Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Messieurs les Directeurs,
Messieurs les Sénateurs,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi pour commencer de remercier en notre nom à tous le Président du Conseil économique, social et environnemental, Jean-Paul DELEVOYE. Le Conseil a choisi dorganiser un colloque sur un thème qui peut sembler ardu, le « Transport ferroviaire régional de voyageurs : concurrence et conditions demploi ».
Pour toutes sortes de raisons dont vous allez débattre aujourdhui, cet intitulé désigne une réalité dont limportance est majeure et qui convient à chacun des objets du Conseil : ce transport ferroviaire est en effet un enjeu économique, social et environnemental.
Et cest parce que les enjeux sont denvergure quil était indispensable dy consacrer de la recherche et de la délibération communes. Indispensable, aussi, de prendre le temps dentendre chacun des acteurs concernés.
Langle dattaque retenu, celui des conditions demploi, me semble excellent, parce quil nous pousse demblée à réfléchir à lharmonisation du cadre social applicable aux opérateurs qui, demain, seront en concurrence sur ce marché tout en veillant à ne pas faire de lemploi la variable dajustement de la concurrence.
Comme vous le savez, la question de louverture à la concurrence du transport ferroviaire régional a fait lobjet dun rapport, que le Sénateur Francis GRIGNON a remis à Thierry MARIANI, secrétaire dEtat chargé des Transports, le 18 mai dernier.
A l'instar de la méthode mise en oeuvre pour la régionalisation des TER, il s'agissait dexaminer les questions soulevées par une éventuelle ouverture à la concurrence. Loccasion mest offerte de saluer la qualité du travail mené par Francis GRIGNON ; je men empare en soulignant :
- dabord, la qualité de lanalyse du rapport, qui a choisi de ne pas en rester aux généralités ou aux principes, mais daborder au contraire les différents aspects « techniques » du dossier, sans détour ni tabou ;
- je souligne également la qualité de la méthode, puisque le rapport témoigne dun sens de la concertation jamais démenti que ce soit dans lanimation du « comité des parties prenantes » ou dans les nombreux entretiens bilatéraux conduits par le Sénateur GRIGNON ;
- je souligne, enfin, la qualité des propositions, qui manifestent un souci déquilibre entre les préoccupations et les attentes des différentes parties en présence, tout en recommandant davancer avec prudence, en privilégiant la méthode expérimentale en associant les régions volontaires.
Je crois que ce rapport est un bon point de départ. Il livre les clés qui doivent nous permettre douvrir un débat serein. Je mesure parfaitement lensemble des enjeux et toute la charge passionnelle qui sont attachés à ce débat. Car je sais ce que le monde cheminot comporte de spécificités, dhistoire et de traditions dexcellence. Et je suis pleinement consciente de la place toute particulière quoccupe lentreprise SNCF dans notre pays. Jai dailleurs loccasion de le constater, presque quotidiennement, depuis mon arrivée à la tête de ce ministère.
Mais si jévoque la sérénité qui sied à la réflexion, cest sans doute parce que la première leçon du rapport GRIGNON est une injonction, que je formulerais tout simplement ainsi : « Nayez pas peur ! ».
Dans la version quen donne le rapport, il sagirait plus précisément de dire : « Nayez pas peur de la concurrence ou du marché ! » La concurrence ? Elle est déjà là !
Le transport ferroviaire de voyageurs se confronte tous les jours aux autres modes de transport : à laérien sur quelques liaisons emblématiques vers le Sud et le Sud-Ouest de la France, mais aussi au transport routier, en particulier de personnes, qui constitue le premier concurrent du train, que ce soit pour les longues distances ou pour les déplacements régionaux. A cet égard, et conformément aux engagements de la France en matière de réduction de gaz à effets de serre, il est de notre responsabilité de favoriser lutilisation des transports collectifs pour limiter les émissions de CO2 et de polluants émanant des véhicules individuels.
Et cest bien parce que cette concurrence existe que nous avons décidé de relever le défi du Grenelle, en réorientant résolument notre politique des transports vers les modes les plus économes en énergie et en émissions. À commencer bien sûr par un transport ferroviaire que nous devons rendre encore plus attractif.
Mais la concurrence est aussi à lordre du jour entre opérateurs ferroviaires depuis que la loi du 8 décembre 2009, relative à l'organisation et à la régulation des activités ferroviaires (dite loi « ORTF »), a donné aux opérateurs autres que la SNCF, la possibilité de transporter des voyageurs entre deux gares françaises.
Cela se fait sur des liaisons au départ ou à destination de linternational ; et cest ce que lon appelle le « cabotage ». Bien sûr, ces dessertes intérieures doivent constituer lélément « accessoire » dun service international, pour ne pas porter atteinte à léquilibre économique des lignes existantes exploitées par lopérateur historique. Et il est également vrai que ce cadre na pas encore accueilli de nouvel entrant. Mais le cadre existe désormais, et je ne doute pas quil se trouvera bientôt, en Europe, des opérateurs pour en tirer parti. Cest ce dont témoigne déjà le partenariat annoncé entre Véolia et Trenitalia, pour assurer des services de trains de nuit entre la France et l'Italie.
La concurrence doit inciter les opérateurs à se rapprocher dun mieux-disant ferroviaire qui doit bénéficier aux usagers clients ainsi quaux contribuables. Pour le client, la compétition est source dinnovation commerciale et tarifaire, et elle devrait se traduire par une baisse des prix. Elle est en outre une puissante incitation à la diversification de loffre et à lamélioration globale de la qualité de service. Pour les contribuables, les exemples étrangers montrent qu'une ouverture à la concurrence maîtrisée des transports ferroviaires régionaux de voyageurs peut réduire le coût global à la charge de la collectivité.
Quil sagisse de lEtat, qui verse chaque année environ 2 milliards deuros aux régions au titre de la compensation du transfert de compétences. Ou quil sagisse des autorités organisatrices régionales, qui nont cessé, depuis 2002, dinvestir dans lamélioration de loffre de TER, laquelle a crû de 55 % entre 1997 et 2007. Introduire une concurrence maîtrisée dans notre transport ferroviaire régional, cest créer les conditions dun bénéfice profitable à tous.
La légitimité de lobjectif concurrentiel ne me paraît donc pas en cause. En revanche, la manière dont cette ouverture seffectuera apparaît cruciale.
Et elle me paraît déterminer largement la réussite de cette évolution. Cest ce que suggère le thème même de notre colloque de ce jour.
Il importe dabord de ne pas procéder sous la contrainte ou dans lurgence : une concurrence non maîtrisée aurait les effets strictement inverses à ceux que nous pouvons en attendre. Cest pourquoi nous avons à nous interroger sur les conditions et les modalités les plus opportunes de louverture du marché ferroviaire à la concurrence. Et de le faire sans attendre linitiative communautaire qui vise lélaboration dun nouveau cadre, pour la libéralisation du marché des lignes intérieures.
Il sagit dune directive annoncée pour 2012 par le Commissaire européen Sim KALLAS. Et cest ici sans doute que le rapport GRIGNON prend toute sa valeur, pour nous accompagner dans ce qui constituera un prolongement de la décentralisation, en proposant un encadrement législatif et réglementaire qui rend possible louverture à la concurrence tout en mettant en place un dispositif acceptable par lensemble des acteurs du secteur ferroviaire.
Jen reviens maintenant à la question des « conditions demploi » puisque le titre du colloque met laccent sur cet aspect de la problématique de la régionalisation ferroviaire.
Comme il nest pas question daborder ici la totalité du rapport GRIGNON, je men tiendrai à deux questions qui sont directement en rapport avec votre colloque.
Dune part, celle de la construction dun « cadre social harmonisé » au niveau de la branche, dautre part, la question du transfert des contrats de travail telle quelle est présentée dans le rapport.
Les rapports entre concurrence et conditions demploi doivent senvisager sous langle de lorganisation collective du travail, y compris la durée du travail.
Il nous faut en effet construire ce « cadre social harmonisé » que la SNCF nest pas seule à appeler de ses voeux, puisque le Président de la République le mentionne dans la lettre de mission quil a adressée au président de lentreprise publique. Lenjeu est clair : il sagit de prévenir le risque de voir coexister, à l'image de la situation qui prévaut dans le fret, deux régimes différents en matière dorganisation du travail : lun qui serait applicable aux personnels de tous les « nouveaux entrants », lautre qui serait réservé à lopérateur historique avec la possibilité décarts de traitement importants entre les deux régimes.
Jévoquais à dessein la situation dans le fret. Et pas seulement parce que, comme vous le savez, cest un sujet qui mintéresse tout particulièrement et pour lequel jai réuni, le 30 mai dernier, une table ronde réunissant lensemble des acteurs concernés. Pour ce qui nous intéresse aujourdhui, il me paraît surtout essentiel de tirer les enseignements du fret dans la perspective de louverture à venir du transport de voyageurs. La définition d'un « cadre social harmonisé » relève au premier chef de la responsabilité des partenaires sociaux. Il importe que ces négociations, dont le champ dapplication doit couvrir lensemble des salariés et des opérateurs du secteur, aboutissent à un accord. Et cet accord devra établir des règles claires et partagées par tous, propres à garantir en particulier le respect essentiel des exigences de sécurité.
Il est de l'intérêt du développement du transport ferroviaire, auquel le Gouvernement est très attaché, de déterminer ce juste équilibre. A cet égard, le régime applicable à la SNCF en matière de durée du travail, sil constitue une référence précieuse pour éclairer les travaux des partenaires sociaux, na pas vocation à constituer, à lui seul, une référence intangible, sur laquelle les concurrents de lopérateur historique seraient contraints de saligner. Ce régime, je le rappelle, est fondé sur un acte dit « loi du 3 octobre 1940 ».
Certes, des accords ont été négociés entre les partenaires sociaux de lentreprise, notamment en 1999. Mais est-il justifié que le droit de la durée du travail de la SNCF reste à lécart des évolutions législatives générales concernant la durée du travail ?
Est-il possible de maintenir le statu quo en cette matière ? Ces questions sont pour moi essentielles et je souhaite y insister. La SNCF na pas à craindre la concurrence et je suis convaincue que la compétence et le professionnalisme des cheminots sont ses atouts majeurs dans le contexte à venir.
Mais lentreprise peut-elle faire durablement léconomie dune adaptation des conditions demploi des personnels dans un contexte profondément modifié par larrivée demain de nouveaux concurrents ? Il me paraît que les résultats actuels de Fret-SNCF doivent au moins nous inciter à nous poser franchement la question. Le Gouvernement souhaite donc la création dun droit social commun à la branche du transport ferroviaire. Mais je le répète, un droit social commun ne veut pas dire la généralisation à toute la branche des dispositions applicables aujourdhui à lentreprise historique.
Pour autant, je ne perds pas de vue lenjeu majeur qui conditionne, me semble-t-il, le succès de louverture du marché ferroviaire et qui résume, je crois, la problématique de ce colloque : je veux parler de léquité concurrentielle dans le respect des spécificités du transport ferroviaire. Léquité concurrentielle doit reposer sur un socle de règles commun à lensemble des parties prenantes. Voici, me semble-t-il, ce qui devrait guider les partenaires sociaux appelés ?? négocier le futur cadre social harmonisé commun aux entreprises de la branche, une négociation à laquelle je le précise, la SNCF devrait, dune manière ou dune autre, être partie prenante.
Je voudrais en venir brièvement au second thème, plus spécifique aux conséquences sociales de louverture à la concurrence du transport ferroviaire régional de voyageurs : celui de la succession demployeurs et du « transfert » des contrats de travail. Les recommandations du Sénateur GRIGNON visent à permettre le transfert des contrats de travail entre employeurs en cas de changement dopérateur. Si par exemple, la SNCF venait, dans un avenir plus ou moins proche, à perdre des appels doffres sur des services quelle exploite aujourdhui dans le cadre de son monopole, quel serait le sort des agents aujourdhui affectés à ces services ?
Il existe à cette question plusieurs niveaux de réponse. Tout dabord, je crois quil doit être clair que ces agents devraient pouvoir continuer à exercer leur métier dans des conditions qui ne soient pas plus défavorables. Car il ne saurait être question dopposer ici « concurrence » et « conditions demploi », cette notion englobant bien entendu aussi les questions de santé et de sécurité au travail. Ce nest pas sur ce terrain que nous attendons les bienfaits de la concurrence.
Certes, ce type de transfert serait nouveau dans le cas des agents de la SNCF, sil savérait quune autre entreprise de transport devait succéder à lopérateur historique sur un service régional de transport de voyageurs. Mais en cette matière, sapplique déjà largement le mécanisme légal ou conventionnel des transferts de contrats de travail, qui a cours dans un grand nombre dactivités et notamment dans les transports publics urbains. Il sagirait donc de sinspirer de ce mécanisme protecteur des intérêts des salariés, mais aussi des entreprises.
Jai lu avec intérêt les propositions du Sénateur GRIGNON sur ce point. Tout en proposant que la loi « pose le principe » du transfert des contrats de travail des salariés à loccasion de la reprise dun service par un nouvel opérateur, le rapport propose de conserver à ce transfert un caractère facultatif pour les agents et salariés qui seraient concernés par les critères dapplications du transfert, la définition de ces critères étant elle-même renvoyée à la négociation entre partenaires sociaux.
Il mapparaît également important de nocculter aucun débat et de réfléchir ensemble, lors de vos discussions, aux tenants et aux aboutissants du caractère facultatif de ce transfert : dès lors que les droits et avantages des salariés concernés sont garantis -le rapport précise bien les choses sur ce point- lintérêt général du service -celui des usagers et des contribuables comme celui des autorités organisatrices- serait-il possible/souhaitable/nécessaire de se montrer plus directif ? Et ceci en prenant pleinement en compte les contraintes de lopérateur historique et les intérêts des cheminots. En effet, quelles issues soffriraient à la SNCF si elle se trouvait demain obligée doccuper des agents qui auraient refusé leur transfert ?
Quant aux salariés, seraient-ils dans une situation meilleure sils se trouvaient confrontés à lalternative, soit de donner leur assentiment explicite à un transfert hors de lentreprise historique, soit de rester dans lentreprise sans affectation déterminée ?
Voilà résumées une série de questions dont vous aurez à débattre tout au long de cette journée.
Au-delà des questions techniques, qui relèvent de la seule ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, il s'agit de savoir si un système de transport ferroviaire peut répondre aux exigences croissantes de ses clients actuels, en se retranchant derrière ses spécificités sociales historiques. Ou bien au contraire, si un cadre social commun à toute une branche, modernisé, ne serait pas de nature à favoriser léchange des expériences et le progrès au profit de la collectivité.
Lorganisation dune journée déchanges comme celle-ci, jen suis convaincue, est essentielle pour construire ensemble, progressivement, les bonnes réponses à toutes ces questions nouvelles. Mais nous le savons tous, une seule journée de discussion ny suffira pas !
Il faut donc que le débat se poursuive.
Pour continuer ces travaux sur louverture à la concurrence des services ferroviaires régionaux, engagés aujourdhui dans cette enceinte, je tenais à vous informer que jai proposé au Premier Ministre une saisine du Conseil économique, social et environnemental sur le sujet.
Par ailleurs, depuis ma nomination en tant que ministre en charge des transports, jai pu percevoir combien les sujets ferroviaires suscitaient des débats passionnés. Il faut dire que le secteur ferroviaire se trouve aujourdhui à la croisée des chemins, et confronté à des paradoxes parfois difficiles à concilier :
- un réseau existant à entretenir, pour lequel le Gouvernement met en oeuvre un plan ambitieux dinvestissement,
- des projets de nouvelles lignes à grande vitesse en grand nombre,
- une qualité de service qui tend à se dégrader, alors que les français nont jamais autant exprimé leur attachement au bon fonctionnement des services ferroviaires,
- un contexte concurrentiel qui évolue et que nous devons ensemble anticiper,
- une filière industrielle ferroviaire qui traverse actuellement une période difficile.
Cest la raison pour laquelle je souhaite organiser, dès septembre, un débat national autour de toutes ces questions. Ces « Assises du ferroviaire », dans la droite ligne des échanges que vous avez aujourdhui, devront permettre de dessiner lavenir du modèle ferroviaire français. Car il nous appartient de construire ensemble le chemin de fer de demain.
Mesdames, Messieurs, je vous laisse donc poursuivre vos débats pour cet après-midi, et je suis certaine quils seront riches et instructifs.
Et je tiens à vous assurer que le Gouvernement sera particulièrement attentif à vos interrogations et à vos propositions.
« Notre objectif est de rechercher le consensus le plus large possible pour réussir, avec les régions, les acteurs du secteur ferroviaire et les voyageurs, cette deuxième étape dans la vie des TER ».
Je vous remercie de votre attention.Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 17 juin 2011
Messieurs les Directeurs,
Messieurs les Sénateurs,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi pour commencer de remercier en notre nom à tous le Président du Conseil économique, social et environnemental, Jean-Paul DELEVOYE. Le Conseil a choisi dorganiser un colloque sur un thème qui peut sembler ardu, le « Transport ferroviaire régional de voyageurs : concurrence et conditions demploi ».
Pour toutes sortes de raisons dont vous allez débattre aujourdhui, cet intitulé désigne une réalité dont limportance est majeure et qui convient à chacun des objets du Conseil : ce transport ferroviaire est en effet un enjeu économique, social et environnemental.
Et cest parce que les enjeux sont denvergure quil était indispensable dy consacrer de la recherche et de la délibération communes. Indispensable, aussi, de prendre le temps dentendre chacun des acteurs concernés.
Langle dattaque retenu, celui des conditions demploi, me semble excellent, parce quil nous pousse demblée à réfléchir à lharmonisation du cadre social applicable aux opérateurs qui, demain, seront en concurrence sur ce marché tout en veillant à ne pas faire de lemploi la variable dajustement de la concurrence.
Comme vous le savez, la question de louverture à la concurrence du transport ferroviaire régional a fait lobjet dun rapport, que le Sénateur Francis GRIGNON a remis à Thierry MARIANI, secrétaire dEtat chargé des Transports, le 18 mai dernier.
A l'instar de la méthode mise en oeuvre pour la régionalisation des TER, il s'agissait dexaminer les questions soulevées par une éventuelle ouverture à la concurrence. Loccasion mest offerte de saluer la qualité du travail mené par Francis GRIGNON ; je men empare en soulignant :
- dabord, la qualité de lanalyse du rapport, qui a choisi de ne pas en rester aux généralités ou aux principes, mais daborder au contraire les différents aspects « techniques » du dossier, sans détour ni tabou ;
- je souligne également la qualité de la méthode, puisque le rapport témoigne dun sens de la concertation jamais démenti que ce soit dans lanimation du « comité des parties prenantes » ou dans les nombreux entretiens bilatéraux conduits par le Sénateur GRIGNON ;
- je souligne, enfin, la qualité des propositions, qui manifestent un souci déquilibre entre les préoccupations et les attentes des différentes parties en présence, tout en recommandant davancer avec prudence, en privilégiant la méthode expérimentale en associant les régions volontaires.
Je crois que ce rapport est un bon point de départ. Il livre les clés qui doivent nous permettre douvrir un débat serein. Je mesure parfaitement lensemble des enjeux et toute la charge passionnelle qui sont attachés à ce débat. Car je sais ce que le monde cheminot comporte de spécificités, dhistoire et de traditions dexcellence. Et je suis pleinement consciente de la place toute particulière quoccupe lentreprise SNCF dans notre pays. Jai dailleurs loccasion de le constater, presque quotidiennement, depuis mon arrivée à la tête de ce ministère.
Mais si jévoque la sérénité qui sied à la réflexion, cest sans doute parce que la première leçon du rapport GRIGNON est une injonction, que je formulerais tout simplement ainsi : « Nayez pas peur ! ».
Dans la version quen donne le rapport, il sagirait plus précisément de dire : « Nayez pas peur de la concurrence ou du marché ! » La concurrence ? Elle est déjà là !
Le transport ferroviaire de voyageurs se confronte tous les jours aux autres modes de transport : à laérien sur quelques liaisons emblématiques vers le Sud et le Sud-Ouest de la France, mais aussi au transport routier, en particulier de personnes, qui constitue le premier concurrent du train, que ce soit pour les longues distances ou pour les déplacements régionaux. A cet égard, et conformément aux engagements de la France en matière de réduction de gaz à effets de serre, il est de notre responsabilité de favoriser lutilisation des transports collectifs pour limiter les émissions de CO2 et de polluants émanant des véhicules individuels.
Et cest bien parce que cette concurrence existe que nous avons décidé de relever le défi du Grenelle, en réorientant résolument notre politique des transports vers les modes les plus économes en énergie et en émissions. À commencer bien sûr par un transport ferroviaire que nous devons rendre encore plus attractif.
Mais la concurrence est aussi à lordre du jour entre opérateurs ferroviaires depuis que la loi du 8 décembre 2009, relative à l'organisation et à la régulation des activités ferroviaires (dite loi « ORTF »), a donné aux opérateurs autres que la SNCF, la possibilité de transporter des voyageurs entre deux gares françaises.
Cela se fait sur des liaisons au départ ou à destination de linternational ; et cest ce que lon appelle le « cabotage ». Bien sûr, ces dessertes intérieures doivent constituer lélément « accessoire » dun service international, pour ne pas porter atteinte à léquilibre économique des lignes existantes exploitées par lopérateur historique. Et il est également vrai que ce cadre na pas encore accueilli de nouvel entrant. Mais le cadre existe désormais, et je ne doute pas quil se trouvera bientôt, en Europe, des opérateurs pour en tirer parti. Cest ce dont témoigne déjà le partenariat annoncé entre Véolia et Trenitalia, pour assurer des services de trains de nuit entre la France et l'Italie.
La concurrence doit inciter les opérateurs à se rapprocher dun mieux-disant ferroviaire qui doit bénéficier aux usagers clients ainsi quaux contribuables. Pour le client, la compétition est source dinnovation commerciale et tarifaire, et elle devrait se traduire par une baisse des prix. Elle est en outre une puissante incitation à la diversification de loffre et à lamélioration globale de la qualité de service. Pour les contribuables, les exemples étrangers montrent qu'une ouverture à la concurrence maîtrisée des transports ferroviaires régionaux de voyageurs peut réduire le coût global à la charge de la collectivité.
Quil sagisse de lEtat, qui verse chaque année environ 2 milliards deuros aux régions au titre de la compensation du transfert de compétences. Ou quil sagisse des autorités organisatrices régionales, qui nont cessé, depuis 2002, dinvestir dans lamélioration de loffre de TER, laquelle a crû de 55 % entre 1997 et 2007. Introduire une concurrence maîtrisée dans notre transport ferroviaire régional, cest créer les conditions dun bénéfice profitable à tous.
La légitimité de lobjectif concurrentiel ne me paraît donc pas en cause. En revanche, la manière dont cette ouverture seffectuera apparaît cruciale.
Et elle me paraît déterminer largement la réussite de cette évolution. Cest ce que suggère le thème même de notre colloque de ce jour.
Il importe dabord de ne pas procéder sous la contrainte ou dans lurgence : une concurrence non maîtrisée aurait les effets strictement inverses à ceux que nous pouvons en attendre. Cest pourquoi nous avons à nous interroger sur les conditions et les modalités les plus opportunes de louverture du marché ferroviaire à la concurrence. Et de le faire sans attendre linitiative communautaire qui vise lélaboration dun nouveau cadre, pour la libéralisation du marché des lignes intérieures.
Il sagit dune directive annoncée pour 2012 par le Commissaire européen Sim KALLAS. Et cest ici sans doute que le rapport GRIGNON prend toute sa valeur, pour nous accompagner dans ce qui constituera un prolongement de la décentralisation, en proposant un encadrement législatif et réglementaire qui rend possible louverture à la concurrence tout en mettant en place un dispositif acceptable par lensemble des acteurs du secteur ferroviaire.
Jen reviens maintenant à la question des « conditions demploi » puisque le titre du colloque met laccent sur cet aspect de la problématique de la régionalisation ferroviaire.
Comme il nest pas question daborder ici la totalité du rapport GRIGNON, je men tiendrai à deux questions qui sont directement en rapport avec votre colloque.
Dune part, celle de la construction dun « cadre social harmonisé » au niveau de la branche, dautre part, la question du transfert des contrats de travail telle quelle est présentée dans le rapport.
Les rapports entre concurrence et conditions demploi doivent senvisager sous langle de lorganisation collective du travail, y compris la durée du travail.
Il nous faut en effet construire ce « cadre social harmonisé » que la SNCF nest pas seule à appeler de ses voeux, puisque le Président de la République le mentionne dans la lettre de mission quil a adressée au président de lentreprise publique. Lenjeu est clair : il sagit de prévenir le risque de voir coexister, à l'image de la situation qui prévaut dans le fret, deux régimes différents en matière dorganisation du travail : lun qui serait applicable aux personnels de tous les « nouveaux entrants », lautre qui serait réservé à lopérateur historique avec la possibilité décarts de traitement importants entre les deux régimes.
Jévoquais à dessein la situation dans le fret. Et pas seulement parce que, comme vous le savez, cest un sujet qui mintéresse tout particulièrement et pour lequel jai réuni, le 30 mai dernier, une table ronde réunissant lensemble des acteurs concernés. Pour ce qui nous intéresse aujourdhui, il me paraît surtout essentiel de tirer les enseignements du fret dans la perspective de louverture à venir du transport de voyageurs. La définition d'un « cadre social harmonisé » relève au premier chef de la responsabilité des partenaires sociaux. Il importe que ces négociations, dont le champ dapplication doit couvrir lensemble des salariés et des opérateurs du secteur, aboutissent à un accord. Et cet accord devra établir des règles claires et partagées par tous, propres à garantir en particulier le respect essentiel des exigences de sécurité.
Il est de l'intérêt du développement du transport ferroviaire, auquel le Gouvernement est très attaché, de déterminer ce juste équilibre. A cet égard, le régime applicable à la SNCF en matière de durée du travail, sil constitue une référence précieuse pour éclairer les travaux des partenaires sociaux, na pas vocation à constituer, à lui seul, une référence intangible, sur laquelle les concurrents de lopérateur historique seraient contraints de saligner. Ce régime, je le rappelle, est fondé sur un acte dit « loi du 3 octobre 1940 ».
Certes, des accords ont été négociés entre les partenaires sociaux de lentreprise, notamment en 1999. Mais est-il justifié que le droit de la durée du travail de la SNCF reste à lécart des évolutions législatives générales concernant la durée du travail ?
Est-il possible de maintenir le statu quo en cette matière ? Ces questions sont pour moi essentielles et je souhaite y insister. La SNCF na pas à craindre la concurrence et je suis convaincue que la compétence et le professionnalisme des cheminots sont ses atouts majeurs dans le contexte à venir.
Mais lentreprise peut-elle faire durablement léconomie dune adaptation des conditions demploi des personnels dans un contexte profondément modifié par larrivée demain de nouveaux concurrents ? Il me paraît que les résultats actuels de Fret-SNCF doivent au moins nous inciter à nous poser franchement la question. Le Gouvernement souhaite donc la création dun droit social commun à la branche du transport ferroviaire. Mais je le répète, un droit social commun ne veut pas dire la généralisation à toute la branche des dispositions applicables aujourdhui à lentreprise historique.
Pour autant, je ne perds pas de vue lenjeu majeur qui conditionne, me semble-t-il, le succès de louverture du marché ferroviaire et qui résume, je crois, la problématique de ce colloque : je veux parler de léquité concurrentielle dans le respect des spécificités du transport ferroviaire. Léquité concurrentielle doit reposer sur un socle de règles commun à lensemble des parties prenantes. Voici, me semble-t-il, ce qui devrait guider les partenaires sociaux appelés ?? négocier le futur cadre social harmonisé commun aux entreprises de la branche, une négociation à laquelle je le précise, la SNCF devrait, dune manière ou dune autre, être partie prenante.
Je voudrais en venir brièvement au second thème, plus spécifique aux conséquences sociales de louverture à la concurrence du transport ferroviaire régional de voyageurs : celui de la succession demployeurs et du « transfert » des contrats de travail. Les recommandations du Sénateur GRIGNON visent à permettre le transfert des contrats de travail entre employeurs en cas de changement dopérateur. Si par exemple, la SNCF venait, dans un avenir plus ou moins proche, à perdre des appels doffres sur des services quelle exploite aujourdhui dans le cadre de son monopole, quel serait le sort des agents aujourdhui affectés à ces services ?
Il existe à cette question plusieurs niveaux de réponse. Tout dabord, je crois quil doit être clair que ces agents devraient pouvoir continuer à exercer leur métier dans des conditions qui ne soient pas plus défavorables. Car il ne saurait être question dopposer ici « concurrence » et « conditions demploi », cette notion englobant bien entendu aussi les questions de santé et de sécurité au travail. Ce nest pas sur ce terrain que nous attendons les bienfaits de la concurrence.
Certes, ce type de transfert serait nouveau dans le cas des agents de la SNCF, sil savérait quune autre entreprise de transport devait succéder à lopérateur historique sur un service régional de transport de voyageurs. Mais en cette matière, sapplique déjà largement le mécanisme légal ou conventionnel des transferts de contrats de travail, qui a cours dans un grand nombre dactivités et notamment dans les transports publics urbains. Il sagirait donc de sinspirer de ce mécanisme protecteur des intérêts des salariés, mais aussi des entreprises.
Jai lu avec intérêt les propositions du Sénateur GRIGNON sur ce point. Tout en proposant que la loi « pose le principe » du transfert des contrats de travail des salariés à loccasion de la reprise dun service par un nouvel opérateur, le rapport propose de conserver à ce transfert un caractère facultatif pour les agents et salariés qui seraient concernés par les critères dapplications du transfert, la définition de ces critères étant elle-même renvoyée à la négociation entre partenaires sociaux.
Il mapparaît également important de nocculter aucun débat et de réfléchir ensemble, lors de vos discussions, aux tenants et aux aboutissants du caractère facultatif de ce transfert : dès lors que les droits et avantages des salariés concernés sont garantis -le rapport précise bien les choses sur ce point- lintérêt général du service -celui des usagers et des contribuables comme celui des autorités organisatrices- serait-il possible/souhaitable/nécessaire de se montrer plus directif ? Et ceci en prenant pleinement en compte les contraintes de lopérateur historique et les intérêts des cheminots. En effet, quelles issues soffriraient à la SNCF si elle se trouvait demain obligée doccuper des agents qui auraient refusé leur transfert ?
Quant aux salariés, seraient-ils dans une situation meilleure sils se trouvaient confrontés à lalternative, soit de donner leur assentiment explicite à un transfert hors de lentreprise historique, soit de rester dans lentreprise sans affectation déterminée ?
Voilà résumées une série de questions dont vous aurez à débattre tout au long de cette journée.
Au-delà des questions techniques, qui relèvent de la seule ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, il s'agit de savoir si un système de transport ferroviaire peut répondre aux exigences croissantes de ses clients actuels, en se retranchant derrière ses spécificités sociales historiques. Ou bien au contraire, si un cadre social commun à toute une branche, modernisé, ne serait pas de nature à favoriser léchange des expériences et le progrès au profit de la collectivité.
Lorganisation dune journée déchanges comme celle-ci, jen suis convaincue, est essentielle pour construire ensemble, progressivement, les bonnes réponses à toutes ces questions nouvelles. Mais nous le savons tous, une seule journée de discussion ny suffira pas !
Il faut donc que le débat se poursuive.
Pour continuer ces travaux sur louverture à la concurrence des services ferroviaires régionaux, engagés aujourdhui dans cette enceinte, je tenais à vous informer que jai proposé au Premier Ministre une saisine du Conseil économique, social et environnemental sur le sujet.
Par ailleurs, depuis ma nomination en tant que ministre en charge des transports, jai pu percevoir combien les sujets ferroviaires suscitaient des débats passionnés. Il faut dire que le secteur ferroviaire se trouve aujourdhui à la croisée des chemins, et confronté à des paradoxes parfois difficiles à concilier :
- un réseau existant à entretenir, pour lequel le Gouvernement met en oeuvre un plan ambitieux dinvestissement,
- des projets de nouvelles lignes à grande vitesse en grand nombre,
- une qualité de service qui tend à se dégrader, alors que les français nont jamais autant exprimé leur attachement au bon fonctionnement des services ferroviaires,
- un contexte concurrentiel qui évolue et que nous devons ensemble anticiper,
- une filière industrielle ferroviaire qui traverse actuellement une période difficile.
Cest la raison pour laquelle je souhaite organiser, dès septembre, un débat national autour de toutes ces questions. Ces « Assises du ferroviaire », dans la droite ligne des échanges que vous avez aujourdhui, devront permettre de dessiner lavenir du modèle ferroviaire français. Car il nous appartient de construire ensemble le chemin de fer de demain.
Mesdames, Messieurs, je vous laisse donc poursuivre vos débats pour cet après-midi, et je suis certaine quils seront riches et instructifs.
Et je tiens à vous assurer que le Gouvernement sera particulièrement attentif à vos interrogations et à vos propositions.
« Notre objectif est de rechercher le consensus le plus large possible pour réussir, avec les régions, les acteurs du secteur ferroviaire et les voyageurs, cette deuxième étape dans la vie des TER ».
Je vous remercie de votre attention.Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 17 juin 2011