Interview de M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, à France Inter le 25 février 2013, sur le projet de réforme pénale, notamment la politique d'incarcération et la prévention de la récidive, la répression des délits routiers et la coopération entre la Justice et l'Intérieur.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Le ministre de l'Intérieur, Manuel VALLS est sur France Inter ce matin, Pascale CLARK.
PASCALE CLARK
Bonjour Manuel VALLS.
MANUEL VALLS
Bonjour Pascale CLARK.
PASCALE CLARK
Est-ce que vous aussi vous pensez que six semaine de vacances d'été pour les enfants c'est suffisant ?
MANUEL VALLS
Ca peut être suffisant, en tout cas il faut ouvrir ce débat, il va l'être. Vincent PEILLON a lancé un vaste chantier de réforme de l'école en annonçant d'abord la création de 60.000 postes d'enseignants, c'était utile. En changeant en profondeur et c'était attendu, la formation des enseignants, en luttant contre l'échec scolaire et ne remettant à plat le temps scolaire. Pour cela il faut du temps, de la concertation, il faut aussi ce que je crois pour moi essentiel…
PASCALE CLARK
Ce que n'a pas fait Vincent PEILLON, puisqu'il a annoncé ça comme ça.
MANUEL VALLS
Cette concertation elle a commencé déjà depuis longtemps, vous savez moi j'ai été maire pendant douze ans de la ville d'Evry, nous avions lancé il y a deux ans déjà une discussion avec les enseignants, les professionnels, les animateurs, les parents d'élèves et donc aujourd'hui cela pourra se faire à Evry à partir de la rentrée du mois de septembre 2013. Mais il faut aussi beaucoup de considération à l'égard des enseignants qui font un métier extraordinaire, transmettre des savoirs et des valeurs. Ils jouent un rôle essentiel face à l'échec scolaire, aux problèmes sociaux du pays et il faut saluer leur engagement et leur travail et donc les écouter aussi.
PASCALE CLARK
Et le papa il en pense quoi ?
MANUEL VALLS
Papa il a quatre enfants et donc il sait que souvent la semaine est surchargée et qu'on a besoin de revoir le temps scolaire. Nous avons le nombre de jours scolaires le moins important d'Europe donc il faut revoir encore une fois cela avec esprit de concertation et avec évidemment, l'intérêt de l'enfant en point de mire.
PASCALE CLARK
Projet de loi très attendu avant l'été, la réforme pénale. Est-ce que vous craignez le texte de la garde des Sceaux Christiane TAUBIRA ?
MANUEL VALLS
Pourquoi la craindre s'il s'agit de faire face à des tribunaux surchargés, à des dizaines de milliers de peines qui ne sont pas prononcées et appliquées. S'il faut faire face aux prisons surchargées qui créent au fond de la récidive et qui font vivre d'abord aux personnels pénitentiaires, mais aussi aux détenus, des conditions tout à fait épouvantables, que vous avez les uns et les autres décris ici. S'il s'agit au fond de mieux prévenir, de mieux punir, de lutter contre la récidive, cela veut bien dire qu'il faut, là aussi, un grand débat de société sur le rôle de la prison qui, à mes yeux évidemment, est utile et même indispensable.
PASCALE CLARK
Donc vous êtes d'accord avec la philosophie générale à la fois de la garde des Sceaux d'ailleurs et de la conférence sur la récidive, limiter les séjours en prison, non au tout carcéral, vous êtes d'accord avec cette philosophie générale ?
MANUEL VALLS
Mais évidemment sur cette idée, comme quoi il faut travailler sur les peines de substitution, la prison ne peut pas tout régler. Bien évidemment, et chacun le reconnait, mais là aussi il faudra montrer l'efficacité de mesure qu'il faudra ensuite faire voter. Nous venons de passer dix ans où on nous a expliqué que l'emprisonnement devait tout régler, or nous assistons à ces phénomènes que je viens d'évoquer, le tout carcéral a mené une surpopulation qui conduit elle-même à la récidive et en même temps, il faut faire très attention. Par exemple moi je suis effrayé par la montée de la violence chez les plus jeunes, chez les mineurs. Ca veut bien dire qu'il faut une solution. Il y a encore quelques heures à Mulhouse, on vient d'arrêter quatre mineurs qui s'en sont pris à des policiers, qui leur ont lancé des cocktails Molotov, c'est insupportable. Ca veut bien dire que là aussi, il faut une sanction, tout de suite et une sanction suffisamment sévère, suffisamment forte pour qu'elle fasse son effet à la fois auprès de ces jeunes, comme auprès des familles. Donc ça veut dire qu'il faut, à chaque fois, la bonne réponse, la bonne réponse pénale, la bonne réponse de la justice à un délit. Mais je crois à l'autorité, nous allons en parler dans un instant, et donc à la sévérité de la peine. Il faut qu'elle soit exemplaire. Quand un gamin commet un acte et qu'on prononce uniquement la peine, qu'il y a un rappel à l'autorité que quelques mois après, cette peine n'a aucune force sur ce gamin.
PASCALE CLARK
Disparition des peines plancher, apparition des peines de probation, multiplication des libérations conditionnelles, est-ce que vous craignez l'accusation de laxisme ? C'est déjà parti, on l'entend déjà de la part de l'opposition.
MANUEL VALLS
Mais c'est un vieux débat et d'ailleurs je vois bien qu'on voudrait opposer la garde des Sceaux au ministre de l'Intérieur, c'est tellement facile ce type de débat…
PASCALE CLARK
On a tort ?
MANUEL VALLS
Oui on a tort parce que moi je crois très important que la police et la justice forment un même couple au fond, celui de l'état de droit, celui d'une chaine pénale qui doit s'appliquer. Je comprends l'inquiétude des policiers, pas seulement des syndicats de policiers, mais des policiers eux-mêmes après le drame qu'ils ont vécu la semaine dernière…
PASCALE CLARK
Oui, exemple concret, la piste de la dépénalisation des délits routiers, c'est une piste pour ce texte de Christiane TAUBIRA, tout de suite vous avez dit « non » parce qu'effectivement, c'était impensable au lendemain de la mort des deux policiers tués, vous ne pouviez pas dire autre chose.
MANUEL VALLS
Parce que ces délits routiers encombrent d'abord les tribunaux, mais je crois qu'il faut faire très attention au message qui donne le sentiment que là aussi l'autorité de l'Etat, la sécurité et la justice, pourraient être mises en cause. Il ne s'agit pas uniquement de réagir, l'émotion est mauvaise conseillère quand il s'agit de bâtir des textes de loi. Moi je crois à l'efficacité…
PASCALE CLARK
Donc ce n'est pas sur le coup de l'émotion que vous avez dit « non » à la dépénalisation…
MANUEL VALLS
Non, je ne me laisse pas gagné par cette émotion qui a trop marqué la politique pénale au cours de ces dernières années. Mais je crois en même temps à la sanction, je crois à la sévérité, je crois à l'exemplarité de la décision judiciaire. Donc il faut faire attention aux messages qu'on distille dans la société. C'est pour ça que je comprends l'inquiétude des policiers qui sont confrontés à des individus parfois très jeunes qui ne respectent aucune loi, aucune règle, aucun principe, qui s'en prennent à l'autorité qu'incarne le policier, le gendarme, le sapeur-pompier ou l'enseignant. Ca veut bien dire qu'il faut une réponse globale.
PASCALE CLARK
Christiane TAUBIRA est désormais auréolée de sa bonne prestation dans le texte mariage pour tous, elle vous fait de l'ombre au gouvernement ?
MANUEL VALLS
Depuis le début j'ai dit que nous devions travailler ensemble et nous avons…
PASCALE CLARK
Oui mais il y a un rapport de force dans un gouvernement.
MANUEL VALLS
Je ne le crois pas, je pense que la Justice et l'Intérieur doivent travailler ensemble. Au cours de ces dernières années, au plus haut sommet de l'Etat on a mis en cause les magistrats, et quand magistrats et policiers ne travaillent pas ensemble, c'est la réponse de l'état de droit qui est mise en cause. Nous sommes complémentaires avec Christiane TAUBIRA. Sur le terrain nous étions ensemble à Marseille ou en Corse, c'était bien pour apporter une réponse commune qui est celle de l'Etat. C'est d'ailleurs une première que dans un gouvernement de la République la garde des Sceaux, le ministre de l'Intérieur soient à la fois populaires, travaillent ensemble. Ca veut bien dire qu'on sort de ce débat absurde d'une droite qui serait sécuritaire, d'une gauche qui serait laxiste, non, nous incarnons tous les deux l'autorité.
PASCALE CLARK
Dernière question Manuel VALLS avant celles de Patrick COHEN tout à l'heure, aimez-vous les livres cochons ?
MANUEL VALLS
Ca dépend lesquels ?
PASCALE CLARK
Celui de Marcela LABUC, « Belle et bête ».
MANUEL VALLS
Je ne l'ai pas lu, mais là c'est plutôt le dégoût qui l'emporte j'ai l'impression.
PASCALE CLARK
Le dégoût ?
MANUEL VALLS
Le dégoût au fond où on met ses problèmes personnels sur la table, on en fait un instrument de vente et une manière de régler ses problèmes psychologiques. Oui il y a une forme de dégoût quand je lis les extraits et que je vois surtout la campagne publicitaire autour de cet ouvrage.
PASCALE CLARK
Manuel VALLS passe la matinée sur Inter.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 février 2013