". Pour répondre une nouvelle fois à une question souvent posée, cela signifie que ces informations ne pourront pas être utilisées à des fins fiscales. Cette règle a quatre conséquences.
Premièrement, les informations ne peuvent pas être communiquées au fisc.
Deuxièmement, les informations recueillies par TRACFIN et transmises au Procureur ne peuvent pas être utilisées à des fins fiscales si le Procureur décide de ne donner aucune suite judiciaire au titre soit du blanchiment, soit des infractions relatives au trafic de stupéfiants.
Lorsque, en revanche, une information judiciaire aura été ouverte au titre du blanchiment, les informations recueillies par la cellule sont à la libre disposition de la justice et pourront être utilisées à la fois pour la poursuite de l'infraction principale et de toutes les infractions connexes éventuelles.
Je rappelle enfin que l'article 40 du Code de Procédure Pénale s'applique naturellement à TRACFIN : c'est à dire que si le service spécialisé de TRACFIN acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, il est tenu d'en donner connaissance au Procureur, qui bien entendu reste maître de l'opportunité des poursuites. Ceci ne concerne pas en pratique les infractions fiscales, puisque l'engagement de l'action pénale relève, en cette matière, d'une procédure spécifique : dépôt de plainte par le Ministre, après avis favorable de la commission des infractions fiscales.
B - La loi du 12 juillet, comporte d'autres innovations. Elles concernent les obligations renforcées de vigilance des organismes financiers.
Je crois que l'on peut distinguer entre celles qui étendent au-delà de la profession bancaire des obligations qui existaient de longue date (identification des clients lors de l'entrée en relation, conservation des pièces relatives aux opérations), et celles qui introduisent des obligations nouvelles, au nombre de trois :
1) la suppression de l'anonymat entre l'organisme financier et son client.
Le GAFI proscrit l'anonymat, qui est un facteur permissif des circuits clandestins de blanchiment. Le Gouvernement a partagé cette analyse. Il est trop facile de dissimuler des fonds d'origine criminelle en acquérant des instruments anonymes cessibles sans formalité. Le seul fait pour les trafiquants de savoir qu'ils sont identifiés par l'organisme financier lors des achats de bons ou de titres au porteur ou de certaines transactions sur l'or, devrait les dissuader.
Bien sûr, l'anonymat vis-à-vis de l'administration fiscale, à la demande du client de la banque, est maintenu. Il correspond à de vieilles habitudes et ne peut être soupçonné de servir au blanchiment des capitaux. J'observe que l'opinion a bien compris la distinction entre l'anonymat bancaire, interdit, et l'anonymat fiscal, qui n'est pas modifié.
Enfin, l'identification systématique du client occasionnel - au-delà d'un seuil de 50 000 F, ou lors de l'ouverture d'un coffre - sera aussi utile pour dissuader les tentatives de blanchiment sous couvert d'anonymat.
2) L'obligation, pour un organisme financier, de se renseigner sur l'identité véritable des personnes au bénéfice desquelles un compte est ouvert ou une opération réalisée lorsqu'il lui apparaît que ces personnes pourraient ne pas agir pour leur propre compte.
La loi crée une obligation de moyens. En Suisse, la loi récente est beaucoup plus exigeante, car l'employé qui aura omis de vérifier, conformément à la vigilance requise, l'identité de l'ayant droit économique, c'est-à-dire du propriétaire réel des fonds, est exposé à des peines d'emprisonnement.
Notre système applique à la lettre la recommandation du GAFI, qui vise en particulier les sociétés de domicile et autres institutions sans activités industrielles ou commerciales agissant en fait pour le compte de tiers. Il faudra veiller à sa mise en uvre raisonnable vis à vis des professions soumises au secret professionnel à l'égard de leur propre clientèle.
3) Enfin, troisième obligation, la vigilance à l'égard des opérations importantes, d'une complexité inhabituelle, et qui ne paraissent pas avoir de justification économique ou d'objet licite.
Pour satisfaire cette obligation, l'organisme financier doit se renseigner auprès de son client et, le cas échéant, établir un compte rendu écrit, accessible à TRACFIN. Cette obligation, introduite par l'article 14 de la loi a déjà suscité des commentaires juridiques approfondis de la part d'auteurs aussi éminents que le Professeur VASSEUR ou M. Pierre BEZARD.
Sans prétendre épuiser le sujet, je me limiterai à quelques remarques simples :
- il est bien évident que, si l'examen particulier prescrit par cet article conduit l'organisme financier à avoir des soupçons de blanchiment de capitaux, il déclare l'opération à TRACFIN.
- lorsqu'au contraire le banquier acquiert, au terme de l'examen, la conviction que l'opération est licite et économiquement justifiée, il n'y a pas à établir un compte rendu. C'est la lecture de la loi elle-même.
- lorsque l'examen fait naître chez le banquier des doutes sur le caractère licite de l'opération - sans qu'il ait pour autant un soupçon de blanchiment - et que le banquier décide, conformément au droit bancaire traditionnel, de ne pas l'exécuter, il n'a pas non plus à établir de compte rendu pour une opération qui n'existe pas.
- lorsque l'examen n'est pas concluant, et que le banquier décide d'exécuter l'opération "au bénéfice du doute", il établit le compte rendu.
En tout état de cause, il doit être clair que les critères qui déclenchent l'examen particulier (importance, complexité inhabituelle, absence de justification économique apparente) sont cumulatifs. Par conséquent, il n'est pas demandé aux organismes financiers de surveiller toutes les opérations dépassant le montant, minimum, qui sera fixé à 1 million de Frs. Je répète que les dispositions de cette loi ne concernent en rien les clients honnêtes. Quand bien même feraient-ils des opérations très importantes et d'une complexité inhabituelle, ils ne seront pas l'objet d'une surveillance permanente ou sournoise de leurs banquiers. Ce n'est ni la lettre ni l'esprit de la loi, laquelle prend soin de préciser que les compte rendus ne sont communicables qu'à TRACFIN et à l'autorité de contrôle et qu'ils ne peuvent être utilisés à d'autres fins que celles prévues par la loi du 12 juillet.
Le rapport du GAFI a d'ailleurs donné un exemple d'opérations justifiant une vigilance particulière, en citant les transactions complexes réalisées avec personnes physiques ou morales résidant dans des paradis financiers, ou plus généralement dans des pays qui refuseraient d'appliquer les recommandations du GAFI.
J'en viens à la mise en uvre concrète de la loi du 12 juillet 1990. Le décret d'application, qui confiera à TRACFIN l'exercice des compétences créées par la loi, est en cours d'examen au Conseil d'État. Les hommes ont été recrutés et formés. Sitôt le décret publié, TRACFIN sera opérationnel.
Il lui reviendra d'expertiser les renseignements utiles à la lutte contre le blanchiment émanant des organismes financiers et de coopérer avec ses homologues étrangers. Les agents composant ce service sont placés sous l'autorité d'un haut fonctionnaire d'une grande expérience et d'une grande rigueur, M. Jean-Claude SAFFACHE, présent ici ce soir, qui a toute notre confiance. Les agents qui dépendent de lui recevront une habilitation spéciale de ma part, les autorisant à recueillir les déclarations de soupçon et plus généralement à exercer les attributions que prévoit la loi.
Ces agents seront issus pour la plupart de l'administration des douanes. Ils perdront, du fait de cette habilitation spéciale, la possibilité d'utiliser concurremment les pouvoirs d'enquête dévolus aux agents des douanes. La loi leur confère un pouvoir d'action particulier, qui est de s'opposer à l'exécution d'une opération faisant l'objet d'une déclaration. Il s'agit d'une procédure exceptionnelle, qui vise un cas bien précis : prévenir le risque que les fonds s'évanouissent vers une destination étrangère indulgente et protectrice. L'opposition est valable douze heures. Au-delà, elle doit être confirmée par un ordre de séquestre délivré par le juge.
Une cloison étanche séparera le service anti-blanchiment de TRACFIN et l'administration fiscale. Michel CHARASSE et moi-même avons donné instruction au Secrétaire Général de TRACFIN de prendre les dispositions propres à prévenir toute exploitation fiscale, même accidentelle, des renseignements recueillis auprès des organismes financiers. L'administration fiscale a des droits de communication propres. La loi n'a pas pour objet de les modifier, en aucun sens.
Permettez-moi d'insister sur un point essentiel : le succès de l'action de TRACFIN dépend entièrement de la qualité du concours des organismes financiers.
Je sais qu'un effort particulier leur est demandé, du fait de la difficulté de détecter les opérations de blanchiment. Le blanchiment est par nature un acte très élaboré de dissimulation de fonds d'origine criminelle.
La bonne application de la loi repose sur le jugement et la rigueur professionnelle des dirigeants et des employés des organismes financiers, à tous les niveaux de leur hiérarchie, qu'il s'agisse de la déclaration, de l'identification ou de l'établissement des comptes-rendus.
L'obligation de déclaration incombe à l'organisme financier et non à la personne présente au guichet. Mais c'est elle qui déclenchera l'alerte au sein de la maison. Les règles internes aux établissements définiront les personnes habilitées à faire la déclaration, afin que les déclarations soient faites en bon ordre, à bon escient et sous le contrôle de la hiérarchie des établissements eux-mêmes.
Le projet de décret prévoit cependant que, dans des cas exceptionnels où l'urgence prime, l'employé puisse faire lui-même la déclaration. Il doit en rendre compte dans les meilleurs délais à sa hiérarchie. Il bénéficie alors des immunités pénales, civiles et professionnelles.
Je sais que les banques ont déjà beaucoup réfléchi à la mise en uvre de loi et ont identifié de nombreuses questions. J'évoquerai deux d'entre elles souvent posées.
- quand, après avoir fait une déclaration de bonne foi, l'organisme financier reçoit un accusé de réception sans opposition du service, que doit-il faire ? Certains estiment que, son soupçon de blanchiment n'ayant pas disparu, il devrait refuser d'exécuter l'opération. Cette attitude est tout à fait possible. En sens contraire, la loi lui donne la certitude d'être protégé, s'il décide d'exécuter l'opération, contre toute poursuite pénale et dégagé de toute responsabilité.
- si, à l'occasion d'une opération qui lui est proposée, l'établissement conçoit des soupçons de blanchiment et refuse d'emblée l'opération, doit-il faire la déclaration ? Mon avis est que la loi, pour qui le fait générateur de la déclaration est l'apparition du soupçon, l'exige. Je ne fais que rejoindre l'opinion exprimée par d'éminents auteurs.
Il y aura des difficultés d'interprétation. Une bonne concertation sur le modèle de celle qui a précédé l'élaboration de la loi permettra de les résoudre :
- les organisations professionnelles ont un rôle pédagogique important à jouer vis à vis de leurs adhérents, et en premier lieu des "correspondants blanchiment" de chaque établissement. Elles pourront s'appuyer, comme le fait déjà l'AFB, sur leur connaissance des règles et pratiques en vigueur dans certaines banques françaises ou étrangères plus avancées que d'autres, y compris en termes d'organisation interne des établissements et de consignes de vigilance au personnel.
- les autorités de contrôle - la Commission Bancaire par exemple - acquerront à l'expérience une vision d'ensemble des mesures adoptées par les organismes, et pourront en apprécier l'efficacité ou au contraire la lourdeur, et suggérer les approches et méthodes qui leur paraîtront les meilleures. Elles aussi conseilleront les "Correspondants Blanchiment".
- le service TRACFIN sera sans doute assez rapidement en mesure de porter un jugement sur le comportement des organismes financiers à son égard : excès de zèle ou excès de prudence dans les déclarations des uns ou des autres, efficacité plus ou moins grande, de son point de vue, des modes d'organisation retenus. Il pourra donc émettre des avis et recommandations de caractère général, en plus de son rôle d'information sur les méthodes et les circuits de blanchiment. Il sera bien placé pour le faire grâce à ses contacts étroits avec les autorités judiciaires et de police, ainsi qu'avec ses homologues étrangers.
- les autorités qui réglementent pourront elles aussi tirer les conséquences de l'expérience en faisant évoluer les textes si nécessaire.
Bref, je fais confiance à la bonne volonté de tous et aux vertus de l'expérience.
Au terme de mon propos, je voudrais indiquer rapidement les directions dans lesquelles se poursuit notre coopération internationale.
1) D'ores et déjà, conformément au mandat donné par les chefs d'État lors du Sommet de Houston en juillet dernier, le GAFI a repris ses travaux, "pour évaluer et faciliter l'application de ses recommandations, et les compléter là où cela sera nécessaire". Il s'est réuni, lundi dernier, à Paris, en formation élargie. Il rassemble désormais tous les pays de l'OCDE et des pays ayant des places financières importantes.
Ses tâches prioritaires ont été rappelées. 1) étendre l'application de ses recommandations au plus grand nombre possible de pays ; 2) surveiller la mise en uvre effective de ses recommandations dans tous les pays qui les ont approuvées ; 3) résoudre les difficultés rencontrées dans cette mise en uvre.
2) D'autre part, le Conseil des communautés européennes examine actuellement un projet de Directive dont les termes s'inspirent étroitement des recommandations du GAFI.
Il est en effet judicieux que tous les pays de la Communauté Européenne se dotent de règles juridiques harmonisées, pour protéger l'ensemble du système financier européen contre le blanchiment mais aussi pour éviter que le laxisme éventuel de certains serve indûment d'argument concurrentiel.
La lutte que la Communauté internationale a engagé contre le blanchiment des profits considérables engendrés par le trafic de drogue est une tâche difficile, de longue haleine.
Lors du débat parlementaire, j'ai dit que j'étais convaincu que notre système financier était foncièrement sain et honnête. L'adhésion des professions financières à cette réforme, leur volonté de coopérer en toute confiance avec le service TRACFIN me confortent dans ce jugement.
Ma principale satisfaction serait que notre détermination collective dissuade les trafiquants de s'aventurer dans notre pays. Mais rien n'est sûr. Il peut y avoir des failles et la bonne foi peut être abusée. C'est pourquoi j'appelle tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ont la charge d'appliquer cette loi, à faire preuve de la plus grande vigilance.