Déclaration de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, sur la politique de construction de logements sociaux, la lutte contre les "marchands de sommeil" et les "propriétaires voyous", et la mise en place d'un dispositif fiscal incitatif en faveur du logement intermédiaire, à Paris le 1er février 2013.

Prononcé le 1er février 2013

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Circonstance : Présentation du 18e rapport sur le mal-logement de la fondation Abbé-Pierre, au Parc des expositions de la Porte de Versailles, à Paris le 1er février 2013

Texte intégral

Bonjour à tous et à toutes,
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Je tiens tout d'abord à vous remercier. Vous remercier de votre invitation, mais vous remercier aussi pour le sérieux, la rigueur et l'immense travail que représente le 18ème rapport de la Fondation Abbé Pierre - devenu un élément presque institutionnel.
Le Président de la République, qui a signé il y a un an le contrat social que vous proposiez, vous a montré tout l'intérêt qu'il y porte puisque pour la première fois depuis la publication de ce rapport, il vous a invité pour, qu'armés de votre franchise légendaire, vous lui présentiez votre rapport.
Je voudrais vous dire à quel point je sais que ce qui anime votre travail, ce qui anime l'engagement de la Fondation Abbé Pierre, c'est un esprit de solidarité. Cet esprit de solidarité, c'est une flamme ardente ; mais c'est une flamme fragile qu'il faut ranimer en permanence parce que ce sont des sujets sur lesquels on peut avoir tendance à s'épuiser.
Parce qu'à force de voir année après année, que la situation est plus difficile, on pourrait – vous avez été quelques uns à l'évoquer, notamment les travailleurs sociaux – avoir la tentation du découragement ou un petit moment de faiblesse.
Je voudrais dire que la fonction de votre rapport est absolument essentielle, puisque c'est une alerte permanente, et surtout un appel à rester en éveil en permanence. Parce que, vous l'avez montré et je vous en remercie, depuis huit mois que ce gouvernement a pris ses fonctions, nous n'avons pas été inactifs. Je sais évidemment, et je veux le dire ici avec franchise et avec simplicité, tant qu'il restera une famille, une personne qui ne sera pas en situation d'être normalement logée, d'avoir plus qu'un toit sur la tête, les moyens de son émancipation, les moyens de vivre, notre travail ne sera pas terminé et nous ne serons jamais satisfaits. Je voudrais rendre hommage à Louis Besson qui est présent ici. Je sais que nous partageons l'idée qui est que la fonction de ministre du logement est une fonction qui rend en permanence modeste ; parce que le chantier est immense, parce qu'il s'inscrit dans le long terme et surtout parce qu'il touche à la vie quotidienne. Les témoignages que l'on a pu entendre dans votre vidéo mais aussi ceux des personnes qui se sont exprimées dans la salle étaient poignants, à ce titre. Il touche la vie des enfants mais aussi la possibilité de travailler et je sais très bien à quel point, pour beaucoup de familles, c'est un sujet extrêmement prégnant. Si la situation des plus fragiles s'accroit, une grande partie de la classe moyenne et des jeunes est aujourd'hui confrontée à cette crise du mal logement que votre rapport décrit.
La question du logement devient un sujet de préoccupations, d'inquiétudes et d'angoisses de plus en plus importante. Je sais que l'Abbé Pierre disait - je n'ai pas la formule exacte - que les hommes politiques ne pouvaient pas s'émouvoir devant les statistiques parce qu'ils n'étaient confrontés qu'à ça et qu'on ne pleure pas sur les chiffres. Je ne crois pas à la différence structurelle entre les hommes et les femmes politiques, mais je voudrais vous dire que pour nous - je parle ici au nom du Gouvernement mais aussi en mon nom personnel -, ces statistiques sont tous des visages, des sourires, des vies, des histoires.
Il n'y a pas de chiffres froids quand on parle de mal-logement ; il n'y a que des vies humaines les unes à côté des autres, les unes avec les autres et c'est pour cette raison que j'évoquais cette nécessaire flamme de solidarité.
Vous avez fait un travail de comparaison sur le Contrat social ; je ne vais pas devant vous faire un exercice de défense puisque vous n'avez pas attaqué le bilan de ce Gouvernement. Vous manifestez de l'impatience, de l'exigence et le renforcement d'un certain nombre de moyens. Si la question est : « est-ce que c'est compliqué de pouvoir obtenir un certain nombre de décisions budgétaires ? », la réponse est oui. La réponse est oui et ce n'est pas un secret. Bien sûr, que nous aurions besoin de davantage de moyens ; bien sûr que trouver la mobilisation financière suffisante pour atteindre nos objectifs en matière de construction est un exercice délicat, c'est certain. Mais en même temps, ce serait mentir que de ne pas affronter la réalité ; ces arbitrages budgétaires douloureux sont aussi le résultat d'une situation. Si on refuse totalement la contrainte, si on n'exerce pas les responsabilités, on finit par se prendre le mur à un moment ou à un autre. Donc, ce que je souhaite faire, et faire avec vous, c'est tenir un discours de vérité. Ce n'est pas seulement supporter la critique, mais répondre très clairement sur un point qui est un sujet de débat : vous avez évoqué la question de la loi de programmation en matière de construction. Nous avons les moyens, avec la mobilisation des collectivités locales - et je veux saluer la présence de la région Ile-de-France dont je sais que sa mobilisation en faveur du logement est absolument décisive ; avec la mobilisation exceptionnelle d'Action Logement ; avec, pour la première fois depuis des années, une augmentation des aides à la pierre ; avec le travail sur la mutualisation des fonds propres, important et nécessaire sur lequel est en train de travailler l'USH, nous avons – si rien ne change par ailleurs – les clés pour pouvoir construire ces 150 000 logements sociaux.
Vous posez une question tr??s juste qui est celle du foncier. Je pense que sur ce point là nous ne sommes pas au bout du chemin. Effectivement, dans un certain nombre de zones, le poids du foncier dans une opération de construction de logement social, c'est 40 à 50 %. Et nous sommes face à une situation où des investissements publics sur les moyens de transports ont produit de la rente foncière qui est fondamentalement déstabilisatrice.
Mais je le dis devant vous, deux choses fondent l'action que je souhaite mener.
Le premier élément est que le droit au logement est un droit fondamental. Qu'aucun être humain aujourd'hui ne peut vivre sans un logement digne et que c'est un point non négociable, c'est un bien de première nécessité.
Le deuxième élément, c'est que ce marché - puisque c'en est un - ne peut pas fonctionner uniquement régulé par les règles de la concurrence. J'ai entendu parfois - et quand on est ministre c'est un peu exaltant - des gens prendre un air très sérieux et me regarder en me disant : « C'est intéressant tout ça, mais ce qui serait bien, ce serait de faire du logement social sans subvention. » Oui, il y a des gens qui pensent que le modèle sur lequel nous vivons pourrait être profondément transformé, qu'il suffirait de totalement libéraliser cette question et qu'on arriverait à produire du logement pas cher. Je pense que les dernières années ont montré que cette analyse est fausse : l'augmentation de la construction et la baisse des loyers n'ont pas eu lieu. Au contraire, et vous en avez fait la démonstration. Voila pourquoi, et c'est l'autre pilier de mon action dans ce ministère, je tiens à aller vers davantage de régulation.
Je dis bien de régulation très ferme, et donc de contrainte à l'égard de ceux qui considèrent qu'on peut profiter de la misère. Nous allons, dans le cadre de la future loi, être d'une sévérité extrême à l'égard des marchands de sommeil. Vous avez montré le scandale des micro-logements : c'est tout simplement illégal. Il n'y a pas besoin de changer la loi. Aujourd'hui, vous l'avez dit d'ailleurs, les propriétaires n'ont pas le droit de loger dans ces lieux ces personnes et ont l'obligation de les reloger. Tout comme ils n'ont pas le droit de garder des biens dans des conditions de dégradation extrêmes dans lesquels ils mettent en péril la vie des habitants. Je pense –vous l'avez rappelé- à l'incendie de Saint-Denis et à la vie des pompiers qui interviennent. Mais ces mêmes personnes, qui eux vivent dans des conditions extrêmement favorables peuvent continuer parfois à prospérer sur la misère. Donc nous allons travailler pour attaquer vraiment à la racine les « propriétaires voyous » qui profitent des grandes difficultés d'autres personnes.
Dans le même temps, il faut soutenir la construction, vous l'avez dit. Je pense aussi qu'il faut pouvoir utiliser le parc de logements qui existe déjà. Deux millions cinq cent mille logements sont aujourd'hui vacants en France. Sur cette question, il me semble qu'il faut agir à la fois par la contrainte : vous avez rappelé le renforcement que nous avons effectué de la taxe sur les logements vacants. Tous les logements des agglomérations qui nécessitent de faire l'objet de cette taxe sont concernés. Nous avons également par ce biais raccourci le délai de vacance à une durée d'un an. Cela signifie que, dès qu'un logement est vacant depuis plus d'un an, il est soumis à la taxe et que les mesures qui permettaient de s'exonérer du paiement de cette taxe ont été supprimées.
Dans le même temps, nous devons aller vers des mesures qui soient incitatives. C'est parce que nous avons besoin du parc privé que nous avons mis en place le dispositif fiscal qui permet d'avoir du logement intermédiaire, qui permet de loger des familles qui ont des revenus compris entre des revenus les plus classiques et les revenus qui permettent d'avoir accès au logement social. Cela permet aussi, quand la situation de personnes logées dans le logement social s'améliore, de pouvoir leur donner la possibilité de changer de logement et du coup de libérer des logements dans le parc social.
Comme je le disais, nous avons la responsabilité de mobiliser une grande partie des logements vacants. Je veux vous parler d'un chantier qui, si nous y arrivons, changera profondément les rapports locatifs : c'est le chantier de la garantie universelle des loyers.
Pourquoi la garantie universelle des loyers ? Parce que je crois profondément qu'il faut à la fois sécuriser les propriétaires et faciliter l'accès des locataires au logement. Quand on a créé la sécurité sociale, on ne s'est pas dit que les personnes allaient moins travailler si elles étaient indemnisées quand elles étaient malades. C'est la même logique qui doit être à l'oeuvre avec la garantie universelle des loyers. Et ce sera une bonne réponse à la question de la prévention des expulsions, qui est cruciale - vous avez évoqué le cas de cette personne qui s'est jetée par la fenêtre quand les huissiers ont voulu l'expulser de son logement. Le meilleur moyen de ne pas arriver à l'expulsion, c'est d'être dans la prévention le plus tôt possible, dès le premier mois d'impayé. Un système de garantie universelle, qui permet d'indemniser le propriétaire immédiatement, donc de le sécuriser, et qui permet simultanément d'identifier la situation d'un locataire pour savoir s'il se trouve dans les 60 % des cas d'impayés qui sont liés à des accidents de la vie ou dans les 40 % qui sont liés à une volonté assez manifeste de ne pas payer son loyer - parce que ça existe chez certains locataires - cela permet d'intervenir très en amont.
Je tiens également à vous répondre de façon très franche sur un point que vous avez mentionné : la circulaire sur les expulsions qui a été signée peu de temps avant la trêve hivernale s'appliquera à l'issue de la trêve hivernale. Il n'est, et il ne sera, absolument pas possible de procéder à une expulsion d'un ménage reconnu prioritaire au titre de la loi Dalo si celui-ci ne s'est pas vu proposer de relogement. Les choses sont écrites noir sur blanc. Tous les préfets sont informés. La décision a été - je peux le concevoir pour certains - un peu longue à mûrir mais elle est effective et elle va s'appliquer au lendemain de la trêve hivernale. Il n'y aura pas d'expulsion de prioritaires Dalo au printemps, les choses sont claires, nettes et précises.
Merci de vos applaudissements, parce que je vous dois quand même une petit explication personnelle. J'assume parfaitement la fonction qui est la mienne, mais en arrivant, j'avais quand même le sentiment d'être de votre côté, de faire partie de votre famille et de cette histoire. Le Président de la République a dit, en souriant après la présentation du rapport par le président Raymond Etienne et par le délégué général Patrick Doutreligne : « la parole est à la défense » ! Je ne souhaite pas vous dire que tout ce que nous faisons est parfait, que nous ne pourrions pas faire mieux. C'est certain que nous pourrions faire mieux.
Je vous dis que dans les circonstances qui sont celles que nous connaissons, avec des difficultés, y compris des difficultés de mobilisation budgétaire, vous pouvez compter jour après jour, semaine après semaine et mois après mois, sur ma détermination intacte pour avancer à la fois sur les réformes structurelles et sur la réponse à l'urgence. Aucun des deux sujets ne doit exclure l'autre. Nous allons travailler sur un projet de loi qui s'attachera à renforcer les objectifs en matière de construction. Je le dis, vous ne l'avez pas noté, mais la loi telle qu'elle a été votée et publiée, ne permet pas aux communes en situation de carence – c'est-a-dire qui n'ont pas les 25 % de logements sociaux – de construire plus de 20 % de leurs constructions de logements sociaux en PLS. La décision de rééquilibrer en faveur du PLAI est déjà effective puisque ces communes ont un plancher de 30 % de PLAI à construire. Il est évident que nous devrons vérifier l'effectivité de cette loi, mais nous avons tiré les leçons de la loi SRU. La période triennale sera une période obligatoire et le délai pour aboutir à 25 % de logements sociaux dans toutes les communes de plus de 3 500 habitants, n'est pas fixé à une hypothétique date ultérieure, il est fixé en 2025. Tout le monde est prévenu. Le débat était tendu à l'Assemblée nationale mais les choses sont très claires.
Je ne vous ferai pas le catalogue de tout ce qui est prévu dans la période qui vient, mais je voulais vous dire, avec un peu de solennité, que la loi sur laquelle nous travaillons est une loi globale qui permettra de répondre à beaucoup de questions. Je pense en particulier à celle du rôle des agences immobilières, de l'encadrement des professionnels de l'immobilier – que certains d'entre eux d'ailleurs, appelle de leurs voeux. Je pense aussi à une réforme de la loi sur les copropriétés, mais aussi de l'intercommunalisation des plans locaux d'urbanisme.
Il s'agit d'une vision, d'une politique de l'habitat et du logement qui dépasse les strictes frontières communales et qui nous permettra, j'en suis certaine, de dépasser certains égoïsmes.
Ce chantier, qui est devant nous, comportera également la deuxième étape de l'encadrement des loyers.
C'est un chantier que nous ne pourrons pas tenir seuls.
L'Etat sur cette question doit pleinement prendre ses responsabilités ; que chacune et que chacun d'entre vous, en continuant de nous interpeller ne nous laissent jamais nous reposer sur nos lauriers.
Mais, pour répondre à la crise du logement, nous avons aussi besoin de la mobilisation des opérateurs et de toutes les associations qui travaillent sur le secteur du logement ; nous ferons en sorte de pouvoir les soutenir au mieux.
Nous avons besoin des collectivités locales, des mairies, des départements, des régions mais nous avons surtout besoin de cette flamme de solidarité, celle qui donne du sens à l'action politique, celle qui donne du sens à votre engagement, et, vous pouvez en être certains, celle qui donne du sens aussi à ma présence dans ce Gouvernement.
Je vous remercie.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 11 février 2013