Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique, sur les enjeux du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), à l'Assemblée nationale le 17 février 2015.

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Circonstance : Discussion générale sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), à l'Assemblée nationale le 17 février 2015

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le rapporteur, Olivier DUSSOPT,
Mesdames et messieurs les rapporteurs pour avis, Monique IBORRA, Christine PIRES BEAUNE, Florent BOUDIÉ et Stéphane TRAVERT,
Mesdames et Messieurs les députés,
Nous ouvrons ensemble aujourd'hui, le débat sur l'organisation territoriale de notre République, sur notre vision de la République – cette République une, indivisible et décentralisée – qui doit garantir à tous les citoyens, dans tous les territoires, un égal accès aux droits.
Nous nous apprêtons donc à dire et redire encore, notre unité dans la diversité, celle que fonde notre nécessaire solidarité ; dire et redire encore notre refus de voir se creuser les injustices entre les territoires, et les inégalités entre les citoyens ; dire et redire notre refus de voir la concurrence se généraliser partout, quand c'est la coopération qui nous permettra de relever les défis qui sont les nôtres.
Le Président de la République et le Premier ministre, après les évènements tragiques de janvier - suivis malheureusement d'évènements non moins tragiques ce week-end au Danemark et en France - ont martelé les exigences des droits fondamentaux de notre République. Ces exigences nous rassemblent et nous obligent.
Il n'y a et il ne peut y avoir qu'une unique ambition : celle de porter notre vision de la France, forgée longuement et patiemment, au cours du 20ème siècle ; cette vision que les lois Deferre ont consacrée ; cette vision surtout, porteuse d'une grande promesse pour notre démocratie locale et notre service public.
Cette vision, je veux croire que nous sommes tous convaincus de sa nécessité. De la même façon que nous sommes tous convaincus que l'égalité et la fraternité, frappées aux frontons de notre République, nous obligent.
Pourtant, de crise en crise, de choc en violence, les conceptions porteuses de division ont prospérées. Il y a ceux qui acceptent une République morcelée, en disant que le développement porté par les territoires qui vont bien, finira un jour par générer du progrès dans les territoires qui vont mal ; ceux qui voudraient opposer les Français les uns aux autres, en fonction de leurs lieux d'habitation ; ceux qui refusent de voir que le territoire d'à côté –celui qui participe de leur propre développement – a des difficultés qu'il ne pourra jamais surmonter seul.
Il y a en France, aujourd'hui, une profonde rupture territoriale. Sous nos yeux, de plus en plus criante, se manifeste une discrimination territoriale, abîmant ce qu'il reste de notre cohésion sociale et de notre confiance mutuelle, fragilisant notre unité républicaine.
Au contraire, c'est une France fière de tous ses citoyens, de tous ses territoires, que nous voulons tisser : une France déterminée à combattre les injustices violentes entre les citoyens et les injustices tout aussi violentes entre les territoires.
Nous ne pouvons plus accepter qu'un enfant en France n'ait pas les mêmes chances parce qu'il est né ici plutôt que là. Nous ne pouvons plus tolérer, qu'habiter en secteur rural ou dans un quartier de banlieue soit signe de difficulté majeure à trouver un médecin, un emploi, un cinéma, un lieu de détente. Nous ne pouvons plus accepter qu'une simple adresse sur un CV génère le refus de l'emploi.
C'est un combat de justice que nous devons conduire : pour l'accès à l'emploi, aux services publics de santé, à l'éducation, au logement, à la culture. Car il ne suffit pas, comme l'a si bien écrit Edgar Morin – je cite - « de rappeler l'urgence, il ne suffit plus de dénoncer, il faut maintenant énoncer »,
Un premier texte – voté l'année dernière - a permis de répondre au fait urbain. L'enjeu, c'était justement de permettre que se conjugue, dans les territoires de France, création de richesse et solidarité ; progrès et cohérence ; innovation et diffusion d'activités.
L'enjeu c'était de reconnaître que la réduction des inégalités passera par une meilleure acceptation des différences entre les territoires, par une valorisation de notre diversité territoriale, par une organisation territoriale adaptée à cette diversité.
L'enjeu, c'était de tracer le chemin vers la société du contrat. Pour que l'Etat garant, et les collectivités territoriales, liés par un contrat de solidarité et de confiance, de développement de services et d'emploi, soient aux côtés de chacun de nos concitoyens.
Ces enjeux, nous y avons répondu ensemble. C'est ensemble que nous devons aujourd'hui continuer.
Pour la clarté de notre action publique.
Pour la cohérence dans la répartition des compétences.
Pour la coopération entre les collectivités, des plus riches aux plus pauvres, des plus urbanisées au moins denses.
Pour conduire, avec courage, la nécessaire adaptation de de nos territoires administratifs, aux territoires vécus.
Pour renouer surtout, avec la solidarité, condition du redressement.
Mesdames et Messieurs les députés – comme moi, vous le savez – notre République est forte lorsqu'elle est solidaire. Aucun développement économique n'aura les résultats escomptés sans une politique sociale juste. Aucune solidarité ne pourra s'exercer sans une stratégie économique pensée et réfléchie. Et aucun territoire ne pourra véritablement constituer une force, s'il se coupe des autres.
Ne nous cachons pas derrière les difficultés de chacun, derrière de fausses excuses – de l'absence de dynamiques économiques au mauvais travail de nos élus – pour justifier le creusement des injustices territoriales.
Car ces inégalités, elles sont d'abord le résultat d'une crise des solidarités.
Combien d'intercommunalités défensives ?
Combien de refus de partager les richesses auxquelles pourtant, tant d'autres ont contribué ?
Combien de batailles rangées pour ne pas payer ce qu'on dit, être du ressort, du voisin d'à côté ?
J'ai le privilège d'avoir été élue locale. Depuis plus de deux ans, que j'occupe mes fonctions ministérielles, je me bats pour dire ma confiance - et celle du gouvernement - dans les élus locaux de notre République.
J'ai mis un point d'honneur à toujours les défendre lorsqu'ils étaient injustement attaqués, montrés du doigt ou critiqués sous la plume d'éditorialistes qui véhiculent un discours ambiant bien délétère.
Mais soyons honnêtes aussi. Nous nous sommes perdus, trop souvent, dans la défense verrouillée de nos propres intérêts locaux.
Dans cette période qui a été très difficile, nous avons cédé parfois, à la tentation du repli. Et pourtant, si nous voulons des citoyens qui puissent s'ouvrir aux autres, c'est à nous de commencer. En refusant que nos territoires ne se referment sur eux-mêmes.
Bien sûr, avec ce texte, nous ne réussirons pas tout. Mais nous pouvons amorcer déjà un grand progrès. En permettant aux territoires de se parler, de travailler ensemble, pour nos citoyens, pour notre action publique et donc, pour notre République.
Au 20ème siècle, afin de mieux accompagner les citoyens, nous avons décentralisé. Nous l'avons fait encore récemment, lorsqu'il s'est agi d'améliorer la qualité de notre action publique. En matière de formation professionnelle ou de transfert des fonds européens.
Mais, François Mitterand le disait: « La décentralisation n'a jamais été une fin en soi ».
Au 21ème siècle, nous avons besoin - pour atteindre ce même objectif - de recréer solidarités et coopérations entre les territoires. Car au fil de nos lois de décentralisation, nous avons décentralisé un nombre croissant de compétences. Mais nous avons décentralisé aussi, de la richesse et de la pauvreté. Nous avons entériné et aggravé des situations hétérogènes et inégales. Et encourager bien trop souvent la concurrence entre communes, entre territoires.
Je le dis beaucoup. Mais je crois qu'il est toujours bon de la redire. La concurrence, qui a conduit au dumping des politiques publiques, n'est jamais une valeur. C'est un fait, oui.
Mais, c'est la coopération, notre valeur. Et c'est elle qui permettra de partager le savoir, la recherche, la connaissance, les moyens, les idées de développement, les bonnes pratiques, les réussites…
Il n'est plus temps d'opposer État et collectivités ; urbain et rural ; ville riche et ville pauvre ; petits, moyens et grands territoires – toutes ces oppositions qu'illustrent aujourd'hui l'organisation en strate de nos élus.
Il est temps enfin, de passer de la défiance à la confiance, de réconcilier les citoyens, les territoires, les élus. De réconcilier la capitale, les métropoles, les territoires ruraux ou de montagne ; les banlieues ou les territoires péri-urbains. (Chaque village est intéressé par Paris et Paris est intéressé par chaque village)
C'est une loi d'équilibre que je vous propose d'examiner. Pour la créativité, l'indépendance énergétique, l'indépendance alimentaire, l'emploi. Pour l'activité et les services publics. Pour la vivacité de notre démocratie locale, qui ne se décrète pas, mais à propos de laquelle - je sais - que vous avez des idées fécondes à proposer.
Notre ressource est aujourd'hui limitée – il nous faut garantir un développement plus pérenne. Et il nous faut rattraper le retard industriel de notre pays – utiliser pour ce faire, le lien entre recherche, enseignement supérieur, innovation, entreprises…
Ce sera le rôle de nos régions, en charge de la stratégie et du développement économique, à condition – bien sûr – qu'elles en aient réellement la responsabilité.
Garantir la solidarité envers les personnes et les territoires : c'est notre devoir, je l'ai dit. Les départements en auront la force.
Protéger nos communes enfin, même les plus faibles, grâce à l'intercommunalité.
Une intercommunalité qui n'efface aucune identité, aucune histoire, aucune appartenance et qui garantit au contraire, aux habitants des communes qui la constituent que OUI, désormais, ils auront accès aux services qui font sens et qui font modernité.
Cessons de hurler au risque de dévitalisation des communes, chaque fois qu'une loi prévoit le transfert d'une compétence aux intercommunalités. Cessons de crier à la menace pour la proximité, chaque fois qu'une loi prévoit que celles-ci soient renforcées ?
Car à quoi servirait la reconnaissance de nos communes, si les habitants de certaines pouvaient oublier les difficultés que connaissent les habitants des autres ? A quoi servirait la reconnaissance de nos communes, si leurs habitants ne peuvent bénéficier d'un juste et égal accès à nos services publics ?
On me l'a dit encore récemment à Lusignan, cette petite communauté de communes, où le président m'a demandé de garder comme horizon indispensable, le seuil des 20 000 habitants.
Bien sûr nous prendrons en compte les cas particuliers : celui des communes de montagne ou de zones rurales, celui des communes frontalière, celui encore des intercommunalités qui viennent de se former, s'approchant de la taille des territoires vécus. Mais, ne renonçons pas à notre ambition.
L'ambition, c'est bien cela dont il est question ; c'est bien cela dont il nous faut aujourd'hui avoir le courage. Pour dépasser nos clivages archaïques, nos égoïsmes locaux, nos peurs aussi, qui trop souvent nous empêchent d'agir.
Mesdames et Messieurs les députés, vous êtes les représentants de la nation, vous oeuvrez pour les citoyens de notre pays.
Comme le gouvernement, vous souhaitez que nous retrouvions tous ensemble, notre France.
Faisons donc le choix de l'intérêt général, celui qu'impose l'organisation territoriale de notre République.
Et même si cela peut sembler difficile, même si cela doit bousculer nos habitudes de travail et nos amitiés territoriales, regardons au-delà du territoire de chacun, renonçons aux concurrences stériles et proposons une coopération de tous les jours. Ainsi, nous pourrons faire notre loi de réconciliation et d'équilibre : celle qui nous permettra de retrouver le sens du dialogue et donc de refaire, tous ensemble, République.
Celle qui nous permettra de faire la démonstration, que nous sommes une grande et belle démocratie. Car, comme l'écrivait Victor Hugo : « La grande chose de la démocratie, c'est la solidarité ».
Je vous remercie.
Source http://www.action-publique.gouv.fr, le 18 février 2015