Déclaration de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, sur l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, notamment au niveau régional, la nécessité d'un cadre social harmonisé pour tous les salariés du ferroviaire et la réforme de la gouvernance ferroviaire, à Paris le 15 décembre 2011.

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Circonstance : Séance de clôture des Assises du ferroviaire, à Paris le 15 décembre 2011

Texte intégral

Messieurs les Parlementaires, Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Présidents de groupes,
Mesdames, Messieurs,
D’abord, je voudrais remercier tous ceux qui ont pris des responsabilités, ceux qui ont participé, pour leur travail. Vous vous souvenez, nous avons eu un débat en septembre sur le calendrier, qui paraissait court à certains. En même temps, on se disait que si on prenait l’exemple du Grenelle de l’environnement, il s’était fait dans un calendrier très court et le temps resserré avait justement permis d’avoir des réflexions d’autant plus substantielles. Je crois que c’est ce qui s’est passé et je voudrais vraiment vous en remercier. Je voudrais vous remercier pour la qualité des propositions et pour leur caractère extrêmement opérationnel. Je le disais tout à l’heure, je n’ai pas voulu que l’on attiédisse les rapports, vous les verrez en ligne tout à l’heure. Sur certains aspects, ils sont encore beaucoup plus rudes, carrés, certains diront polémiques, que ce qui est présenté dans les transparents. Je pense que c’est bien, parce que nous avons mené une réflexion ambitieuse et les fondements d’une ambition doivent être aussi solides que cela.
Cela faisait très longtemps que le monde du ferroviaire n’avait pas débattu de manière aussi extensive et sans conflit. C’est un très bon signal que tout le monde ait été là au début et que tout le monde soit encore là à la fin. J’y vois la confirmation que tous aiment le train. C’est d’abord cela qui s’est exprimé à travers ces Assises, la passion du train. Ce n’était pas évident, il y a des gens qui prennent l’avion. J’en ressors de mon côté pleine d’espérance.
Il y a de très nombreuses recommandations, je le dis comme je le disais au début, mais toutes les décisions ne sont pas prises. Certains sujets sont loin de faire consensus, y compris au sein du Gouvernement. Certaines préconisations nécessitent une expertise plus poussée, certains sujets, notamment la dette, viennent percuter un peu brutalement d’autres calendriers. Tout ne sera pas annoncé aujourd’hui, mais je voudrais d’ores et déjà m’engager sur certaines orientations et proposer à certains des façons de poursuivre pour pouvoir prendre les bonnes décisions dans un calendrier qui resterait malgré tout très resserré.
Ce qui me frappe dans ce qui ressort des différentes interventions, c’est l’ouverture du monde ferroviaire, au sens de l’ouverture d’esprit, pas seulement l’ouverture à la concurrence, mais aussi l’intérêt pour ce qui se passe ailleurs, la nécessité d’avoir des benchmarks, la recherche parfois à l’excès de modèles étrangers et l’intérêt pour pouvoir se projeter vers d’autres horizons. C’est finalement assez logique, puisqu’il est question de transport et en plus de transport international. Nous avons pris le temps de regarder ce qui se passait chez nos voisins et ce que nous pouvions améliorer chez nous à partir de leur exemple. En même temps, on ressort de ces Assises avec le constat que la France est un grand pays ferroviaire, qu’elle souhaite le rester, qu’elle n’a probablement pas à redouter les comparaisons, mais qu’elle doit se réformer si elle veut rester au niveau de ses ambitions.
Si je prends les thèmes dans l’ordre des commissions, l’ouverture à la concurrence était un des thèmes examinés par la commission présidée par Gilles Savary, que je remercie pour le caractère constructif, précis et opérationnel de ses recommandations. Ces recommandations rejoignent mon opinion et, assez logiquement, je fais miennes aujourd’hui un certain nombre de ces recommandations. D’abord le constat que la concurrence n’est pas un but en soi, qu’elle n’est pas une idéologie, quelque chose qu’il faudrait combattre ou soutenir, mais un instrument que nous devons apprendre à utiliser au mieux de nos objectifs, qui sont autres. Encore une fois, la concurrence n’est pas un but en soi. En revanche, c’est déjà une forme de réalité aujourd’hui, la concurrence est là sous différentes formes, dans le fret, dans le transport international de voyageurs, et parfois sous des formes qui ne nous conviennent pas. Nous avons notre part de responsabilité, je pense à la façon dont cela s’est fait dans le fret, qui apparaît, au fil de ces Assises comme un véritable contre-modèle qu’on ne veut plus revivre et retraverser.
La commission propose d’anticiper toute ouverture pour construire un modèle qui fasse prévaloir nos intérêts : agir pour ne pas subir le changement. Je souscris à cette orientation et je souhaite que nous nous mettions en ordre de bataille, par exemple en permettant aux régions qui souhaitent ouvrir à la concurrence -et je fais écho à ce que disait Jacques AUXIETTE sur ce point- certains de leurs TER et en permettant à l’État de faire quelques expérimentations pour les TET, ce qui permettra de nous caler et de développer nos propres propositions, nos propres modèles en vue des discussions européennes ultérieures.
Nous avons besoin que le cadre juridique soit là et cela nécessite une préparation de la part des différents acteurs. L’État montrerait l’exemple en ouvrant quelques lignes à l’issue de la convention actuelle qui la lie avec la SNCF. Pourquoi commencer par les TER et les TET ? Il y a une logique : la concurrence pour les contrats de service public étant un modèle que nous maîtrisons bien, commençons et testons-nous sur nos aires d’excellence. Nous maîtrisons bien dans les transports, particulièrement dans les réseaux de transports publics de province, nous savons faire dans le cadre des DSP.
La situation n’est pas exactement celle du ferroviaire, c’est entendu, mais nous pouvons construire sur cette expérience-là pour essayer de définir les ajustements à faire et avoir des expérimentations utiles. Les TER et les TET aussi parce qu’il me semble que les choses ne sont pas mûres du tout sur les TGV, sur lesquels il faudra que le calendrier soit beaucoup plus détendu. Il faudra se poser d’autres questions sur les modalités d’une ouverture et nous pouvons l’examiner une fois que la commission aura rendu publiques ses conclusions en 2012. Nous ne sommes pas non plus aux pièces. Il en est de même pour l’Ile-de-France et, là aussi, je souscris aux conclusions de la commission Savary, le système est complexe, il est sous tension, nous avons aujourd’hui d’autres enjeux. Le Président de la République le disait le 5 décembre, il y a des questions d’organisation, de qualité de service et de fonctionnement entre opérateurs à régler. Ce sera notre priorité dans les mois et les années qui viennent. Je fais écho au constat partagé que nous n’avons pas envie que cela se repasse comme dans le fret, il nous faut éviter le big-bang et une ouverture désordonnée et mal maîtrisée. L’État et les régions auront une responsabilité conjointe à faire en sorte que nous expérimentions progressivement pour pouvoir définir un modèle, en faire la promotion et agir pour ne pas subir.
Il faudra passer par la loi. C’est une étape indispensable du point de vue juridique, c’est aussi une étape indispensable du point de vue politique. Le ferroviaire est un enjeu national et cette passion du train que nous partageons est aussi partagée par les Français. Il faudra qu’il y ait une loi sur ces questions. Cette passion du train justifie en tout point que ce sujet relève du Parlement. C’est un texte qui devrait aussi permettre de bâtir les fondements d’un cadre social à harmoniser pour tous les salariés du ferroviaire, avec une convention collective du transport de voyageurs, qui pourrait être complétée par des accords d’entreprise, pour garantir les conditions d’une concurrence équitable entre les différentes entreprises ferroviaires. Encore une fois, il s’agit d’éviter les erreurs du fret pour le transport de voyageurs et, bien sûr, la SNCF et les organisations syndicales devront avoir toute leur place autour de la table des négociations.
Nous avons un important travail juridique devant nous sur ce sujet. Cela a été évoqué, j’ai confié une mission à Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE, le président de la section sociale du Conseil d’État, et je le dis très clairement ici, puisque je sais qu’il recevra les partenaires sociaux en janvier : je lui confirmerai que sa mission doit être la stricte poursuite des Assises du ferroviaire que nous clôturons. Il y a là un cadre intéressant, extensif, exhaustif et c’est à l’intérieur de ce cadre que nous travaillons et qu’il travaillera lui aussi prochainement avec les organisations syndicales.
Avec tout cela, nous devrions avoir à l’été un projet détaillé et une marche à suivre en matière de droit social du ferroviaire. Et je ferai attention à ce que le climat des discussions soit le même dans les prochains mois qu’il a été pendant les Assises, quitte à reconduire les réunions ad hoc avec les organisations syndicales que j’ai pu mener à l’occasion des Assises ; elles ne trouvent pas forcément leur fin dans ce format aujourd’hui. Après la loi, une place sera laissée à la discussion entre les partenaires sociaux, c’est à eux qu’il reviendra de négocier.
Un mot pour dire que j’attends aussi beaucoup de ce qui se passe en ce moment au Conseil économique, social et environnemental au sujet de la concurrence des TER. Il est bien qu’une organisation représentant la société civile et mixte se soit saisie de ce sujet.
En matière de gouvernance, je crois qu’il est clair pour tout le monde que le statu quo n’est plus possible aujourd’hui. Véronique MORALI nous le disait dans sa présentation et je souscris à ce constat. Nous avons en Europe une séparation qui est très atypique entre un gestionnaire d’infrastructures (RFF) et une entreprise ferroviaire qui a conservé la mission d’entretien et d’exploitation de l’infrastructure par délégation de RFF. En fait, le système d’aujourd’hui cumule un certain nombre d’inconvénients et nous pouvons ensemble le reconnaître. Il n’est pas tellement lisible. Je le vois bien, à propos du cadencement, dans les interventions des médias sur RFF et la SNCF et je fais attention, dans mes questions au Gouvernement, à bien distinguer ce qui relève de RFF et de la SNCF. Mais combien de Français savent ce qu’est la répartition entre RFF et la SNCF et ce qui se passe exactement ? C’est un système qui multiplie les interfaces, y compris sur le terrain. Les interfaces sont humainement et physiquement un peu compliquées, j’ai pu le constater dans certains sites. C’est un système qui dilue les responsabilités ou, en tout cas, qui incite au renvoi de responsabilités, ce qui n’est pas de bonne gouvernance, chacun peut en convenir. Il ne répond pas aux attentes que nous pouvons avoir en termes d’entretien et de fonctionnement du réseau tout simplement, ce qui ne remet pas en cause la qualité des personnes et des personnels qui ont fait un travail remarquable, notamment à l’occasion du cadencement, j’y reviendrai.
Ceci n’est d’ailleurs pas forcément une critique de ce qui a été fait à partir de 1997. À l’époque, ce système a permis de répondre à de nombreuses problématiques, mais, aujourd’hui, il montre ses limites. Les enjeux ont évolué et nous devons bouger. La loi relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires (ORTF) de 2009, qui a institué l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) a donné son autonomie à la direction de la circulation ferroviaire (DCF), elle a amélioré le système, mais cela ne va pas assez loin non plus. Les enjeux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui conduisent à proposer une évolution absolument radicale de cette organisation.
À ce stade, je voudrais dire que le bon exemple de ce qui s’est passé à l’occasion du service annuel 2012 me conforte dans cette conviction. C’est à la qualité des personnes et des personnels que nous devons qu’il se soit bien passé. Les discussions et les mois de mobilisation avant la mise en place du service annuel 2012 ont montré la grande difficulté dans laquelle l’organisation actuelle plongeait les uns et les autres. Je le dis clairement ici, nous allons vers l’unification des métiers de la gestion et de l’infrastructure, qui me paraît être une condition nécessaire du succès du ferroviaire de demain. C’est une solution pragmatique pour la période qui s’ouvre. Nous allons avoir des travaux hors du commun et des circulations de plus en plus cadencées. Nous avons donc besoin d’une organisation unique avec un management et des responsabilités claires. Je sais que c’est aussi quelque chose qui est très attendu par les agents, qui en ont assez des structures multiples, des relations complexes parfois ambiguës qui nuisent aussi à la qualité des relations à l’intérieur du monde du travail. Le principe d’unification est ici acté. Je constate d’ailleurs qu’il fait l’objet d’un large consensus.
Une fois que l’on a acté le principe, il faut parler de la nature d’un grand gestionnaire d’infrastructures (GI) qui devra donc, pour que les choses soient claires, regrouper RFF, la DCF et la SNCF Infrastructures. Là, les choses sont moins mûres, comme ne l’a pas dissimulé Véronique tout à l’heure. Faut-il un GI séparé de l’opération historique, au risque de couper le système radicalement en deux, parce que cela veut dire aller beaucoup plus loin qu’aujourd’hui, avec les défauts opérationnels que cela peut comporter ?
Nous avons l’exemple britannique qui, je dois le dire, n’est pas complètement enthousiasmant, avec quelques années de désintégration et de fragmentation du système qui ont montré les faiblesses très critiquées de ce type d’organisation, une exploitation défectueuse, des problèmes de sécurité et une absence de vision d’ensemble. Je ne suggère donc pas aujourd’hui de suivre aveuglément l’exemple britannique et de s’engager dans cette voie. Faut-il un système holding construit autour de la SNCF ? Ce projet subit aussi quelques critiques, même s’il était plus largement partagé à l’intérieur de la commission, comme d’ailleurs à l’intérieur de l’assemblée plénière des Assises.
La question des compatibilités avec les normes européennes se pose, même si, je le sais, il y a eu des débats non conclusifs sur ce sujet. En tout état de cause, il ne faudrait pas que l’on soit dans un retour en arrière. Je rappelle que le système de 1997 avait vraiment montré ses limites et cet aller-retour aurait peu de sens. L’intégration peut paraître séduisante dans sa simplicité, mais elle ne répond pas forcément à tous les enjeux soulevés, notamment les assurances qui doivent être apportées aux opérateurs concurrents en matière de non-discrimination et la nécessité de mettre en place une forte régulation. Devons-nous d’ailleurs nous laisser enfermés dans l’idée qu’il existe deux modèles, un modèle anglais et un modèle allemand, modèle allemand qui fonctionne bien en effet, mais pour des raisons qui sont peut-être un peu différentes de celles de l’organigramme ? Et ne devons-nous pas rechercher une troisième voie ? Cela a d’ailleurs été évoqué tout à l’heure à travers une intervention en écho à la présentation de Véronique MORALI.
Nous avons donc besoin ici d’expertises et de discussions complémentaires qui sont aujourd’hui mises en place et qui porteront sur les critères suivants :
– le caractère opérationnel et fiable du système ;
– le haut niveau de sécurité à maintenir ;
– la compatibilité avec la norme européenne en sortant de l’alternative qui ne correspond pas forcément à notre histoire système anglais/système allemand ;
– la capacité pour les pouvoirs publics et le régulateur à intervenir efficacement dans un service public, c’est-à-dire en fait la transparence au profit des usagers ;
– la capacité à gagner des marchés, qui n’est pas sans lien avec les questions de gouvernance ;
– les conditions d’acceptabilité des personnels, puisqu’ils se sentent eux-mêmes mal à l’aise dans l’organisation actuelle et vont jusqu’à exprimer, dans certains sites de travail, un mal-être lié à ce problème de gouvernance.
Sur ces points, je demande aux services de l’État, aux présidents de la SNCF et de RFF de poursuivre avec moi le travail pour, au printemps, remettre au Gouvernement un projet plus abouti. Dans ce projet, il faudra qu’il y ait le calendrier et les modalités de rapprochement des fonctions exercées par RFF, DCF et SNCF Infrastructure. D’ores et déjà, je demande à RFF d’accélérer son rapprochement déjà engagé avec la DCF. Ce document devra aussi proposer un schéma de principe d’organisation globale répondant aux enjeux que je viens de citer, ce qui nécessitera au passage de poursuivre la discussion de concert avec un certain nombre des participants des Assises, notamment les organisations syndicales et représentants du personnel.
Une fois qu’il aura été mis en forme, ce projet sera soumis à l’UTP, au GART, à l’ARF, à l’ARAF et au SNIT, ainsi qu’aux représentants des AOT de transport régional. Le printemps sera le moment opportun.
C’est cohérent avec le calendrier de la Commission européenne qui, de toute façon, commencera à élaborer sa propre vision. La France aura donc déjà construit un modèle qu’elle pourra aller proposer à Bruxelles. Je suggère donc que nous essayons de faire un modèle ad hoc à nous.
Deux autres questions ont nourri les débats de la commission MORALI, celle des gares et celle de la décentralisation. Sur les gares, tout le monde sait qu’un décret les réformant vient de sortir du Conseil d’État. Je sais qu’il y a encore quelques interrogations sur ce décret qui permet des progrès importants. Je rejoins l’avis de la commission en demandant que le texte puisse être mis en oeuvre au plus vite pour que nous puissions, d’ici un an, tirer un premier bilan de ces apports, quitte à recaler les choses.
Je voudrais m’arrêter quelques instants sur les sujets qui touchent à la décentralisation et aux régions. Ils étaient directement abordés, ou en filigrane, dans un certain nombre des interventions. D’abord, les régions ont une place essentielle, une place croissante et une place appréciée par tous, l’État, les usagers et les opérateurs, dans le système ferroviaire. C’est une belle réussite. Il y a eu une explosion des trafics depuis la décentralisation des services ferroviaires régionaux de voyageurs. Cette place doit être mieux confortée et je prends d’ailleurs ma part de responsabilité. Je pense que nous devons plus systématiquement associer les régions à tout (formation, travaux) en amont. C’est légitime et primordial.
Nous devons aussi réfléchir à la manière dont la région va pouvoir, demain, devenir la collectivité territoriale coordinatrice en matière de transports. Les transports, quel que soit le mode, constituent un système, ils doivent donc être mieux organisés au plan local. Il faut éviter les redondances et la concurrence entre modes, il faut mieux desservir les zones denses et mieux orienter les voyageurs vers le TER. Enfin, il faut mieux penser le système global et cela doit être notre ambition. Je sais que l’Association des régions de France (ARF) partage cette ambition. Je vous propose une nouvelle étape de régionalisation ferroviaire. Il nous faut maintenant entrer dans le vif du sujet et aller plus loin, sans mettre en cause l’intégrité du réseau, cela a été justement rappelé et de manière très nette. Je propose qu’un groupe de travail se forme entre l’ARF et les services de l’État pour finaliser les propositions d’une nouvelle étape de régionalisation ferroviaire.
Je suis également favorable à la proposition de la commission Baverez -vous appréciez l’habile transition que je ménage ici- qui vise à moderniser le mécanisme de fixation des tarifs de la SNCF pour les services TER : les régions devraient être plus libres de fixer leurs tarifs sans intervention de l’État. Ce sera mis en oeuvre.
J’enchaîne sur l’économie du ferroviaire et les propositions portées par Nicolas Baverez. Ces propositions ne laissent pas indifférents, et encore vous n’avez pas lu le rapport ! Ce discours de vérité, je l’assume aujourd’hui sans reprendre forcément à mon compte toutes les propositions, je pense que le ferroviaire en a besoin.
D’abord parce que le constat est sans appel. J’observe d’ailleurs qu’il n’a pas été contesté. Nous sommes dans une impasse de financement. C’est notre responsabilité de nous le dire. Il manque au système au moins 1 milliard tous les ans. C’est un chiffre important, même en regard des coûts de fonctionnement globaux du système dans lequel, je le redis clairement, il y a 23 milliards par an de coût de fonctionnement, dont 13 milliards de contributions publiques. En fait d’impasse, ce 1 milliard vient en plus. La proportion des concours publics est forte dans tous les systèmes ferroviaires européens. Il ne s’agit pas de la remettre en cause, ce n’est pas le sujet.
Mais l’impasse de financement, elle, ne peut pas nous laisser indifférents, on ne peut pas se résigner à un tel déficit structurel et durable. J’insiste, c’est une question qui ne vient pas effacer celle de la dette, mais qui vient en plus, à côté, et qu’il sera peut-être plus facile de résoudre aujourd’hui.
Nous avons donc besoin de trouver des marges de manoeuvre pour résorber ce milliard, sans faire un appel supplémentaire aux contribuables. Il faut rechercher des leviers d’amélioration pour une meilleure efficience, comme le propose la commission.
Les propositions, justement, sont assez rudes. Il y a des pistes qui seront utiles. Je remarque qu’il y a une cohérence entre les différentes commissions et une unification du GI, avec des objectifs élevés de performance de productivité, devrait être un élément de lutte contre cette impasse financière. Les propositions MORALI et Baverez se rejoignent ici. D’autres propositions devront être expertisées et je peux d’ores et déjà en reprendre certaines à mon compte.
– Concernant la réévaluation de l’offre ferroviaire sur le territoire -ce que j’ai évoqué tout à l’heure en citant le rôle des régions- nous avons besoin d’engager un dialogue sur l’articulation des services entre TGV, TET et TER pour repenser les offres de mobilité. Je ne verrais que des avantages à ce qu’une part de cette réflexion soit régionalisée, c’est-à-dire qu’on organise l’année prochaine des conférences régionales des dessertes ferroviaires pour faire émerger des propositions et rendre lisibles et compréhensibles les besoins. Je pense qu’il y a des idées à trouver et que nos schémas ne peuvent pas être entièrement décidés de la manière dont nous l’avons fait historiquement.
– Pour les lignes les moins utilisées, il y a besoin d’un débat entre les régions et RFF ou le GI unifié dont je parlais tout à l’heure, pour examiner les besoins en termes de rénovation et d’entretien et, surtout, les moyens selon le type de circulation. Il n’y a là aussi pas de règle générale. J’ai vu que les uns et les autres sursautaient à propos des cars. Le transport ferroviaire est plébiscité, il faut concentrer les moyens sur ce qui est le plus utile, c’est notre responsabilité collective de faire porter les efforts financiers là où on en a le plus besoin. Je ne parle pas seulement des efforts financiers de l’État, ce sont de ceux des régions et de ceux de RFF. À certains endroits, les besoins sont criants, il y aura donc quelques décisions à prendre, dont je propose qu’elles soient régionalisées. Régionaliser ne veut pas dire passer sous le contrôle des régions – je ne renvoie pas la responsabilité sur les régions – cela veut dire décliner à un niveau plus local, tout n’ayant pas vocation à figurer dans le schéma national des infrastructures de transports, surtout s’il s’agit de rénovation.
– La troisième idée découle des propos précédents, donner la priorité à l’entretien et à la rénovation du réseau classique. Cela veut dire poursuivre l’effort sans précédent de rénovation, pour placer les trains du quotidien au coeur de la politique de qualité de service. C’est une orientation qui aura forcément des conséquences sur le développement des lignes à grande vitesse (LGV). Au-delà des quatre lignes en cours de travaux ou de passation de contrat, je dis bien au-delà, j’approuve l’idée d’une évaluation externe et indépendante des grands projets qui figurent au schéma national et d’infrastructures de transports (SNIT). Il faut que l’on se mette d’accord sur le lieu d’expertise. Doit-il être le Commissariat général à l’investissement ? Cela dépend un peu de son devenir au-delà de la période de mise en oeuvre du grand emprunt. Il faut qu’on se mette d’accord sur le bon endroit pour mener cette expertise. Je crois qu’une expertise indépendante éviterait en effet une confusion parfois compliquée entre la décision politique et la décision technique.
La décision politique doit se faire sur des bases techniques, qui n’ont pas été par avance redessinées par le politique, sinon c’est le politique qui décide deux fois.
Bref, vous m’avez comprise !
– L’idée suivante portait sur la productivité des acteurs du ferroviaire. Nous avons besoin d’inciter chacun à une plus grande maîtrise des coûts de production, nous avons besoin aussi d’un assainissement financier. Je reviens sur l’impasse de 1 milliard. Ce sont des efforts qui ne doivent pas être portés uniquement par les employés de la construction ou par les cheminots. Cela concerne aussi des choix stratégiques industriels, l’organisation du travail et, du coup, la structure des entreprises. À ce sujet, un mot sur les péages parce qu’il est essentiel, pour les aspects industriels que je vais évoquer dans quelques instants. Nous avons besoin d’une plus grande visibilité pluriannuelle, notamment sur les niveaux de péage. Je ne veux pas revivre quelques-uns des sketchs de 2011 pour la négociation des péages, dont je comprends qu’ils soient insatisfaisants pour tout le monde, et d’abord pour ceux qui doivent trancher dans des conditions qui ne sont pas optimales. Le ferroviaire est un mode de transport qui fonctionne sur des temps longs. Les investissements sont vite considérables et ils doivent être programmés. Nous avons besoin de règles du jeu stables, formulées à l’avance, c’est important pour tout le monde. Le futur GI et les opérateurs ont besoin de visibilité, c’est vrai aussi pour les agents qui en vivront aussi mieux. Nous avons donc besoin d’une fixation pluriannuelle des péages. Ils pourraient être sur un horizon de 4 ou 5 ans pour concilier tous les impératifs, ce qui permettrait de prévoir aussi les investissements dans un sens qui donnerait de la visibilité aux industriels. C’est pareil en matière tarifaire. Aujourd’hui, les tarifs TGV sont homologués par l’État. Je tiens tout particulièrement au système de monopole, mais il va de soi qu’il faudra changer, comme il est indiqué dans la commission, quand les services TGV seront ouverts à la concurrence. Dans un premier temps, il faut donc plus de visibilité sur les péages ; dans un second temps, à un horizon plus lointain, il faut une évolution sur les modes de fixation des tarifs.
Je considère qu’avec les différents leviers que nous évoquons là et avec ceux qui doivent être expertisés et qui sont proposés par la commission, nous pouvons nous donner comme objectifs de résorber le déficit structurel à l’horizon 2020. Il s’agit de trouver les moyens de le faire sans rompre la dynamique du ferroviaire, une dynamique économique, sociale et environnementale. L’économie nationale en a besoin, comme l’environnement et la vie quotidienne. Il faut donc trouver le chemin de crête qui permet d’atteindre ces objectifs différents, d’autant que nous avons l’objectif de créer des emplois en France, nous avons l’objectif que nos entreprises aient des commandes, bien sûr des commandes nationales, mais aussi à l’international, qu’elles embauchent, qu’elles soient un moteur de notre économie. Sur les questions économiques, nous devons choisir nos outils pour pouvoir répondre à ce double enjeu, financier et économique.
Cela me ménage une transition naturelle vers la commission de Bruno Angles. J’adhère pleinement à la proposition faite tout à l’heure et dont je sens qu’elle a d’ailleurs soulevé une bonne adhésion parmi tous les membres des Assises : la création de Fer de France est ici décidée. Il s’agit tout simplement de prôner l’efficacité et, peut-être, disons les choses, de faire un rattrapage d’une filière qui ne s’était pas structurée comme cela, par rapport à d’autres qui ont trouvé leur propre mode de structuration. Il ne s’agit pas de copier ce que font les autres. Grands et petits industriels doivent y trouver leur compte. Quand je dis industriels, il faudrait aussi penser aux bureaux d’études, aux équipementiers, bref, à l’ensemble de la chaîne et à tous ses maillons.
Je vois trois vertus à la proposition Fer de France :
– d’abord, sans porter préjudice à la concurrence, on gagnera à mieux structurer notre offre industrielle nationale ;
– nous pourrons bâtir pour l’export des offres compétitives et intégrées, qui valoriseront les compétences de chacun ;
– nous contribuerons à porter des politiques qui, finalement, intéressent tous les Français, l’impact environnemental de nos transports à travers des efforts sur l’énergie et les matériaux par exemple, des politiques de ressources humaines ambitieuses avec des filières de formation pour que le développement de cette filière industrielle participe de l’emploi, de l’aide à la recherche et au développement. Railenium est déjà le témoin de la vitalité de cette tranche-là, nous pouvons aller plus loin.
Fer de France sera donc à la fois une plateforme de collaboration, un incubateur, un porte-parole du secteur, mais ce ne sera pas une organisation hégémonique, on est bien d’accord, et je vous renvoie à la présentation que vous avez vue tout à l’heure, commentée par Bruno Angles. Il faut trouver une complémentarité entre les différentes structures, une complémentarité aussi avec le Comité stratégique de la filière ferroviaire ou avec la Fédération des industries ferroviaires, qui doivent trouver leur place dans le dispositif.
Ceci ira de pair avec la mise en place du fonds de modernisation des équipementiers ferroviaires, annoncée par le Président de la République récemment, au mois de février prochain. Nous aurons une cohérence entre ces deux outils, puisque je souhaite qu’une mission de préfiguration se mette en place pour Fer de France dans les meilleurs délais et que nous puissions avancer de concert sur l’outil en termes de gouvernance et l’outil financier.
En conclusion, le chemin de fer a beaucoup apporté à la France et le chemin de fer continue à apporter beaucoup à la France. Il est structurant et il a parfois une relation avec les uns et les autres qui est un peu de l’ordre du « je t’aime moi non plus », mais nous savons chacun que cette relation « je t’aime moi non plus » cache toujours, et en toutes matières, de grandes passions. C’est pour faire suite à cette grande passion que les Assises du ferroviaire ont été organisées, que les décisions ici annoncées seront mises en oeuvre très rapidement et que d’autres seront prochainement arbitrées. Encore une fois, les propositions sont très nombreuses, nous avons besoin d’un peu de temps pour certaines. Vous serez les uns ou les autres sollicités pour les différents sujets qu’il faut continuer à creuser et je vous demande de continuer à participer avec le même enthousiasme et de ne pas ménager vos critiques. Je sais que vous ne le ferez pas et ces critiques sont, je crois, à la hauteur de l’amour que nous portons tous au train.
Merci à tous.
Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 26 décembre 2011