Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, sur la nécessité d'un service public "fort", la simplification des services rendus à l'usager et la modernisation du statut de la fonction publique, à Metz le 23 janvier 2014.

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Circonstance : Cérémonie de présentation des voeux aux agents de la fonction publique, à Metz (Moselle) le 23 janvier 2014

Texte intégral

Mesdames les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le maire,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les représentants des organisations syndicales de la fonction publique,
Permettez-moi de vous remercier de votre présence aujourd'hui pour ces vœux décentralisés à la fonction publique. C'est un moment important pour mon Gouvernement, car chacun d'entre nous sait la part que prennent les agents publics à notre politique de redressement et chacun doit avoir conscience de ce que le pays doit à leur dévouement. C'est à eux que je m'adresse aujourd'hui, à tous les agents territoriaux, hospitaliers ou de l'Etat, quel que soit leur métier – et il en est plus de 900 dans tous les domaines administratifs, techniques ou sociaux. Ce sont eux qui font vivre notre modèle français de service public.
Or, il n'y aura pas de redressement de notre pays sans les services publics, c'est-à-dire sans les fonctionnaires. Cela, les Français le sentent bien. Qu'il s'agisse de santé, d'éducation, de sécurité, d'emploi ou de solidarité, ils comptent sur les services publics et attendent toujours plus d'efficacité. Qu'il s'agisse du maintien de notre puissance économique, de notre rayonnement international ou de notre cohésion nationale, ils comptent sur l'Etat et sur la puissance publique.
Leurs attentes vont vers plus de protection, plus d'anticipation et une meilleure régulation. Ils veulent une puissance publique présente et efficace, une puissance publique qui prépare l'avenir, une puissance publique garante de la cohésion sociale et territoriale, une puissance publique partenaire à l'écoute de la société civile et des entreprises. Ils veulent aussi des services publics plus proches des citoyens et des usagers, plus innovants, plus simples, plus accessibles et plus transparents.
Ne nous le cachons pas, et je sais que les fonctionnaires le vivent au quotidien : le financement de nos priorités et le besoin de retrouver les marges de manœuvre que nos prédécesseurs ont compromises implique des contraintes. Beaucoup de fonctionnaires le ressentent.
Mais ces efforts sont nécessaires pour sauver notre modèle de service public, car l'enjeu n'est pas de lui tourner le dos, et encore moins de l'abandonner, mais de le moderniser pour qu'il gagne encore en efficacité et permette au pays de relever les défis qui l'attendent, tout en préservant les acquis auxquels les Français sont attachés.
C'est un défi de taille car il faut à la fois remobiliser les agents, conforter la confiance de nos concitoyens et démontrer que le service public est en mouvement et qu'il sait innover et se simplifier au service des Français. Ce chantier doit d'ailleurs être mené de front et en cohérence avec une nouvelle étape ambitieuse de décentralisation, comme le Président de la République et le Gouvernement l'ont annoncé.
Autant dire que cette modernisation nécessaire ne sera possible que si elle repose sur une vision et un projet pour le service public, l'Etat et l'action publique au XXIème siècle, porteurs de sens pour les fonctionnaires et pour l'ensemble des Français. Et notre vision, c'est un service public fort.
Un service public fort, c'est d'abord un service public qui anticipe pour s'adapter
J'ai demandé à cet effet au commissariat général à la stratégie et à la prospective de travailler avec les partenaires sociaux et des représentants de la société civile sur les grands enjeux qui nous attendent. C'était un engagement de la conférence sociale de juin dernier. Les travaux commenceront dès le mois prochain et aboutiront d'ici la conférence sociale du printemps 2014.
Un service public fort, c'est aussi un service public qui se rapproche de l'usager, qui sait faire simple et faire confiance
C'est tout le sens des centaines de décisions de simplification du service rendu à l'usager, entreprise ou citoyen, actuellement en cours. Et ce sont des enjeux très concrets : chacun a pu s'en rendre compte ce matin-même lors de la visite de la caisse d'allocations familiales. En décembre dernier j'ai décidé de supprimer l'attestation de scolarité pour le paiement de l'allocation de rentrée scolaire (ARS) des enfants de 16 à 18 ans. Plutôt que de demander cette pièce justificative, une déclaration sur l'honneur suffit désormais. Cela n'exclut pas le contrôle a posteriori bien sûr, mais cela allège le travail des agents et simplifie la vie des familles. C'est aussi un élément important pour conforter l'image du service public auprès de nos concitoyens, et cela est, à mes yeux, essentiel.
Enfin, un service public fort, c'est un service public qui rapproche les décisions et les territoires, là où les Français vivent et travaillent.
Cela suppose d'abord de réaliser un véritable saut qualitatif en matière de déconcentration. Des avancées importantes ont déjà été réalisées en la matière. Mais il s'agit aujourd'hui d'aller plus loin et de replacer les acteurs de proximité et les chefs de services déconcentrés au cœur du fonctionnement de l'Etat.
Il faut redonner des marges d'action aux agents sur le terrain. Et cela implique que les administrations centrales se recentrent davantage sur leur rôle de pilotage et d'accompagnement. Il n'est plus acceptable que 6000 demandes de compte rendu soient adressées chaque année aux services déconcentrés de l'Etat, dont une partie n'est jamais utilisée.
Cet accaparement des cadres au niveau territorial par des tâches chronophages les empêche de se consacrer, autant qu'ils le souhaiteraient au pilotage des missions de l'Etat et à l'accompagnement des agents.
Il faut également aller plus loin, partout où c'est utile, dans le dépassement les cloisonnements ministériels et dans le développement des passerelles, des coopérations et des approches communes entre services. Cela peut passer par des rapprochements dans la gestion des fonctions supports, avec à chaque fois l'objectif de conforter les missions opérationnelles au profit des usagers et des citoyens.
Là est en effet l'essentiel pour le Gouvernement : améliorer le service rendu aux usagers et aux citoyens. C'est notre ambition pour les années à venir, et le rôle de la fonction publique y sera central. Car si le service public est créateur de valeurs pour nos concitoyens, la fonction publique en constitue le capital humain et la première richesse.
Nous avons besoin des fonctionnaires pour assurer la présence de l'Etat et des services publics sur le territoire.
C'est le sens de l'engagement que j'ai pris pour que l'échelon départemental de l'Etat ne soit plus systématiquement défavorisé dans les décisions de répartition des emplois, comme cela a été trop souvent le cas.
C'est aussi le sens des créations de postes que nous avons décidées dans l'éducation, la sécurité et la justice. Il s'agit là d'un choix profondément politique et qui engage fortement nos finances publiques, mais il est à la hauteur de la confiance que mon Gouvernement place dans la fonction publique.
Pour ma part, je crois à notre modèle français de fonction publique, et je n'oublie pas qu'il constitue encore aujourd'hui l'un des héritages les plus durables de la Libération et des Gouvernements issus du Conseil National de la Résistance.
La France, à cette époque, a fait le choix d'une fonction publique indépendante, protégée de l'arbitraire politique, où l'impartialité des agents était une condition de la neutralité de l'Etat, c'est-à-dire, au fond, de l'égalité des citoyens devant la loi et devant le service public.
Elle a fait le choix de fonder l'accès aux emplois publics sur le mérite et la compétence, conformément à la Constitution. C'est ce modèle qui a permis de rompre avec les traditions de cooptation qui asservissaient l'Etat à une caste. C'est lui aussi qui permet aujourd'hui à la France de disposer d'une administration reconnue pour son expertise et capable d'assurer ses missions avec l'impartialité et l'indépendance nécessaires.
Chaque déplacement à l'étranger est d'ailleurs l'occasion de constater l'influence de ce modèle sur nos partenaires, notamment émergents, qui se tournent vers nous pour accompagner leurs efforts de structuration d'une puissance publique efficace et moderne.
Ces valeurs d'indépendance, d'impartialité, de neutralité, de mérite et de professionnalisme fondent l'identité de notre fonction publique et sont plus que jamais au cœur des attentes de notre société.
C'est le statut des fonctionnaires qui les garantit, de même qu'il garantit à tous les Français, quelles que soient leurs origines ou situations sociales, le respect des valeurs fondamentales de laïcité et d'égalité qui sont au cœur du pacte républicain.
C'est également le statut des fonctionnaires qui permet aux employeurs publics de s'adapter en permanence aux nouveaux besoins des usagers et aux évolutions de la société.
Le statut, c'est en effet un équilibre entre des droits et des devoirs. Il comporte des protections spécifiques pour ceux qui doivent exercer des missions publiques en toute indépendance, mais il impose aussi des obligations, comme celle de suivre les évolutions du service public.
Or, l'Etat et les collectivités doivent constamment se réorganiser pour y faire face. Plus de 100.000 agents de l'Etat déménagent chaque année pour que le service public soit présent sur l'ensemble du territoire conformément aux attentes des Français, et ce n'est pas par des renégociations permanentes de contrats que l'on pourrait gérer des mouvements d'une telle ampleur.
Là est la clé de la longévité du statut des fonctionnaires, par-delà toutes les alternances politiques que la France a connues : le statut est la condition de la réforme de l'Etat et des collectivités. Il est en réalité le seul cadre juridique permettant de garantir, à grande échelle, l'adaptation permanente du service public aux besoins de la puissance publique.
Cela va sans doute à contre-courant de certains discours qu'on voit réapparaître ici ou là, mais c'est pourtant la réalité concrète qui a conduit tous les Gouvernements depuis 1945, quelle que soit leur couleur politique, à se rallier à ce modèle de fonction publique. Il est faux de dire que ce système constitue un archaïsme et ceux qui, pour des raisons idéologiques, répandent cette idée se trompent et démontrent qu'ils ignorent les nécessités pratiques de la gestion publique et de la réforme de l'Etat.
Voilà pourquoi, à l'occasion du trentième anniversaire des lois de 1984 créant la fonction publique territoriale et réformant le statut des fonctionnaires de l'Etat – et je salue la présence d'Anicet Le Pors parmi nous-, je tenais à réaffirmer ici publiquement l'attachement du Gouvernement à ce modèle et ma confiance dans son avenir.
Cette confiance ne signifie pas le statu quo, car là aussi, il faut rester fidèle à l'esprit du statut des fonctionnaires, qui repose sur une exigence permanente de mouvement, d'adaptation et d'amélioration.
Personne ne peut se satisfaire de la situation que nous avons trouvée à notre arrivée en 2012 : des agents désorientés, des réformes désordonnées et inabouties, et une recentralisation rampante de nos administrations qui a dégradé la capacité d'action de la puissance publique. En un mot, une absence de confiance dans la fonction publique.
Ce constat a été analysé précisément par le rapport que j'ai commandé à M. Bernard Pêcheur, et je tiens à saluer la qualité de son travail, qui nous permet d'être ambitieux.
C'est sur cette base que Marylise Lebranchu a ouvert un important cycle de concertation sur l'avenir de la fonction publique, avec les organisations syndicales.
Le dialogue social doit évidemment trouver toute sa place, et mon souhait n'est pas de m'y substituer. Il me paraît cependant important de rappeler certains objectifs essentiels de ce cycle de discussion.
L'enjeu est bien, trente ans après les grandes lois statutaires de 1983-1984, de moderniser le statut des fonctionnaires dans le respect de ses valeurs fondatrices.
Quel est l'objectif ? C'est celui d'une fonction publique plus efficace au service des citoyens et qui réponde mieux aux aspirations des agents.
Trop de règles et de procédures empêchent aujourd'hui de développer une gestion de proximité et plus qualitative des agents. Trop de lourdeurs empêchent aussi de mieux répondre aux nouveaux besoins des usagers et de développer un service public plus réactif.
Pour rendre le service public plus efficace, il faut à la fois fixer un cap ambitieux en matière de déconcentration et conforter le rôle des chefs de service dans la gestion de leurs agents.
Est-il normal, en effet, qu'un chef de service n'ait pas son mot à dire sur l'arrivée d'un agent dans son service ? Est-il normal qu'il ne soit pas suivi par l'administration centrale sur les propositions de promotion de ses collaborateurs ? Nous devons faire confiance aux gestionnaires de proximité. Il faut leur garantir plus d'autonomie. C'est une nécessité pour conforter l'action territoriale de l'Etat.
Mais il faut aussi faire évoluer le management public vers plus de participation, que ce soit dans l'Etat, dans les hôpitaux ou dans les collectivités territoriales. Le Gouvernement est prêt à reconnaître aux agents un véritable droit d'expression sur leurs conditions de travail.
Ma conviction est en effet que si nous voulons moderniser le service public, nous devons d'abord remettre les personnels au cœur des décisions, libérer les énergies et les initiatives. J'ai demandé à Marylise Lebranchu de conduire avec les représentants des personnels la concertation sur la qualité de vie au travail inscrite à l'agenda social, pour avancer rapidement sur ces sujets.
Enfin, il faut mieux accompagner nos personnels, mieux préparer les réorganisations de service. Lorsque les missions évoluent, tout doit être mis en œuvre pour faciliter les transitions professionnelles et favoriser les mobilités au niveau local sur un même bassin d'emplois, y compris entre les trois fonctions publiques. Le changement d'employeur doit être facilité et les freins à la mobilité levés. Or il en existe encore beaucoup. Est-il par exemple souhaitable d'attendre six mois la validation d'une instance nationale pour autoriser un changement d'affectation entre deux bureaux d'une même direction départementale ?
Sur tous ces points, le statut des fonctionnaires et sa pratique doivent être simplifiés. Et c'est un travail minutieux et exigeant qui doit être conduit.
Cette exigence vaut aussi pour les conditions d'emplois des agents publics, qui doivent être exemplaires et irréprochables. C'est un élément clef de la confiance des citoyens dans leur fonction publique et leurs services publics. La transparence est partout l'alliée des agents publics, y compris en matière d'emplois et de rémunérations lorsqu'il s'agit de démontrer - ce que nous savons parfaitement - que les fonctionnaires ne sont pas des privilégiés. A cet égard, les agents ont tout à gagner à simplifier les 1700 régimes de primes existants dans la fonction publique de l'Etat. Ils ont également tout à gagner à faire progresser le contrôle de l'absentéisme, précisément pour démontrer qu'il n'y a pas d'abus dans la fonction publique.
Les fonctionnaires ne sont pas des privilégiés, mais ils n'ont pas non plus vocation à être pénalisés, et la fonction publique doit pouvoir rester attractive.
C'est un des risques identifiés par le rapport de Bernard Pêcheur, nous y serons particulièrement vigilants tout au long du cycle de concertation sur l'avenir de la fonction publique. Nous avons besoin de redonner des perspectives, de motiver nos personnels dans la durée, de restaurer l'amplitude des déroulements de carrière et des rémunérations et de renforcer les perspectives de promotion sociale. Nous devons réfléchir à l'amélioration des leviers de reconnaissance de nos personnels.
Sans attendre la mise en œuvre de la concertation qui va s'engager, le Gouvernement a décidé de revaloriser la carrière des fonctionnaires de la catégorie C des trois versants de la fonction publique, en privilégiant les plus bas salaires, ceux avoisinant le SMIC. Cette revalorisation, qui concerne plus de 1,6 million d'agents, prendra effet le 1er février 2014. Elle sera complétée par une distribution uniforme de 5 points d'indices majorés au 1er janvier 2015.
Je n'oublie pas pour autant les agents contractuels, et le gouvernement continuera à traiter la précarité de leur situation comme il s'y est engagé.
Les concertations qui s'ouvrent sont globales, elles visent à conforter notre modèle de fonction publique. Ne nous cachons pas l'importance de l'enjeu. Certains contestent le modèle français de service public et de fonction publique. Nous avons ici, collectivement, l'occasion historique de le moderniser et donc de le pérenniser, pour les Français et les agents.
C'est pourquoi je souhaite que les parties prenantes à la concertation puissent parvenir à un accord ambitieux qui s'inscrive dans la durée. C'est notre responsabilité historique.
Je fais confiance pour cela aux organisations syndicales de la fonction publique, qui sont représentées ici, et que je salue. Je connais leur intérêt et leur engagement en faveur d'un service public fort, cohérent, lisible et accessible.
Deux accords majeurs ont déjà été signés depuis le début de la législature : l'un sur l'égalité professionnelle hommes-femmes, approuvé par la totalité des organisations syndicales et des employeurs, l'autre sur la prévention des risques psycho-sociaux. Il faut continuer.
Le dialogue social est la clé du succès. C'est ma conviction depuis le premier jour et je ne me lasserai jamais de le répéter. J'ai souhaité en faire la marque de fabrique de mon Gouvernement, et je m'y tiens. On ne peut pas réformer sans les agents, et encore moins contre eux, comme d'autres avant nous ont tenté de le faire.
Cela vaut d'ailleurs dans tous les grands domaines de la vie de la Nation. C'est pour pérenniser notre modèle, parce que nous croyons dans son efficacité, que nous avons lancé tant de réformes structurelles sur la sécurisation de l'emploi, sur les retraites ou encore sur la formation professionnelle.
A chaque fois, c'est grâce à la confiance des partenaires sociaux et dans le dialogue que nous avons pu avancer, là où d'autres avant nous avaient échoué et -soyons francs- là où peu de commentateurs pensaient que nous réussirions. Le résultat, c'est qu'en un an et demi, un nombre considérable de réformes ont été menées, y compris sur des sujets où rien n'était joué d'avance.
Nous devons continuer, dans l'intérêt des Français et du pays. Le grand défi de mon Gouvernement, c'est celui du nouveau modèle français, et les services publics, comme la fonction publique, y occupent une place centrale. Ils sont à l'avant-garde de la bataille pour l'emploi, du développement économique de nos territoires, mais aussi de tous les efforts de la France en matière de recherche et d'innovation. Ils sont les garants de la solidarité nationale et de l'égalité des chances.
C'est grâce à eux que nous pourrons mener à bien les grands projets que le chef de l'Etat a présentés à la Nation. C'est grâce aux services publics que nous pourrons, jour après jour, tenir cette grande promesse d'émancipation et de justice qu'est la République.
L'objectif est donc de les moderniser et de les préserver, au nom de tout ce qu'il apporte à nos concitoyens dans leur vie quotidienne et pour leur avenir. C'est l'affaire du pays tout entier. C'est un objectif que nous partageons tous, et je suis certain qu'ensemble nous trouverons les moyens d'avancer et de remobiliser les agents publics autour de cette grande ambition.
Source http://www.gouvernement.fr, le 28 janvier 2014