Déclarations de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères et interview dans "La Nacion", sur les relations franco-argentines et sur les négociations entre l ‘Europe et le Mercosur, à Buenos Aires les 6 et 7 avril 2000.

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Circonstance : Voyage de M. Hubert Védrine, en Argentine et en Uruguay, les 6 et 7 avril 2000

Média : La Nacion

Texte intégral

Point de presse le 6 avril :
Q - De quels sujets avez-vous parlé avec le président de la Rua ?
R - Mesdames et Messieurs, je viens d'être reçu durant un long moment et de façon très chaleureuse par le président Fernando de la Rua et nous avons pu aborder des thèmes concernant l'Argentine et la France. Nous avons également parlé de deux sujets concernant le Mercosur et l'Union européenne. D'autre part, nous avons abordé des thèmes tels que la coopération économique, les relations politiques, les relations culturelles et, naturellement, nous avons parlé des questions agricoles dont chacun sait ce qu'elles sont, à la fois, au plan bilatéral et au niveau Union européenne-Mercosur. Vous savez qu'une délégation de l'Union européenne est actuellement à Buenos Aires pour entamer les négociations, conduite par M. Guy Legras qui a toute notre confiance. Je voudrais vous dire également que l'ouverture de ces négociations, résultat de négociations antérieures qui se sont tenues en particulier avant le début du Sommet de Rio, constitue la meilleure réponse à toutes les questions qui ont pu se poser. Si nous négocions c'est précisément parce que nous voulons avancer. Nous voulons que les relations entre l'Union européenne et le Mercosur soient plus intenses. Nous avons également parlé de beaucoup d'autres choses. J'ai été très sensible à l'accueil si chaleureux du président de la République. Mes conversations vont se poursuivre maintenant avec le ministre des Affaires étrangères autour de chacun de ces thèmes.
Q - Cela signifie-t-il qu'à l'avenir il y aura plus d'investissements français, principalement dans le secteur automobile ?
R - Il s'agit d'un autre sujet. Les investissements français en Argentine sont déjà considérables, surtout depuis dix ans. Nous souhaitons naturellement que ces investissements s'intensifient et je crois que c'est également le souhait de l'Argentine. De toute façon, ces décisions sont prises par les entreprises et non par les ministres. Le rôle des gouvernements consister à créer un climat propice dans tous les domaines et à garantir la meilleure sécurité juridique possible. C'est précisément de cette façon que nous voyons les choses ici comme en France.
Interview à "La Nacion" le 6 avril :
Q - La politique agricole commune constitue le principal aspect du contentieux entre l'Argentine et l'Union européenne. La position de la France connaîtra-t-elle un changement face aux questions prévisibles du gouvernement argentin ?
R - Pourquoi parlez-vous de contentieux ? La PAC est une des plus remarquables réalisations de l'Union européenne. Les pays du MERCOSUR souhaitent accroître leurs exportations agricoles vers l'Europe. Cela peut être favorisé par des adaptations de la PAC, déjà en cours depuis longtemps. Mais je dois être franc : pour nous la PAC a une importance sociale et territoriale, et pas seulement économique (son caractère "multifonctionnel"). Nous voulons en même temps développer nos échanges avec le MERCOSUR, ce qui pose aux uns ou aux autres des problèmes agricoles, ou industriels, ou pour les services. Et bien, nous négocions. Nous avons joué un rôle actif pour arriver à un accord sur l'ouverture de ces négociations.
Q - Les subventions accordées par l'Union européenne à ses agriculteurs constituent l'axe des discussions sur la question agricole. Cependant, le problème le plus important n'est peut-être pas tant le thème des subventions mais plutôt le fait de pouvoir effectivement vendre des produits agricoles ou agro-industriels. Que va répondre la France à la demande d'ouverture des marchés aux produits agricoles ?
R - La réponse est la même : négocions sur tout. Il n'y a pas une position française, mais une position des quinze de l'Union européenne.
J'ajoute que la France et les pays du MERCOSUR sont des partenaires économiques de longue date. Le secteur agricole français, souvent critiqué pour son "protectionnisme", est déjà très ouvert aux productions en provenance du continent sud-américain. Ainsi, le commerce agricole bilatéral France-MERCOSUR enregistre d'ailleurs un déficit de près de 8 milliards de francs, essentiellement au profit du Brésil et de l'Argentine, j'aimerais que cela soit mieux connu dans votre pays.
Q - Comment relancer le dialogue UE-MERCOSUR et en particulier France-Argentine indépendamment de la question agricole ?
R - Je réponds à nouveau : négocions. Il se trouve d'ailleurs que les négociations commencent ces jours-ci sur les obstacles non tarifaires dont l'expérience a montré que ce sont les plus longs à surmonter.
Négocions sur tous les secteurs : agriculture, industries et services. Tenons compte de deux autres éléments : la nécessaire relance d'un cycle global à l'OMC, votre perspective d'ALCA.
Avançons. Nous trouverons en discutant un accord sur le rythme des négociations. L'objectif est un accord global et équilibré portant sur l'ensemble des questions tarifaires et non tarifaires.
Mais la France considère aussi que les relations entre l'Europe et le MERCOSUR ne peuvent pas être exclusivement centrées sur des préoccupations économiques et commerciales.
Nous recherchons en effet une relation stratégique forte entre nos deux régions, au sens large du terme.
Q - Au cours des 8 dernières années, à la suite de la politique de privatisations et d'ouverture pratiquée par le précédent gouvernement argentin, de nombreuses entreprises françaises se sont installées en Argentine. Le montant total des investissements français a été de 10,2 milliards de dollars sur la période 1990-1999. Ce processus a-t-il atteint son plafond ? Que pourrait-il être fait, à votre avis, pour favoriser la continuité de ce processus d'investissements ?
R - Nous sommes, en effet, aujourd'hui le troisième investisseur étranger dans votre pays, avec près de 200 entreprises françaises ou filiales d'entreprises françaises, actives aussi bien dans les secteurs de pointe (spectre électro-magnétique), dans l'automobile, dans l'énergie (gaz), l'industrie agro-alimentaire (Danone), les boissons alcoolisées, la banque, les grands services publics (eaux, déchets, électricité, téléphone...) ou encore la grande distribution. Les entreprises françaises sont implantées en Argentine depuis très longtemps, par exemple dans le secteur de l'automobile et c'est pour cette raison, parce que des liens de confiance forts préexistaient entre entrepreneurs français et argentins, que nos entreprises ont pu progresser si rapidement sur le marché argentin.
Ces bons résultats peuvent être encore améliorés. Nous avons confiance dans la capacité de l'Argentine à rebondir après les difficultés économiques de l'année 1999 - c'est d'ailleurs ce qu'elle a commencé à faire - et nous savons que l'économie argentine créera de nouvelles opportunités pour nos entreprises. Celles-ci au demeurant ne réalisent pas de simples opérations commerciales, elles s'installent pour rester et raisonnent à la fois à long terme et dans un cadre global, celui du Mercosur. Tout est donc en place pour que nos efforts se poursuivent. Il est nécessaire pour cela que nos entreprises bénéficient d'un cadre juridique stable et sûr, dans la capitale fédérale comme dans les provinces.
Q - Des événements politico-judiciaires tels que l'affaire des eaux de l'Aconquija dans la province de Tucuman ou celle des poursuites engagées contre Renault dans la province de Cordoba sont-ils susceptibles d'interférer dans les intentions d'entreprises françaises d'investir en Argentine ?
R - Le flux d'affaires croisées entre la France et l'Argentine est tel qu'il est inévitable qu'ici ou là, naissent des contentieux parfois sérieux. L'accord sur l'encouragement et la protection réciproque des investissements que nous avons signé en 1991 prévoit d'ailleurs dans certains cas la compétence d'un arbitre international, le CIRDI (Centre international pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements). Bien sûr l'accumulation de contentieux lourds de ce type ou leur durée excessive donnerait en revanche aux entreprises françaises, mais aussi à celles des autres pays, un sentiment d'insécurité qui deviendrait dommageable au climat des affaires. C'est ce que nous souhaitons éviter et je note que cette préoccupation répond précisément à celle de la nouvelle équipe gouvernementale.
Q - Comment attirer les petites et moyennes entreprises d'origine française vers le marché argentin et vers celui du Mercosur ?
R - En améliorant encore la sécurité juridique des investissements, ce que nous venons d'évoquer.
Q - A la suite des diverses visites officielles entre la France et l'Argentine depuis le retour de la démocratie en 1983, de nombreux accords de coopération ont été signés. Combien d'entre eux ont-ils été véritablement suivis d'effet et quels sont ceux qui devront être relancés ?
R - La question ne se pose pas en ces termes. Le nombre important des textes que nous avons signés depuis 1983 (plus de quarante) témoigne de la richesse de notre relation. Il serait fastidieux d'en donner ici la liste ou de se livrer à un classement de leurs mérites respectifs, mais cela forme un tout et montre un mouvement. Il y a aussi des réalités et des évolutions significatives, comme par exemple l'augmentation très nette du nombre de bourses permettant à de jeunes Argentins de se former en France.
Q - Quel type de coopération pourrait être développé avec la France dans trois secteurs où l'Argentine a de grands besoins : informatisation et technologies de pointe, gestion de l'Etat, préservation de l'environnement et aménagement du territoire ?
R - Une des spécificités de notre coopération avec un pays comme l'Argentine c'est la notion de parité dans la coopération, qui se traduit par le co-financement des opérations. Ce n'est évidemment pas à la France de juger à la place de l'Argentine de ses priorités. Mais nous sommes évidemment prêts à développer des coopérations intéressantes dans lesquelles nous avons déjà une bonne expérience avec l'Argentine, telle la coopération administrative avec les institutions publiques de référence (IEP, ENA...), les technologies de pointe, qui sont actuellement traités dans le cadre de notre coopération scientifique et technique, mais aussi sujets relativement nouveaux comme l'environnement et l'aménagement du territoire.
Conférence de presse au Centre argentin des relations internationales (CARI) :
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d'abord remercier l'ambassadeur Carlos Muñiz, pour cette présentation excessivement flatteuse et amicale et pour ses paroles de bienvenue et d'introduction sur le fond, sur quelques-uns uns des grands sujets qui nous préoccupent aujourd'hui par rapport au monde actuel. Je voudrais remercier le Centre argentin des Relations internationales dont le prestige est connu bien au-delà de Buenos Aires et de cette magnifique galerie de portraits et de photos qui est là dans le couloir, qui témoigne de ceux qui sont venus ici réfléchir à haute voix et s'exprimer sur la vie internationale à un moment ou à un autre. Je voudrais aussi dire que le rôle très remarquable et très particulier de l'ambassadeur Carlos Muñiz dans sa présidence de ce centre et aussi dans l'influence intellectuelle et morale qu'il exerce encore sur la politique étrangère de l'Argentine et sur la façon dont on réfléchit dans votre pays sur les grands équilibres du monde est connu et fait partie du prestige de votre pays et de la façon dont on le perçoit avec sympathie et respect en Europe et en France et c'est pour cela que je suis vraiment heureux lors de cette visite rapide et vraiment extrêmement intéressante et instructive en Argentine, d'avoir été invité, que de nombreuses personnalités aient été invitées à venir m'entendre et que nous ayons pu arranger ceci dans mon programme, en plus des nombreux entretiens que j'ai eus avec le président, le chef du Cabinet, les ministres et d'autres personnalités que j'ai rencontrées. Donc je suis heureux d'être parmi vous et je voudrais en profiter pour dire quelques mots et développer quelques remarques sur la vision française du monde aujourd'hui et sur le rôle que peuvent y jouer la France et l'Argentine, le rôle que nous pouvons jouer ensemble en voyant sur quels points nos visions convergent.
Je commencerai par quelques indications sur le contexte mondial.
Il y a 10 ans, l'effondrement de l'Union soviétique a marqué la fin du monde bipolaire. A un monde figé autour de l'affrontement des deux superpuissances a succédé, depuis, un monde qui est beaucoup plus compliqué à analyser, un monde décompartimenté, apparemment globalisé, plus libre, c'est incontestable, avec 189 pays, en attendant d'autres peut-être. C'est un chiffre sans précédent qui à lui seul bouleverse les données de l'analyse des relations internationales et un monde qui est marqué par un phénomène particulier qui est celui des Etats-Unis - je vais en dire un mot dans un instant- qui sont dans une situation comparable à aucun autre pays, et un monde dans lequel des facteurs d'instabilité aussi se sont réveillés. Facteurs d'instabilité qui tiennent autant à la faiblesse des Etats ou à la désintégration de certains ensembles ou de certains Etats, qu'aux causes classiques d'affrontement dans les relations internationales qui étaient des conflits entre Etats. Mais je voudrais dire un mot sur les Etats-Unis parce que les Etats-Unis réunissent aujourd'hui, comme aucun pays avant eux, toutes les formes de la puissance et de l'influence. La puissance militaire et financière qui sont les formes classiques, mais aussi l'influence plus moderne, celle qui s'exerce par la culture, le mode de vie, le contrôle des nouvelles technologies - Certains analystes distinguent entre le hard power et le soft power, mais, de toute façon, dans ce cas particulier, ils s'additionnent. Quand je dis les Etats-Unis d'Amérique, c'est tout à la fois le président, l'administration, le Congrès, mais c'est aussi les sociétés, les entrepreneurs, les savants, souvent d'origine étrangère d'ailleurs - au total une société qui représente un ensemble d'une efficacité et d'un rayonnement sans précédent.
J'ai utilisé à un moment donné dans le débat public à ce sujet le mot "d'hyperpuissance" pour essayer de décrire cette nouvelle situation, parce que je trouvais que le mot de superpuissance était trop ancien, uniquement lié à la guerre froide et à la dimension militaire. J'ai découvert après qu'un analyste américain, Ben Wattenberg, avait employé cette expression quelques années auparavant. J'ai découvert aussi que, entre temps, il avait changé de mot et qu'il employait maintenant le mot "d'omnipuissance". Mais quel que soit le terme, la réalité que nous décrivons est la même. Ce constat est le même : les références culturelles, morales, économiques, philosophiques même qui dominent la scène mondiale aujourd'hui, sont pour une large part américaines, et ce sont elles que la globalisation véhicule en priorité.
Un tel succès est impressionnant ; mais il n'impose pas que nous soyons obligés d'adhérer sans réserve aux conséquences, multiples d'une domination aussi multiforme. C'est en quelque sorte la diversité du monde qui est en jeu derrière cette question, son pluralisme qui est en jeu et donc l'identité de tous les pays autres que les Etats-Unis. Je connais l'étroitesse des liens entre l'Argentine et les Etats-Unis, je sais ce qu'ils ont en commun. Vous avez en commun par exemple un esprit pionnier qui est remarquable dans un cas comme dans l'autre. Mais vous autoriserez le représentant d'un pays ancien, ami des Etats-Unis, allié des Etats-Unis, d'ailleurs, depuis longtemps, à juger que cette situation internationale, trop unipolaire, comporte des inconvénients, y compris pour les Etats Unis eux-mêmes. Et d'ailleurs aux Etats-Unis, il y a une discussion chez certains experts, chez certains analystes, chez certaines personnalités politiques sur les inconvénients, sur les aspects contre-productifs d'une trop grande puissance. Et il y a un débat aux Etats-Unis sur l'intérêt qu'ils auront à accepter l'émergence d'autres puissances, d'autres pôles qui puissent faire contrepoids. Par exemple, ils ont ce débat à propos de l'Europe, à propos de la monnaie unique, à propos de la défense européenne. Et c'est d'ailleurs à leur bénéfice qu'ils ont accepté d'avoir, eux-mêmes, cette discussion entre eux. C'est pour dire que la volonté française d'oeuvrer à un monde multipolaire ne s'inscrit en rien contre les Etats-Unis d'Amérique, en tant que tels, dont le rôle restera essentiel quoi qu'il arrive. C'est plutôt une résistance à l'hégémonie, ou une action en faveur de la diversité. Mais ce n'est pas un anti-américanisme et les aspects des Etats-Unis que nous admirons sont très nombreux. Je suis sûr que l'Argentine comprend et partage cette aspiration à un monde plus équilibré.
Cela c'est un des aspects de ce monde dans lequel nous sommes entrés depuis que l'Union soviétique a disparu en tant que telle, en tant que superpuissance, laissant la place à une Russie qui a un long chemin devant elle, avec de nombreux drames sans doute, malheureusement, avant de devenir un grand pays moderne.
Mais revenons plus largement sur les défis de la globalisation. Qu'est-ce que cette globalisation, cette mondialisation - En France nous disons plutôt mondialisation, dans les pays anglophones on dit plutôt globalisation, c'est un peu la même chose - qu'est-ce que cela change à la vie internationale ?
Pour l'essentiel d'abord, la globalisation découle de l'accélération du progrès technique, tout simplement de l'accélération de l'information et des transports. C'est aussi simple que cela. La capacité à se déplacer plus aisément et le fait que tous les événements soient connus simultanément en temps réel. Pour le reste, ce sont les événements politiques et les tragédies du XXe siècle qui ont fait le reste et qui ont modelé le monde tel qu'il est. Puisque je parlais des Etats-Unis tout à l'heure, il n'y a pas eu de plan américain pour devenir cette hyperpuissance. Il n'y a pas eu de programme, de projet particulier. Ils le sont devenus par une sorte d'effet mécanique parce que les autres puissances ont échoué ou parce qu'elles ont fait des erreurs historiques, comme l'Europe, qui a accumulé des erreurs historiques à commencer avec la guerre de 14-18, puis les erreurs des années 20 et 30, puis la Seconde Guerre mondiale, etc.
En tout cas dans le monde où nous sommes maintenant, la plupart des problèmes sont considérés désormais comme "globaux". Nous avons pris conscience de notre interdépendance et donc de notre solidarité et de notre force et aussi parfois de notre vulnérabilité en matière financière, en matière écologique, en matière politique. Nous avons vu que des forces criminelles pouvaient tirer parti de la globalisation, qu'elles s'engouffraient dans les failles de la mondialisation. La mondialisation ne comporte pas uniquement des opportunités économiques légales et heureuses d'être celles qui découlent du libre commerce. Nous avons découvert que nous avions besoin de rassembler nos forces pour apporter des réponses et mettre en oeuvre des solutions en commun. Je sais que par exemple cela a été pour vous une rude expérience lorsque, après les pays asiatiques, l'Argentine a, elle aussi, et le Mercosur tout entier, fait l'expérience en 1997 de la volatilité des marchés. Cette interdépendance accrue entre les Etats, les économies, les cultures, nous donne l'occasion de progresser vers l'unité de l'humanité, que l'on recherche depuis que l'on a inventé des concepts aussi beaux que Société des Nations, l'Organisation des Nations unies. Et on sait que l'on est à mi-chemin entre un programme, un objectif, une espérance, on est en chemin, ce ne sont pas encore complètement des réalités. Mais ce phénomène comporte aussi des risques dont je parlais il y a un instant, comme celui d'un nivellement, de la banalisation, comme si le monde entier, comme si l'histoire de tous les peuples et leur identité devaient se résumer maintenant à quelques stéréotypes, à quelques formules économiques et politiques, indifféremment applicables partout. Ce n'est pas seulement cela. La mondialisation comporte des opportunités d'enrichissement commercial ou culturel et de libération, mais aussi cette perspective négative de l'appauvrissement collectif qui peut provoquer en retour de très vives réactions des identités et des réalités agressées. D'où la nécessité, à nos yeux, tout en dotant le monde de meilleures règles de fonctionnement, de préserver cette diversité et de donner à ce principe général une traduction culturelle, politique, géopolitique.
Parlant de la globalisation, j'en viens maintenant à ce que l'on pourrait appeler les défis de la démocratisation.
La fin de l'Union soviétique, en effet, a placé la question des Droits de l'Homme, de la démocratie, ou plutôt de la démocratisation - c'est un processus - au centre du débat dans les relations internationales. Ce monde est-il maintenant uni ou en voie de l'être, autour des mêmes valeurs comme nous voudrions le croire ? Si oui, quels doivent être les rapports entre les pays démocratiques et ceux qui ne le sont pas, ou pas encore, ou pas assez, ou qui ne le sont qu'apparemment ? Nous sommes confrontés à ce problème en permanence dans nos rapports avec de nombreux pays que je ne vais pas énumérer mais que vous avez tous en tête. Or, la démocratie ne se décrète pas, elle ne surgit pas en un jour. Elle est le fruit d'un processus continu à la fois économique et politique. Elle se construit. D'ailleurs les vieilles nations démocratiques d'Europe ne sont pas devenues brusquement des pays démocratiques. C'est passé par de longs processus de maturation économique et politique, de révolution violente, de répression féroce, de nouvelles avancées, des processus. Encore faut-il lancer ce processus et savoir comment le consolider. Je pense que la tâche des pays occidentaux et démocratiques aujourd'hui n'est pas tant de dénoncer, même si c'est nécessaire, que de favoriser partout les processus de démocratisation en trouvant le cocktail d'encouragements et de pressions, d'incitations ou de menaces qui soient au cas par cas les plus utiles.
A cet égard, la souveraineté nationale, qui reste un facteur de base des relations internationales, ne peut plus servir à justifier n'importe quoi. C'est cette conviction qui a guidé les Européens, par exemple, dans l'affaire du Kosovo.
Le grand Borges disait que la vérité philosophique n'est le privilège d'aucune nation mais peut-être de toutes.
Il y a dans la Déclaration universelle des Droits de l'Homme des principes simples, unanimement acceptés, à défaut d'être respectés, par les pays membres des Nations Unies. Il y a encore quinze ans, ce n'était, pour la moitié du monde, qu'un morceau de papier ; aujourd'hui, ces principes fixent la limite de l'acceptable pour la plupart des nations démocratiques et notamment sur le point que j'évoquais il y a un instant qui est celui de l'ingérence et de la souveraineté. Le débat a été relancé avec intelligence et courage par le Secrétaire général des Nations unies à l'automne, au début de l'assemblée générale. Je pense qu'il faut trouver un chemin entre différents risques. Dans certains cas, c'est exact, la souveraineté nationale invoquée de façon abusive a servi de façon absolument scandaleuse et choquante à justifier des massacres internes ou des mauvais traitements par certains dirigeants, mauvais traitement d'une partie de leur population. Cette conception de la souveraineté nationale est inacceptable, donc il faut qu'au sein des Nations unies, les pays membres du Conseil de sécurité aient une réflexion pour déterminer un certain nombre de principes, de critères dans lesquels on considère que cette invocation de la souveraineté nationale ne doit pas jouer et par exemple ne peut pas fonder un usage abusif du droit de veto. C'est une des pistes de réflexion sur un des grands sujets du monde actuel. Mais certains analystes, certains mouvements, certaines organisations vont au-delà et considèrent que la souveraineté nationale est un concept dépassé en soit. Et là je crois qu'il faut être prudent sur ce sujet. Il y a un dépassement tout à fait positif lorsque par exemple des pays de l'Union européenne décident d'exercer en commun leur souveraineté. Ils créent en commun par exemple la monnaie unique, l'Euro, que nous avons créée. Ça c'est un dépassement constructif.
Mais il ne faut pas être trop naïf à propos de la réduction de la souveraineté nationale. Dans beaucoup d'autres cas, dans beaucoup d'autres régions confrontées à des problèmes tragiques, réduire la souveraineté nationale, réduire le pouvoir des Etats ce n'est pas installer du jour au lendemain la démocratie parfaite. Ça peut être aussi laisser la place à des forces criminelles internationales ou tout simplement au désordre ou chaos. Il y a malheureusement beaucoup de régions - pensez à certaines régions d'Afrique, pensez à l'Asie centrale- c'est plutôt dans ce sens que cela se situe. Donc je crois qu'il faut préserver ce principe de la souveraineté nationale mais en quelque sorte en le civilisant, en l'encadrant et en déterminant ses limites, ce qui ne peut pas être fait par un pays qui imposerait sa force aux autres mais cela peut être le résultat d'une véritable réflexion collective au sein des Nations unies, qui est la seule organisation qui nous rassemble tous. D'ailleurs, puisque je parle mondialisation et globalisation, je voudrais dire que globalement au-delà du sujet dont je viens de vous parler, les réponses françaises et largement européennes à ce phénomène tiennent en une phrase : il faut mieux organiser. Il faut mieux réguler, réguler ça ne veut pas dire faire des règlements. Je parle des grandes règles de la vie internationale. Il faut civiliser la mondialisation. Bien avant que se dessinent les évolutions globales dont je viens de parler, la France s'était engagée très tôt, il y a plus de 50 ans dans la construction de l'Europe. Pourtant la France est un vieux pays très attaché à la souveraineté nationale. Et les paroles que l'ambassadeur Muñiz citait aimablement tout à l'heure, quand il citait un de mes livres, montraient bien que c'était ça la grande question de la politique française : la tension entre cet attachement historique à sa souveraineté et la conscience de la nécessité de son dépassement. Dès lors que la France a fait ce choix depuis les années 50 cette affaire a été au cur de sa politique étrangère, fondée sur la volonté partagée de réconcilier les vieilles nations européennes, et d'abord la France et l'Allemagne. Depuis l'origine, ce grand dessein s'est accompli de façon pragmatique par une sorte de "révolution lente" qui a transformé les "communautés" en "Union". Au noyau initial des six pays fondateurs, se sont adjoints peu à peu tous les pays européens qui n'étaient pas dans l'orbite soviétique, à deux exceptions près. La chute du mur de Berlin et l'effondrement du communisme réel ont repoussé les limites possibles de l'Union européenne. La question de son élargissement se pose aujourd'hui simplement : la géographie a rattrapé l'histoire, et chaque pays de l'Europe, ou presque, s'interroge sur son éventuelle entrée dans l'Union européenne qui négocie aujourd'hui avec douze pays candidats. Comment élargir, c'est une nécessité historique, sans affaiblir ou sans paralyser l'ensemble qui en résultera ? Voilà la question qui nous occupe aujourd'hui en priorité, que nous traitons, que nous allons traiter encore plus puisque nous allons prendre au mois de juillet la présidence de l'Europe et que nous négocions sur cette question même au sein de la conférence intergouvernementale qui a pour objet d'adapter nos institutions pour que l'Europe même élargie puisse continuer à fonctionner efficacement.
La France a toujours voulu d'ailleurs que l'élargissement de l'Europe ne se fasse pas au détriment de la construction d'une Europe forte. Cela reste notre ligne. Nous nous employons à ce que l'Europe devienne une puissance, riche d'un marché intérieur dynamique, forte de 375 millions de personnes aujourd'hui, de près de 500 dans 10 à 15 ans, disposant déjà d'une monnaie unique qui sera la deuxième monnaie de réserve du monde et à laquelle nous espérons que nos amis britanniques se joindront bientôt, ayant ensuite une volonté et une capacité de défense commune qui prennent enfin corps, une politique étrangère européenne capable de prendre ses responsabilités, que ce soit pour pacifier durablement les foyers de crises à la périphérie de l'Europe ou pour établir des partenariats stratégiques avec tous les grands voisins ou interlocuteurs de l'Europe. Nous veillerons à ce que l'élargissement de l'Union européenne ne se traduise pas par une dilution de ses acquis et une paralysie de ses capacités d'action. Cette prochaine présidence française, dont je parlais, nous donnera l'occasion de poursuivre cette politique. Sur le long terme, nous voulons que l'Union européenne offre le visage d'une société particulièrement dynamique et ouverte, qui a l'ambition de puissance et qui a l'ambition sociale. Elles sont complémentaires car nous voulons aussi que l'Europe à laquelle nous uvrons soit une réponse aux défis de la mondialisation, qu'elle soit une force de proposition pour une régulation mondiale mieux adaptée, pour le renforcement du système monétaire et financier international, notamment à travers un rôle accru de l'Europe dans les grandes organisations internationales, ONU, FMI, OMC ou autres. Par son expérience depuis plus de quatre décennies, par son mode d'organisation, par ses procédures de concertation et de décisions internes, par sa capacité à produire des compromis entre Etats membres, l'Europe a prouvé qu'elle savait dépasser les clivages qui l'ont meurtrie dans le passé. D'ailleurs, si les grands Etats de l'Europe étaient restés unilatéralistes, s'ils n'avaient pas fait cette mutation mentale, l'Union européenne n'existerait pas, tout simplement.
Je pense donc que l'Union européenne a vocation à devenir un des pôles de ce monde multipolaire auquel nous travaillons et que nous souhaitons coopératif. Je dis bien : coopératif, parce qu'il ne suffit pas qu'il y ait plusieurs pôles dans le monde de demain - plusieurs pôles qui sont déjà en gestation -. Il ne suffit pas qu'il y ait ça pour que le monde devienne pacifique et stable. On peut même imaginer un monde dans lequel les pôles s'affronteraient, ou se menaceraient. Quel serait alors le progrès ? C'est pour uvrer donc à une multipolarité maîtrisée, équilibrée et constructive que la France a engagé un dialogue précurseur avec tous les autres pôles potentiels : dialogue permanent et multiforme avec les Etats-Unis, qui sont, je le répète, nos amis et nos alliés, sans que nous soyons pour autant alignés sur eux. Définition avec la Russie d'une relation et d'un partenariat à long terme. En effet, quelle que soit l'ampleur des difficultés que ce pays rencontre, et la gravité des erreurs qu'il commet par exemple en Tchétchénie, l'intérêt de la France et de l'Europe tout entière reste d'avoir pour voisin une Russie stable qui se modernise, qui se démocratise et qui règle ses problèmes de façon de plus en plus pacifique. Partenariat global avec la Chine. Dialogue de plus en plus nourri avec l'Inde - j'y étais il y a deux mois -. Approfondissement de notre dialogue avec le Japon. Développement de notre relation avec l'Afrique du Sud, et avec d'autres Etats ou groupes d'Etats importants qui pourront être appelés à compter dans le monde de demain, et donc, bien sûr - j'y viens logiquement - avec le Mercosur.
Mais avant de développer ce point, les rapports que, à nos yeux, l'Union européenne doit entretenir avec le Mercosur, laissez-moi redire quelques mots sur le rapport particulier qu'entretiennent nos deux pays, qui est nourri à des racines communes. Je suis arrivé il y a quelques heures seulement dans votre capitale, et je dois avouer devant vous que c'est mon premier voyage. J'ai presque honte devant tant d'amis de la France qui sont ici, accompagné, par une délégation composée presque uniquement d'amis de l'Argentine, qui sont venus ici parce qu'ils remplissent des fonctions qui les amènent à être membres de cette délégation. Mais tout le monde autour de moi connaît l'Argentine, mon épouse connaît l'Argentine, et moi, en raison de hasards malencontreux, je n'étais pas venu encore. Je suis là depuis quelques heures mais j'ai ressenti aussitôt en parlant, dans des entretiens, chez le président, en parlant avec le ministre, en parlant avec les uns et les autres, en regardant la ville depuis la voiture, en regardant les rues, les enseignes, les journaux, un petit peu de télévision, j'ai ressenti aussitôt ce que je savais déjà de façon théorique, par de nombreuses lectures, par des rencontres, par des conversations, par des amitiés. J'ai ressenti cette proximité, ces affinités. Il y a beaucoup de grandes figures qui ont marqué les relations entre nos deux pays : le général San Martin, j'y pensais ce matin, Victoria Ocampo, on en a parlé dans une réunion au Ministère à propos de ce projet de centre culturel international dans ce qui était, je crois, sa maison, sa résidence. Tous ces artistes, ces créateurs dont on ne sait plus très bien, en tout cas en France, s'ils sont français ou argentins : Lavelli, Copi, Segui, Arias, Bianciotti, même le champion du monde de Football, David Trezeguet. Et puis je pense à tous les amis, je pense à tous ces Français qui sont venus s'établir en Argentine et vous savez que la France n'a pas été historiquement un pays d'émigration, mais que l'Argentine est sans doute le pays dans lequel il y a eu le plus de Français qui sont venus s'installer un moment donné, plus de 200 000, 300 000. Et par rapport à la France, qui était plutôt un pays d'immigration que d'émigration, c'est un chiffre impressionnant. Mais on est tellement bien en Argentine et on s'intègre tellement facilement, c'est une société tellement ouverte sur ce plan, qu'ils se sont fondus dans la population. Il y a d'autres pays où ils seraient restés organisés en une sorte de lobby un peu replié sur lui-même, et là, ce sont des Argentins tout simplement.
Nos échanges économiques aussi illustrent la grande vitalité de cette relation. Après le retour de la démocratie dans votre pays, ces échanges se sont développés sans arrêt pour atteindre un niveau remarquable. Depuis 1991, ce sont 11 milliards de dollars, ou d'euros, c'est à peu près la même chose, d'investissements français qui sont venus contribuer au développement de votre économie et à sa modernisation. Plus de 200 entreprises participent à ce mouvement dans les secteurs les plus variés : la grande distribution (Carrefour par exemple), automobile (Renault et Peugeot), les principaux services publics (électricité, téléphone, eau), l'énergie (Total), l'agro-alimentaire (le secteur viticole, Danone), les banques (le Crédit Agricole)... Enfin, vous le savez mieux que moi.
C'est cette relation privilégiée que nous devons insérer dans un dessein plus ambitieux : la construction d'un véritable partenariat entre le Mercosur et l'Union européenne. Je vous ai parlé brièvement de la place centrale qu'occupe l'Europe aujourd'hui dans la politique française. L'Union européenne connaîtra d'autres difficultés, d'autres crises de croissance ; je suis convaincu qu'elle les surmontera comme elle a su le faire, déjà, dans le passé.
Je ne sais pas à quel point l'expérience européenne peut ou doit servir de référence utile pour d'autres ensembles régionaux. Les situations ne sont jamais tout à fait comparables. Mais pour le dépassement des nationalismes, ça c'est certain, c'est une expérience très remarquable. Pour les modalités, c'est à chacun de voir, à chacun son histoire et son passé, chacun doit inventer son avenir. Mais, à ce sujet, je voudrais rendre hommage devant vous tous ici à l'originalité et au courage de la démarche politique initiée par l'Argentine de Raúl Alfonsin et le Brésil de José Sarney en 1986 à Iguazu. C'est cette volonté, qui ne pouvait naître que dans un espace et dans des esprits démocratiques, qui a permis, le 26 mars 1991, avec la signature du traité d'Assomption, la création du Mercosur. On doit saluer la vitesse remarquable de la mise en place en neuf ans d'une organisation souple, qui n'élude ni les défis de son propre élargissement, ni les défis institutionnels. Je sais combien la construction d'un ensemble régional cohérent peut paraître à ses artisans une tâche ardue, voire ingrate certains jours. Je n'ignore pas que les différences considérables entre les six pays membres pleins, ou simplement associés, du Mercosur sont là. Je ne peux que souhaiter que les problèmes rencontrés dans la construction européenne et les solutions trouvées enrichissent votre propre expérience. La France espère un Mercosur fort et cohérent qui deviendra un des pôles du monde de demain, je le répète.
Pour cela, nous devons articuler nos démarches parallèles de consolidation interne et d'ouverture vers l'extérieur. Et vous vous doutez que j'arrive à un point plus difficile. A l'occasion de la préparation du Sommet de Rio entre l'Union européenne et l'Amérique latine, nous avions pu, grâce à l'action de la France et de l'Espagne, jeter les bases de notre relation future, à partir de l' "accord cadre inter-régional de coopération économique et commerciale" de 1995 qui nous fixe le libre échange comme objectif. Cette relation suppose à la fois des progrès dans le cadre multilatéral, et nous pensons qu'un cycle large et global de négociations commerciales et multilatérales est utile.
L'échec de Seattle est à notre sens circonstanciel. Il faut continuer à rassembler les conditions de sa relance, et, d'autre part, nous voulons oeuvrer à l'établissement de liens renforcés entre un Mercosur ambitieux et une Union européenne plus active en Amérique latine. L'harmonisation en termes de contenu et de calendrier entre l'échelon régional Union européenne et Mercosur et l'échelon multilatéral (le nouveau cycle OMC) est essentiel. La tenue, à Buenos Aires, du premier comité de négociations entre l'Union européenne et le Mercosur, qui commence ses travaux par les obstacles non tarifaires, comme cela avait été convenu, montre que nous avançons. Je ne peux pas, ici même, préjuger d'une négociation qui s'étendra sur évidemment un temps long, inévitablement, alors que vous êtes engagés aussi dans d'autres négociations complexes, par exemple, pour la création d'une zone de libre échange des Amériques et que nous-mêmes nous sommes engagés dans beaucoup de négociations en même temps. Mais l'essentiel était de commencer.
Si on se reporte à une année en arrière, il y avait un désir politique de resserrer les relations, mais un constat de divergence des intérêts immédiats, sur le plan économique, commercial, sur le plan des exportations, sur le plan agricole. L'Argentine émettait des demandes par rapport à l'accès de marchés européens. L'Europe était prête à négocier sur tous les sujets. Il n'y avait pas d'accord sur les calendriers. Nous étions dans une situation un peu déplaisante pour des pays qui sont aussi amis, qui sont fondamentalement amis. Mais ça peut arriver. C'est d'ailleurs arrivé souvent entre européens, d'être très amis, de vouloir faire des choses ensemble et d'avoir des contradictions d'intérêts terribles qui nous empêchent de trouver des compromis, parfois pendant longtemps. Et bien là nous avons trouvé un compromis puisque la négociation commence. Et s'il n'y avait pas eu de compromis, d'esprit de compromis, la négociation n'aurait pas pu se nouer. Or, elle commence. J'ai la conviction qu'elle aboutira, car elle procède d'une volonté stratégique mutuelle. Les avancées dans la négociation ne pourront pas se faire au détriment de telle ou telle catégorie de population. Elle devra être concertée, elle devra prévoir des étapes et des solutions raisonnables.
Tel est le sens des directives approuvées par le Conseil de l'Union européenne, le 13 septembre dernier quand il a fixé le mandat des négociations, pour les négociateurs européens naturellement, entre nos deux ensembles régionaux. En tout cas, soyez assurés que la France, avec l'ensemble de ses partenaires, puisque c'est une négociation à quinze, ce n'est pas une négociation entre l'Argentine et la France, apportera son concours au succès de cette négociation et qui doit connaître d'ailleurs une deuxième étape. J'ai rappelé tout à l'heure qu'elle commençait par les obstacles non tarifaires. Elle doit aborder les obstacles tarifaires dès le 1er juillet 2001. C'est une négociation par ailleurs globale qui ne porte pas que sur l'agriculture mais aussi sur l'industrie et les services, car nous sommes, de part et d'autre, ambitieux.
La portée de cette négociation commerciale est considérable mais nous ne devons pas réduire à cela la relation entre nos deux ensembles. Il nous faut avancer également sur la voie du dialogue politique. Les contacts au plus haut niveau lors du Sommet de Rio ou à des occasions bilatérales en Europe ou en Amérique latine, nous en ont fourni une première occasion. C'est aussi le sens de mon voyage et de mes contacts en Argentine ; il faut continuer dans cette voie.
(...)
Aujourd'hui aussi bien chez le président que chez le ministre des Affaires étrangères, nous avons évoqué les grandes questions qui intéressent beaucoup l'Argentine, auxquelles elle participe et où la France est très active. Nous avions à avoir une concertation politique générale. Nous avons parlé de nos relations bilatérales. Il ne faut pas raisonner uniquement en termes d'ensembles régionaux. Nous avons parlé de la prochaine venue dans la région et en Argentine du ministre français du Commerce extérieur. Nous avons parlé de la perspective de la tenue en France en novembre d'une grande commission qui va passer en revue tous les volets de la coopération culturelle, scientifique, technique, économique et Dieu sait qu'il y a à faire et que nous voulons faire des choses. Je le dis parce que je pense que tous ici vous êtes intéressés par le fait de savoir sur quoi vont porter ces entretiens et dans quel sens nous voulons aller.
Je voudrais vous dire pour conclure que cette ère de la mondialisation dans laquelle nous sommes engagés nous invite à bâtir entre nous des relations encore plus intenses et plus régulières que celles que nous avons héritées de nos affinités historiques, culturelles et humaines et des dix dernières années de développement économique dont j'ai parlé tout à l'heure. C'est un héritage magnifique. On le ressent et j'en suis touché, c'est une chose vraiment qui saute aux yeux et qu'on comprend tout de suite. Il y a une affinité, une atmosphère, une amitié, une qualité dans cette amitié que je voudrais saluer. Mais cela ne suffit pas, il faut considérer que c'est un socle à partir duquel nous devons bâtir. Nous devons considérer que nous travaillons ensemble au monde de demain. Aux yeux de mon pays, le monde de demain sera plus riche à tout point de vue si l'Union européenne est forte, si le Mercosur est fort, et si leur relation est forte. L'Argentine et la France sont bien placées pour donner à cette politique un élan et un dynamisme particulier, et toute cette perspective, nous nous y emploierons avec une grande confiance dans l'Argentine, dans ce qu'elle peut faire, et dans sa capacité à affronter et à maîtriser les défis qui sont les siens.
Déclaration devant la communauté française à Buenos Aires le 6 avril :
Je voudrais d'abord remercier le chef du cabinet, le ministre des Affaires étrangères, mon collègue, les ministres, les secrétaires d'Etat, le président de la Chambre des députés, les parlementaires, le gouverneur de la province de Buenos Aires, les autres gouverneurs, toutes les personnalités qui ont répondu à l'invitation de l'ambassadeur ce soir et que nous avons le très grand plaisir d'accueillir ici à l'ambassade de France.
Cette réception a ceci de remarquable qu'elle rassemble beaucoup de personnalités argentines de premier plan et en même temps beaucoup de membres de la communauté française en Argentine dont nous connaissons la vitalité et le dynamisme.
C'est dire que cette réception est clairement placée sous le signe de l'amitié franco-argentine.
Je l'ai dit tout à l'heure dans une conférence au CARI, dans ma délégation j'étais le seul à ne pas connaître l'Argentine, ce qui était désolant.
Mon épouse était déjà venue et quant aux autres membres de la délégation ce sont quasiment des spécialistes. Donc je voulais venir pour réparer cette anomalie et parce que je pense qu'il y a des choses vraiment intéressantes à faire entre la France et l'Argentine en ce moment.
Les Français d'Argentine le savent bien. A l'origine c'est le pays au monde, je crois, où le plus de Français sont venus s'installer. La France n'est pas traditionnellement un pays d'émigration. Donc c'est encore plus frappant. Ils se sont installés, ils se sont insérés, ils ont été merveilleusement accueillis. Ce sont des Argentins mais ils n'ont pas oublié la France, non plus.
Il y a tous ceux qui sont venus plus récemment portés par cette vague extraordinaire d'investissements, d'implantations d'entreprises françaises depuis une dizaine d'années grâce au nouveau contexte offert par l'Argentine démocratique.
Je disais que nous sommes à un moment important tout simplement parce qu'en Europe nous souhaitons un Mercosur fort. Nous pensons qu'il sera utile à l'équilibre du monde. Un monde multipolaire. Il sera utile à la diversité du monde, en termes d'identité, en termes de culture, en termes de langue. Naturellement nous souhaitons et nous travaillons à ce que l'Europe elle-même soit la plus forte possible.
Entre les deux le lien est évident. L'Union européenne et le Mercosur ont beaucoup de choses à faire ensemble. Cela suppose aborder de front deux ou trois sujets un peu délicats comme la question agricole par exemple mais précisément, il y a maintenant une perspective de négociation. Nous nous sommes mis d'accord sur une méthode de négociation. On n'est pas dans la même situation qu'il y a un an où il y avait sur ces sujets des approches contradictoires et on n'avançait pas.
Donc, la négociation entre les Quinze et le Mercosur a commencé. C'est une très bonne chose mais nous ne devons pas ramener toutes nos relations à ce seul problème.
Il y a de vastes perspectives pour notre concertation politique et diplomatique. Il y a des perspectives énormes pour notre concertation culturelle, grâce à ce fond très puissant de vitalité et de sympathie mutuelles. Donc tout cela est là, devant nous. Voilà l'esprit dans lequel je suis venu, dans un esprit d'amitié et de confiance dans l'Argentine. Un pays dont on sait qu'il est capable de surmonter les problèmes qu'il rencontre. J'ai trouvé passionnant les entretiens que j'ai eus aujourd'hui, très instructifs. Je suis très heureux de ce voyage. Je regrette de ne pas être venu plus tôt mais par rapport aux interlocuteurs que j'ai rencontré depuis ce matin, à commencer par le Président, je crois que je suis venu au bon moment.
Je vais maintenant laisser se poursuivre les conversations sympathiques qui ont lieu à l'occasion de ce genre de réception en vous disant que je vais continuer à travailler à l'amitié franco-argentine et que je repars encore plus déterminé que je n'étais arrivé.
Conférence de presse le 7 avril à Buenos Aires :
Mesdames et Messieurs,
Je suis content de vous rencontrer presque à la fin de ce rapide séjour en Argentine. Je suis venu en Argentine d'abord par désir personnel parce que, bizarrement, je ne connaissais pas encore ce pays et je souhaitais beaucoup m'y rendre. Sur ce plan, ma curiosité n'a pas été déçue. Je suis très heureux de ce premier contact. En tant que ministre des Affaires étrangères, je trouvais important de venir à Buenos Aires à la fois pour des raisons bilatérales et aussi plus globales.
Je crois même que je suis le premier ministre des Affaires étrangères d'un pays d'Europe qui fasse ce voyage depuis la formation du nouveau gouvernement. Cela montre bien toute l'importance que nous accordons à l'Argentine. Mon pays est très conscient des difficultés que rencontre l'Argentine et je dois dire que toutes les autorités qui m'ont reçu, mes interlocuteurs, m'en ont tous parlé très librement et très amicalement. Mais nous sommes optimistes. Nous avons confiance en la capacité de l'Argentine à surmonter les difficultés en question. Avoir confiance en l'Argentine est une sorte de tradition française. Historiquement, l'Argentine est le pays au monde où le plus de français ont émigré. C'est déjà la plus belle des marques de confiance que l'on puisse donner. Ces dernières années, les entreprises françaises ont beaucoup investi. En Argentine nous sommes le troisième investisseur. Pour la période 1990-1999, les flux cumulés d'investissements français représentent plus de 10 milliards de dollars. Cela aussi c'est une marque de confiance. Il y a des entreprises qui ont bien réussi et qui dégagent des profits maintenant. Mais il a fallu qu'elles viennent au début, qu'elles prennent des risques que les autres ne prenaient pas.
Par rapport à tous les autres pays du monde où la France investit, l'Argentine vient en onzième position. Et nous avons confiance aujourd'hui parce que c'est l'Argentine, parce qu'il y a le Mercosur, parce que notre relation bilatérale est meilleure que jamais.
D'ailleurs, très peu de temps après son élection, le nouveau chef de l'Etat argentin a effectué son premier déplacement en Europe, à Paris, où il a été reçu par le président de la République, M. Jacques Chirac, et par le Premier ministre, M. Lionel Jospin. J'ai donc pu, au cours de ce séjour, parler avec le président de la République, avec le chef du Cabinet, avec le vice-président, avec le ministre des Affaires étrangères, avec de très nombreux autres ministres ou autres responsables, au cours de réceptions ou de déjeuners. D'autre part, j'ai été reçu par l'ancien président Alfonsin, j'ai pu parler de tous les sujets que je souhaitais aborder, que ce soit l'ensemble des sujets bilatéraux, toute la question plus globale des relations Mercosur-Union européenne et un certain nombre de questions de politique générale, mondiale, notamment en raison de la présence de l'Argentine au sein du Conseil de sécurité, en cette période.
Je repars convaincu que nous allons faire plus et mieux ensemble. C'est un désir partagé et que la responsabilité des gouvernements est de mettre en forme cette attente.
Question concernant l'amende que les douanes argentines pourraient infliger à Renault-Argentine.
R - Je ne suis pas du tout venu pour cela. Je suis venu parce que l'Argentine est un pays important et qu'en tant que ministre des Affaires Etrangères je veux pouvoir parler avec les responsables argentins de tous les sujets que j'ai évoqués. Evidemment, ce point a été abordé parce que c'est un sujet majeur mais je ne suis pas venu pour cela, je n'ai pas à négocier là dessus. Je n'ai pas besoin de rappeler que Renault est l'une des plus grandes entreprises françaises, immensément respectée dans le monde et qu'elle a toute notre confiance. Ça c'est évident. Je voudrais rappeler que nous avons depuis 1991, entre l'Argentine et la France, une convention sur la protection réciproque des investissements et qu'un des principes de base de cette convention c'est le traitement juste et équitable. Vous feriez une grosse erreur si vous pensiez que je suis venu traiter des contentieux. Je pense que l'Argentine est assez importante pour qu'on y vienne pour d'autres raisons.
Q - Allez-vous rapporter à votre gouvernement un message du président de La Rua concernant la sécurité juridique en Argentine ?
R- Je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai dit.
Question à propos de l'annulation d'un appel d'offre par le gouvernement de la province de San Juan concernant la construction d'un casino.
R - Excusez-moi mais je crois qu'il y a un malentendu sur ce qu'est la politique étrangère. J'ai rappelé ce qu'était la convention qui a été signée entre l'Argentine et la France. Ça c'est le point important. Tous les responsables argentins se disent attachés aux notions de stabilité et de sécurité juridique, fondamentales pour les investisseurs étrangers. Donc ma réponse est la même pour toutes ces questions. Ce n'est pas l'objet de ma visite. Est-ce que je dois déduire de vos questions le fait que vous pensez que les seuls sujets sur lesquels l'Argentine peut parler au monde extérieur sont des sujets de contentieux ?
Q - Est-ce que les chefs d'entreprises vous ont mis au courant de ces questions ?
R - Naturellement, nous sommes informés. Il faut remettre ces questions dans leur contexte, contexte de vitalité dans les échanges. Cela nous rappelle à chaque fois l'importance des investissements français que j'ai cités en préambule. Mais la réponse que j'ai faite tout à l'heure est une réponse globale sur ces sujets. Est-ce qu'il y a des questions sur les grands sujets importants ?
Q - Depuis quand était prévue votre visite en Argentine ?
R - Depuis un an. Mais j'avais envie de venir depuis que j'ai été nommé ministre, il y a trois ans. Mais l'emploi du temps des ministres des Affaires étrangères est impossible, très dur. Par exemple en étant ici, chez vous, ce qui me réjouit beaucoup, je n'ai pas pu accompagner la Troïka européenne à Moscou alors que c'était une autre possibilité et je ne peux pas aller non plus aux obsèques du président Bourguiba à Tunis. Donc il y a un an que j'avais ce projet. Puis la guerre du Kosovo a éclaté à ce moment là donc j'ai dû reporter. D'une certaine façon, c'est plus intéressant encore de venir rencontrer une nouvelle équipe.
Q - Allez-vous rencontrer d'autres responsables du Mercosur où allez-vous rentrer tout de suite à Paris ?
R - Non, je vais aller en Uruguay. Je voulais prolonger mais là aussi pour des raisons de temps je ne pourrai aller que dans deux pays. Ça c'est évidemment un grand sujet. Pour des raisons d'équilibre du monde, pour des raisons de multipolarité, pour des raisons de diversité dans le monde nous souhaitons que le Mercosur réussisse. Ça c'est la vision géopolitique. Tout le monde sait que c'est un peu compliqué d'articuler les intérêts économiques, commerciaux et agricoles en particulier entre l'Union européenne et le Mercosur et que donc il faut s'occuper de ce problème sérieusement. Précisément, l'an dernier avant le sommet de Rio, nous avons réussi à passer un accord sur la méthode, pas encore sur le fond, c'est compliqué. Donc nous avons maintenant une méthode de négociation pour aborder toutes ces questions aussi bien agricoles que tout ce qui touche à l'industrie et aux services, les obstacles non tarifaires dans un premier temps, les questions tarifaires après. Donc nous avons un programme de négociation sérieux devant nous et je crois que c'est cela qu'il fallait faire pour avancer.
Question concernant la multipolarité.
R - J'ai fait allusion à un débat qui existe aux Etats-Unis même où certaines personnalités politiques, où certains experts pensent que le poids des Etats-Unis dans le monde actuel est tellement fort que cela va provoquer des retours de bâton. Tous les Américains veulent justement garder cette prédominance américaine et certains d'entre eux acceptent l'idée qu'il y ait, ailleurs dans le monde, d'autres pôles et on voit ce débat à propos de l'Europe. Certains américains étaient très contre la création de l'euro, d'autres l'ont tout à fait acceptée comme étant un élément de stabilité dans le système monétaire mondial. On retrouve ces nuances à propos de la défense européenne aussi. Donc j'ai simplement voulu souligner dans cette intervention que le concept du monde multipolaire n'est pas un concept agressif par rapport aux Etats-Unis et que les choses doivent pouvoir se faire de façon coopérative. De toute façon, l'Europe que nous renforçons régulièrement sera l'amie et l'alliée des Etats-Unis mais nous pensons qu'elle peut avoir sa propre politique, sa propre identité, ses positions et nous pensons que c'est vrai pour d'autres.
Question concernant l'espionnage industriel.
R - La France ne peut pas être favorable à l'espionnage industriel. En plus, elle pense qu'elle n'en a pas besoin.
Question concernant l'amende que les douanes argentines pourraient infliger à Renault.
R - J'ai déjà répondu là-dessus.
Question concernant le siège du Traité de l'Antarctique. La France pourrait-elle faire des démarches auprès de la Grande-Bretagne ?
R - Sur ce point, il y a un dialogue, une négociation entre l'Argentine et la Grande-Bretagne et sur ce point nous nous en remettons à leur sagesse de part et d'autre.
Q - Le président Fernando de La Rua a déclaré dans un entretien au quotidien "El País" de Madrid que le protectionnisme européen fait de la discrimination à l'égard de l'Amérique latine. Pensez-vous que son assertion est exacte ?
R - Ce que j'ai pu constater c'est que le président De La Rua juge, comme moi tout à l'heure, très important le processus de négociation qui s'engage. D'une façon générale, au cours de cette visite, j'ai pu avoir beaucoup d'échanges sur cette question de la politique agricole européenne et des différents marchés et je crois que nous avons pu progresser mutuellement dans la connaissance exacte de la réalité. J'ai eu l'occasion de rappeler que le marché européen est beaucoup plus ouvert que celui de l'ALENA. Quelles que soient les catégories de produits, quels que soient les chiffres, le constat est le même. Mais, curieusement, cela ne se dit pas beaucoup dans ce pays. Je ne sais pas pourquoi.
J'ai aussi eu l'occasion de rappeler que l'an dernier les Européens, à Berlin, quand nous nous sommes mis d'accord sur le financement de l'Europe pour les années 2000-2006 nous avons décidé un certain nombre de modifications importantes de la Politique agricole commune. Je cite deux faits qui vous intéressent, je crois : les subventions à l'exportation et, d'autre part, les interventions sur les marchés, sont deux postes budgétaires qui ont déjà commencé à diminuer sensiblement.
Je ne vais pas reprendre toutes les discussions que nous avons déjà eues. L'Europe est le premier importateur du monde de produits agricoles. Quarante pour cent de vos exportations agro-alimentaires entrent déjà dans l'Union européenne sans droits de douane. Il n'y a que 12% des exportations agricoles du Mercosur qui sont considérées comme sensibles pour les agriculteurs européens.
J'ai le sentiment au cours de cette visite que nous avons progressé dans le diagnostic, la connaissance de la réalité, la connaissance mutuelle. Maintenant, il faut avancer dans la négociation. C'est pour cela que M. Legras était à Buenos Aires. D'après ce que je sais, les négociations ont été très sérieuses. A un moment ou à un autre, plus tard, nous aurons des choix à faire, des concessions. Ce sera vrai pour vous comme pour nous.
Question concernant la parité entre l'euro et le dollar.
R - Je crois que nous n'avons pas assez de recul pour juger l'euro. Je n'ai aucun doute sur le fond. Je n'ai aucun doute par exemple sur le fait que l'euro va devenir la deuxième monnaie de réserve du monde. Quant au positionnement exact de l'euro par rapport au dollar, c'est une affaire conjoncturelle. D'ailleurs, chaque position présente des avantages et des inconvénients. Si l'euro était un peu trop fort, cela présenterait autant d'inconvénients que d'avantages. S'il est un peu en dessous, cela présente autant d'avantages que d'inconvénients. Ce n'est pas là-dessus que l'on peut porter un jugement, sur une innovation qui est historique.
Q - En matière de négociations commerciales, les Européens se permettent certaines choses de leur côté et demandent d'avantage au Mercosur.
R - Les Européens trouvent aussi étrange que les Argentins ne veuillent parler que des exportations agricoles et pas du reste. D'abord, ce n'est pas une négociation entre l'Argentine et la France. C'est une négociation ente le Mercosur et l'Union européenne. Tous les pays du Mercosur n'ont pas exactement les mêmes intérêts que l'Argentine. On le sait très bien. Mais il n'empêche que vous avez une position de négociation. Les Quinze n'ont pas non plus exactement les mêmes positions ou les mêmes intérêts mais il y a une position de négociation. Négocier c'est précisément parler de cela. Chacun parle de son point de vue, de ce qui l'avantage le plus, bien sûr, et essaye de réduire les concessions. A un moment donné, il faut trouver des concessions, une sorte d'équilibre. Il faut l'inscrire dans une dynamique qui permet de trouver un résultat. C'est cela la négociation. Mais nous, nous comprenons que l'Argentine insiste sur l'exportation de ses produits agricoles puisque c'est un de ses points forts. On comprend très bien. En sens inverse, nous souhaiterions que nos positions soient honnêtement décrites. Ce n'est pas une demande extraordinaire que je fais. Je crois que l'on arrivera à progresser.
Question concernant de nouveau Renault.
R - Ce n'est pas la peine, j'ai déjà répondu.
Q - En avez-vous parlé et êtes-vous arrivé à quelque chose de concret ?
R - J'ai déjà répondu.
Question concernant les propos du ministre sur les facteurs d'instabilité dans le monde, tenus lors de sa conférence au Centre argentin des relations internationales.
R - Cela fait partie d'une analyse qui se développe depuis un certain temps. J'ai essayé de comparer le monde de la guerre froide qui était un monde bipolaire, en partie privé de liberté, relativement stable. J'ai dit : qu'est-ce qu'il y a de nouveau dans le monde global ? La position des Etats-Unis qui est unique. D'autre part, plus de liberté et plus d'instabilité, comme on le voit dans les Balkans, en Asie centrale et dans d'autres endroits. Mais l'idée de l'instabilité n'est pas liée aux Etats-Unis mais au monde global et à la fin du système de l'Union soviétique.
Q - Considérant votre voyage, que direz-vous de l'augmentation des échanges entre l'Union européenne et le Mercosur ?
R - Vous savez que les flux commerciaux ne sont pas décidés par les ministres, même les ministres du Commerce. Je vous dis cela parce que le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur va venir en juin et il vous fera la même réponse là-dessus. Le travail des gouvernements est de créer un contexte favorable mais le travail précis d'exportation ce sont les entreprises qui le font.
Q - Existe-t-il un programme précis entre la France et l'Argentine et êtes-vous le porte-parole d'un certain nombre d'entreprises pour présenter un programme avec divers projets concrets ?
R - Non, ce n'est pas le travail des ministres des Affaires étrangères et dans les économies libérales ce n'est pas le travail des ministres en général. C'était comme cela dans le gosplan autrefois mais ce n'est plus comme cela. Je suis convaincu qu'il y a un potentiel de développement des exportations argentines y compris sur le marché européen et que cela doit se faire par des moyens modernes. Il y a des choses à faire, certainement, en ce qui concerne la promotion des exportations, argentines par exemple, auprès des consommateurs européens.
Q - Certains participants à la négociation Union européenne-Mercosur voient votre présence à Buenos Aires avec une certaine méfiance, parce qu'ils disent qu'il ne peut s'agir d'une simple coïncidence le fait que vous veniez en Argentine au moment de l'ouverture de ces négociations. Ils soupçonnent que vous êtes venu négocier, en cachette avec le gouvernement argentin, des accords bilatéraux. Qu'avez vous à répondre à cela et avez-vous négocié des accords bilatéraux ?
R - J'attire l'attention des journalistes argentins sur cette question. Si j'ai bien compris, cela veut dire que les autres européens soupçonnent la France de préparer des accords trop favorables à l'Argentine. Vous voyez que les choses sont plus compliquées qu'on ne peut croire. Mais, en réalité, les ministres des Affaires étrangères ne négocient pas des accords commerciaux, surtout en cachette. Donc tout cela est une pure coïncidence. J'ai appris la présence de M. Legras à Buenos Aires, je crois 48 heures avant de partir. Je l'ai croisé à la réception chez l'ambassadeur où il y avait des centaines d'invités français et argentins. Je lui ai dit : comment ça va ? Il m'a dit : nous progressons. Je lui ai dit bon courage.
Si on veut changer le mandat des négociations, cela ne se fait pas en douce, cela se fait dans une discussion à quinze, normale.
Je rappelle pour conclure que les relations entre la France et l'Argentine et entre l'Union européenne et le Mercosur ne doivent pas se ramener à ce seul problème, même s'il est très important. Sur ce point il y a une négociation. Je pense que cette négociation nous permettra d'avancer. Mais je voudrais qu'en plus on pense à tout le reste et qu'on développe nos relations politiques, diplomatiques, culturelles et scientifiques en matière de formation, les échanges intellectuels. Il y a un tel potentiel de sympathie entre la France et l'Argentine que ce que nous pouvons faire est formidable sur tous ces plans. Donc il faut avoir une vision peut-être plus large de tout ce que nous pouvons faire ensemble. Merci.
(source http://diplomatie.gouv.fr, le 14 avril 2000)