Déclaration de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, sur la politique d'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire régional et le statut des agents affectés à ces services, à Paris le 16 juin 2011.

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Circonstance : Colloque avec la participation de la SNCF, sur le thème "Transport ferroviaire régional de voyageurs : concurrence et conditions d'emploi" au Palais d'Iéna, à Paris le 16 juin 2011

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Messieurs les Directeurs,
Messieurs les Sénateurs,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi pour commencer de remercier en notre nom à tous le Président du Conseil économique, social et environnemental, Jean-Paul DELEVOYE. Le Conseil a choisi d’organiser un colloque sur un thème qui peut sembler ardu, le « Transport ferroviaire régional de voyageurs : concurrence et conditions d’emploi ».
Pour toutes sortes de raisons dont vous allez débattre aujourd’hui, cet intitulé désigne une réalité dont l’importance est majeure et qui convient à chacun des objets du Conseil : ce transport ferroviaire est en effet un enjeu économique, social et environnemental.
Et c’est parce que les enjeux sont d’envergure qu’il était indispensable d’y consacrer de la recherche et de la délibération communes. Indispensable, aussi, de prendre le temps d’entendre chacun des acteurs concernés.
L’angle d’attaque retenu, celui des conditions d’emploi, me semble excellent, parce qu’il nous pousse d’emblée à réfléchir à l’harmonisation du cadre social applicable aux opérateurs qui, demain, seront en concurrence sur ce marché tout en veillant à ne pas faire de l’emploi la variable d’ajustement de la concurrence.
Comme vous le savez, la question de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire régional a fait l’objet d’un rapport, que le Sénateur Francis GRIGNON a remis à Thierry MARIANI, secrétaire d’Etat chargé des Transports, le 18 mai dernier.
A l'instar de la méthode mise en oeuvre pour la régionalisation des TER, il s'agissait d’examiner les questions soulevées par une éventuelle ouverture à la concurrence. L’occasion m’est offerte de saluer la qualité du travail mené par Francis GRIGNON ; je m’en empare en soulignant :
- d’abord, la qualité de l’analyse du rapport, qui a choisi de ne pas en rester aux généralités ou aux principes, mais d’aborder au contraire les différents aspects « techniques » du dossier, sans détour ni tabou ;
- je souligne également la qualité de la méthode, puisque le rapport témoigne d’un sens de la concertation jamais démenti – que ce soit dans l’animation du « comité des parties prenantes » ou dans les nombreux entretiens bilatéraux conduits par le Sénateur GRIGNON ;
- je souligne, enfin, la qualité des propositions, qui manifestent un souci d’équilibre entre les préoccupations et les attentes des différentes parties en présence, tout en recommandant d’avancer avec prudence, en privilégiant la méthode expérimentale en associant les régions volontaires.
Je crois que ce rapport est un bon point de départ. Il livre les clés qui doivent nous permettre d’ouvrir un débat serein. Je mesure parfaitement l’ensemble des enjeux et toute la charge passionnelle qui sont attachés à ce débat. Car je sais ce que le monde cheminot comporte de spécificités, d’histoire et de traditions d’excellence. Et je suis pleinement consciente de la place toute particulière qu’occupe l’entreprise SNCF dans notre pays. J’ai d’ailleurs l’occasion de le constater, presque quotidiennement, depuis mon arrivée à la tête de ce ministère.
Mais si j’évoque la sérénité qui sied à la réflexion, c’est sans doute parce que la première leçon du rapport GRIGNON est une injonction, que je formulerais tout simplement ainsi : « N’ayez pas peur ! ».
Dans la version qu’en donne le rapport, il s’agirait plus précisément de dire : « N’ayez pas peur de la concurrence ou du marché ! » La concurrence ? Elle est déjà là !
Le transport ferroviaire de voyageurs se confronte tous les jours aux autres modes de transport : à l’aérien sur quelques liaisons emblématiques vers le Sud et le Sud-Ouest de la France, mais aussi au transport routier, en particulier de personnes, qui constitue le premier concurrent du train, que ce soit pour les longues distances ou pour les déplacements régionaux. A cet égard, et conformément aux engagements de la France en matière de réduction de gaz à effets de serre, il est de notre responsabilité de favoriser l’utilisation des transports collectifs pour limiter les émissions de CO2 et de polluants émanant des véhicules individuels.
Et c’est bien parce que cette concurrence existe que nous avons décidé de relever le défi du Grenelle, en réorientant résolument notre politique des transports vers les modes les plus économes en énergie et en émissions. À commencer bien sûr par un transport ferroviaire que nous devons rendre encore plus attractif.
Mais la concurrence est aussi à l’ordre du jour entre opérateurs ferroviaires depuis que la loi du 8 décembre 2009, relative à l'organisation et à la régulation des activités ferroviaires (dite loi « ORTF »), a donné aux opérateurs autres que la SNCF, la possibilité de transporter des voyageurs entre deux gares françaises.
Cela se fait sur des liaisons au départ ou à destination de l’international ; et c’est ce que l’on appelle le « cabotage ». Bien sûr, ces dessertes intérieures doivent constituer l’élément « accessoire » d’un service international, pour ne pas porter atteinte à l’équilibre économique des lignes existantes exploitées par l’opérateur historique. Et il est également vrai que ce cadre n’a pas encore accueilli de nouvel entrant. Mais le cadre existe désormais, et je ne doute pas qu’il se trouvera bientôt, en Europe, des opérateurs pour en tirer parti. C’est ce dont témoigne déjà le partenariat annoncé entre Véolia et Trenitalia, pour assurer des services de trains de nuit entre la France et l'Italie.
La concurrence doit inciter les opérateurs à se rapprocher d’un mieux-disant ferroviaire qui doit bénéficier aux usagers clients ainsi qu’aux contribuables. Pour le client, la compétition est source d’innovation commerciale et tarifaire, et elle devrait se traduire par une baisse des prix. Elle est en outre une puissante incitation à la diversification de l’offre et à l’amélioration globale de la qualité de service. Pour les contribuables, les exemples étrangers montrent qu'une ouverture à la concurrence maîtrisée des transports ferroviaires régionaux de voyageurs peut réduire le coût global à la charge de la collectivité.
Qu’il s’agisse de l’Etat, qui verse chaque année environ 2 milliards d’euros aux régions au titre de la compensation du transfert de compétences. Ou qu’il s’agisse des autorités organisatrices régionales, qui n’ont cessé, depuis 2002, d’investir dans l’amélioration de l’offre de TER, laquelle a crû de 55 % entre 1997 et 2007. Introduire une concurrence maîtrisée dans notre transport ferroviaire régional, c’est créer les conditions d’un bénéfice profitable à tous.
La légitimité de l’objectif concurrentiel ne me paraît donc pas en cause. En revanche, la manière dont cette ouverture s’effectuera apparaît cruciale.
Et elle me paraît déterminer largement la réussite de cette évolution. C’est ce que suggère le thème même de notre colloque de ce jour.
Il importe d’abord de ne pas procéder sous la contrainte ou dans l’urgence : une concurrence non maîtrisée aurait les effets strictement inverses à ceux que nous pouvons en attendre. C’est pourquoi nous avons à nous interroger sur les conditions et les modalités les plus opportunes de l’ouverture du marché ferroviaire à la concurrence. Et de le faire sans attendre l’initiative communautaire qui vise l’élaboration d’un nouveau cadre, pour la libéralisation du marché des lignes intérieures.
Il s’agit d’une directive annoncée pour 2012 par le Commissaire européen Sim KALLAS. Et c’est ici sans doute que le rapport GRIGNON prend toute sa valeur, pour nous accompagner dans ce qui constituera un prolongement de la décentralisation, en proposant un encadrement législatif et réglementaire qui rend possible l’ouverture à la concurrence tout en mettant en place un dispositif acceptable par l’ensemble des acteurs du secteur ferroviaire.
J’en reviens maintenant à la question des « conditions d’emploi » puisque le titre du colloque met l’accent sur cet aspect de la problématique de la régionalisation ferroviaire.
Comme il n’est pas question d’aborder ici la totalité du rapport GRIGNON, je m’en tiendrai à deux questions qui sont directement en rapport avec votre colloque.
D’une part, celle de la construction d’un « cadre social harmonisé » au niveau de la branche, d’autre part, la question du transfert des contrats de travail telle qu’elle est présentée dans le rapport.
Les rapports entre concurrence et conditions d’emploi doivent s’envisager sous l’angle de l’organisation collective du travail, y compris la durée du travail.
Il nous faut en effet construire ce « cadre social harmonisé » que la SNCF n’est pas seule à appeler de ses voeux, puisque le Président de la République le mentionne dans la lettre de mission qu’il a adressée au président de l’entreprise publique. L’enjeu est clair : il s’agit de prévenir le risque de voir coexister, à l'image de la situation qui prévaut dans le fret, deux régimes différents en matière d’organisation du travail : l’un qui serait applicable aux personnels de tous les « nouveaux entrants », l’autre qui serait réservé à l’opérateur historique avec la possibilité d’écarts de traitement importants entre les deux régimes.
J’évoquais à dessein la situation dans le fret. Et pas seulement parce que, comme vous le savez, c’est un sujet qui m’intéresse tout particulièrement et pour lequel j’ai réuni, le 30 mai dernier, une table ronde réunissant l’ensemble des acteurs concernés. Pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, il me paraît surtout essentiel de tirer les enseignements du fret dans la perspective de l’ouverture à venir du transport de voyageurs. La définition d'un « cadre social harmonisé » relève au premier chef de la responsabilité des partenaires sociaux. Il importe que ces négociations, dont le champ d’application doit couvrir l’ensemble des salariés et des opérateurs du secteur, aboutissent à un accord. Et cet accord devra établir des règles claires et partagées par tous, propres à garantir en particulier le respect essentiel des exigences de sécurité.
Il est de l'intérêt du développement du transport ferroviaire, auquel le Gouvernement est très attaché, de déterminer ce juste équilibre. A cet égard, le régime applicable à la SNCF en matière de durée du travail, s’il constitue une référence précieuse pour éclairer les travaux des partenaires sociaux, n’a pas vocation à constituer, à lui seul, une référence intangible, sur laquelle les concurrents de l’opérateur historique seraient contraints de s’aligner. Ce régime, je le rappelle, est fondé sur un acte dit « loi du 3 octobre 1940 ».
Certes, des accords ont été négociés entre les partenaires sociaux de l’entreprise, notamment en 1999. Mais est-il justifié que le droit de la durée du travail de la SNCF reste à l’écart des évolutions législatives générales concernant la durée du travail ?
Est-il possible de maintenir le statu quo en cette matière ? Ces questions sont pour moi essentielles et je souhaite y insister. La SNCF n’a pas à craindre la concurrence et je suis convaincue que la compétence et le professionnalisme des cheminots sont ses atouts majeurs dans le contexte à venir.
Mais l’entreprise peut-elle faire durablement l’économie d’une adaptation des conditions d’emploi des personnels dans un contexte profondément modifié par l’arrivée demain de nouveaux concurrents ? Il me paraît que les résultats actuels de Fret-SNCF doivent au moins nous inciter à nous poser franchement la question. Le Gouvernement souhaite donc la création d’un droit social commun à la branche du transport ferroviaire. Mais je le répète, un droit social commun ne veut pas dire la généralisation à toute la branche des dispositions applicables aujourd’hui à l’entreprise historique.
Pour autant, je ne perds pas de vue l’enjeu majeur qui conditionne, me semble-t-il, le succès de l’ouverture du marché ferroviaire et qui résume, je crois, la problématique de ce colloque : je veux parler de l’équité concurrentielle dans le respect des spécificités du transport ferroviaire. L’équité concurrentielle doit reposer sur un socle de règles commun à l’ensemble des parties prenantes. Voici, me semble-t-il, ce qui devrait guider les partenaires sociaux appelés ?? négocier le futur cadre social harmonisé commun aux entreprises de la branche, une négociation à laquelle je le précise, la SNCF devrait, d’une manière ou d’une autre, être partie prenante.
Je voudrais en venir brièvement au second thème, plus spécifique aux conséquences sociales de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire régional de voyageurs : celui de la succession d’employeurs et du « transfert » des contrats de travail. Les recommandations du Sénateur GRIGNON visent à permettre le transfert des contrats de travail entre employeurs en cas de changement d’opérateur. Si par exemple, la SNCF venait, dans un avenir plus ou moins proche, à perdre des appels d’offres sur des services qu’elle exploite aujourd’hui dans le cadre de son monopole, quel serait le sort des agents aujourd’hui affectés à ces services ?
Il existe à cette question plusieurs niveaux de réponse. Tout d’abord, je crois qu’il doit être clair que ces agents devraient pouvoir continuer à exercer leur métier dans des conditions qui ne soient pas plus défavorables. Car il ne saurait être question d’opposer ici « concurrence » et « conditions d’emploi », cette notion englobant bien entendu aussi les questions de santé et de sécurité au travail. Ce n’est pas sur ce terrain que nous attendons les bienfaits de la concurrence.
Certes, ce type de transfert serait nouveau dans le cas des agents de la SNCF, s’il s’avérait qu’une autre entreprise de transport devait succéder à l’opérateur historique sur un service régional de transport de voyageurs. Mais en cette matière, s’applique déjà largement le mécanisme légal ou conventionnel des transferts de contrats de travail, qui a cours dans un grand nombre d’activités et notamment dans les transports publics urbains. Il s’agirait donc de s’inspirer de ce mécanisme protecteur des intérêts des salariés, mais aussi des entreprises.
J’ai lu avec intérêt les propositions du Sénateur GRIGNON sur ce point. Tout en proposant que la loi « pose le principe » du transfert des contrats de travail des salariés à l’occasion de la reprise d’un service par un nouvel opérateur, le rapport propose de conserver à ce transfert un caractère facultatif pour les agents et salariés qui seraient concernés par les critères d’applications du transfert, la définition de ces critères étant elle-même renvoyée à la négociation entre partenaires sociaux.
Il m’apparaît également important de n’occulter aucun débat et de réfléchir ensemble, lors de vos discussions, aux tenants et aux aboutissants du caractère facultatif de ce transfert : dès lors que les droits et avantages des salariés concernés sont garantis -le rapport précise bien les choses sur ce point- l’intérêt général du service -celui des usagers et des contribuables comme celui des autorités organisatrices- serait-il possible/souhaitable/nécessaire de se montrer plus directif ? Et ceci en prenant pleinement en compte les contraintes de l’opérateur historique et les intérêts des cheminots. En effet, quelles issues s’offriraient à la SNCF si elle se trouvait demain obligée d’occuper des agents qui auraient refusé leur transfert ?
Quant aux salariés, seraient-ils dans une situation meilleure s’ils se trouvaient confrontés à l’alternative, soit de donner leur assentiment explicite à un transfert hors de l’entreprise historique, soit de rester dans l’entreprise sans affectation déterminée ?
Voilà résumées une série de questions dont vous aurez à débattre tout au long de cette journée.
Au-delà des questions techniques, qui relèvent de la seule ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, il s'agit de savoir si un système de transport ferroviaire peut répondre aux exigences croissantes de ses clients actuels, en se retranchant derrière ses spécificités sociales historiques. Ou bien au contraire, si un cadre social commun à toute une branche, modernisé, ne serait pas de nature à favoriser l’échange des expériences et le progrès au profit de la collectivité.
L’organisation d’une journée d’échanges comme celle-ci, j’en suis convaincue, est essentielle pour construire ensemble, progressivement, les bonnes réponses à toutes ces questions nouvelles. Mais nous le savons tous, une seule journée de discussion n’y suffira pas !
Il faut donc que le débat se poursuive.
Pour continuer ces travaux sur l’ouverture à la concurrence des services ferroviaires régionaux, engagés aujourd’hui dans cette enceinte, je tenais à vous informer que j’ai proposé au Premier Ministre une saisine du Conseil économique, social et environnemental sur le sujet.
Par ailleurs, depuis ma nomination en tant que ministre en charge des transports, j’ai pu percevoir combien les sujets ferroviaires suscitaient des débats passionnés. Il faut dire que le secteur ferroviaire se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, et confronté à des paradoxes parfois difficiles à concilier :
- un réseau existant à entretenir, pour lequel le Gouvernement met en oeuvre un plan ambitieux d’investissement,
- des projets de nouvelles lignes à grande vitesse en grand nombre,
- une qualité de service qui tend à se dégrader, alors que les français n’ont jamais autant exprimé leur attachement au bon fonctionnement des services ferroviaires,
- un contexte concurrentiel qui évolue et que nous devons ensemble anticiper,
- une filière industrielle ferroviaire qui traverse actuellement une période difficile.
C’est la raison pour laquelle je souhaite organiser, dès septembre, un débat national autour de toutes ces questions. Ces « Assises du ferroviaire », dans la droite ligne des échanges que vous avez aujourd’hui, devront permettre de dessiner l’avenir du modèle ferroviaire français. Car il nous appartient de construire ensemble le chemin de fer de demain.
Mesdames, Messieurs, je vous laisse donc poursuivre vos débats pour cet après-midi, et je suis certaine qu’ils seront riches et instructifs.
Et je tiens à vous assurer que le Gouvernement sera particulièrement attentif à vos interrogations et à vos propositions.
« Notre objectif est de rechercher le consensus le plus large possible pour réussir, avec les régions, les acteurs du secteur ferroviaire et les voyageurs, cette deuxième étape dans la vie des TER ».
Je vous remercie de votre attention.Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 17 juin 2011