Interview de M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, à France Inter le 19 janvier 2012, sur les affaires mettant en cause la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et l'Inspection générale des services (IGS) et sur le bilan du quinquennat de Nicolas Sarkozy.

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Texte intégral

PATRICK COHEN Dans l’actualité qui vous concerne, ce livre dont on parlait juste avant 8H00, « Bernard SQUARCINI, l’espion du président. » Le patron du Renseignement intérieur, la DCRI, doté de moyens considérables, 4000 hommes, 40 millions d’euros de budget, cet homme-là ne devrait-il pas être au dessus de tout soupçon ?
 
CLAUDE GUEANT La DCRI est un service qui est essentiel à la sécurité des Français. Elle a pour fonction la lutte contre le terrorisme, la lutte contre l’espionnage, qui est une réalité, la protection de notre patrimoine économique et scientifique. Ce service fait un merveilleux travail, dont les Français ne se rendent peut-être pas compte, à titre d’exemple je dirai que l’année dernière une centaine de personnes ont été interpellées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamiste, une trentaine ont été mises sous écrou, et je démens tout à fait que la DCRI soit un instrument politique au service du pouvoir. La DCRI c’est un instrument qui est à la disposition des Français pour lutter contre les menaces qui pèsent sur notre pays.
 
PATRICK COHEN Au service de l’intérêt général et pas de celui de l’Elysée.
 
CLAUDE GUEANT Au service de l’intérêt général, bien sûr.
 
PATRICK COHEN La DCRI est-elle habilitée à espionner hors de tout contrôle administratif ou judiciaire, à espionner des téléphones portables ou des ordinateurs ?
 
CLAUDE GUEANT Il y a des règles qui s’appliquent à la DCRI comme à tous les services de police, des écoutes téléphoniques sont possibles, soit sur décision judiciaire – je rappelle que la DCRI est aussi un service de police judiciaire – sont possibles aussi, dans le cadre d’une procédure qui est très réglementée, de façon administrative, il y a une commission nationale qui autorise cela, qui comporte d’ailleurs un parlementaire de l’opposition et un parlementaire de la majorité, tout ça est très strictement encadré.
 
PATRICK COHEN Donc les écoutes doivent être soumises systématiquement à cette commission…
 
CLAUDE GUEANT Bien sûr, sauf lorsqu’elles sont judiciaires.
 
PATRICK COHEN Et il ne peut pas y avoir d’initiative de la part des policiers de la DCRI ?
 
CLAUDE GUEANT Non, bien sûr.
 
PATRICK COHEN Le livre « L’espion du président » évoque l’existence d’un groupe des opérations spéciales, une quinzaine d’hommes chargés de poser des micros, de visiter des appartements. Existe-t-il une sous division R, telle qu’on l’appelle dans le service, d’après le livre, chargée de ce genre de besognes ?
 
CLAUDE GUEANT Il n’y a pas de groupe de ce genre-là, la DCRI dispose de moyens techniques pour faire le travail qui est le sien, dans le cadre des missions que je disais tout à l’heure, dans un cadre légal.
 
PATRICK COHEN Des hommes et des femmes politiques ont-ils été, sont-ils surveillés, ou espionnés ?
 
CLAUDE GUEANT Non, c’est absolument faux. J’ai vu effectivement dans un hebdomadaire qu’un certain nombre de gens disaient « je crois que je suis écouté », etc… enfin, tout ça est absolument gratuit. C’est absolument gratuit. La DCRI n’écoute pas de personnalités politiques, évidemment non.
 
PATRICK COHEN Vous défendez la DCRI depuis 3 minutes Claude GUEANT, vous n’avez pas prononcé le nom de son patron, Bernard SQUARCINI, c’est lui directement qui est mis en cause ?
 
CLAUDE GUEANT C’est un directeur qui est extrêmement compétent, ça je peux le dire, mais vous ne m’empêcherez pas d’observer que, en ce moment, il y a une sorte de mise en cause systématique de ceux qui sont censés avoir la confiance du président de la République. Dans une affaire concernant le fonctionnement de la section générale des services de la préfecture de police…
 
PATRICK COHEN On va en parler.
 
CLAUDE GUEANT Le préfet de police, Michel GAUDIN, est mis en cause. Il y a quelque chose dont il faut se souvenir, c’est que les faits, qui sont mis en cause, se sont passés à une date à laquelle il n’était pas préfet de police. C’est quand même un détail qui compte.
 
PATRICK COHEN Vous parlez de la confiance du président de la République, on peut aussi parler de la proximité. Bernard SQUARCINI est un proche de Nicolas SARKOZY, est un proche de vous, vous l’avez présenté à Nicolas SARKOZY, c’est exact ?
 
CLAUDE GUEANT Bernard SQUARCINI, nous avons travaillé effectivement longtemps ensemble, et je me souviens d’une collaboration qui a été très heureuse, lorsqu’en 1995 la France a subi des attentats, il était alors sous-directeur à la Direction des Renseignements Généraux, sous-directeur des opérations, j’étais directeur général de la Police Nationale, et avec quelques-uns nous avons mené une enquête qui a abouti à l’arrestation des principaux responsables des attentats. C’est un excellent policier.
 
PATRICK COHEN C’est cette proximité qui attise le soupçon, Claude GUEANT, c'est-à-dire être au service d’un clan, plutôt qu’au service de l’intérêt général.
 
CLAUDE GUEANT Non, mais qu’est-ce qu’une proximité ?... non, mais moi je prétends que Bernard SQUARCINI est au service de l’intérêt général. Qu’est-ce qui caractérise la proximité ? C’est vrai que le président de la République l’a nommé en conseil des ministres à la tête du service qu’il dirige aujourd’hui, mais Bernard SQUARCINI est quelqu’un qui ne voit que très, très rarement le président de la République, lorsqu’il y a une réunion organisée sur le terrorisme, ce n’est pas un familier.
 
PATRICK COHEN Ça peut passer par vous, Claude GUEANT.
 
CLAUDE GUEANT Oui, c’est pareil. Enfin, moi je ne conçois pas que la DCRI soit au service d’un clan, pour reprendre l’expression qui a été dite. Je le répète, et avec force, la DCRI, comme tous les services de police, est au service de l’intérêt général, au service de la sécurité des Français.
 
PATRICK COHEN Mais quand une enquête embarrassante est publiée – embarrassante pour le gouvernement et pour l’Elysée – il y a l’ordre donné de remonter les sources d’un journaliste du MONDE, ce qui vaut à Bernard SQUARCINI une mise en examen pour atteinte au secret des correspondances.
 
CLAUDE GUEANT Oui, la mise en examen ne met pas à mal la présomption d’innocence, il y a un problème juridique qui est très précis et très compliqué, qui est posé là, la juridiction tranchera. Mais je voudrais tout de suite d’ailleurs dire quelque chose d’important, parce qu’on parle souvent, à propos de cette affaire, de fadettes, d’écoute téléphonique, en aucune façon les fadettes ne sont une écoute téléphonique, elles ne permettent pas du tout d’accéder au contenu des conversations.
 
PATRICK COHEN Non, mais ça permet de connaître qui on a appelé, qui a été appelé.
 
CLAUDE GUEANT C’est exact, mais je crois qu’il faut introduire la différence, parce que souvent la confusion est faite.
 
PATRICK COHEN Philippe COURROYE, le procureur de Nanterre, mis en examen pour les mêmes faits, juge ce matin que cette implication, cette mise en examen, est dangereuse pour la bonne marche de la justice. Vous êtes d’accord ?
 
LAUDE GUEANT Je ne me prononcerai pas sur un processus judiciaire, je noterai simplement que Philippe COURROYE, comme tout à chacun, a droit à la présomption d’innocence, que le juge d’instruction qui l’a mis en examen n’a mis aucune limite à l’exercice de ses fonctions, donc il peut continuer à les exercer, et la Cour d’appel dira le droit.
 
PATRICK COHEN Vous y faisiez allusion il y a un instant, cette enquête de l’IGS, la police des polices, sur un soi-disant trafic de cartes de séjour en 2007, quatre fonctionnaires ont été suspendus, puis blanchis, dont deux proches du Parti socialiste. La justice enquête sur une possible manipulation. Daniel VAILLANT, votre prédécesseur socialiste, demande la suppression de l’IGS et la création d’un corps unifié et indépendant, au dessus de tout soupçon, pour investiguer éventuellement sur des mauvaises pratiques policières.
 
CLAUDE GUEANT Oui, ce n’est pas parce qu’on dit qu’il y a de mauvaises pratiques que ces mauvaises pratiques existent. Je crois que c’est quelque chose qui est important. L’habitude s’est prise maintenant de faire les procès, sur la place publique, dans les hémicycles parlementaires, alors même que la justice est saisie. La justice…
 
PATRICK COHEN Il y a eu un disfonctionnement tout au moins, Claude GUEANT.
 
CLAUDE GUEANT La justice constitue le dossier, enquête, le procureur de la République de Paris, voici quelques jours, rappelait l’état des enquêtes, à savoir que, actuellement, les instructions se poursuivent, donc les juges n’ont pas abouti à des conclusions, il y a eu une seule mise en examen, celle précisément, ce qui est quand même intéressant, d’une personne qui dénonce de prétendues manipulations. J’observe par ailleurs que l’actuel patron de l’IGS, l’ancien patron de l’IGS, trois officiers de police judiciaire qui sont mis en cause et qui porte plainte en diffamation, contestent ce qui est reproché, leur parole en vaut d’autres.
 
PATRICK COHEN Pardon, mais des fonctionnaires ont été blanchis par la justice, et je note que vous…
 
CLAUDE GUEANT Ils ont été blanchis après avoir été mis en examen, mais c’est un processus judiciaires, et je vous…
 
PATRICK COHEN Vous n’avez pas un mot de regret, Claude GUEANT ?
 
CLAUDE GUEANT Pour qui ?
 
PATRICK COHEN Pour les fonctionnaires qui ont été injustement accusés ?
 
CLAUDE GUEANT Mais, c’est une affaire judiciaire, mais j’observe d’ailleurs que sur cette affaire il y a une invraisemblance considérable encore. On dit que la police aurait monté un chantier pour mettre en cause un directeur de la préfecture de police, le directeur de l’Administration générale…
 
PATRICK COHEN Yannick BLANC.
 
CLAUDE GUEANT Ce qui est complètement ridicule, puisque… c’est un poste, qu’il occupait, qui est à la discrétion du gouvernement, il suffit d’une décision au conseil des ministres pour qu’il ne soit plus directeur, ce n’est pas la peine de faire des chantiers. Mais je voudrais dire une chose aussi, c’est que l’IGS a une double fonction. Lorsque l’Inspection Générale des Services travaille dans le domaine administratif, elle est sous l’autorité du préfet de police, lorsqu’elle travaille dans le domaine judiciaire, elle est sous l’autorité des magistrats, en l’espèce elle travaillait dans le domaine judiciaire, donc sous l’autorité des magistrats, pas sous l’autorité de l’Administration.
 
PATRICK COHEN Ce n’est pas une affaire qui, une de plus, qui déstabilise encore un peu plus l’institution policière, Claude GUEANT ?
 
CLAUDE GUEANT Ecoutez, très franchement, je me passerai de mise en cause de ce genre-là, mais, encore une fois, ce n’est pas parce qu’il y a mise en cause, que cette mise en cause est fondée.
 
PATRICK COHEN Bon. On a quand même des faux rapports de synthèses, des écoutes falsifiées, des PV truqués…
 
CLAUDE GUEANT Non, mais c’est ce qui est dit, ce n’est absolument pas prouvé. Encore une fois, je m’insurge contre, non pas vos propos, mais ces pratiques qui se développent beaucoup, et à mon sens c’est très grave, il y a la justice qui est saisie, la justice enquête, et on cite quelques éléments tronqués, quelques lignes etc., rien n’est avéré, mais on affirme que c’est vrai, et puis ça fini par le devenir aux yeux de l’opinion. Je trouve que c’est extrêmement grave. Laissons la justice faire son travail sereinement, et cessons de faire des procès à base d’éléments tronqués, à base d’approximation, dans la presse.
 
PATRICK COHEN Quelques mots de politique Claude GUEANT dans cette précampagne, parce que vous avez été au coeur du quinquennat SARKOZY. Question que je pose depuis le début de l’année, quelle est l’action, la mesure, ou le discours, dont le président, que vous avez beaucoup vu ces cinq dernières années, est le plus fier ?
 
CLAUDE GUEANT Je crois que l’action dont il est le plus fier, et il a lieu d’en être fier, c’est la création de l’autonomie des universités. C’est une mesure qui n’est pas grand public, mais c’est une mesure considérable parce que, malgré la qualité formidable de nos enseignants et de nos chercheurs, il faut dire que l’université française était plutôt en baisse de régime, et en baisse de notoriété, dans ce qu’il faut bien appeler une concurrence internationale. L’autonomie permet les moyens de choisir les axes de recherche, de choisir les enseignants, permet une émulation qui est tout à fait considérable. Dans le même temps les moyens des universités ont été considérablement augmentés, les crédits de fonctionnement ont en moyenne augmenté, depuis 2007, de 23%, et beaucoup d’universités ont même vu leur budget augmenter de 50%. C’est vraiment quelque chose de bien.
 
PATRICK COHEN Et l’action, la mesure, le discours, que le président pourrait reconnaître comme une erreur, ou, comme le disait Bruno LE MAIRE il y a 3 jours, comme un échec ?
 
CLAUDE GUEANT Ecoutez, les échecs, c’est facile de les analyser après coup, n’oublions pas que la crise est passée par-là…
 
PATRICK COHEN Ce n’est pas facile de les reconnaître.
 
CLAUDE GUEANT Non, c’est surtout très difficile, parce que, comme vous-même l’observez tous les matins en présentant votre journal, notre monde est en mutation constante, les crises se sont succédées sans arrêt, crises de toutes natures, financière en 2008, à nouveau financière en 2010…
 
PATRICK COHEN Mais vous ne pensez pas, comme Bruno LE MAIRE le disait, que le président devrait reconnaître qu’il y a eu des échecs ?
 
CLAUDE GUEANT Je crois que le président peut reconnaître des erreurs, je crois aussi que nous n’avons pas suffisamment expliqué la crise et ses conséquences, c’est vrai qu’il y a des orientations politiques, des décisions qui ont été prises en 2007, qui se sont affrontées à une très dure réalité, et telle décision, qui était parfaitement pertinente, a pu être moins pertinente au regard de la crise.
 
PATRICK COHEN Quand on pose la question à des ministres ou à des parlementaires UMP, ceux qui se sont succédés à ce micro, ils répondent souvent, plusieurs fois en tout cas, le débat sur l’identité nationale, parmi les échecs, et le discours de Grenoble, sur les Roms.
 
CLAUDE GUEANT Ecoutez, s’agissant du débat sur l’identité nationale, je pense pour ma part que c’était un beau sujet, parce que dans la vie d’une nation c’est important, de temps à autres, de se remettre à l’esprit qu’elles sont les fondamentaux qui sont structurants de notre unité nationale, de rappeler les principes républicains qui nous gouvernent. Cela étant, c’est vrai que le débat n’a pas été bien conduit, il n’a pas bien fonctionné, il faut le reconnaître.
 
PATRICK COHEN Et le discours de Grenoble, il était maladroit ?
 
CLAUDE GUEANT Le discours de Grenoble, il y a, pour l’essentiel, dans le discours de Grenoble, une dénonciation de la délinquance, la volonté réaffirmée de lutter de façon énergique contre la délinquance…
 
PATRICK COHEN Maladroit, erreur ou pas ?
 
CLAUDE GUEANT Il y a un point qui a été, du reste sur lequel on est revenu, qui était celui de la déchéance de la nationalité pour un certain nombre d’affaires criminelles.
 
PATRICK COHEN Donc c’était une erreur.
 
CLAUDE GUEANT On est revenu dessus volontiers. Le président est revenu sans aucune difficulté. Vous savez, c’est quelqu’un qui reconnait volontiers ses erreurs, qui écoute, et qui change d’orientation ou de décision…
 
PATRICK COHEN Il ne l’a pas fait souvent publiquement.
 
CLAUDE GUEANT Si, si, ça lui arrive très souvent, je peux vous le dire.
 
Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 20 janvier 2012