Interview de M. Michel Mercier, ministre de la justice et des libertés, à Europe 1 le 19 novembre 2010, sur l'indépendance de la justice, la réforme de la garde à vue et la perspective, évoquée par le Président de la République, d'introduction de jurés populaires dans les Tribunaux correctionnels ou auprès du juge d'application des peines.

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Média : Europe 1

Texte intégral

M. Mercier

Europe 1 8h20

Vendredi 19 novembre 2010


J.-P. Elkabbach.- En matière de justice, il n'y a pas d'état de grâce, tout de suite il faut être dans le bain. M. Mercier, bonjour.

Bonjour.

Etes-vous prêt à plonger ? On y va ?

Ecoutez, je suis prêt à travailler.

Karachi : le Juge et les avocats demandent la levée du « secret défense » est-ce que vous soutenez leur demande ?

Ecoutez, moi, je suis ministre de la Justice et j'ai comme règle toute simple, de ne pas intervenir dans les instructions en cours. Il y a une instruction, un Juge d'instruction, il utilise les procédures existantes, il doit les utiliser et je n'ai rien à dire.

Mais est-ce que vous êtes favorable à...

Je n'ai... monsieur Elkabbach, si je commence mon travail de ministre de la Justice en intervenant dans les instructions des procès en cours, ça ne va pas marcher. Je ne ferai jamais ça !

Alors, est-ce que vous, vous engagez ici, à ce que toute la vérité soit faite au moins sur Karachi ?

Ecoutez, la justice s'en ait saisi, moi, j'ai confiance dans les magistrats de ce pays. Et je pense qu'ils feront bien leur travail.

Vous savez, que vous êtes surveillé par E. Joly attention ?

Je sais que je suis surveillé par tout le monde. Et que c'est l'un des principaux des avantages de ce ministère.

Les familles des victimes de l'attentat, réclament l'audition des messieurs Chirac et Villepin, est-ce que c'est possible ?

Ecoutez, je pense que monsieur Chirac et monsieur de Villepin n'étaient peut-être pas en poste au moment de l'affaire de Karachi.

C'est-à-dire de la vente des sous-marins.

Oui, je pense qu'ils n'étaient pas en poste.

C'était le Gouvernement de cohabitation.

Mais je vous le redis très clairement, et très nettement : il y a une instruction en cours. L'instruction en plus est couverte par le secret de l'instruction, vous me direz que ça ne se voit pas forcément, mais que néanmoins je le respecte et je respecte le magistrat qui a la charge du dossier. En tant que ministre de la Justice, je me refuse à intervenir.

Qu'est-ce que vous dites à E. Joly ?

Si je la rencontre, je lui dirais bonjour.

Oui, c'est tout ? Mais vous la comprenez ?

Je la comprends.

Le Tribunal de Bordeaux choisi pour l'affaire Bettencourt va bientôt désigner un ou deux Juges d'instruction pour reprendre le dossier, là où le procureur Courroye l'a laissé à 3 semaines de ses conclusions. Est-ce que vous souhaitez, monsieur le ministre de la Justice, que l'affaire soit bouclée avant ou après 2012 ?

Ecoutez, il appartient au magistrat saisi, d'en décider. Mais je pense que 2012, c'est quand même loin et que peut-être les choses peuvent être réglées d'ici là. Moi, je pense qu'une sage décision a été prise, la Cour de Cassation a décidé de dépayser l'ensemble de ces dossiers, de les confier au Tribunal de Bordeaux, c'est une sage décision, parce que la justice doit toujours être rendue de façon sereine.

Oui, est-ce que l'affaire doit être traitée en toute liberté et sans aucune pression ?

Mais bien entendu ! Vous avez très bien, que s'il y avait la moindre pression, vous en feriez vous-mêmes une émission. Ce serait une affaire, et justement...

Oui, on ne la laisserait pas passer. Quelle que soit la pression, monsieur Mercier !

Je n'en doute pas et c'est bien la raison pour laquelle, moi, je pense que dans les affaires de justice, il y a des faits, la loi, des magistrats, point final.

Est-ce que vous donnerez, vous, et dans quelles circonstances, des recommandations ou des instructions écrites, orales, comment vous ferez ?

Vous savez que c'est P. Méhaignerie, le premier, qui a supprimé ou qui a clarifié les relations entre le ministre de la Justice et le Parquet. Moi, j'ai plutôt l'intention de ne pas intervenir, je ne m'interdis pas de le faire, parce qu'il peut y avoir des crimes particulièrement odieux ou des situations qui exigeront une instruction, elle sera écrite. Et je dirai : dans ce dossier, j'ai donné une instruction au Parquet.

En fin de matinée à Rennes, vous allez intervenir au Congrès des Magistrats de l'USM, l'Union Syndicale des Magistrats, qui est majoritaire, ils sont inquiets, comme toutes les professions de justice. Pour 2011, la justice est un chantier du président de la République, est-ce que la réforme annoncée en 2009 et préparée déjà par M. Alliot-Marie aura lieu, et là encore, avant 2012 ?

Ecoutez, un, je vais à Rennes. C'est normal, il y a deux jours que je suis en poste, les magistrats, une partie très importante des magistrats tiennent leur congrès syndical, je trouve normal d'aller les écouter, les saluer et leur dire le respect que j'ai pour eux. Deux, il y a déjà pour 2011 et 2010, des chantiers extrêmement importants en cours. On va commencer l'étude du texte sur la garde à vue, avant la fin de l'année.

100 000 gardes à vue en 2009, et elles augmentent, est-ce que vous demanderez qu'elles soient moins fréquentes et que la défense soit mieux assurée avec la présence d'un avocat ?

Tout à fait, puisque le Conseil constitutionnel a dit que notre procédure n'était pas conforme à la Constitution. De dire que c'est grâce quand même, à la réforme de la Constitution que le Conseil constitutionnel a pu se prononcer. Cette réforme où on a dit, elle n'apporte rien, elle ne change rien, eh bien le référé constitutionnel, la QPC, comme l'on dit maintenant, change considérablement les choses et ouvre un champ nouveau aux libertés publiques. Moi, je voulais le dire, parce que comme j'ai été un peu l'artisan du succès de cette réforme en apportant la voix qui manquait avec mon groupe au Sénat, on a beaucoup vilipendé cette réforme. Elle change les choses. Et elle fait véritablement de notre pays un pays de droits.

Mardi, le président de la République a confirmé, qu'il souhaitait l'entrée de juré populaire dans les Tribunaux Correctionnels, pour traiter quel délit ? Tous les délits ?

on, bien sûr que non ! Je crois que la matière correctionnelle est extrêmement complexe. Les délits sont classés en catégories. C'est naturellement les délits les plus graves.

Et est-ce que vous imaginez à égalité, Magistrats et citoyens ?

Je pense qu'on peut avoir des assesseurs citoyens auprès des magistrats professionnels. Je pense aussi qu'il faut qu'on réfléchisse sur la décriminalisation de certains crimes qui sont correctionnalisés, comme l'ont dit en jargon du métier, et qu'il y a une remise en ordre à faire et une réorganisation des tribunaux.

Ils sont là, en première instance et en appel ?

Je pense que déjà en appel, ça peut être une bonne solution, mais ce sont des pistes. Je ne veux pas décider tout seul, le président de la République a dit très clairement : le garde des Sceaux organisera des débats. J'organiserai des débats...

Et vous direz à ce moment-là, comment ils seront choisis ces citoyens ?

Bien sûr, comment ils seront choisis ? Quel sera leur rôle ? Comment cela fonctionnera ?

Comment ils seront payés ? Et qu'est-ce que ça va coûter, je veux dire, les jurés en Correctionnelle ?

Vous savez la justice, elle doit forcément coûter et probablement un peu plus qu'elle ne coûte aujourd'hui au pays.

On vous les donnera les sous ?

Je suis là aussi, pour défendre les budgets.

Oui et qui va les former les citoyens ? Qui va leur donner la légitimité, pour juger ?

Le fait d'être citoyen vous donne la légitimité, puisque je vous rappelle quand même que la justice est rendue au nom du peuple français, que les jurés d'Assises...

Oui, mais là, on va faire au nom, non pas au nom du peuple, mais par le peuple lui-même ?

Et aux Assises, qu'est-ce qui se passe ? C'est bien cela.

Donc, on ne va pas généraliser. Est-ce que ce n'est pas une manière de faire confiance moins aux professionnels, qu'aux amateurs ?

Je ne crois pas du tout. Je ne crois pas du tout. Je ne crois pas du tout, mais je crois qu'il y a toujours besoin de rapprocher les citoyens et la justice. Il y a dans ce pays, vous le savez bien, une vraie demande de justice et puis aussi, des formes d'incompréhension. Donc il faut qu'on aille vers une plus grande proximité.

A côté du Juge des Applications des peines, il y aurait aussi des citoyens assesseurs qui décideraient avec lui, des libérations conditionnelles ?

Là, aussi, on va réfléchir. On peut très bien imaginer qu'il y ait par exemple, un assesseur qui soit président d'une association de victimes, parce que les victimes ont le droit aussi... ou un assesseur, président d'une association de probation.

Et on va vers, peut-être une justice plus répressive que les Magistrats professionnels ? Une justice de l'émotion, monsieur Mercier ?

Je ne pense pas, monsieur Elkabbach. Parce qu'on peut avoir d'ailleurs de nombreuses condamnations correctionnelles, parfois plus sévères que les condamnations d'Assises.

Est-ce qu'il est toujours prévu de créer un Juge d'Enquête et des Libertés à la place du Juge d'Instruction ?

La réforme de la procédure pénale est un chantier énorme. Madame Alliot-Marie a mis en place des groupes de travail, ils continuent à travailler, il faut prendre du temps, du calme et de la sérénité. Moi, je veux...

Dites-moi ! La sérénité c'est le mot que vous employez le plus, vous avez tout calmer ? On calme, on plaît. Mais est-ce que ça veut dire que c'est l'immobilisme, que rien ne va changer en justice ?

Pas du tout, pas du tout ! On va changer les choses. Je pense qu'on va adapter, on va réformer, moderniser, mais on va le faire en prenant le temps de la discussion.

En douceur, avec l'accent et en douceur. Dernière chose, le ministre de l'Intérieur, B. Hortefeux, vient de vous écrire à propos de la remise en liberté par un Juge de Bobigny d'un trafiquant présumé en possession de drogue, d'argent et d'armes etc. qu'est-ce que vous répondez, ce matin, à B. Hortefeux ?

Je lui réponds que c'est une affaire grave, que le Parquet a fait appel immédiatement, la Cour d'Appel va audiencer rapidement cet appel et...

Mais est-ce que c'est une faute du magistrat de Bobigny ?

Le magistrat a pris une décision, mais il y a toujours des voix de recours, c'est la justice et je voudrais simplement dire, que dans la chaîne de la sécurité et de la lutte contre la délinquance, les policiers et les juges, chacun à leur place mènent le même combat.

Oui, c'est un avertissement à B. Hortefeux, parce que vous êtes souvent accusé de laxisme par les policiers.

M.-O. Fogiel : Merci M. Mercier. A dimanche avec J. Cahuzac - J.-P. Elkabbach. En espérant des moyens pour la justice, M. Mercier, puisque vous avez entendu le « Europe 1 va plus loin » cette semaine, passionnant, avec les tribunaux qui se partagent les post-it, tellement ils n'ont pas d'argent.

Vous leur donnerez de l'argent, ils en auront ?

Ecoutez, alors il y a un vrai problème de gestion, de l'ensemble des juridictions et je vais en parler tout à l'heure, il y a des augmentations de crédits. Mais je veux aussi, qu'on regarde comment tout cela fonctionne.

Merci, d'être venu.


Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 décembre 2010