Texte intégral
A la veille du vote, en première lecture, du projet de loi sur la Corse, à l'Assemblée nationale, mardi 22 mai, François Bayrou indique qu'il aurait approuvé le projet s'il était aujourd'hui député. Le président de l'UDF déplore cependant "l'ambiguïté" de la démarche du gouvernement dans l'île, notamment à l'égard de la violence. Il propose que soit organisée "une consultation des Corses" afin qu'ils puissent se prononcer sur "le statut qu'on leur propose". Au-delà du dossier corse, le président de l'UDF plaide pour l'organisation, en France, d'une "République girondine". Une "loi constitutionnelle d'organisation des nouveaux pouvoirs" devrait, selon lui, permettre une "clarification et une simplification drastiques" dans l'organisation des pouvoirs publics. Le député européen juge que Jacques Chirac et Lionel Jospin se livrent à un simple "concours de déguisement" en matière de décentralisation. Il "récuse l'approche droite-gauche" sur ce sujet pour lequel devrait pouvoir se dessiner, selon lui, une "majorité d'idées".
"Depuis votre proposition, formulée en septembre 2000, d'un moratoire de six mois, vous n'êtes guère intervenu publiquement sur le dossier corse. Pourquoi ?
- Parce que l'ambiguïté règne sur ce dossier, du fait de la démarche choisie par le gouvernement. Première ambiguïté : s'agit-il d'un statut spécifique pour la Corse, ou du premier pas vers l'organisation administrative future de la France ? Deuxième ambiguïté : s'il s'agit de la Corse, ce statut est-il le résultat d'un débat serein ou une concession face aux menaces et aux actes violents des organisations les plus radicales ? Et si c'est le cas, où est la renonciation à la violence et sa condamnation pour l'avenir ? Troisième ambiguïté : quelle est, face à ce statut nouveau, l'attitude de la société corse ? Ces ambiguïtés contaminent les idées les plus justes. C'est en effet une idée juste de penser que l'essentiel des décisions d'aménagement d'un territoire, de l'organisation de la vie d'une communauté, ne doit plus se prendre à Paris mais sur le terrain. Et c'est une idée juste de défendre par l'enseignement une langue régionale en danger de disparition.
"J'aurais voulu que l'on dise clairement, pour la France toute entière, ce qu'est une loi. Car le principe même d'une loi, c'est qu'elle s'applique partout. Même dans un Etat fédéral. En France, on fait des lois sur tout et n'importe quoi. Il aurait été infiniment plus sain de donner une définition nouvelle, plus exigeante, du périmètre de la loi, pour tous les Français et pas seulement pour les Corses.
- Quel aurait été le sens de votre vote si vous étiez député ?
- Quand un processus est dominé par l'ambiguïté, il n'y a le choix qu'entre des inconvénients. La plupart de mes amis sont hostiles au texte et davantage encore au contexte. Malgré tout, j'aurais voté "pour". Et je l'aurais fait au nom d'une question essentielle pour l'avenir, celle de savoir si l'on veut maintenir en France une République jacobine, ou construire une nouvelle République girondine. Pour moi la réponse est claire : pour une "France humaine", il faut construire une République girondine. "République", parce que la culture française est irréversiblement attachée à un sentiment d'égalité, de refus de l'explosion du peuple français en communautés ethniques ou religieuses étrangères les unes aux autres ; mais "girondine", parce qu'on a besoin désormais que les décisions soient réfléchies et prises sur le terrain, près des citoyens, et non pas en leur nom, à Paris. La France souffre de l'absence de centres de décision locaux dignes de ce nom, capables de dialoguer d'égal à égal avec le gouvernement central.
- Quel effet ce texte aura-t-il, selon vous, sur la situation en Corse ?
- Un certain nombre de décisions, en matière d'aménagement, d'organisation des transports, d'environnement, pourront être prises localement. C'est un progrès. Il faut espérer que cela permettra un nouvel équilibre, favorable à ceux qui veulent agir en cessant de poser des bombes. Mais je crains beaucoup que cela ne suffise pas. La création du parti clairement nommé Independenza et sa justification explicite de la violence "révolutionnaire" montrent ce que peut être le scénario du pire : l'utilisation des ambiguïtés cultivées autour du nouveau statut pour relancer la tension et accroître la violence. Tous les ingrédients sont là : le désintérêt de la société corse, le sentiment que c'est l'affaire des seuls élus, et que ces élus ne disposaient pas d'un mandat clair sur cette question, l'ambiance du débat à l'Assemblée nationale, avec des sous-entendus très péjoratifs, et l'incompréhension de la société continentale.
- Comment conjurer ce risque ?
- Il est crucial de créer un événement qui permette à nos concitoyens corses de se prononcer et de montrer leur adhésion, ou non, au statut qu'on leur propose. Il faut organiser une consultation des Corses. Il faut un référendum local, ou une consultation d'initiative locale, quelle que soit la nature juridique de l'événement, qui permette aux habitants de la Corse de se prononcer sur un statut spécial qu'on décide en leur nom et pour eux. Tant que la question de leur adhésion au statut de leur île dans la République ne sera pas tranchée, on sera dans une ambiguïté terriblement risquée.
- La droite devra-t-elle revoir ces dispositions si elle revient au pouvoir ?
- Je récuse l'approche droite-gauche sur ce sujet, comme sur bien d'autres. Le seul clivage pertinent dans cette affaire se situe entre jacobins et girondins. Or, jacobins et girondins, on en trouve autant à droite qu'à gauche. La seule approche qui permettra d'aller au bout du chantier d'un nouvel ordre politique pour la France est transpartisane, ou, si l'on veut, relèvera de la majorité d'idées.
- Que vous inspire la course de vitesse engagée entre le premier ministre et le président de la République sur le terrain de la décentralisation ?
- Jacques Chirac et Lionel Jospin se livrent à un concours de déguisement. On se découvre tour à tour écologistes, décentralisateurs, européens, alors qu'au pouvoir, on a fait pour l'un les essais nucléaires, pour l'autre, la recentralisation depuis quatre ans, et pour tous les deux, le traité de Nice - qui est le plus mauvais de l'histoire européenne !
- Quelles sont vos propositions en la matière ?
- On a besoin d'une clarification et d'une simplification drastiques. En réalité, on a besoin de trois niveaux de compétence et de trois seulement : les compétences de proximité régissant la vie de tous les jours, qui doivent être assumées par les communes fédérées en intercommunalités ; les compétences d'aménagement du territoire, qui appartiendront aux départements fédérés à l'intérieur des régions ; et les compétences régaliennes, exercés ensemble par les Etats fédérés dans l'Union européenne. A la tête de chacun des niveaux fédérés, il faudra des dirigeants élus par les citoyens et responsables devant eux.
"Il ne suffit pas de déshabiller l'Etat, il faut aussi le garantir dans ses missions. L'Etat est le défenseur de l'intérêt général, de l'unité, de la sécurité, de la solidarité, de l'identité. Je pense que l'éducation nationale doit demeurer nationale pour ses programmes aussi bien que pour ses diplômes d'enseignement général et universitaires. On a besoin d'une grande loi constitutionnelle d'organisation des nouveaux pouvoirs en France, comme on aura besoin d'une Constitution pour l'Europe."
Propos recueillis par Jean-Baptiste de Montvalon
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M. Hollande : M. Chirac a " lâché tous les freins "
Le premier secrétaire du PS, François Hollande, a ironisé sur les déclarations du président de la République à la Réunion, dimanche 20 mai sur Radio J. "Faire des promesses n'a jamais fait peur à Jacques Chirac, ne pas les respecter non plus" , a dit M. Hollande, qui a ajouté : "Jacques Chirac dit tout à qui veut l'entendre : le salaire maternel dans une région où la démographie est particulièrement forte, la suppression des cotisations sociales, la défiscalisation, et même une loi de programmation non plus sur cinq ans, mais sur plus de dix ans. Pourquoi pas le siècle ?" "S'il avait rencontré François Bayrou sur sa route, il lui aurait même promis d'être le futur président de la République !", a lancé M. Hollande. "En entrant dans la dernière période de sa vie politique, déjà longue, trente-cinq ans, il semble avoir lâché tous les freins", a-t-il observé à propos de M. Chirac qui, après avoir été "le premier européen d'Europe, le premier écologiste de France, est devenu le premier autonomiste de l'outre-mer".
(Source http://www.lemonde.fr, le 23 mai 2001).
"Depuis votre proposition, formulée en septembre 2000, d'un moratoire de six mois, vous n'êtes guère intervenu publiquement sur le dossier corse. Pourquoi ?
- Parce que l'ambiguïté règne sur ce dossier, du fait de la démarche choisie par le gouvernement. Première ambiguïté : s'agit-il d'un statut spécifique pour la Corse, ou du premier pas vers l'organisation administrative future de la France ? Deuxième ambiguïté : s'il s'agit de la Corse, ce statut est-il le résultat d'un débat serein ou une concession face aux menaces et aux actes violents des organisations les plus radicales ? Et si c'est le cas, où est la renonciation à la violence et sa condamnation pour l'avenir ? Troisième ambiguïté : quelle est, face à ce statut nouveau, l'attitude de la société corse ? Ces ambiguïtés contaminent les idées les plus justes. C'est en effet une idée juste de penser que l'essentiel des décisions d'aménagement d'un territoire, de l'organisation de la vie d'une communauté, ne doit plus se prendre à Paris mais sur le terrain. Et c'est une idée juste de défendre par l'enseignement une langue régionale en danger de disparition.
"J'aurais voulu que l'on dise clairement, pour la France toute entière, ce qu'est une loi. Car le principe même d'une loi, c'est qu'elle s'applique partout. Même dans un Etat fédéral. En France, on fait des lois sur tout et n'importe quoi. Il aurait été infiniment plus sain de donner une définition nouvelle, plus exigeante, du périmètre de la loi, pour tous les Français et pas seulement pour les Corses.
- Quel aurait été le sens de votre vote si vous étiez député ?
- Quand un processus est dominé par l'ambiguïté, il n'y a le choix qu'entre des inconvénients. La plupart de mes amis sont hostiles au texte et davantage encore au contexte. Malgré tout, j'aurais voté "pour". Et je l'aurais fait au nom d'une question essentielle pour l'avenir, celle de savoir si l'on veut maintenir en France une République jacobine, ou construire une nouvelle République girondine. Pour moi la réponse est claire : pour une "France humaine", il faut construire une République girondine. "République", parce que la culture française est irréversiblement attachée à un sentiment d'égalité, de refus de l'explosion du peuple français en communautés ethniques ou religieuses étrangères les unes aux autres ; mais "girondine", parce qu'on a besoin désormais que les décisions soient réfléchies et prises sur le terrain, près des citoyens, et non pas en leur nom, à Paris. La France souffre de l'absence de centres de décision locaux dignes de ce nom, capables de dialoguer d'égal à égal avec le gouvernement central.
- Quel effet ce texte aura-t-il, selon vous, sur la situation en Corse ?
- Un certain nombre de décisions, en matière d'aménagement, d'organisation des transports, d'environnement, pourront être prises localement. C'est un progrès. Il faut espérer que cela permettra un nouvel équilibre, favorable à ceux qui veulent agir en cessant de poser des bombes. Mais je crains beaucoup que cela ne suffise pas. La création du parti clairement nommé Independenza et sa justification explicite de la violence "révolutionnaire" montrent ce que peut être le scénario du pire : l'utilisation des ambiguïtés cultivées autour du nouveau statut pour relancer la tension et accroître la violence. Tous les ingrédients sont là : le désintérêt de la société corse, le sentiment que c'est l'affaire des seuls élus, et que ces élus ne disposaient pas d'un mandat clair sur cette question, l'ambiance du débat à l'Assemblée nationale, avec des sous-entendus très péjoratifs, et l'incompréhension de la société continentale.
- Comment conjurer ce risque ?
- Il est crucial de créer un événement qui permette à nos concitoyens corses de se prononcer et de montrer leur adhésion, ou non, au statut qu'on leur propose. Il faut organiser une consultation des Corses. Il faut un référendum local, ou une consultation d'initiative locale, quelle que soit la nature juridique de l'événement, qui permette aux habitants de la Corse de se prononcer sur un statut spécial qu'on décide en leur nom et pour eux. Tant que la question de leur adhésion au statut de leur île dans la République ne sera pas tranchée, on sera dans une ambiguïté terriblement risquée.
- La droite devra-t-elle revoir ces dispositions si elle revient au pouvoir ?
- Je récuse l'approche droite-gauche sur ce sujet, comme sur bien d'autres. Le seul clivage pertinent dans cette affaire se situe entre jacobins et girondins. Or, jacobins et girondins, on en trouve autant à droite qu'à gauche. La seule approche qui permettra d'aller au bout du chantier d'un nouvel ordre politique pour la France est transpartisane, ou, si l'on veut, relèvera de la majorité d'idées.
- Que vous inspire la course de vitesse engagée entre le premier ministre et le président de la République sur le terrain de la décentralisation ?
- Jacques Chirac et Lionel Jospin se livrent à un concours de déguisement. On se découvre tour à tour écologistes, décentralisateurs, européens, alors qu'au pouvoir, on a fait pour l'un les essais nucléaires, pour l'autre, la recentralisation depuis quatre ans, et pour tous les deux, le traité de Nice - qui est le plus mauvais de l'histoire européenne !
- Quelles sont vos propositions en la matière ?
- On a besoin d'une clarification et d'une simplification drastiques. En réalité, on a besoin de trois niveaux de compétence et de trois seulement : les compétences de proximité régissant la vie de tous les jours, qui doivent être assumées par les communes fédérées en intercommunalités ; les compétences d'aménagement du territoire, qui appartiendront aux départements fédérés à l'intérieur des régions ; et les compétences régaliennes, exercés ensemble par les Etats fédérés dans l'Union européenne. A la tête de chacun des niveaux fédérés, il faudra des dirigeants élus par les citoyens et responsables devant eux.
"Il ne suffit pas de déshabiller l'Etat, il faut aussi le garantir dans ses missions. L'Etat est le défenseur de l'intérêt général, de l'unité, de la sécurité, de la solidarité, de l'identité. Je pense que l'éducation nationale doit demeurer nationale pour ses programmes aussi bien que pour ses diplômes d'enseignement général et universitaires. On a besoin d'une grande loi constitutionnelle d'organisation des nouveaux pouvoirs en France, comme on aura besoin d'une Constitution pour l'Europe."
Propos recueillis par Jean-Baptiste de Montvalon
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M. Hollande : M. Chirac a " lâché tous les freins "
Le premier secrétaire du PS, François Hollande, a ironisé sur les déclarations du président de la République à la Réunion, dimanche 20 mai sur Radio J. "Faire des promesses n'a jamais fait peur à Jacques Chirac, ne pas les respecter non plus" , a dit M. Hollande, qui a ajouté : "Jacques Chirac dit tout à qui veut l'entendre : le salaire maternel dans une région où la démographie est particulièrement forte, la suppression des cotisations sociales, la défiscalisation, et même une loi de programmation non plus sur cinq ans, mais sur plus de dix ans. Pourquoi pas le siècle ?" "S'il avait rencontré François Bayrou sur sa route, il lui aurait même promis d'être le futur président de la République !", a lancé M. Hollande. "En entrant dans la dernière période de sa vie politique, déjà longue, trente-cinq ans, il semble avoir lâché tous les freins", a-t-il observé à propos de M. Chirac qui, après avoir été "le premier européen d'Europe, le premier écologiste de France, est devenu le premier autonomiste de l'outre-mer".
(Source http://www.lemonde.fr, le 23 mai 2001).