Texte intégral
Interview à "El Mundo" le 3 octobre :
Q - La guerre anti-terroriste menée par les Etats-Unis a modifié les projets d'avenir de la plupart des pays. Comment croyez-vous qu'elle touche les objectifs de l'Union européenne ?
R - Cette crise, et le nouvel ordre mondial qu'elle suscite, ne font que renforcer l'urgence de faire une Europe forte, une véritable puissance. Je crois que tous les objectifs de la construction européenne doivent connaître, à partir de maintenant, une accélération.
Q - Certains se risquent à avancer que l'élargissement vers l'Est pourrait être retardé.
R - Je ne suis pas du tout de cet avis. Je crois que l'Europe forte passe nécessairement par l'élargissement. Nous devons faire une Europe intégrée. L'actuelle présidence belge, puis la présidence espagnole, doivent constituer des avancées décisives dans cette direction, pour que nous restions fidèles au calendrier prévu.
Q - Le gouvernement français a-t-il des preuves irréfutables pour accuser Ben Laden ?
R - Ce que nous n'avons pas, ce sont des indices qui permettraient de penser qu'une autre organisation puisse être la responsable des attentats.
Q - Vous n'avez pas peur que les Etats-Unis exagèrent et que cela dérive en un choc de civilisations ?
R - C'est ce que nous avons craint au début, lorsque nous avons entendu un vocabulaire, excessivement martial. Quand Bush a dit : "nous le voulons mort ou vif", cela m'a rappelé les romans que je lisais étant enfant. Je n'ai pas aimé non plus l'expression "croisade". Mais maintenant, une fois le premier choc passé, ils ont commencé à aborder la question de manière adéquate, avec une approche intelligente et contrôlée. Je crois qu'ils se sont rendu compte que tout cela ne doit pas conduire à une confrontation avec l'Islam.
Q - La France est-elle disposée à participer à une action armée ?
R - En tant qu'Européens, nous avons déclaré notre appui sans réserves, nous avons adopté la résolution de l'ONU qui reconnaît le droit de combattre le terrorisme et nous avons également activé au sein de l'OTAN l'article 5. Notre solidarité n'a pas de failles, bien que nous ayons demandé aux Etats-Unis de nous consulter sur le mécanisme de l'action commune à engager, parce que nous voulons garder notre liberté d'appréciation et notre marge de manuvre.
Q - Les Etats-Unis ne doivent-ils pas maintenant réfléchir sur leur politique étrangère ?
R - Je crois qu'ils sont en train de réfléchir sous la pression des événements. Par exemple, l'administration Bush, qui passait pour maintenir une politique unilatéraliste, est en train de promouvoir la plus grande coalition internationale qui ait jamais existé. Eux, qui passaient pour être ultra-libéraux, vont adopter des mesures contrôlées de relance économique. Il y aurait quelque ironie de ma part à dire que Bush va se situer à la gauche du parti socialiste français, mais, ce qui est certain, c'est que c'est une occasion pour les Etats-Unis de faire un exercice d'introspection.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)
Interview à France-Inter :
Q - A 90 jours du lancement de l'euro, l'Europe saura-t-elle gérer de façon coordonnée le ralentissement économique, encore accentué par les attentats de New York et Washington ? Pourquoi existe-t-il au sein de l'Union des lectures dissonantes du pacte de stabilité et de croissance ? D'ailleurs, cette croissance, est-il encore possible de croire qu'elle dépassera 2 %, alors que de nombreux analystes et jusqu'au président de la Bundesbank, la Banque centrale allemande, l'estiment en dessous de 2 % ? Vous êtes en duplex de Montpellier où se tient aujourd'hui un colloque sur la citoyenneté européenne. Je précise d'ailleurs que c'est le président Chirac qui prononcera le discours de clôture à Montpellier. L'euro en vue, pourquoi des stratégies non coordonnées en Europe pour lutter contre la crise économique ?
R - Tout d'abord, je ne suis pas le ministre des Finances, et je ne veux pas parler à l'excès de la situation économique. Mais il faut garder dans l'idée que la situation européenne n'est pas caractérisée, aujourd'hui, par une récession. Je crois qu'il est inexact de parler de la sorte.
Q - Ce n'est pas ce que j'ai dit...
R - Non, en effet, vous avez parlé de menaces. Je crois qu'il faut, au contraire, dans cette période, tenir un discours de confiance parce que l'Europe connaît une croissance forte, une croissance régulière. C'est vrai que la conjoncture est un peu plus plate qu'elle ne l'a été. C'est exact aussi que les incertitudes sont plus fortes, et notamment les incertitudes financières liées aux places boursières. Le pétrole a réagi de façon plutôt heureuse, et en même temps c'est toujours quelque chose à suivre, de façon concertée. On pouvait se poser des questions sur le comportement des ménages, mais ils n'ont pas témoigné d'anxiété majeure. Au contraire, jusqu'à présent, ils ont lutté contre la sinistrose ; la consommation a résisté.
Je crois, effectivement, qu'on peut prendre au sérieux les prévisions économiques qui ont été faites par le gouvernement. Comme le dit Laurent Fabius avec un peu d'humour : "il serait étonnant que le seul chiffre dont on ne puisse pas parler soit le chiffre du gouvernement". La réponse européenne s'explique par une situation qui n'est pas perçue de la même manière que la récession américaine, ou les menaces de récession américaine. Les Américains ont été directement frappés, et ils étaient déjà dans un cycle plus bas que les Européens, après des années et des années de croissance. De plus, certains secteurs, chez eux, comme le transport aérien, les assurances ou le tourisme, évidemment, sont sous le coup des événements. Il y a toujours deux scénarios dans cette affaire. C'est vrai qu'il y a un début de récession, et en même temps vous évoquiez un plan de relance américain. Donc il y a un autre scénario, qui est celui du rebond ; quand on injecte des liquidités de manière formidable dans l'économie, soit à travers la politique monétaire - les taux d'intérêt, la baisse décidée par le Fed et celle décidée par la BCE qui est un élément de coordination - soit à travers une relance budgétaire - elle a lieu aux Etats-Unis - on peut espérer que l'économie résiste.
Tout ça fait aussi un peu penser à ce qui s'est passé dans les années 1930, de façon un peu différente naturellement : au moment d'une crise, le rebond, la relance.
Q - Tant mieux s'il y a un volontarisme européen. Mais ce volontarisme est-il coordonné ou est-ce que chacun joue un peu sa carte ? Prenons le cas de l'Espagne : elle dit qu'elle aura un déficit zéro. Mais c'est vrai que la France, l'Allemagne, l'Italie, le Portugal sont dans une situation plus compliquée avec un risque de déficit plus important ?
R - Dans cette affaire, de façon plus large, je crois qu'apparaît un besoin général d'Europe. Certains disent que l'Europe agit en ordre dispersé. On parle de la stratégie en matière internationale ou militaire de Tony Blair, qui est effectivement plus proche des Américains, ce qui rejoint certaines tendances britanniques. Mais en même temps, au-delà de tout cela, ce qui m'a frappé c'est un langage extrêmement solidaire, calme, et commun. Nous sommes solidaires des Américains dans cette affaire ; nous voulons accélérer la construction européenne, notamment sur tous les aspects de justice et d'affaires intérieures. Ce qui n'est nullement liberticide, mais qui assure, au contraire, la sécurité de nos concitoyens.
Il en va de même en matière économique. Soyez sûrs que les ministres de l'Economie et des Finances sont extrêmement vigilants à ce qui se produit et que, le cas échéant, ils sauraient mettre en oeuvre des mesures correctrices. Pour le reste, il faut rappeler que le pacte de stabilité et de croissance - et j'insiste sur le mot "croissance" parce que c'est la France qui l'a voulue, notamment le Premier ministre Lionel Jospin, à Amsterdam - n'est pas un carcan qui nous dit : "le déficit doit être de zéro". Il nous dit que l'on doit avoir des déficits en dessous d'un certain seuil, 3 %, et que l'on doit prendre des engagements pluriannuels de dépenses publiques. Nous l'avons fait, et nous les respectons en France, y compris avec ce budget 2002. Nous sommes dans le cadre de ces engagements-là. Je crois qu'il revient aussi à chaque pays d'exploiter, d'une part, ses marges de manuvres - et la France le fait -, et d'autre part de tenir compte de sa situation spécifique. Celle de l'Espagne n'est pas celle de la France. Je suis aujourd'hui à Montpellier, dans une région qui est frontalière de l'Espagne : il y a ici, dans le département de l'Hérault, un taux de chômage de 14 %, qui est de 5 points plus élevé que la moyenne nationale, mais qui est inférieur au taux de chômage en Espagne. Les besoins ne sont pas les mêmes. L'Europe est synonyme de diversité. L'Europe est solidaire. Elle a des règles communes, mais ces règles doivent être appliquées avec une certaine souplesse.
Q - Pardon d'être un peu plus national et moins européen : quand Lionel Jospin disait, hier à l'Assemblée, "on ira plus loin si nécessaire avec le souci de rapidité et d'efficacité", où trouve-t-il ces marges de manoeuvres ? Où est l'argent ?
R - Je vais reprendre ce que je venais de dire, et ce n'est pas pour être dilatoire : ce qu'a voulu dire le Premier ministre, hier, à l'Assemblée nationale, c'est qu'il était, avec le gouvernement, responsable de la sécurité de la France. La sécurité extérieure dans la lutte contre le terrorisme est une prérogative partagée avec le chef de l'Etat dans le cadre de notre Constitution. Pour ce qui est de la sécurité intérieure, des mesures extrêmement importantes ont été annoncées ou confirmées hier. Il est très important que les Français sachent que, face au terrorisme, il y a une mobilisation complète de l'appareil d'Etat. L'Etat prend ses responsabilités ; le gouvernement est engagé, le Premier ministre Lionel Jospin est personnellement engagé.
Il y aussi la sécurité économique. J'ai entendu, ici ou là, quelques rires sur les bancs de l'opposition, mais ce qu'a voulu dire le Premier ministre apparaissait extrêmement clair : dans une situation qui peut devenir plus incertaine et plus difficile, il importe que chacun prenne ses responsabilités. C'est ce qu'on a appelé le "patriotisme économique". Ce n'est pas le moment de faire circuler des bruits alarmistes sur la situation de l'économie. Au contraire, c'est le moment d'affirmer un message de confiance, de cohésion dans l'économie française, dont les fondamentaux sont bons. Il a redit aussi que le gouvernement était vigilant, attentif, et qu'il saurait prendre les mesures nécessaires. Il me semble que commencer, maintenant, à parler de je ne sais quel plan de relance, ce serait infirmer, d'une certaine façon, le discours de fond qui est un discours sincère : "nous avons confiance dans l'économie française."
Q - Vous avez confiance dans tous vos partenaires européens ? Silvio Berlusconi vient de faire adopter par le Sénat en Italie une loi qui va incroyablement compliquer le travail des juges, notamment pour lutter contre l'argent sale, les paradis fiscaux et les capitaux islamistes qui peuvent circuler ici ou là...
R - C'est toujours plus difficile d'intervenir sur les affaires d'un autre pays européen. Vous savez que nous avons eu une riposte extrêmement ferme quand Silvio Berlusconi a opposé la civilisation occidentale, en prétendant qu'elle était supérieure, à la civilisation musulmane. C'est une faute. Le Premier ministre a dit, hier, que l'on ne devait rien faire qui conduise à un choc des civilisations. On doit respecter l'Islam. On doit chercher aussi à travailler avec lui de façon organisée. On doit combattre les formes dévoyées de l'islamisme. Là, on n'est plus dans le domaine de la politique intérieure italienne.
Je voudrais faire une observation. J'ai parlé tout à l'heure du besoin d'Europe, de l'urgence d'accélérer l'Europe. On voit bien, dans les affaires de justice et les affaires intérieures - sécurité et justice - que lorsque l'on est confronté à des organisations terroristes qui sont structurées, organisées comme des multinationales, qui ont effectivement des hommes dans un pays, des comptes dans un deuxième, et qui frappent dans un troisième, alors, évidemment, la nation n'est pas le seul échelon pertinent de réponse. L'échelon minimum de réponse s'appelle l'Europe. Dans ces affaires-là, je crois que les attentats du 11 septembre, paradoxalement, ont joué comme un révélateur. Nous allons faire, dans les six mois qui viennent, plus de progrès que dans les dix dernières années : un mandat d'arrêt européen qui va se substituer à des procédures d'extradition qui sont longues et compliquées, une définition commune du terrorisme, le renforcement d'Europol, qui va devenir une sorte de FBI européen. On doit aussi aller vers un parquet européen. Il y a un plan de marche extrêmement volontaire.
Pour en revenir à votre question de départ sur Silvio Berlusconi, je crois qu'il ne faudrait pas que les pays européens, quels qu'ils soient, prennent des mesures qui soient contraires à cette marche en avant de la justice européenne. Là aussi, l'Europe est notre intérêt général. Si nous nous replions à l'intérieur de frontières nationales, s'agissant de ce type de phénomènes terroristes internationaux, alors nous perdons en efficacité et en légitimité. Nous perdons en force, tout simplement.
Q - Quid de la solidarité internationale ? Les Etats-Unis, s'agissant de l'Europe, disent que "les Européens ne font pas ce qu'il faut pour relancer leur machine économique et ils vont se casser la figure". Dans un moment où chacun se demande comment travailler ensemble, est-ce que ce n'est pas un discours qui vous surprend un peu ?
R - C'est un discours qui me surprend, oui. Tellement, d'ailleurs, que je ne l'ai pas entendu. Nous sommes dans une phase qui est, encore une fois, une phase d'incertitude. Ces événements ont eu lieu il y a trois semaines. Il faut maintenant observer les choses. Pour ma part, je suis plutôt confiant dans la capacité de rebond des Américains dans cette affaire-là ; ils ont décidé d'injecter 60 milliards de dépenses budgétaires. Je précise que les Américains, eux, peuvent le faire, car ils avaient des excédents accumulés grâce à la force de leur monnaie, prouvant ainsi que l'euro est aussi un élément de force pour l'Europe. Tous ceux qui proposent aujourd'hui de renoncer à l'euro ou de reculer l'euro ont une attitude de faiblesse et, à mon avis, un déficit de responsabilité. Il faut surveiller la situation économique. Il faut être prêt aussi à prendre des mesures sectorielles. Pensons par exemple aux transports aériens qui sont un secteur qu'il faut surveiller de près. Jean-Claude Gayssot l'a dit, et la Commission a affirmé qu'elle était prête à réfléchir à tout cela. Les Américains prennent des aides, et il faudrait que les Européens puissent, peut-être, agir également de façon proportionnée. La coordination européenne doit être renforcée. J'en suis partisan depuis longtemps. De la coordination avec les Américains aussi. Mais pas d'alarmisme.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)
Questions directes des auditeurs sur France-Inter :
Q - Monsieur Moscovici, à propos de ce que disait notre auditeur à l'instant, peut-on se permettre de soutenir les Américains compte tenu du danger que cela représente pour la France avec ses centrales nucléaires ?
R - Moi, je n'aurais pas fait le parallèle, comme cet auditeur l'a fait, avec Munich ; on trouve tout de même là une thématique ancienne qui m'inquiète un tout petit peu. Comme si le fait de rester neutre, à l'écart, était protecteur. C'est là une illusion. Si nous sommes aux côtés des Américains, ce n'est pas de façon totalement hasardeuse, mais pour des raisons de fond. Ce sont nos alliés depuis des siècles, ils sont venus nous libérer, nous, pendant les conflits de 1914-1918 et 1939-1945. Et, à cette époque, ils ne se sont pas interrogés sur les dangers que cela pouvait leur faire courir. Donc, nous avons un devoir de solidarité.
Par ailleurs, le terrorisme ne concerne pas que les autres, cela peut aussi nous frapper. Et s'imaginer que de se tenir à l'écart d'un conflit contre le terrorisme nous protégera du terrorisme me paraît une illusion. Je dirais même que c'est dangereux. Le terrorisme est un fléau international ; nous avons un devoir de solidarité, de coopération. Mais nous restons en même temps libres d'apprécier notre façon de nous engager. Nous le faisons en fonction des demandes qui nous sont faites et de l'appréciation que nous faisons de notre situation, et de la riposte américaine. Pour l'instant, d'ailleurs, cette appréciation est correcte, convenable, puisque cette riposte paraît ciblée. Je crois que nous avons notre place dans le combat contre le terrorisme. C'est très important si, justement, nous voulons rester une puissance crédible, un pays qui a une voix, et qui fait respecter ses valeurs.
Pour le reste, il y a le problème de la sécurité des centrales nucléaires. J'ai dit tout à l'heure que le gouvernement était responsable de la sécurité intérieure. Le Premier ministre, et c'est normal, n'a pas dévoilé hier toutes les mesures qui sont prises. Je crois que cet aspect n'a pas complètement échappé à la vigilance du gouvernement.
Q - Pierre Moscovici, je voudrais prolonger la question de notre auditeur. Le Premier ministre, hier, au cours de son intervention, a annoncé l'intention de la France de demander que l'Europe de la Défense soit étendue à la sécurisation du territoire et aux approches maritimes et aériennes des pays de l'Union européenne. Une espèce d'Europe de la sécurité civile et de la protection des territoires. Est-ce que vous pouvez nous donner plus d'information sur cette proposition ?
R - Le Premier ministre avait déjà annoncé cela il y a une dizaine de jours, dans un discours à l'Institut des Hautes Etudes de Défense nationale. Tout à l'heure, j'ai parlé d'urgence européenne et je crois très profondément que, dans ce monde en désordre, déboussolé, privé de sens, il faut retrouver de l'ordre, de la régulation dans cette mondialisation. Il faut, pour cela, que les Américains sortent de leur isolationnisme, et ils sont en train de le faire dans cette affaire et que l'Europe soit volontaire, puissante.
On a évoqué les aspects justice et affaires intérieures, j'ai dit qu'ils connaîtraient une accélération sans précédent, mais il en va de même pour la Défense européenne. Certains disent que cette cause doit reculer, mais c'est exactement l'inverse. Il ne faut pas confondre "Défense européenne" et "armée européenne". La Défense européenne n'est pas destinée à se substituer aux défenses nationales, mais il faut réfléchir à mettre en place très vite cette force de projection extérieure de 60 000 hommes, et peut-être, face à des menaces d'un type nouveau, étendre les compétences de cette Défense européenne à la lutte anti-terroriste. D'où les aspects de sécurité civile et maritime qu'évoquait le Premier ministre hier. Je crois que la Défense européenne doit être adaptée aux menaces qui frappent notre continent. J'ai dit tout à l'heure que nous étions confrontés à un fléau international, la réponse doit être européenne. C'est cela, l'idée du Premier ministre, il faut maintenant y travailler au plan européen.
Q - Pensez-vous que la nouvelle disposition sur le contrôle des coffres des voitures puisse être efficace ?
R - Là, nous sommes dans le volet sécurité intérieure, très clairement. Avec une préoccupation qui est double ; celle de la sécurité, et celle de la liberté. Vous savez qu'il s'agit d'un débat qui agite la gauche, et l'ensemble du pays, depuis fort longtemps. Je me souviens par exemple, jeune étudiant, d'avoir protesté contre la loi dite "sécurité-liberté" d'Alain Peyrefitte, je crois que c'était en 1978, mais le temps a passé et les choses ont changé. Nous sommes confrontés à une menace exceptionnelle : la menace terroriste. Ce que le gouvernement veut faire, c'est prendre des mesures supplémentaires : à la fois à travers "Vigipirate" renforcé, mais aussi des dispositions légales nouvelles, qui permettent de nous protéger contre le terrorisme. Alors il y a effectivement la visite du véhicule, des perquisitions dans des conditions plus faciles, des contrôles de sécurité et tout ce qui concerne les nouvelles technologies de communication et de contrôle de courrier électronique, qui figurent maintenant parmi les véhicules d'information terroristes. Mais je précise que tout cela se fait sous le contrôle d'un juge.
Nous voulons plus de sécurité, mais nous voulons plus de sécurité dans la liberté, avec l'idée d'ailleurs que la sécurité est une des premières libertés pour nos concitoyens. Il ne s'agit pas de bâtir un texte liberticide, de tomber dans le tout-sécuritaire. Mais il ne faut pas, non plus, rester dans l'angélisme. Ce n'est pas une guerre ; le Premier ministre l'a bien expliqué. Nous n'avons pas en face de nous un Etat, il n'y aura pas de traité de paix ; mais lorsque l'on est devant un adversaire aussi multiforme, il faut des réponses adaptées.
Q - Va-t-on se servir de l'euro pour toutes les transactions en Europe, et par exemple, va-t-on payer le pétrole en euro, ou le payera-t-on en dollars ?
R - C'est là une autre question. Pour ce qui concerne les Européens, la monnaie sera l'euro. Pour moi, d'ailleurs, l'euro est une opération plus simple qu'on ne le croit. C'est vrai qu'entre le 1er janvier et le 17 février nous aurons ce problème de double circulation. Mais, après, nous n'aurons plus qu'une monnaie ; c'est l'euro. Et le rapport, justement un peu compliqué, entre l'euro et le franc, fait que les effets de mémoire ne joueront pas de la même manière que pour les anciens et les nouveaux francs. C'est bien le problème de l'euro. Par la suite, lors des transactions, il faudra que l'euro s'impose comme monnaie internationale. C'est justement l'objectif ; celui d'avoir une monnaie qui soit l'équivalent, sur la scène internationale, du dollar. Mais le dollar continuera à être une monnaie importante, sans aucun doute, y compris dans les transactions pétrolières.
Q - Compte tenu du contexte actuel, vous faites-vous du souci pour l'euro ? Nous ne sommes jamais qu'à 90 jours aujourd'hui et, la conjoncture ne lui est pas favorable ?
R - Vous parlez de son cours ?
Q - Oui.
R - Je ne me fais pas de souci pour l'euro. Il a connu d'abord une surévaluation, son cours de lancement à 1,17 dollar était excessif. Puis on est passé à une sous-évaluation et je crois que nous allons vers la stabilisation. Je ne me fais pas de souci pour l'euro ; j'essaie au contraire d'imaginer ce que serait notre situation aujourd'hui sans l'euro.
Vous avez parlé, tout à l'heure, des incertitudes de la situation économique ; je vous ai dit que le gouvernement ne voulait pas les exagérer, parce que c'est la confiance, c'est le patriotisme, c'est la responsabilité qui doit nous animer. En même temps, nous sommes très vigilants. Mais imaginez que l'on n'ait pas l'euro aujourd'hui : cela ajouterait aux difficultés économiques, aux inquiétudes des consommateurs, des problèmes spéculatifs. Si on avait aujourd'hui des marks, on achèterait des marks contre des francs, des francs contre des lires, des lires contre des pesetes. Tout cela pèserait sur le taux d'intérêt. La Banque centrale n'aurait pas pu baisser les taux d'intérêt comme elle l'a fait aujourd'hui, et cela représente des dizaines de milliards d'euros injectés dans l'économie. Donc un soutien à la croissance, un soutien à l'emploi. On voit bien que l'euro est là un instrument de stabilité, un instrument de lutte anti-spéculative absolument indispensable. Je crois donc, plus que jamais, que l'euro est nécessaire.
Tout à l'heure je le disais d'un mot un peu allusif mais je peux développer ; je crois que l'idée de retarder l'euro maintenant serait donner un signe de faiblesse de l'Europe à l'extérieur, et je crois que ce n'est pas responsable parce que cela nous prive d'un bouclier monétaire, d'une arme monétaire. On a beaucoup critiqué la Banque centrale européenne, et moi-même il m'est arrivé de le faire. On a appelé à la création d'un gouvernement économique où, pour la première fois, je note qu'on parle coordination. La BCE a réagi de façon coordonnée avec la FED américaine, et elle a baissé les taux de façon très importante : 0,5 points. Ce sont les plus bas depuis 20 ans./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 octobre 2001)
Interview sur Europe 1 :
Q - Pierre Moscovici, Ministre délégué aux Affaires européennes, quel était l'objet de ce forum ?
R - Vous savez qu'au Conseil européen de Nice, à la fin 2000, les Européens sont parvenus à réformer les institutions, mais sans doute de façon insuffisante. On s'est dit alors qu'il fallait aller plus loin, et voir comment on pouvait avancer vers une Constitution européenne. Le président de la République, le Premier ministre, moi-même, nous nous sommes dit qu'il fallait un débat citoyen, que l'on ne pouvait plus uniquement traiter de ces thèmes là dans des cénacles bruxellois, à la Commission ou au Conseil des ministres, ou encore au Parlement européen. Nous avons voulu prendre l'avis des Français. Il y a donc un grand débat national, et un Forum dans chacune des 26 régions françaises, 22 régions métropolitaines et aussi les DOM-TOM.
Q - Vous êtes intervenu vous-même ce matin, avant le président de la République. Sur quels thèmes ?
R - J'ai surtout voulu dire que, dans la situation actuelle, celle qui a été créée par les attentats du 11 septembre, l'Europe n'était plus seulement un cadre naturel, plus seulement une priorité, mais qu'elle devenait une urgence. Quand on est confronté à des défis qui sont des défis globaux, quand on a besoin de prendre sa place dans la mondialisation, quand en matière de terrorisme, par exemple, on a des organisations qui sont de véritables multinationales du crime, alors la réponse ne peut plus seulement être nationale. Maintenant, nous avons besoin d'une Europe qui soit une puissance, une puissance dans la mondialisation, une puissance capable d'organiser la mondialisation, de lui donner un sens. Notre monde est aujourd'hui totalement bouleversé, et pas seulement depuis le 11 septembre. Et nous avons aussi besoin, par exemple, d'une Europe qui soit plus sûre, qui assure la sécurité ; on pense à la sécurité alimentaire, mais il y a aussi la sécurité maritime, la sécurité des biens et des personnes, la sécurité des citoyens... C'est pour cela que, dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieures, nous allons faire, dans les six mois qui viennent, plus de progrès que depuis 40 ans ; avec un mandat d'arrêt européen, avec le développement d'Europol comme un FBI, entre autres... Maintenant, nous avons le devoir de coopérer, de bâtir une Europe politique.
Q - Mais comment améliorer encore la cohésion de l'Europe ? Ce serait parfait, bien sûr, si tous les pays qui composent cette union pouvaient parler, à chaque fois, d'une même voix, ce qui n'est pas tout à fait le cas.
R - Ce n'est pas le cas, encore que, si l'on prend pour exemple cette crise que nous traversons, la voix des Européens est extrêmement cohérente, solidaire. Solidaires avec les Américains, et solidaires entre eux. Sur le plan de la politique économique, nous avons marqué notre détermination à soutenir l'économie, si elle devait connaître la récession, ce qui ne me parait nullement avéré. Je crois, au contraire, qu'il faut faire preuve de confiance. Mais il faut aussi être tout à fait vigilants. Sur le plan de la Justice et des Affaires intérieures, j'en ai parlé, c'est une réaction solidaire. Dans tous les domaines, par exemple en matière de défense nationale, nous allons nous développer. Je crois effectivement que la voix de demain c'est une Europe qui s'exprime de façon beaucoup plus unie, avec une politique étrangère commune, avec une défense européenne, avec une coopération judiciaire et policière européenne. Avec aussi l'euro, bien sûr. L'euro doit aussi parler d'une seule voix à l'étranger, et tout cela, c'est simple, cela s'appelle l'Europe politique.
Q - Si la cohabitation au plus haut niveau de l'Etat entre Jacques Chirac et Lionel Jospin montre parfois quelques fissures, pour ce qui concerne les Affaires européennes, avec le président de la République vous vous entendez très bien.
R - Ce n'est pas le problème de s'entendre bien ou pas. Les problèmes de personnes sont secondaires. Cela fait quatre ans et quatre mois, maintenant, que je suis ministre des Affaires européennes. Donc, j'ai vu fonctionner la cohabitation à travers d'innombrables sommets et visites, avec l'un et avec l'autre. Mon engagement n'est pas suspect ; je suis avec Lionel Jospin à fond, je sais ce que fait le gouvernement et je sais ce que fait le président. Mais, dans cette matière, ce sont des choses trop sérieuses pour permettre que la France ne parle pas d'une seule voix à l'étranger.
Q - C'est un peu les mêmes relations qu'entre Jacques Chirac et Hubert Védrine, pour les Affaires étrangères. Il n'y a pratiquement jamais de "couac".
R - Mais il ne peut pas y avoir de "couac". Si on introduisait des problèmes politiques internes à l'étranger, le résultat ne serait pas profitable pour Jacques Chirac ou Lionel Jospin. Cela n'a pas d'intérêt, et cela coûterait à la France ; cela nous affaiblirait dans le concert international. Donc, nous avons mis en place des procédures de travail qui sont très simples ; nous préparons ensemble, par exemple, les Conseils européens. Et, cela, c'est pour le bien du pays. Dans mon domaine professionnel, nous sommes là pour servir la France, pour servir l'intérêt général, et l'intérêt général c'est qu'en matière européenne, comme à l'étranger, la France parle d'une seule voix
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 8 octobre 2001)
Q - La guerre anti-terroriste menée par les Etats-Unis a modifié les projets d'avenir de la plupart des pays. Comment croyez-vous qu'elle touche les objectifs de l'Union européenne ?
R - Cette crise, et le nouvel ordre mondial qu'elle suscite, ne font que renforcer l'urgence de faire une Europe forte, une véritable puissance. Je crois que tous les objectifs de la construction européenne doivent connaître, à partir de maintenant, une accélération.
Q - Certains se risquent à avancer que l'élargissement vers l'Est pourrait être retardé.
R - Je ne suis pas du tout de cet avis. Je crois que l'Europe forte passe nécessairement par l'élargissement. Nous devons faire une Europe intégrée. L'actuelle présidence belge, puis la présidence espagnole, doivent constituer des avancées décisives dans cette direction, pour que nous restions fidèles au calendrier prévu.
Q - Le gouvernement français a-t-il des preuves irréfutables pour accuser Ben Laden ?
R - Ce que nous n'avons pas, ce sont des indices qui permettraient de penser qu'une autre organisation puisse être la responsable des attentats.
Q - Vous n'avez pas peur que les Etats-Unis exagèrent et que cela dérive en un choc de civilisations ?
R - C'est ce que nous avons craint au début, lorsque nous avons entendu un vocabulaire, excessivement martial. Quand Bush a dit : "nous le voulons mort ou vif", cela m'a rappelé les romans que je lisais étant enfant. Je n'ai pas aimé non plus l'expression "croisade". Mais maintenant, une fois le premier choc passé, ils ont commencé à aborder la question de manière adéquate, avec une approche intelligente et contrôlée. Je crois qu'ils se sont rendu compte que tout cela ne doit pas conduire à une confrontation avec l'Islam.
Q - La France est-elle disposée à participer à une action armée ?
R - En tant qu'Européens, nous avons déclaré notre appui sans réserves, nous avons adopté la résolution de l'ONU qui reconnaît le droit de combattre le terrorisme et nous avons également activé au sein de l'OTAN l'article 5. Notre solidarité n'a pas de failles, bien que nous ayons demandé aux Etats-Unis de nous consulter sur le mécanisme de l'action commune à engager, parce que nous voulons garder notre liberté d'appréciation et notre marge de manuvre.
Q - Les Etats-Unis ne doivent-ils pas maintenant réfléchir sur leur politique étrangère ?
R - Je crois qu'ils sont en train de réfléchir sous la pression des événements. Par exemple, l'administration Bush, qui passait pour maintenir une politique unilatéraliste, est en train de promouvoir la plus grande coalition internationale qui ait jamais existé. Eux, qui passaient pour être ultra-libéraux, vont adopter des mesures contrôlées de relance économique. Il y aurait quelque ironie de ma part à dire que Bush va se situer à la gauche du parti socialiste français, mais, ce qui est certain, c'est que c'est une occasion pour les Etats-Unis de faire un exercice d'introspection.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)
Interview à France-Inter :
Q - A 90 jours du lancement de l'euro, l'Europe saura-t-elle gérer de façon coordonnée le ralentissement économique, encore accentué par les attentats de New York et Washington ? Pourquoi existe-t-il au sein de l'Union des lectures dissonantes du pacte de stabilité et de croissance ? D'ailleurs, cette croissance, est-il encore possible de croire qu'elle dépassera 2 %, alors que de nombreux analystes et jusqu'au président de la Bundesbank, la Banque centrale allemande, l'estiment en dessous de 2 % ? Vous êtes en duplex de Montpellier où se tient aujourd'hui un colloque sur la citoyenneté européenne. Je précise d'ailleurs que c'est le président Chirac qui prononcera le discours de clôture à Montpellier. L'euro en vue, pourquoi des stratégies non coordonnées en Europe pour lutter contre la crise économique ?
R - Tout d'abord, je ne suis pas le ministre des Finances, et je ne veux pas parler à l'excès de la situation économique. Mais il faut garder dans l'idée que la situation européenne n'est pas caractérisée, aujourd'hui, par une récession. Je crois qu'il est inexact de parler de la sorte.
Q - Ce n'est pas ce que j'ai dit...
R - Non, en effet, vous avez parlé de menaces. Je crois qu'il faut, au contraire, dans cette période, tenir un discours de confiance parce que l'Europe connaît une croissance forte, une croissance régulière. C'est vrai que la conjoncture est un peu plus plate qu'elle ne l'a été. C'est exact aussi que les incertitudes sont plus fortes, et notamment les incertitudes financières liées aux places boursières. Le pétrole a réagi de façon plutôt heureuse, et en même temps c'est toujours quelque chose à suivre, de façon concertée. On pouvait se poser des questions sur le comportement des ménages, mais ils n'ont pas témoigné d'anxiété majeure. Au contraire, jusqu'à présent, ils ont lutté contre la sinistrose ; la consommation a résisté.
Je crois, effectivement, qu'on peut prendre au sérieux les prévisions économiques qui ont été faites par le gouvernement. Comme le dit Laurent Fabius avec un peu d'humour : "il serait étonnant que le seul chiffre dont on ne puisse pas parler soit le chiffre du gouvernement". La réponse européenne s'explique par une situation qui n'est pas perçue de la même manière que la récession américaine, ou les menaces de récession américaine. Les Américains ont été directement frappés, et ils étaient déjà dans un cycle plus bas que les Européens, après des années et des années de croissance. De plus, certains secteurs, chez eux, comme le transport aérien, les assurances ou le tourisme, évidemment, sont sous le coup des événements. Il y a toujours deux scénarios dans cette affaire. C'est vrai qu'il y a un début de récession, et en même temps vous évoquiez un plan de relance américain. Donc il y a un autre scénario, qui est celui du rebond ; quand on injecte des liquidités de manière formidable dans l'économie, soit à travers la politique monétaire - les taux d'intérêt, la baisse décidée par le Fed et celle décidée par la BCE qui est un élément de coordination - soit à travers une relance budgétaire - elle a lieu aux Etats-Unis - on peut espérer que l'économie résiste.
Tout ça fait aussi un peu penser à ce qui s'est passé dans les années 1930, de façon un peu différente naturellement : au moment d'une crise, le rebond, la relance.
Q - Tant mieux s'il y a un volontarisme européen. Mais ce volontarisme est-il coordonné ou est-ce que chacun joue un peu sa carte ? Prenons le cas de l'Espagne : elle dit qu'elle aura un déficit zéro. Mais c'est vrai que la France, l'Allemagne, l'Italie, le Portugal sont dans une situation plus compliquée avec un risque de déficit plus important ?
R - Dans cette affaire, de façon plus large, je crois qu'apparaît un besoin général d'Europe. Certains disent que l'Europe agit en ordre dispersé. On parle de la stratégie en matière internationale ou militaire de Tony Blair, qui est effectivement plus proche des Américains, ce qui rejoint certaines tendances britanniques. Mais en même temps, au-delà de tout cela, ce qui m'a frappé c'est un langage extrêmement solidaire, calme, et commun. Nous sommes solidaires des Américains dans cette affaire ; nous voulons accélérer la construction européenne, notamment sur tous les aspects de justice et d'affaires intérieures. Ce qui n'est nullement liberticide, mais qui assure, au contraire, la sécurité de nos concitoyens.
Il en va de même en matière économique. Soyez sûrs que les ministres de l'Economie et des Finances sont extrêmement vigilants à ce qui se produit et que, le cas échéant, ils sauraient mettre en oeuvre des mesures correctrices. Pour le reste, il faut rappeler que le pacte de stabilité et de croissance - et j'insiste sur le mot "croissance" parce que c'est la France qui l'a voulue, notamment le Premier ministre Lionel Jospin, à Amsterdam - n'est pas un carcan qui nous dit : "le déficit doit être de zéro". Il nous dit que l'on doit avoir des déficits en dessous d'un certain seuil, 3 %, et que l'on doit prendre des engagements pluriannuels de dépenses publiques. Nous l'avons fait, et nous les respectons en France, y compris avec ce budget 2002. Nous sommes dans le cadre de ces engagements-là. Je crois qu'il revient aussi à chaque pays d'exploiter, d'une part, ses marges de manuvres - et la France le fait -, et d'autre part de tenir compte de sa situation spécifique. Celle de l'Espagne n'est pas celle de la France. Je suis aujourd'hui à Montpellier, dans une région qui est frontalière de l'Espagne : il y a ici, dans le département de l'Hérault, un taux de chômage de 14 %, qui est de 5 points plus élevé que la moyenne nationale, mais qui est inférieur au taux de chômage en Espagne. Les besoins ne sont pas les mêmes. L'Europe est synonyme de diversité. L'Europe est solidaire. Elle a des règles communes, mais ces règles doivent être appliquées avec une certaine souplesse.
Q - Pardon d'être un peu plus national et moins européen : quand Lionel Jospin disait, hier à l'Assemblée, "on ira plus loin si nécessaire avec le souci de rapidité et d'efficacité", où trouve-t-il ces marges de manoeuvres ? Où est l'argent ?
R - Je vais reprendre ce que je venais de dire, et ce n'est pas pour être dilatoire : ce qu'a voulu dire le Premier ministre, hier, à l'Assemblée nationale, c'est qu'il était, avec le gouvernement, responsable de la sécurité de la France. La sécurité extérieure dans la lutte contre le terrorisme est une prérogative partagée avec le chef de l'Etat dans le cadre de notre Constitution. Pour ce qui est de la sécurité intérieure, des mesures extrêmement importantes ont été annoncées ou confirmées hier. Il est très important que les Français sachent que, face au terrorisme, il y a une mobilisation complète de l'appareil d'Etat. L'Etat prend ses responsabilités ; le gouvernement est engagé, le Premier ministre Lionel Jospin est personnellement engagé.
Il y aussi la sécurité économique. J'ai entendu, ici ou là, quelques rires sur les bancs de l'opposition, mais ce qu'a voulu dire le Premier ministre apparaissait extrêmement clair : dans une situation qui peut devenir plus incertaine et plus difficile, il importe que chacun prenne ses responsabilités. C'est ce qu'on a appelé le "patriotisme économique". Ce n'est pas le moment de faire circuler des bruits alarmistes sur la situation de l'économie. Au contraire, c'est le moment d'affirmer un message de confiance, de cohésion dans l'économie française, dont les fondamentaux sont bons. Il a redit aussi que le gouvernement était vigilant, attentif, et qu'il saurait prendre les mesures nécessaires. Il me semble que commencer, maintenant, à parler de je ne sais quel plan de relance, ce serait infirmer, d'une certaine façon, le discours de fond qui est un discours sincère : "nous avons confiance dans l'économie française."
Q - Vous avez confiance dans tous vos partenaires européens ? Silvio Berlusconi vient de faire adopter par le Sénat en Italie une loi qui va incroyablement compliquer le travail des juges, notamment pour lutter contre l'argent sale, les paradis fiscaux et les capitaux islamistes qui peuvent circuler ici ou là...
R - C'est toujours plus difficile d'intervenir sur les affaires d'un autre pays européen. Vous savez que nous avons eu une riposte extrêmement ferme quand Silvio Berlusconi a opposé la civilisation occidentale, en prétendant qu'elle était supérieure, à la civilisation musulmane. C'est une faute. Le Premier ministre a dit, hier, que l'on ne devait rien faire qui conduise à un choc des civilisations. On doit respecter l'Islam. On doit chercher aussi à travailler avec lui de façon organisée. On doit combattre les formes dévoyées de l'islamisme. Là, on n'est plus dans le domaine de la politique intérieure italienne.
Je voudrais faire une observation. J'ai parlé tout à l'heure du besoin d'Europe, de l'urgence d'accélérer l'Europe. On voit bien, dans les affaires de justice et les affaires intérieures - sécurité et justice - que lorsque l'on est confronté à des organisations terroristes qui sont structurées, organisées comme des multinationales, qui ont effectivement des hommes dans un pays, des comptes dans un deuxième, et qui frappent dans un troisième, alors, évidemment, la nation n'est pas le seul échelon pertinent de réponse. L'échelon minimum de réponse s'appelle l'Europe. Dans ces affaires-là, je crois que les attentats du 11 septembre, paradoxalement, ont joué comme un révélateur. Nous allons faire, dans les six mois qui viennent, plus de progrès que dans les dix dernières années : un mandat d'arrêt européen qui va se substituer à des procédures d'extradition qui sont longues et compliquées, une définition commune du terrorisme, le renforcement d'Europol, qui va devenir une sorte de FBI européen. On doit aussi aller vers un parquet européen. Il y a un plan de marche extrêmement volontaire.
Pour en revenir à votre question de départ sur Silvio Berlusconi, je crois qu'il ne faudrait pas que les pays européens, quels qu'ils soient, prennent des mesures qui soient contraires à cette marche en avant de la justice européenne. Là aussi, l'Europe est notre intérêt général. Si nous nous replions à l'intérieur de frontières nationales, s'agissant de ce type de phénomènes terroristes internationaux, alors nous perdons en efficacité et en légitimité. Nous perdons en force, tout simplement.
Q - Quid de la solidarité internationale ? Les Etats-Unis, s'agissant de l'Europe, disent que "les Européens ne font pas ce qu'il faut pour relancer leur machine économique et ils vont se casser la figure". Dans un moment où chacun se demande comment travailler ensemble, est-ce que ce n'est pas un discours qui vous surprend un peu ?
R - C'est un discours qui me surprend, oui. Tellement, d'ailleurs, que je ne l'ai pas entendu. Nous sommes dans une phase qui est, encore une fois, une phase d'incertitude. Ces événements ont eu lieu il y a trois semaines. Il faut maintenant observer les choses. Pour ma part, je suis plutôt confiant dans la capacité de rebond des Américains dans cette affaire-là ; ils ont décidé d'injecter 60 milliards de dépenses budgétaires. Je précise que les Américains, eux, peuvent le faire, car ils avaient des excédents accumulés grâce à la force de leur monnaie, prouvant ainsi que l'euro est aussi un élément de force pour l'Europe. Tous ceux qui proposent aujourd'hui de renoncer à l'euro ou de reculer l'euro ont une attitude de faiblesse et, à mon avis, un déficit de responsabilité. Il faut surveiller la situation économique. Il faut être prêt aussi à prendre des mesures sectorielles. Pensons par exemple aux transports aériens qui sont un secteur qu'il faut surveiller de près. Jean-Claude Gayssot l'a dit, et la Commission a affirmé qu'elle était prête à réfléchir à tout cela. Les Américains prennent des aides, et il faudrait que les Européens puissent, peut-être, agir également de façon proportionnée. La coordination européenne doit être renforcée. J'en suis partisan depuis longtemps. De la coordination avec les Américains aussi. Mais pas d'alarmisme.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)
Questions directes des auditeurs sur France-Inter :
Q - Monsieur Moscovici, à propos de ce que disait notre auditeur à l'instant, peut-on se permettre de soutenir les Américains compte tenu du danger que cela représente pour la France avec ses centrales nucléaires ?
R - Moi, je n'aurais pas fait le parallèle, comme cet auditeur l'a fait, avec Munich ; on trouve tout de même là une thématique ancienne qui m'inquiète un tout petit peu. Comme si le fait de rester neutre, à l'écart, était protecteur. C'est là une illusion. Si nous sommes aux côtés des Américains, ce n'est pas de façon totalement hasardeuse, mais pour des raisons de fond. Ce sont nos alliés depuis des siècles, ils sont venus nous libérer, nous, pendant les conflits de 1914-1918 et 1939-1945. Et, à cette époque, ils ne se sont pas interrogés sur les dangers que cela pouvait leur faire courir. Donc, nous avons un devoir de solidarité.
Par ailleurs, le terrorisme ne concerne pas que les autres, cela peut aussi nous frapper. Et s'imaginer que de se tenir à l'écart d'un conflit contre le terrorisme nous protégera du terrorisme me paraît une illusion. Je dirais même que c'est dangereux. Le terrorisme est un fléau international ; nous avons un devoir de solidarité, de coopération. Mais nous restons en même temps libres d'apprécier notre façon de nous engager. Nous le faisons en fonction des demandes qui nous sont faites et de l'appréciation que nous faisons de notre situation, et de la riposte américaine. Pour l'instant, d'ailleurs, cette appréciation est correcte, convenable, puisque cette riposte paraît ciblée. Je crois que nous avons notre place dans le combat contre le terrorisme. C'est très important si, justement, nous voulons rester une puissance crédible, un pays qui a une voix, et qui fait respecter ses valeurs.
Pour le reste, il y a le problème de la sécurité des centrales nucléaires. J'ai dit tout à l'heure que le gouvernement était responsable de la sécurité intérieure. Le Premier ministre, et c'est normal, n'a pas dévoilé hier toutes les mesures qui sont prises. Je crois que cet aspect n'a pas complètement échappé à la vigilance du gouvernement.
Q - Pierre Moscovici, je voudrais prolonger la question de notre auditeur. Le Premier ministre, hier, au cours de son intervention, a annoncé l'intention de la France de demander que l'Europe de la Défense soit étendue à la sécurisation du territoire et aux approches maritimes et aériennes des pays de l'Union européenne. Une espèce d'Europe de la sécurité civile et de la protection des territoires. Est-ce que vous pouvez nous donner plus d'information sur cette proposition ?
R - Le Premier ministre avait déjà annoncé cela il y a une dizaine de jours, dans un discours à l'Institut des Hautes Etudes de Défense nationale. Tout à l'heure, j'ai parlé d'urgence européenne et je crois très profondément que, dans ce monde en désordre, déboussolé, privé de sens, il faut retrouver de l'ordre, de la régulation dans cette mondialisation. Il faut, pour cela, que les Américains sortent de leur isolationnisme, et ils sont en train de le faire dans cette affaire et que l'Europe soit volontaire, puissante.
On a évoqué les aspects justice et affaires intérieures, j'ai dit qu'ils connaîtraient une accélération sans précédent, mais il en va de même pour la Défense européenne. Certains disent que cette cause doit reculer, mais c'est exactement l'inverse. Il ne faut pas confondre "Défense européenne" et "armée européenne". La Défense européenne n'est pas destinée à se substituer aux défenses nationales, mais il faut réfléchir à mettre en place très vite cette force de projection extérieure de 60 000 hommes, et peut-être, face à des menaces d'un type nouveau, étendre les compétences de cette Défense européenne à la lutte anti-terroriste. D'où les aspects de sécurité civile et maritime qu'évoquait le Premier ministre hier. Je crois que la Défense européenne doit être adaptée aux menaces qui frappent notre continent. J'ai dit tout à l'heure que nous étions confrontés à un fléau international, la réponse doit être européenne. C'est cela, l'idée du Premier ministre, il faut maintenant y travailler au plan européen.
Q - Pensez-vous que la nouvelle disposition sur le contrôle des coffres des voitures puisse être efficace ?
R - Là, nous sommes dans le volet sécurité intérieure, très clairement. Avec une préoccupation qui est double ; celle de la sécurité, et celle de la liberté. Vous savez qu'il s'agit d'un débat qui agite la gauche, et l'ensemble du pays, depuis fort longtemps. Je me souviens par exemple, jeune étudiant, d'avoir protesté contre la loi dite "sécurité-liberté" d'Alain Peyrefitte, je crois que c'était en 1978, mais le temps a passé et les choses ont changé. Nous sommes confrontés à une menace exceptionnelle : la menace terroriste. Ce que le gouvernement veut faire, c'est prendre des mesures supplémentaires : à la fois à travers "Vigipirate" renforcé, mais aussi des dispositions légales nouvelles, qui permettent de nous protéger contre le terrorisme. Alors il y a effectivement la visite du véhicule, des perquisitions dans des conditions plus faciles, des contrôles de sécurité et tout ce qui concerne les nouvelles technologies de communication et de contrôle de courrier électronique, qui figurent maintenant parmi les véhicules d'information terroristes. Mais je précise que tout cela se fait sous le contrôle d'un juge.
Nous voulons plus de sécurité, mais nous voulons plus de sécurité dans la liberté, avec l'idée d'ailleurs que la sécurité est une des premières libertés pour nos concitoyens. Il ne s'agit pas de bâtir un texte liberticide, de tomber dans le tout-sécuritaire. Mais il ne faut pas, non plus, rester dans l'angélisme. Ce n'est pas une guerre ; le Premier ministre l'a bien expliqué. Nous n'avons pas en face de nous un Etat, il n'y aura pas de traité de paix ; mais lorsque l'on est devant un adversaire aussi multiforme, il faut des réponses adaptées.
Q - Va-t-on se servir de l'euro pour toutes les transactions en Europe, et par exemple, va-t-on payer le pétrole en euro, ou le payera-t-on en dollars ?
R - C'est là une autre question. Pour ce qui concerne les Européens, la monnaie sera l'euro. Pour moi, d'ailleurs, l'euro est une opération plus simple qu'on ne le croit. C'est vrai qu'entre le 1er janvier et le 17 février nous aurons ce problème de double circulation. Mais, après, nous n'aurons plus qu'une monnaie ; c'est l'euro. Et le rapport, justement un peu compliqué, entre l'euro et le franc, fait que les effets de mémoire ne joueront pas de la même manière que pour les anciens et les nouveaux francs. C'est bien le problème de l'euro. Par la suite, lors des transactions, il faudra que l'euro s'impose comme monnaie internationale. C'est justement l'objectif ; celui d'avoir une monnaie qui soit l'équivalent, sur la scène internationale, du dollar. Mais le dollar continuera à être une monnaie importante, sans aucun doute, y compris dans les transactions pétrolières.
Q - Compte tenu du contexte actuel, vous faites-vous du souci pour l'euro ? Nous ne sommes jamais qu'à 90 jours aujourd'hui et, la conjoncture ne lui est pas favorable ?
R - Vous parlez de son cours ?
Q - Oui.
R - Je ne me fais pas de souci pour l'euro. Il a connu d'abord une surévaluation, son cours de lancement à 1,17 dollar était excessif. Puis on est passé à une sous-évaluation et je crois que nous allons vers la stabilisation. Je ne me fais pas de souci pour l'euro ; j'essaie au contraire d'imaginer ce que serait notre situation aujourd'hui sans l'euro.
Vous avez parlé, tout à l'heure, des incertitudes de la situation économique ; je vous ai dit que le gouvernement ne voulait pas les exagérer, parce que c'est la confiance, c'est le patriotisme, c'est la responsabilité qui doit nous animer. En même temps, nous sommes très vigilants. Mais imaginez que l'on n'ait pas l'euro aujourd'hui : cela ajouterait aux difficultés économiques, aux inquiétudes des consommateurs, des problèmes spéculatifs. Si on avait aujourd'hui des marks, on achèterait des marks contre des francs, des francs contre des lires, des lires contre des pesetes. Tout cela pèserait sur le taux d'intérêt. La Banque centrale n'aurait pas pu baisser les taux d'intérêt comme elle l'a fait aujourd'hui, et cela représente des dizaines de milliards d'euros injectés dans l'économie. Donc un soutien à la croissance, un soutien à l'emploi. On voit bien que l'euro est là un instrument de stabilité, un instrument de lutte anti-spéculative absolument indispensable. Je crois donc, plus que jamais, que l'euro est nécessaire.
Tout à l'heure je le disais d'un mot un peu allusif mais je peux développer ; je crois que l'idée de retarder l'euro maintenant serait donner un signe de faiblesse de l'Europe à l'extérieur, et je crois que ce n'est pas responsable parce que cela nous prive d'un bouclier monétaire, d'une arme monétaire. On a beaucoup critiqué la Banque centrale européenne, et moi-même il m'est arrivé de le faire. On a appelé à la création d'un gouvernement économique où, pour la première fois, je note qu'on parle coordination. La BCE a réagi de façon coordonnée avec la FED américaine, et elle a baissé les taux de façon très importante : 0,5 points. Ce sont les plus bas depuis 20 ans./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 octobre 2001)
Interview sur Europe 1 :
Q - Pierre Moscovici, Ministre délégué aux Affaires européennes, quel était l'objet de ce forum ?
R - Vous savez qu'au Conseil européen de Nice, à la fin 2000, les Européens sont parvenus à réformer les institutions, mais sans doute de façon insuffisante. On s'est dit alors qu'il fallait aller plus loin, et voir comment on pouvait avancer vers une Constitution européenne. Le président de la République, le Premier ministre, moi-même, nous nous sommes dit qu'il fallait un débat citoyen, que l'on ne pouvait plus uniquement traiter de ces thèmes là dans des cénacles bruxellois, à la Commission ou au Conseil des ministres, ou encore au Parlement européen. Nous avons voulu prendre l'avis des Français. Il y a donc un grand débat national, et un Forum dans chacune des 26 régions françaises, 22 régions métropolitaines et aussi les DOM-TOM.
Q - Vous êtes intervenu vous-même ce matin, avant le président de la République. Sur quels thèmes ?
R - J'ai surtout voulu dire que, dans la situation actuelle, celle qui a été créée par les attentats du 11 septembre, l'Europe n'était plus seulement un cadre naturel, plus seulement une priorité, mais qu'elle devenait une urgence. Quand on est confronté à des défis qui sont des défis globaux, quand on a besoin de prendre sa place dans la mondialisation, quand en matière de terrorisme, par exemple, on a des organisations qui sont de véritables multinationales du crime, alors la réponse ne peut plus seulement être nationale. Maintenant, nous avons besoin d'une Europe qui soit une puissance, une puissance dans la mondialisation, une puissance capable d'organiser la mondialisation, de lui donner un sens. Notre monde est aujourd'hui totalement bouleversé, et pas seulement depuis le 11 septembre. Et nous avons aussi besoin, par exemple, d'une Europe qui soit plus sûre, qui assure la sécurité ; on pense à la sécurité alimentaire, mais il y a aussi la sécurité maritime, la sécurité des biens et des personnes, la sécurité des citoyens... C'est pour cela que, dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieures, nous allons faire, dans les six mois qui viennent, plus de progrès que depuis 40 ans ; avec un mandat d'arrêt européen, avec le développement d'Europol comme un FBI, entre autres... Maintenant, nous avons le devoir de coopérer, de bâtir une Europe politique.
Q - Mais comment améliorer encore la cohésion de l'Europe ? Ce serait parfait, bien sûr, si tous les pays qui composent cette union pouvaient parler, à chaque fois, d'une même voix, ce qui n'est pas tout à fait le cas.
R - Ce n'est pas le cas, encore que, si l'on prend pour exemple cette crise que nous traversons, la voix des Européens est extrêmement cohérente, solidaire. Solidaires avec les Américains, et solidaires entre eux. Sur le plan de la politique économique, nous avons marqué notre détermination à soutenir l'économie, si elle devait connaître la récession, ce qui ne me parait nullement avéré. Je crois, au contraire, qu'il faut faire preuve de confiance. Mais il faut aussi être tout à fait vigilants. Sur le plan de la Justice et des Affaires intérieures, j'en ai parlé, c'est une réaction solidaire. Dans tous les domaines, par exemple en matière de défense nationale, nous allons nous développer. Je crois effectivement que la voix de demain c'est une Europe qui s'exprime de façon beaucoup plus unie, avec une politique étrangère commune, avec une défense européenne, avec une coopération judiciaire et policière européenne. Avec aussi l'euro, bien sûr. L'euro doit aussi parler d'une seule voix à l'étranger, et tout cela, c'est simple, cela s'appelle l'Europe politique.
Q - Si la cohabitation au plus haut niveau de l'Etat entre Jacques Chirac et Lionel Jospin montre parfois quelques fissures, pour ce qui concerne les Affaires européennes, avec le président de la République vous vous entendez très bien.
R - Ce n'est pas le problème de s'entendre bien ou pas. Les problèmes de personnes sont secondaires. Cela fait quatre ans et quatre mois, maintenant, que je suis ministre des Affaires européennes. Donc, j'ai vu fonctionner la cohabitation à travers d'innombrables sommets et visites, avec l'un et avec l'autre. Mon engagement n'est pas suspect ; je suis avec Lionel Jospin à fond, je sais ce que fait le gouvernement et je sais ce que fait le président. Mais, dans cette matière, ce sont des choses trop sérieuses pour permettre que la France ne parle pas d'une seule voix à l'étranger.
Q - C'est un peu les mêmes relations qu'entre Jacques Chirac et Hubert Védrine, pour les Affaires étrangères. Il n'y a pratiquement jamais de "couac".
R - Mais il ne peut pas y avoir de "couac". Si on introduisait des problèmes politiques internes à l'étranger, le résultat ne serait pas profitable pour Jacques Chirac ou Lionel Jospin. Cela n'a pas d'intérêt, et cela coûterait à la France ; cela nous affaiblirait dans le concert international. Donc, nous avons mis en place des procédures de travail qui sont très simples ; nous préparons ensemble, par exemple, les Conseils européens. Et, cela, c'est pour le bien du pays. Dans mon domaine professionnel, nous sommes là pour servir la France, pour servir l'intérêt général, et l'intérêt général c'est qu'en matière européenne, comme à l'étranger, la France parle d'une seule voix
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 8 octobre 2001)