Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la réforme du droit de la famille et l'évolution de la famille contemporaine, sur les mesures en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière d'autorité parentale et de patronyme, et sur la proposition d'instaurer un congé de paternité, Paris le 11 juin 2001.

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Circonstance : Conférence de la famille à Paris le 11 juin 2001

Texte intégral

Mesdames les ministres,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous retrouver pour cette nouvelle Conférence de la Famille. C'est pour moi une rencontre privilégiée qui permet de marquer un temps de réflexion collective sur des sujets majeurs, qui concernent tous les Français. Quoi de plus essentiel en effet que le droit de chacun à vivre avec ceux qu'il aime et qui l'aiment ? Quoi de plus fondamental, dans une société démocratique et solidaire, que le respect du droit de chaque enfant à vivre dans une famille et à recevoir une éducation qui lui permette de trouver sa place dans le monde ?
C'est aux pouvoirs publics qu'il revient de garantir ces droits, qui vont bien au-delà de la seule distribution de prestations ou d'allocations. La Conférence de la Famille, à laquelle j'attache la plus haute importance, est l'occasion de mettre en perspective les lignes de force d'une politique familiale que je souhaite ouverte, généreuse et cohérente. La relation de confiance qui s'est construite tout au long de l'année écoulée entre les partenaires sociaux et la ministre déléguée à la Famille, à l'Enfance et aux Personnes handicapées nous permet de dresser aujourd'hui un bilan positif du travail accompli ensemble.
La famille et l'enfance sont des notions et des ensembles qui recouvrent des réalités disparates et en évolution constante. Ce qui aujourd'hui " fait famille ", comme l'a souligné récemment Ségolène ROYAL, ministre déléguée à la Famille, à l'Enfance et aux Personnes Handicapées, n'est pas nécessairement " la " famille au sens où l'entendait le Code Civil napoléonien -qui régit encore certains aspects de notre vie sociale. Il revient donc aux responsables politiques de faire, dans leur approche du fait familial, la part des choses, entre les fluctuations de l'air du temps et les exigences d'une modernisation en profondeur de notre société.
Clef de voûte de la politique de la famille, notre droit doit s'adapter à l'évolution des réalités vécues par nos concitoyens.
Les femmes ont conquis au cours du XXème siècle leur indépendance économique et politique. Au sein du couple, les rôles ont considérablement évolué. La famille nucléaire, où le père pourvoit aux ressources tandis que la mère veille sur le foyer et l'éducation des enfants est devenu un modèle familial parmi d'autres. Dans une société où 40 % des enfants naissent hors mariage, où près de 120.000 divorces sont prononcés tous les ans et où l'on recensait en 1999 plus de 1,7 million de foyers monoparentaux, adapter l'état de notre droit à ces données de fait est une nécessité.
La réforme du droit de la famille doit procéder d'une réflexion globale sur l'évolution des structures de la famille contemporaine et des liens de parentalité, étayée par les travaux de nombreux spécialistes. La ministre de la Justice, Marylise LEBRANCHU, et la ministre déléguée à la Famille et à l'Enfance y travaillent conjointement. Les deux ministres ont souhaité soumettre un premier document d'orientation à une large concertation au cours de ces dernières semaines. Des rencontres régionales ont ainsi rassemblé des professionnels du droit et des représentants des associations, ainsi qu'un large public.
A l'issue de ce débat, le Gouvernement est en mesure de définir les grands axes d'une réforme, qui s'articule autour du principe d'égalité : égalité des femmes et des hommes, égalité de la mère et du père, égalité des filiations. Sa mise en uvre, dont les pouvoirs publics veillent à assurer la cohérence, pourra d'ailleurs prendre appui sur des initiatives récentes de la Représentation nationale.
Les droits du conjoint survivant seront améliorés : la proposition de loi présentée par le député Alain VIDALIES a été adoptée en première lecture, à l'unanimité, par l'Assemblée nationale, en février dernier. Elle sera examinée dans les prochains jours par le Sénat.
Les modalités de la détermination du nom patronymique doivent aussi prendre en compte le principe d'égalité entre les femmes et les hommes. Cette réforme a déjà fait l'objet d'une première lecture à l'Assemblée, à l'initiative du député Gérard GOUZES. Le texte devra être précisé lors de son examen par le Sénat à l'automne.
L'affirmation de l'autorité parentale, inséparable de la reconnaissance de la filiation, doit être clairement énoncée. La proposition de loi des députés Jean-Marc AYRAULT, Christine LAZERGES et Marc DOLEZ, qui sera examinée le 14 juin, va dans ce sens : elle vise à renforcer le caractère conjoint de l'autorité parentale entre le père et la mère, notamment lorsque les parents sont séparés, de fait ou de droit. La loi devra aussi mieux garantir l'égalité et la stabilité des liens de filiation, quel que soit le statut des parents.
Enfin, l'aménagement de la procédure du divorce appelle un effort significatif de simplification et de pacification. Le divorce est souvent vécu comme une épreuve judiciaire, douloureuse pour les familles, même en cas de séparation mutuellement consentie. Le Gouvernement préparera un projet de loi. Je souhaite que les travaux préparatoires qui s'engagent puissent donner lieu à une discussion approfondie sur la question de l'intervention du juge et sur la place de la faute dans la procédure.
Mesdames, Messieurs,
Avec 778.900 naissances en 2000, la France a connu une augmentation de 5 % de la natalité, confirmant la tendance engagée depuis deux ans. Je vois là un très beau signe d'optimisme retrouvé et de confiance en l'avenir, qui doivent être confortés.
La politique familiale du Gouvernement poursuit donc l'objectif de solidarité fixé en 1997.
Si le mariage n'est plus nécessairement l'acte fondateur de la famille, le fait d'être parent demeure une responsabilité partagée, depuis la naissance jusqu'à l'entrée de l'enfant dans l'âge adulte.
Nous voulons favoriser l'autonomie des jeunes adultes. Où finit l'enfance ? Comment la définir aujourd'hui ? Si l'âge de 18 ans signe désormais l'accès formel à la majorité civique, l'accès à une majorité effective, c'est-à-dire à l'indépendance financière et donc à la responsabilité sociale, est régulièrement retardé pour les jeunes adultes. L'allongement de la durée des études, les difficultés d'entrée sur le marché du travail -certes moindres ces toutes dernières années-, l'évolution des relations entre parents et enfants amènent un nombre toujours plus élevé de " grands enfants " à rester plus longtemps à la charge de leurs familles. Dans un avis récent du Conseil économique et social, Monsieur Hubert BRIN formule des propositions intéressantes pour permettre aux jeunes adultes de devenir plus vite des acteurs de la vie économique et d'assumer plus tôt leur rôle de citoyens à part entière. Le coût d'un tel projet est cependant très lourd pour les finances publiques. Il est donc indispensable d'engager sur ce sujet une réflexion d'ensemble. La proposition de loi d'Alain BOCQUET et de l'ensemble du groupe communiste, portant création d'une Commission nationale pour l'autonomie des jeunes, qui a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale, sera examinée le 19 juin par le Sénat. Cette Commission pourra être mise en place avant la fin de l'année 2001 ; le Gouvernement sera très attentif au déroulement de ses travaux. Les propositions de cette commission constitueront un apport particulièrement important à la définition d'une nouvelle étape de la politique du Gouvernement en direction des jeunes.
Nous avons d'abord pris le parti d'agir sur le contexte économique, à travers les emplois-jeunes et une politique volontariste en faveur de l'emploi. Nous avons ainsi réduit de plus de 40 % le taux de chômage des jeunes. Pourtant, celui-ci reste encore trop élevé. Nous poursuivons nos efforts pour réduire les difficultés d'insertion des jeunes dépourvus de qualification. Le programme TRACE, lancé dans le cadre du Plan de lutte contre les exclusions en 1998, va changer de dimension : il sera amplifié et profondément amélioré. Le Gouvernement veut ainsi redresser sensiblement la situation financière des jeunes chômeurs, notamment ceux issus de familles pauvres, souvent en situation de rupture, qui s'engagent dans un parcours d'insertion professionnelle. La ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Elisabeth GUIGOU, présentera le dispositif dans quelques semaines.
D'autre part, nous allons revoir le mécanisme d'évaluation forfaitaire des ressources pour les jeunes de moins de 25 ans qui bénéficient d'aides au logement ; le mécanisme actuel est en effet trop complexe et souvent pénalisant.
Ces mesures constituent une première réponse à la question de l'autonomie des jeunes. Beaucoup reste à faire. Je souhaite que cette question fasse l'objet d'un large débat au cours des prochains mois.
Par ailleurs, nous mettons en uvre la réforme de l'allocation d'éducation spécialisée. Le Gouvernement a été sensible à cette demande des parents d'enfants handicapés. Nous allons simplifier la gestion de la prestation et modifier ses modalités de calcul, afin de mieux prendre en compte, en particulier, les problèmes de l'autisme. 250 millions de francs vont être provisionnés pour le financement de cette réforme en 2002.
Nous maintenons le cap d'une politique familiale en faveur de l'accueil des jeunes enfants. C'est le seul moyen de ne pas pénaliser les mères et de permettre aux deux parents de concilier vie familiale et vie professionnelle. Sur les 1.500 millions de francs affectés l'an dernier au fonds d'investissement pour la petite enfance, 1.200 ont déjà été engagés. Cette mesure va permettre d'accueillir en crèche 38.000 enfants supplémentaires. 1.400 projets ont été retenus, dont beaucoup prévoient l'extension des horaires d'ouverture et l'accueil d'enfants handicapés. La demande reste très forte dans ce domaine. Aussi, le Gouvernement abondera ce fonds d'un milliard de francs supplémentaire. Cette mesure devrait permettre de diversifier davantage les propositions d'accueil, en attribuant également des aides à l'équipement des assistantes maternelles. Je sais que la Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF) est très attachée au caractère pluriannuel de notre Convention d'objectifs et de gestion (COG). Afin d'assurer notamment le développement des crèches, l'Etat s'engage à poursuivre un effort important de dotation du fonds d'action sociale de la CNAF sur l'ensemble de la période 2001-2004. Grâce au travail approfondi entre les services du ministère de l'Emploi et de la Solidarité et ceux de la CNAF, la convention d'objectif et de gestion va donc pouvoir être signée dans les jours qui viennent, marquant ainsi une ambition forte d'améliorer les services rendus aux familles.
La Constitution pose comme principe fondamental l'égalité entre les femmes et les hommes. C'est l'une des finalités de notre politique familiale, qui passe par la mise en uvre d'une véritable parité parentale. Or, dans notre pays, la place du père n'est pas suffisamment reconnue dans les premiers temps de la vie de l'enfant.
C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de créer un congé de paternité. Avec les mères, les pères doivent pouvoir vivre pleinement l'événement que constitue une naissance, afin d'accueillir ensemble l'enfant dans les meilleures conditions. En s'ajoutant aux trois jours prévus par le Code du Travail, le congé de paternité, qui sera mis en place dès janvier 2002, permettra aux pères de disposer au total de deux semaines de congé. Le mode de calcul des indemnités journalières versées pendant cette période sera aligné sur celui du congé de maternité. Les dispositions législatives nécessaires seront soumises au Parlement à l'automne prochain, dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale.
Mesdames, Messieurs,
Depuis 1997, le Gouvernement a fait de la Famille et de l'Enfance une de ses priorités. Il a maintenu un dialogue constant avec les partenaires sociaux et les représentants de la société civile. Donner aux femmes -et aux hommes- les moyens de concilier vie familiale et vie professionnelle, c'est faire avancer la justice sociale. En adaptant notre droit aux évolutions de la société, en assurant sécurité et stabilité aux enfants et à leurs parents, notre politique familiale fait vivre les valeurs de solidarité et de fraternité qui sont le ciment de la démocratie. A travers la vitalité dont témoignent les familles d'aujourd'hui, qui inventent au quotidien de nouvelles formes de lien social, se forge, sous nos yeux, une France ouverte, tolérante et moderne.

(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 juin 2001)