Texte intégral
Au moment de vous adresser la parole, je suis impressionné, je vous l'avoue, par le caractère du lieu.
En cet amphithéâtre que la Troisième République a voulu fastueux, impossible de ne pas éprouver, malgré les ors et les allégories de la fresque, l'austérité et le désintéressement de la science et de la culture savante. Impossible d'oublier que nous sommes dans une université. Au vrai, nous sommes au centre du lieu le plus chargé de sens de l'Université française, au coeur même de la Sorbonne.
Nous y sommes réunis pour une circonstance sans précédent, je crois : cette semaine, pour la première fois, des responsables de toutes les universités, de toutes les régions de France, sont réunis pour réfléchir ensemble au développement cohérent et harmonieux de notre enseignement supérieur au seuil du XXIème siècle.
Tenir ici, aujourd'hui, un discours utilitaire à courte vue, serait faire insulte aux valeurs et aux fins durables de l'Université. Le lieu, comme la circonstance, nous imposent de voir haut et loin. Où en est notre Université ? Où va-t-elle ? Quel projet pour elle ?
La situation actuelle de notre Université n'est pas bonne. Il faut le dire parce que c'est vrai. Un réel effort avait été entrepris, à la fin de la Quatrième République et au début de la Cinquième, pour hisser nos facultés au niveau des universités étrangères et combler le retard accumulé en fait depuis la Première Guerre Mondiale. Des années 1955-1965 datent les INSA, les facultés d'Orsay et de Nanterre, les universités de Nantes, Amiens, Rouen, Reims, Chambéry, Tours, Limoges, et quelques autres.
La croissance prodigieuse du nombre des étudiants fit exploser en 1968 les vieilles structures qui n'avaient pas changé depuis l'époque pionnière de Jules Ferry. Les universités se reconstruisirent alors autour de nouveaux pouvoirs, et, pendant quelques années, elles bénéficièrent de moyens importants, destinés à conjurer une nouvelle explosion. Puis vint la crise économique et les budgets de rigueur. Les crédits diminuèrent ; les postes se firent rares ; les bâtiments, qui n'étaient pas toujours construits pour durer, vieillirent sans entretien ; le matériel s'usa. Tandis que de grandes écoles et de moins grandes se mettaient à l'abri du nombre en recrutant leurs étudiants au sein d'une élite triée sur le volet des classes préparatoires, les universités découragées, sans cesse appelées à modifier leurs statuts, se voyaient réduites au rôle d'accueillir à moindres frais le tout venant des étudiants et les critiques ne manquaient pas, qui leur reprochaient de former des chômeurs.
Pauvre, démoralisée et, il faut bien le dire, quelque peu abandonnée, l'université a résisté ; elle a fait son travail avec modestie et ténacité, malgré l'indifférence et le dénigrement ; elle a formé des millions de jeunes ; elle a produit des savants et maintenu, avec le concours du CNRS et des grands établissements, le renom de notre recherche. Le pays doit lui en être reconnaissant. Le gouvernement, en tout cas, sait ce que le pays lui doit.
Depuis quelques années, 1985 environ, cette situation difficile est devenue intolérable. L'effectif des étudiants, qui s'était stabilisé, a recommencé à croître, par dizaine de milliers. Dans les amphis et les salles de TD vétustes, qui attendaient le peintre depuis des années, les étudiants se pressent, avides d'apprendre et de préparer leur avenir. Il était indigne de la France de les traiter de la sorte : un grand pays se déshonore, s'il n'est pas capable d'assurer à sa jeunesse des conditions d'études décentes. Il fallait réagir.
Le gouvernement l'a fait, en parant d'abord au plus pressé. Il a créé des postes nouveaux : 1 100 à la rentrée 1989, 1 500 à la rentrée 1990. Il a augmenté les crédits de fonctionnement et de maintenance, accru la dotation des bibliothèques. Pour la prochaine rentrée, un plan d'urgence de 500 millions de francs doit permettre aux universités d'accroître de 200 000 mètres carrés leur capacité d'accueil.
Répondre ainsi à l'urgence était indispensable. Mais cela ne pouvait évidemment suffire. Il fallait s'organiser pour tenter, désormais, de ne plus être pris à l'improvise par l'afflux des étudiants. Sous l'impulsion vigoureuse de mon ami Lionel Jospin, le Ministère de l'Education Nationale a donc entrepris de chiffrer les besoins des universités pour les cinq années à venir. En 1992, le nombre des bacheliers atteindra la moitié de la classe d'âge. En 1993, on comptera 300 000 étudiants de plus qu'en 1989 : mieux vaut prévoir à temps ce qu'il faut pour les accueillir ! Aussi le gouvernement a-t-il adopté, il y a deux mois, un schéma de développement ambitieux, dont les évaluations financières sont encore dans vos mémoires.
Pour financer le développement de nos universités, le Gouvernement place ainsi sous une contrainte extrême les budgets d'autres secteurs de l'Etat. On ne peut augmenter les prélèvements fiscaux, que nos concitoyens jugent déjà excessifs ; il faut donc comprimer les dépenses d'autres ministères, pour augmenter celles des universités. Mais l'effort entrepris est considérable, et je souhaiterais qu'on ne se contente pas de raisonnements quantitatifs.
Il est clair, en effet, que le problème n'est pas seulement d'investir beaucoup d'argent dans nos universités ; il est aussi de le dépenser le plus intelligemment, le plus efficacement possible. Les français reprocheraient sévèrement au Gouvernement et aussi aux universitaires d'engloutir des milliards dans les universités, s'ils avaient le sentiment que cet argent est mal employé.
Le succès même de cette politique ambitieuse exige qu'elle se traduise par des améliorations visibles dans le fonctionnement et l'efficacité de l'enseignement supérieur. C'est dire qu'une réflexion qualitative s'impose, sinon il manquerait au schéma de développement des universités un élément essentiel. C'est tout l'enjeu de votre colloque.
Comment mener cette réflexion qualitative ? En prenant d'abord en compte ce que disent les élus locaux, les parlementaires, les responsables de tous bords. L'intérêt qu'ils portent aux problèmes universitaires, les moyens qu'ils consacrent à l'enseignement supérieur, les demandes qu'ils adressent à l'Etat sur ce point constituent des signes clairs.
Le développement universitaire est désormais l'un des leviers du développement local, économique bien sûr, mais aussi social et culturel.
Le soutien que les grandes villes apportent à leurs universités, l'action que de moins grandes mènent pour créer dans leurs murs des noyaux universitaires ne s'expliquent pas seulement par des considérations de prestige. Dans la compétition économique, l'avenir dépend des innovations technologiques ou scientifiques. Les technopoles, les technoparcs se multiplient, au voisinage des universités. Les responsables politiques et économiques ont le sentiment de ne pouvoir affronter la concurrence sans adosser l'économie locale à des foyers de recherche et de formation supérieure. Mais en même temps grandit la demande des étudiants, qui souhaitent étudier là où ils habitent et où sont leurs amis, et celle de leurs familles, qui n'ont pas les moyens de les entretenir dans une ville éloignée. Les élus sont naturellement les porteurs de toutes ces aspirations.
Cette situation, qui est la nôtre, aujourd'hui, nous dicte une méthode : le partenariat, et elle pose deux séries de problèmes : des problèmes de filières et des problèmes d'aménagement du territoire. Examinons successivement ces trois points.
Le partenariat ne constitue pas un aspect secondaire du développement universitaire : il en est le moteur. L'enseignement supérieur ne se développe pas du dedans, par une logique interne, parce que les universitaires le voudraient -ils sont plutôt malthusiens d'ordinaire, par souci légitime d'excellence. Il se développe du dehors, selon une logique externe, parce que la société y pousse, irrésistiblement. Et c'est d'ailleurs parce que nos concitoyens, pour des raisons diverses, veulent ce développement, que le Gouvernement peut y consacrer les sommes nécessaires sans que cette politique soit véritablement contestée.
Le partenariat est donc ici une nécessité et le ministre de l'Education Nationale a adopté la bonne démarche, en demandant à tous les partenaires régionaux de se mettre autour de la même table. Les villes, les départements, les régions, sont les véritables demandeurs du développement universitaire. C'est pourquoi ils ne ménagent pas leur concours financier et le gouvernement sait tout ce que leur doivent les universités.
Mais le partenariat ne saurait se réduire à ces aspects financiers. si les collectivités territoriales ne ménagent pas leur contribution, c'est qu'elles se sentent profondément concernées par l'ensemble de la vie universitaire, par l'accueil des étudiants, leur hébergement dans la ville, leur participation aux activités sociales et culturelles. Elles sont tout aussi directement concernées par la contribution des universités au développement des qualifications : de quels cadres, moyens ou supérieurs, de quels techniciens, de quels chercheurs les entreprises, petites ou grandes, ont-elles et auront-elles besoin, localement ? Ce partenariat, qui concerne les différentes dimensions de la vie locale, de l'urbanisme au développement économique en passant par la vie sociale et culturelle, est en réalité la condition même du succès du développement universitaire, de son intégration dans son environnement. C'est le secret d'un équilibre, seul porteur d'avenir.
Avec le partenariat, on touche au problème des filières. Je n'ai pas la prétention de le régler en quelques phrases. Tout le monde s'accorde sur la nécessité d'une diversification des filières et y voit une réponse aux défis de l'université de masse. Encore faut-il s'entendre sur la notion de diversification.
Il faut évidemment développer, dans nos universités, des formations à vocation technologique et professionnelle, mais, outre qu'il y a d'autres formes de diversification, par alliage inédit de disciplines constituées, vous me permettez sur ce point quelques remarques :
Une première remarque porte sur le sens de ces expressions. Toutes les formations universitaires sont, à leur manière, professionnelles, et pas seulement celles qui le revendiquent, comme celles des IUT ou les filières d'ingénieur. Le droit et la médecine l'ont toujours été. Les lettres et les sciences préparent en fait aux métiers de l'enseignement, de la recherche, de l'administration, du journalisme, et bien d'autres. Parce que l'enseignement supérieur est le dernier, parce qu'il ne conduit à aucun autre enseignement, il s'ouvre nécessairement sur une activité professionnelle et il devrait lui être interdit d'oublier les débouchés qui attendent ses étudiants.
Tout autant qu'une affaire de contenus enseignés, il y a là, me semble-t-il, une question d'attitude, une question d'esprit. C'est affaire d'ouverture, de curiosité, de disponibilité. Et l'université peut ici jouer de son articulation à la recherche. La formation par la recherche me parait, en effet, l'une des meilleures façons de favoriser l'adaptation professionnelle, tout en apportant aux entreprises des ressources d'innovation essentielles.
Une seconde remarque concerne le rapport entre les filières universitaires et l'emploi local. Il est très différent suivant le niveau d'études, parce que le volume des emplois offerts est lui-même très inégal. Tandis que les diplômés du premier cycle, titulaires d'un DEUG, d'un DUT ou d'un BTS, cherchent en général un emploi dans la région où ils font leurs études, les diplômés du troisième cycle quittent beaucoup plus leur région. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il est donc beaucoup plus important d'associer les partenaires locaux à la définition des formations de premier ou de second cycle qu'à celles du troisième.
Une dernière remarque sur ce sujet, qui pourrait nous retenir longtemps : les modalités de cette diversification. Tout le problème est ici de trouver une définition des diplômes nationaux qui permette à la fois des adaptations locales très souples, et des passages faciles entre les différentes formations. A votre colloque de déterminer les contours de l'équilibre à réaliser.
J'en viens maintenant aux problèmes d'aménagement du territoire. Je note d'abord que, de ce point de vue, la recherche et l'université sont indissociables. La définition d'un schéma de développement universitaire ne saurait se concevoir sans une forte cohérence avec le développement de la recherche. Il y a là, entre les divers ministères concernés, une concertation indispensable, qu'il convient de mener sans attendre, et sur laquelle votre colloque ne manquera pas d'insister.
Les problèmes d'aménagement du territoire se posent à deux niveaux très différents, que traduit l'organisation même de la réflexion dont ce colloque constitue l'aboutissement provisoire. Ils se posent d'abord au niveau de chaque région, ou groupe de régions, puis au niveau national. C'est d'ailleurs pourquoi Lionel Jospin a commencé fort logiquement à organiser d'abord des colloques régionaux, avant ce colloque national, et je ne doute pas qu'il ne maintienne, pour la suite de vos travaux, le va-et-vient entre ces deux niveaux de réflexion, tous deux indispensables.
Au niveau régional, le problème est celui de la concurrence entre villes voisines. Toutes voudraient être choisies comme pôle de développement prioritaire. Je ne citerai pas d'exemples, mais les colloques régionaux permettraient d'en nommer plusieurs. Comment dépasser ces rivalités et les transformer en complémentarité ?
Il faut ici tenir compte de la nature particulière de l'enseignement supérieur, qui réside dans son lien à la recherche. Il serait totalement déraisonnable de vouloir créer dans chaque chef-lieu de département une université complète, de niveau européen. Ce serait absurde, parce que ce serait impossible. Une université n'est pas un lycée supérieur, et il n'y a pas d'université digne de ce nom sans bibliothèque et sans laboratoires. Disperser l'enseignement supérieur de façon excessive et irréfléchie risquerait de l'affaiblir durablement.
Il faut que les responsables régionaux le comprennent : l'implantation d'antennes universitaires, de premiers cycles délocalisés, ne peut pas être toujours et partout l'amorce d'une université complète. C'est une bonne solution pour rapprocher l'enseignement supérieur des étudiants, à condition que l'université-mère cautionne et garantisse la formation dispensée et qu'elle s'engage à accueillir les étudiants de ces antennes pour la suite de leurs études. Sinon, ce ne sera qu'un enseignement supérieur au rabais, et ce n'est pas ce qu'attendent les jeunes et leurs familles.
Certes, il est des régions où il faudra créer de nouvelles universités, parce qu'elles ont un retard à combler, ou que leurs universités éclatent sous le nombre. Mais le développement de nos régions passe par l'affirmation de grandes universités de réputation internationale, susceptibles de constituer des foyers d'attraction puissants, et chacun sait bien que cela ne résultera pas seulement d'une politique volontariste. Les étudiants et les enseignants choisissent d'y rester ou d'y faire leur carrière. Regardons les choses en face. Plutôt que de jalouser ces points forts de notre dispositif universitaire, il convient de les renforcer, et de chercher des moyens pour que leur dynamisme rejaillisse sur les universités voisines.
C'est ici que s'impose la notion de réseau universitaire. Mais, d'un réseau organisé, structuré, avec des engagements durables qui permettent au temps de faire son oeuvre. On ne peut pas faire tout partout, c'est trop clair. Mais on peut s'organiser pour couvrir un large champ de spécialisations, à la fois pour l'enseignement et pour la recherche, dans une ou deux régions.
Cela suppose que les universités concernées définissent ensemble, en concertation avec tous leurs partenaires, leurs spécialisations réciproques et qu'elles s'engagent par contrat à les respecter. Ces contrats pourraient organiser explicitement l'accueil, dans les laboratoires de l'une, des enseignants-chercheurs de l'autre, ou prévoir des échanges de spécialistes. A l'heure des TGV et des autoroutes, de la télécopie et des réseaux informatiques, vouloir à sa porte tous les moyens de sa recherche n'a plus de sens. Et je ne vois pas pourquoi un enseignant-chercheur ne pourrait faire sa recherche à Lyon et son enseignement à Saint-Etienne ou à Dijon, quand le même accepterait volontiers d'enseigner à Saint-Etienne ou à Dijon tout en faisant sa recherche à Paris.
La constitution de réseaux universitaires durables suppose en outre que les universités contractantes prennent envers l'Etat un engagement de continuité. On ne peut pas accepter d'équiper à grands frais un laboratoire et de constituer des équipes de chercheurs quelque part, pour les voir démantelées quelques années plus tard parce que l'université a changé de cap à l'occasion du départ d'un professeur, quand ce n'est pas par suite de rivalités intestines. Je proposerais volontiers au ministre de l'Education Nationale d'accorder généreusement des moyens spécifiques aux universités qui prendraient ces engagements croisés et complémentaires.
Je le dis ici très nettement : certaines formes de rivalité entre universités voisines ne sont pas acceptables. Nous devons développer les universités de province. Nous devons les développer avec force, et nous y sommes résolus. Mais nous ne gaspillerons pas nos ressources à des saupoudrages complaisants : l'argent est trop rare, et il coûte trop cher. Nous disons oui aux complémentarités négociées, assumées dans la durée, non aux rivalités que suscite un égalitarisme déplacé. Il faut que l'Etat aide les universités qui s'aideront d'abord elles-mêmes en se plaçant dans cette perspective. Sinon, nous ne relèverons jamais le défi européen.
Reste le second problème : celui de l'équilibre national, celui du rapport entre Paris et la province. Vous le remarquerez : j'ai abordé en premier lieu le problème du développement universitaire de la province. Je l'ai fait délibérément, parce que ses enjeux sont beaucoup plus lourds. Nos métropoles régionales ont besoin d'universités vigoureuses pour se développer. Paris dispose d'une telle avance, qu'elle est sans inquiétude sur ce point. Les responsables des villes nouvelles, eux, ont une position différente, plus proche des responsables régionaux, mais l'Ile-de-France est un tout.
L'objectif du ministre de l'Education Nationale comme du Gouvernement n'est pas d'attirer à Paris un flux supplémentaire d'étudiants. Ce serait appauvrir les universités de province au lieu de les renforcer. Mais Paris pose un problème spécifique, car les conditions d'enseignement y sont plus dégradées qu'ailleurs, et la vie des étudiants plus difficile.
Il faut donc desserrer les universités surchargées, regrouper leurs implantations absurdement éclatées - les Langues orientales se dispersent aujourd'hui en 14 sites différents, par exemple. Il faut limiter les déplacements d'étudiants au sein de la grande région parisienne en les accueillant plus près de leur domicile. Il n'est pas raisonnable de concentrer intra muros l'essentiel du potentiel universitaire de la région, alors que les habitants désertent le centre pour la périphérie.
On comprend donc les raisons qui ont conduit à la décision de créer quatre universités dans les villes nouvelles de la région parisienne. Qu'on le veuille ou non, ce n'est pas une région tout à fait comme les autres, et le plus grand nombre des interlocuteurs y rend le partenariat plus complexe. La décision du Gouvernement a donc été ici plus rapide qu'ailleurs. Mais elle sera suivie d'autres décisions. J'espère que votre colloque permettra de les hâter.
Pour conclure, vous me permettrez de m'adresser, à travers vous, à la communauté universitaire toute entière. L'université change ; elle a déjà changé. La situation n'est pas facile, mais les engagement sont pris, et ils seront tenus, qui permettront d'y faire face. Evitons le catastrophisme, mais regardons les défis, et assumons, chacun à notre place, les charges qui nous incombent.
L'Etat a un effort à faire : il est de nature budgétaire, et vous savez qu'il le fait. Les chiffres en témoignent. Il est aussi de nature organisationnelle, et il lui appartient d'améliorer sa gestion, d'en assouplir les règles, d'en accroître l'efficacité. L'Etat, en outre, à un rôle de garant des équilibres sectoriels et géographiques, de garant des engagements que les universités contractent avec leur environnement. Il n'y faillira pas.
Les enseignants ont la responsabilité la plus lourde. Ce sont eux qui gèrent au quotidien les universités, qui assurent l'enseignement et la recherche. De leur ténacité, de leur imagination, de leur professionnalisme dépend l'adaptation de notre enseignement supérieur et sa réputation, son efficacité et son niveau. D'eux surtout dépend la formation, donc l'avenir des étudiants. L'université n'est pas faite pour les professeurs, ni même, d'abord, pour la science : elle est faite pour les étudiants.
Aux côtés des enseignants, moins en vue, mais tout aussi indispensables, les personnels administratifs, techniques, ouvriers et de service, assurent le fonctionnement régulier des universités. Le développement de celles-ci se traduit d'abord pour eux par un alourdissement de leurs charges. Plus d'étudiants, ce sont des inscriptions plus lourdes, des bibliothèques et des laboratoires saturés, des locaux plus encombrés et plus sales. Le gouvernement a conscience de ces difficultés : il a commencé à leur apporter des solutions, mais il y faudra du temps. Nous aurons la persévérance nécessaire.
Aux étudiants, enfin, je voudrais adresser un message d'espoir. Notre premier souci est de leur donner les moyens d'étudier. Le retard accumulé depuis plus de quinze ans ne peut être réparé en un an. Les conditions dans lesquelles ils sont accueillis ne s'amélioreront pas du jour au lendemain, comme par enchantement. Ils l'ont bien compris. Je crois, cependant, qu'ils pourront voir d'année en année les progrès.
Mais les étudiants changent. Ils ne sont pas seulement plus nombreux ; ils sont d'origine sociale plus variée, et le Gouvernement ne peut que se féliciter de ce qui est un progrès de la démocratisation. Cette évolution a pourtant sa contrepartie et elle implique un effort spécifique d'ordre social.
Le financement des études pose un problème inédit. Le Gouvernement y répondra, d'abord, par l'accroissement du nombre et du montant des bourses. En outre, il mettra en place, au cours de la prochaine année universitaire, à titre expérimental, un système de prêts aidés aux étudiants sur critères sociaux et universitaires. Il n'est pas normal que seuls les étudiants qui ont une famille assez riche pour les cautionner puissent emprunter pour financer leurs études. Suivant les résultats de cette expérience, qui sera menée sur une échelle significative, nous verrons s'il y a lieu d'étendre ce système.
Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, l'action du gouvernement est ample et ambitieuse. Mais je n'ai pas la présomption de croire qu'elle suffise. Le développement des universités ne peut être l'oeuvre du seul gouvernement : il en fournit le cadre et les moyens, mais au moment d'agir, c'est à tous les acteurs, à tous les partenaires, qu'incombent les responsabilités décisives, car c'est dans le quotidien de l'enseignement et de la recherche, dans le cadre concret de chaque université et de chaque filière, face à des problèmes précis à résoudre, que tout se joue.
Le rôle de notre université en Europe, son rayonnement international, sa capacité à former les cadres qui assureront notre développement économique, social et culturel, bref, son avenir, où se joue celui de notre pays, tout cela repose sur la conscience professionnelle, le sens du service public, l'imagination et le travail de chacun. L'heure n'est pas aux nostalgies ou aux récriminations : tous ensemble, nous avons une tâche magnifique à accomplir. Le temps nous est compté, pour donner à l'Université française un nouvel élan.
Mesdames, Messieurs, Vive l'université. C'est tout le sens de notre action.
En cet amphithéâtre que la Troisième République a voulu fastueux, impossible de ne pas éprouver, malgré les ors et les allégories de la fresque, l'austérité et le désintéressement de la science et de la culture savante. Impossible d'oublier que nous sommes dans une université. Au vrai, nous sommes au centre du lieu le plus chargé de sens de l'Université française, au coeur même de la Sorbonne.
Nous y sommes réunis pour une circonstance sans précédent, je crois : cette semaine, pour la première fois, des responsables de toutes les universités, de toutes les régions de France, sont réunis pour réfléchir ensemble au développement cohérent et harmonieux de notre enseignement supérieur au seuil du XXIème siècle.
Tenir ici, aujourd'hui, un discours utilitaire à courte vue, serait faire insulte aux valeurs et aux fins durables de l'Université. Le lieu, comme la circonstance, nous imposent de voir haut et loin. Où en est notre Université ? Où va-t-elle ? Quel projet pour elle ?
La situation actuelle de notre Université n'est pas bonne. Il faut le dire parce que c'est vrai. Un réel effort avait été entrepris, à la fin de la Quatrième République et au début de la Cinquième, pour hisser nos facultés au niveau des universités étrangères et combler le retard accumulé en fait depuis la Première Guerre Mondiale. Des années 1955-1965 datent les INSA, les facultés d'Orsay et de Nanterre, les universités de Nantes, Amiens, Rouen, Reims, Chambéry, Tours, Limoges, et quelques autres.
La croissance prodigieuse du nombre des étudiants fit exploser en 1968 les vieilles structures qui n'avaient pas changé depuis l'époque pionnière de Jules Ferry. Les universités se reconstruisirent alors autour de nouveaux pouvoirs, et, pendant quelques années, elles bénéficièrent de moyens importants, destinés à conjurer une nouvelle explosion. Puis vint la crise économique et les budgets de rigueur. Les crédits diminuèrent ; les postes se firent rares ; les bâtiments, qui n'étaient pas toujours construits pour durer, vieillirent sans entretien ; le matériel s'usa. Tandis que de grandes écoles et de moins grandes se mettaient à l'abri du nombre en recrutant leurs étudiants au sein d'une élite triée sur le volet des classes préparatoires, les universités découragées, sans cesse appelées à modifier leurs statuts, se voyaient réduites au rôle d'accueillir à moindres frais le tout venant des étudiants et les critiques ne manquaient pas, qui leur reprochaient de former des chômeurs.
Pauvre, démoralisée et, il faut bien le dire, quelque peu abandonnée, l'université a résisté ; elle a fait son travail avec modestie et ténacité, malgré l'indifférence et le dénigrement ; elle a formé des millions de jeunes ; elle a produit des savants et maintenu, avec le concours du CNRS et des grands établissements, le renom de notre recherche. Le pays doit lui en être reconnaissant. Le gouvernement, en tout cas, sait ce que le pays lui doit.
Depuis quelques années, 1985 environ, cette situation difficile est devenue intolérable. L'effectif des étudiants, qui s'était stabilisé, a recommencé à croître, par dizaine de milliers. Dans les amphis et les salles de TD vétustes, qui attendaient le peintre depuis des années, les étudiants se pressent, avides d'apprendre et de préparer leur avenir. Il était indigne de la France de les traiter de la sorte : un grand pays se déshonore, s'il n'est pas capable d'assurer à sa jeunesse des conditions d'études décentes. Il fallait réagir.
Le gouvernement l'a fait, en parant d'abord au plus pressé. Il a créé des postes nouveaux : 1 100 à la rentrée 1989, 1 500 à la rentrée 1990. Il a augmenté les crédits de fonctionnement et de maintenance, accru la dotation des bibliothèques. Pour la prochaine rentrée, un plan d'urgence de 500 millions de francs doit permettre aux universités d'accroître de 200 000 mètres carrés leur capacité d'accueil.
Répondre ainsi à l'urgence était indispensable. Mais cela ne pouvait évidemment suffire. Il fallait s'organiser pour tenter, désormais, de ne plus être pris à l'improvise par l'afflux des étudiants. Sous l'impulsion vigoureuse de mon ami Lionel Jospin, le Ministère de l'Education Nationale a donc entrepris de chiffrer les besoins des universités pour les cinq années à venir. En 1992, le nombre des bacheliers atteindra la moitié de la classe d'âge. En 1993, on comptera 300 000 étudiants de plus qu'en 1989 : mieux vaut prévoir à temps ce qu'il faut pour les accueillir ! Aussi le gouvernement a-t-il adopté, il y a deux mois, un schéma de développement ambitieux, dont les évaluations financières sont encore dans vos mémoires.
Pour financer le développement de nos universités, le Gouvernement place ainsi sous une contrainte extrême les budgets d'autres secteurs de l'Etat. On ne peut augmenter les prélèvements fiscaux, que nos concitoyens jugent déjà excessifs ; il faut donc comprimer les dépenses d'autres ministères, pour augmenter celles des universités. Mais l'effort entrepris est considérable, et je souhaiterais qu'on ne se contente pas de raisonnements quantitatifs.
Il est clair, en effet, que le problème n'est pas seulement d'investir beaucoup d'argent dans nos universités ; il est aussi de le dépenser le plus intelligemment, le plus efficacement possible. Les français reprocheraient sévèrement au Gouvernement et aussi aux universitaires d'engloutir des milliards dans les universités, s'ils avaient le sentiment que cet argent est mal employé.
Le succès même de cette politique ambitieuse exige qu'elle se traduise par des améliorations visibles dans le fonctionnement et l'efficacité de l'enseignement supérieur. C'est dire qu'une réflexion qualitative s'impose, sinon il manquerait au schéma de développement des universités un élément essentiel. C'est tout l'enjeu de votre colloque.
Comment mener cette réflexion qualitative ? En prenant d'abord en compte ce que disent les élus locaux, les parlementaires, les responsables de tous bords. L'intérêt qu'ils portent aux problèmes universitaires, les moyens qu'ils consacrent à l'enseignement supérieur, les demandes qu'ils adressent à l'Etat sur ce point constituent des signes clairs.
Le développement universitaire est désormais l'un des leviers du développement local, économique bien sûr, mais aussi social et culturel.
Le soutien que les grandes villes apportent à leurs universités, l'action que de moins grandes mènent pour créer dans leurs murs des noyaux universitaires ne s'expliquent pas seulement par des considérations de prestige. Dans la compétition économique, l'avenir dépend des innovations technologiques ou scientifiques. Les technopoles, les technoparcs se multiplient, au voisinage des universités. Les responsables politiques et économiques ont le sentiment de ne pouvoir affronter la concurrence sans adosser l'économie locale à des foyers de recherche et de formation supérieure. Mais en même temps grandit la demande des étudiants, qui souhaitent étudier là où ils habitent et où sont leurs amis, et celle de leurs familles, qui n'ont pas les moyens de les entretenir dans une ville éloignée. Les élus sont naturellement les porteurs de toutes ces aspirations.
Cette situation, qui est la nôtre, aujourd'hui, nous dicte une méthode : le partenariat, et elle pose deux séries de problèmes : des problèmes de filières et des problèmes d'aménagement du territoire. Examinons successivement ces trois points.
Le partenariat ne constitue pas un aspect secondaire du développement universitaire : il en est le moteur. L'enseignement supérieur ne se développe pas du dedans, par une logique interne, parce que les universitaires le voudraient -ils sont plutôt malthusiens d'ordinaire, par souci légitime d'excellence. Il se développe du dehors, selon une logique externe, parce que la société y pousse, irrésistiblement. Et c'est d'ailleurs parce que nos concitoyens, pour des raisons diverses, veulent ce développement, que le Gouvernement peut y consacrer les sommes nécessaires sans que cette politique soit véritablement contestée.
Le partenariat est donc ici une nécessité et le ministre de l'Education Nationale a adopté la bonne démarche, en demandant à tous les partenaires régionaux de se mettre autour de la même table. Les villes, les départements, les régions, sont les véritables demandeurs du développement universitaire. C'est pourquoi ils ne ménagent pas leur concours financier et le gouvernement sait tout ce que leur doivent les universités.
Mais le partenariat ne saurait se réduire à ces aspects financiers. si les collectivités territoriales ne ménagent pas leur contribution, c'est qu'elles se sentent profondément concernées par l'ensemble de la vie universitaire, par l'accueil des étudiants, leur hébergement dans la ville, leur participation aux activités sociales et culturelles. Elles sont tout aussi directement concernées par la contribution des universités au développement des qualifications : de quels cadres, moyens ou supérieurs, de quels techniciens, de quels chercheurs les entreprises, petites ou grandes, ont-elles et auront-elles besoin, localement ? Ce partenariat, qui concerne les différentes dimensions de la vie locale, de l'urbanisme au développement économique en passant par la vie sociale et culturelle, est en réalité la condition même du succès du développement universitaire, de son intégration dans son environnement. C'est le secret d'un équilibre, seul porteur d'avenir.
Avec le partenariat, on touche au problème des filières. Je n'ai pas la prétention de le régler en quelques phrases. Tout le monde s'accorde sur la nécessité d'une diversification des filières et y voit une réponse aux défis de l'université de masse. Encore faut-il s'entendre sur la notion de diversification.
Il faut évidemment développer, dans nos universités, des formations à vocation technologique et professionnelle, mais, outre qu'il y a d'autres formes de diversification, par alliage inédit de disciplines constituées, vous me permettez sur ce point quelques remarques :
Une première remarque porte sur le sens de ces expressions. Toutes les formations universitaires sont, à leur manière, professionnelles, et pas seulement celles qui le revendiquent, comme celles des IUT ou les filières d'ingénieur. Le droit et la médecine l'ont toujours été. Les lettres et les sciences préparent en fait aux métiers de l'enseignement, de la recherche, de l'administration, du journalisme, et bien d'autres. Parce que l'enseignement supérieur est le dernier, parce qu'il ne conduit à aucun autre enseignement, il s'ouvre nécessairement sur une activité professionnelle et il devrait lui être interdit d'oublier les débouchés qui attendent ses étudiants.
Tout autant qu'une affaire de contenus enseignés, il y a là, me semble-t-il, une question d'attitude, une question d'esprit. C'est affaire d'ouverture, de curiosité, de disponibilité. Et l'université peut ici jouer de son articulation à la recherche. La formation par la recherche me parait, en effet, l'une des meilleures façons de favoriser l'adaptation professionnelle, tout en apportant aux entreprises des ressources d'innovation essentielles.
Une seconde remarque concerne le rapport entre les filières universitaires et l'emploi local. Il est très différent suivant le niveau d'études, parce que le volume des emplois offerts est lui-même très inégal. Tandis que les diplômés du premier cycle, titulaires d'un DEUG, d'un DUT ou d'un BTS, cherchent en général un emploi dans la région où ils font leurs études, les diplômés du troisième cycle quittent beaucoup plus leur région. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il est donc beaucoup plus important d'associer les partenaires locaux à la définition des formations de premier ou de second cycle qu'à celles du troisième.
Une dernière remarque sur ce sujet, qui pourrait nous retenir longtemps : les modalités de cette diversification. Tout le problème est ici de trouver une définition des diplômes nationaux qui permette à la fois des adaptations locales très souples, et des passages faciles entre les différentes formations. A votre colloque de déterminer les contours de l'équilibre à réaliser.
J'en viens maintenant aux problèmes d'aménagement du territoire. Je note d'abord que, de ce point de vue, la recherche et l'université sont indissociables. La définition d'un schéma de développement universitaire ne saurait se concevoir sans une forte cohérence avec le développement de la recherche. Il y a là, entre les divers ministères concernés, une concertation indispensable, qu'il convient de mener sans attendre, et sur laquelle votre colloque ne manquera pas d'insister.
Les problèmes d'aménagement du territoire se posent à deux niveaux très différents, que traduit l'organisation même de la réflexion dont ce colloque constitue l'aboutissement provisoire. Ils se posent d'abord au niveau de chaque région, ou groupe de régions, puis au niveau national. C'est d'ailleurs pourquoi Lionel Jospin a commencé fort logiquement à organiser d'abord des colloques régionaux, avant ce colloque national, et je ne doute pas qu'il ne maintienne, pour la suite de vos travaux, le va-et-vient entre ces deux niveaux de réflexion, tous deux indispensables.
Au niveau régional, le problème est celui de la concurrence entre villes voisines. Toutes voudraient être choisies comme pôle de développement prioritaire. Je ne citerai pas d'exemples, mais les colloques régionaux permettraient d'en nommer plusieurs. Comment dépasser ces rivalités et les transformer en complémentarité ?
Il faut ici tenir compte de la nature particulière de l'enseignement supérieur, qui réside dans son lien à la recherche. Il serait totalement déraisonnable de vouloir créer dans chaque chef-lieu de département une université complète, de niveau européen. Ce serait absurde, parce que ce serait impossible. Une université n'est pas un lycée supérieur, et il n'y a pas d'université digne de ce nom sans bibliothèque et sans laboratoires. Disperser l'enseignement supérieur de façon excessive et irréfléchie risquerait de l'affaiblir durablement.
Il faut que les responsables régionaux le comprennent : l'implantation d'antennes universitaires, de premiers cycles délocalisés, ne peut pas être toujours et partout l'amorce d'une université complète. C'est une bonne solution pour rapprocher l'enseignement supérieur des étudiants, à condition que l'université-mère cautionne et garantisse la formation dispensée et qu'elle s'engage à accueillir les étudiants de ces antennes pour la suite de leurs études. Sinon, ce ne sera qu'un enseignement supérieur au rabais, et ce n'est pas ce qu'attendent les jeunes et leurs familles.
Certes, il est des régions où il faudra créer de nouvelles universités, parce qu'elles ont un retard à combler, ou que leurs universités éclatent sous le nombre. Mais le développement de nos régions passe par l'affirmation de grandes universités de réputation internationale, susceptibles de constituer des foyers d'attraction puissants, et chacun sait bien que cela ne résultera pas seulement d'une politique volontariste. Les étudiants et les enseignants choisissent d'y rester ou d'y faire leur carrière. Regardons les choses en face. Plutôt que de jalouser ces points forts de notre dispositif universitaire, il convient de les renforcer, et de chercher des moyens pour que leur dynamisme rejaillisse sur les universités voisines.
C'est ici que s'impose la notion de réseau universitaire. Mais, d'un réseau organisé, structuré, avec des engagements durables qui permettent au temps de faire son oeuvre. On ne peut pas faire tout partout, c'est trop clair. Mais on peut s'organiser pour couvrir un large champ de spécialisations, à la fois pour l'enseignement et pour la recherche, dans une ou deux régions.
Cela suppose que les universités concernées définissent ensemble, en concertation avec tous leurs partenaires, leurs spécialisations réciproques et qu'elles s'engagent par contrat à les respecter. Ces contrats pourraient organiser explicitement l'accueil, dans les laboratoires de l'une, des enseignants-chercheurs de l'autre, ou prévoir des échanges de spécialistes. A l'heure des TGV et des autoroutes, de la télécopie et des réseaux informatiques, vouloir à sa porte tous les moyens de sa recherche n'a plus de sens. Et je ne vois pas pourquoi un enseignant-chercheur ne pourrait faire sa recherche à Lyon et son enseignement à Saint-Etienne ou à Dijon, quand le même accepterait volontiers d'enseigner à Saint-Etienne ou à Dijon tout en faisant sa recherche à Paris.
La constitution de réseaux universitaires durables suppose en outre que les universités contractantes prennent envers l'Etat un engagement de continuité. On ne peut pas accepter d'équiper à grands frais un laboratoire et de constituer des équipes de chercheurs quelque part, pour les voir démantelées quelques années plus tard parce que l'université a changé de cap à l'occasion du départ d'un professeur, quand ce n'est pas par suite de rivalités intestines. Je proposerais volontiers au ministre de l'Education Nationale d'accorder généreusement des moyens spécifiques aux universités qui prendraient ces engagements croisés et complémentaires.
Je le dis ici très nettement : certaines formes de rivalité entre universités voisines ne sont pas acceptables. Nous devons développer les universités de province. Nous devons les développer avec force, et nous y sommes résolus. Mais nous ne gaspillerons pas nos ressources à des saupoudrages complaisants : l'argent est trop rare, et il coûte trop cher. Nous disons oui aux complémentarités négociées, assumées dans la durée, non aux rivalités que suscite un égalitarisme déplacé. Il faut que l'Etat aide les universités qui s'aideront d'abord elles-mêmes en se plaçant dans cette perspective. Sinon, nous ne relèverons jamais le défi européen.
Reste le second problème : celui de l'équilibre national, celui du rapport entre Paris et la province. Vous le remarquerez : j'ai abordé en premier lieu le problème du développement universitaire de la province. Je l'ai fait délibérément, parce que ses enjeux sont beaucoup plus lourds. Nos métropoles régionales ont besoin d'universités vigoureuses pour se développer. Paris dispose d'une telle avance, qu'elle est sans inquiétude sur ce point. Les responsables des villes nouvelles, eux, ont une position différente, plus proche des responsables régionaux, mais l'Ile-de-France est un tout.
L'objectif du ministre de l'Education Nationale comme du Gouvernement n'est pas d'attirer à Paris un flux supplémentaire d'étudiants. Ce serait appauvrir les universités de province au lieu de les renforcer. Mais Paris pose un problème spécifique, car les conditions d'enseignement y sont plus dégradées qu'ailleurs, et la vie des étudiants plus difficile.
Il faut donc desserrer les universités surchargées, regrouper leurs implantations absurdement éclatées - les Langues orientales se dispersent aujourd'hui en 14 sites différents, par exemple. Il faut limiter les déplacements d'étudiants au sein de la grande région parisienne en les accueillant plus près de leur domicile. Il n'est pas raisonnable de concentrer intra muros l'essentiel du potentiel universitaire de la région, alors que les habitants désertent le centre pour la périphérie.
On comprend donc les raisons qui ont conduit à la décision de créer quatre universités dans les villes nouvelles de la région parisienne. Qu'on le veuille ou non, ce n'est pas une région tout à fait comme les autres, et le plus grand nombre des interlocuteurs y rend le partenariat plus complexe. La décision du Gouvernement a donc été ici plus rapide qu'ailleurs. Mais elle sera suivie d'autres décisions. J'espère que votre colloque permettra de les hâter.
Pour conclure, vous me permettrez de m'adresser, à travers vous, à la communauté universitaire toute entière. L'université change ; elle a déjà changé. La situation n'est pas facile, mais les engagement sont pris, et ils seront tenus, qui permettront d'y faire face. Evitons le catastrophisme, mais regardons les défis, et assumons, chacun à notre place, les charges qui nous incombent.
L'Etat a un effort à faire : il est de nature budgétaire, et vous savez qu'il le fait. Les chiffres en témoignent. Il est aussi de nature organisationnelle, et il lui appartient d'améliorer sa gestion, d'en assouplir les règles, d'en accroître l'efficacité. L'Etat, en outre, à un rôle de garant des équilibres sectoriels et géographiques, de garant des engagements que les universités contractent avec leur environnement. Il n'y faillira pas.
Les enseignants ont la responsabilité la plus lourde. Ce sont eux qui gèrent au quotidien les universités, qui assurent l'enseignement et la recherche. De leur ténacité, de leur imagination, de leur professionnalisme dépend l'adaptation de notre enseignement supérieur et sa réputation, son efficacité et son niveau. D'eux surtout dépend la formation, donc l'avenir des étudiants. L'université n'est pas faite pour les professeurs, ni même, d'abord, pour la science : elle est faite pour les étudiants.
Aux côtés des enseignants, moins en vue, mais tout aussi indispensables, les personnels administratifs, techniques, ouvriers et de service, assurent le fonctionnement régulier des universités. Le développement de celles-ci se traduit d'abord pour eux par un alourdissement de leurs charges. Plus d'étudiants, ce sont des inscriptions plus lourdes, des bibliothèques et des laboratoires saturés, des locaux plus encombrés et plus sales. Le gouvernement a conscience de ces difficultés : il a commencé à leur apporter des solutions, mais il y faudra du temps. Nous aurons la persévérance nécessaire.
Aux étudiants, enfin, je voudrais adresser un message d'espoir. Notre premier souci est de leur donner les moyens d'étudier. Le retard accumulé depuis plus de quinze ans ne peut être réparé en un an. Les conditions dans lesquelles ils sont accueillis ne s'amélioreront pas du jour au lendemain, comme par enchantement. Ils l'ont bien compris. Je crois, cependant, qu'ils pourront voir d'année en année les progrès.
Mais les étudiants changent. Ils ne sont pas seulement plus nombreux ; ils sont d'origine sociale plus variée, et le Gouvernement ne peut que se féliciter de ce qui est un progrès de la démocratisation. Cette évolution a pourtant sa contrepartie et elle implique un effort spécifique d'ordre social.
Le financement des études pose un problème inédit. Le Gouvernement y répondra, d'abord, par l'accroissement du nombre et du montant des bourses. En outre, il mettra en place, au cours de la prochaine année universitaire, à titre expérimental, un système de prêts aidés aux étudiants sur critères sociaux et universitaires. Il n'est pas normal que seuls les étudiants qui ont une famille assez riche pour les cautionner puissent emprunter pour financer leurs études. Suivant les résultats de cette expérience, qui sera menée sur une échelle significative, nous verrons s'il y a lieu d'étendre ce système.
Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, l'action du gouvernement est ample et ambitieuse. Mais je n'ai pas la présomption de croire qu'elle suffise. Le développement des universités ne peut être l'oeuvre du seul gouvernement : il en fournit le cadre et les moyens, mais au moment d'agir, c'est à tous les acteurs, à tous les partenaires, qu'incombent les responsabilités décisives, car c'est dans le quotidien de l'enseignement et de la recherche, dans le cadre concret de chaque université et de chaque filière, face à des problèmes précis à résoudre, que tout se joue.
Le rôle de notre université en Europe, son rayonnement international, sa capacité à former les cadres qui assureront notre développement économique, social et culturel, bref, son avenir, où se joue celui de notre pays, tout cela repose sur la conscience professionnelle, le sens du service public, l'imagination et le travail de chacun. L'heure n'est pas aux nostalgies ou aux récriminations : tous ensemble, nous avons une tâche magnifique à accomplir. Le temps nous est compté, pour donner à l'Université française un nouvel élan.
Mesdames, Messieurs, Vive l'université. C'est tout le sens de notre action.