Interview de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice, avec BFM et RMC le 8 mars 2016, sur la réforme du Code du travail et sur les priorités en matière de Justice.

Prononcé le

Média : BFM - Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invité ce matin est Jean-Jacques URVOAS. Bonjour.
JEAN-JACQUES URVOAS
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Vous avez succédé à Christiane TAUBIRA. Dites-moi, vous êtes socialiste ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas facile en ce moment, non, d'être socialiste ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Gouverner, ce n'est jamais facile. Je ne crois pas d'ailleurs qu'on m'ait mis pour gouverner, puisqu'on m'a mis pour apporter des solutions, donc je vais essayer d'en faire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Nous allons parler de la réforme du Code du travail et ensuite de toutes les questions de justice évidemment : les prisons, le projet de loi que vous défendez aujourd'hui à l'Assemblée nationale, enfin qui sera voté à l'Assemblée nationale – oui ou non, nous verrons. Mais Jean-Jacques URVOAS, sur la réforme du Code du travail, que veut François HOLLANDE ? Je vous pose cette question parce qu'il y a eu, vous allez me confirmer – un dîner récemment autour de Manuel VALLS. Vous étiez présent à ce dîner, Jean-Jacques URVOAS.
JEAN-JACQUES URVOAS
J'ai vu ça. Je suis toujours un peu amusé parce que des dîners, il y en a tous les jours. Il y a même des déjeuners, il arrive même qu'il y ait des petits déjeuners.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous étiez présent à ce dîner.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, mais c'était un dîner où nous avons discuté de tout, de ce problème-là comme d'autres. Je veux dire, c'est des collègues de travail.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le Premier ministre a souhaité que le président de la République s'implique un peu plus, non, dans le projet de loi de réforme du Code du travail. C'est vrai ou pas ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Depuis que je suis ministre, je découvre que ce que je lis dans les journaux n'a pas grand-chose à voir avec ce que je vis dans ma vie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah bon ? Donc c'est faux.
JEAN-JACQUES URVOAS
Ce dîner a eu lieu, nous avons parlé de beaucoup de choses et au final, de quoi l'essentiel ? C'est qu'est-ce que nous faisons au gouvernement. Quelle est notre responsabilité ? Vous me disiez il y a un instant que je suis garde des Sceaux. Je n'ai pas été nommé garde des Sceaux pour faire des commentaires. J'ai été nommé pour faire, et donc chacun dans nos domaines nous faisons. Et nous avons évoqué les projets que nous avions et les difficultés que nous rencontrions. Parce que, oui, il y a des difficultés parce que réformer ce n'est pas facile.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Est-ce que la loi dite El Khomri sera retirée ? C'est ce que demandent beaucoup d'opposants à cette loi.
JEAN-JACQUES URVOAS
Je vous ai entendu tout à l'heure sur RMC : vous protestiez contre le propos de Jean-Christophe CAMBADELIS qui disait : « Il n'y a pas de retrait parce qu'il n'y a pas de texte ». Reconnaissons que formellement c'est vrai, on discute pour le moment d'un avant-projet.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il disait : « Il n'y a pas matière à débat ».
JEAN-JACQUES URVOAS
Il y a toujours matière à débat. Il y a un avant-projet et un avant-projet, ça veut dire que c'est un avant-le projet. Le projet, il va venir quand ? Devant le conseil des ministres. Quand ? Quand le Premier ministre et la ministre du Travail auront discuté avec des partenaires sociaux. Il sera adopté puis ce n'est pas la fin. Il y aura après l'Assemblée nationale, on va en parler pour un texte que je défends justement sur les moyens de la justice. Et puis après il y aura le Sénat, et puis après il y aura une commission mixte paritaire, et puis après il y aura un vote définitif. Donc on est loin du processus…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc tous ceux qui protestent, protestent à tort.
JEAN-JACQUES URVOAS
Non. C'est toujours utile…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sur un texte qui n'est pas le bon texte.
JEAN-JACQUES URVOAS
Jamais. C'est toujours utile de montrer sur quoi il y a des difficultés. Mais au final, vous savez, moi je suis surpris dans ce débat parce qu'il y a une voix qu'on n'entend pas : celle des jeunes précaires, celle des chômeurs parce qu'ils ne sont pas organisés. On a tous dans notre famille quelqu'un qui est au chômage ou qui a été au chômage. Vous savez, on nous dit souvent que contre le chômage, on a tout essayé, ou alors on ne peut rien faire. Là, il y a quelque chose qui est tenté. Ce n'est pas facile mais dans tous les pays d'Europe, ça a été tenté.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc, question de fond : est-ce que vous pensez, vous affirmez ce matin que ce projet de loi, que ce texte s'il est adopté, fera baisser le chômage en France ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais c'est l'ambition. Evidemment que c'est l'ambition. On nous dit : c'est un texte qui va accroître la précarité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'ambition c'est une chose, l'objectif c'est une chose mais vous pensez qu'il est nécessaire, indispensable et qu'il sera efficace ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Moi je pense qu'il est indispensable d'agir parce que quand vous êtes jeune aujourd'hui et que vous entrez sur le marché du travail, pour 89 % de ceux-là on rentre par un CDD. Et qu'aujourd'hui la précarité, c'est surtout de ne rien faire. Et je crois qu'on a raison de tenter, mais bien sûr qu'il faut affiner.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Alors plafonnement des indemnités aux prud'hommes en cas de licenciement. Vous êtes concerné par les prud'hommes. Oui, ce sera maintenu ce plafonnement ?
JEAN-JACQUES URVOAS
C'est discuté. C'est discuté parce que les organisations syndicales…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors vous, vous êtes favorable au maintien de ce plafonnement puisque les prud'hommes, ça vous concerne.
JEAN-JACQUES URVOAS
Bien sûr. Dans ce domaine comme dans d'autres, je suis toujours partisan que la loi soit prévisible. Parce que quand une entreprise est contrainte de licencier, c'est assez stupide de lui demander juste après le licenciement des éléments pour encore plus l'enfoncer. Une entreprise quand elle licencie, c'est parce qu'elle a besoin de licencier. Quand on embauche, ce n'est pas dans la perspective de licencier. Donc il faut de la prévisibilité pour l'employeur mais pour le salarié aussi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc plafonnement des indemnités aux prud'hommes ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Ç'a été voté une fois par l'Assemblée nationale, c'était dans la loi Macron.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous y êtes favorable.
JEAN-JACQUES URVOAS
Moi je suis favorable au fait qu'on en discute.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais vous êtes favorable à la discussion, d'accord, mais vous êtes favorable au plafonnement. Après, nous verrons.
JEAN-JACQUES URVOAS
Je suis favorable à tout élément qui permet de rendre la loi prévisible. C'est l'essentiel.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc le plafonnement, ça permet de rendre les choses prévisibles.
JEAN-JACQUES URVOAS
Le plafonnement est une indication. Ce n'est pas nécessairement une contrainte. Ça permet au juge, dans le cas d'espèce au juge des prud'hommes… Vous savez, moi dans ma partie…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Un plafonnement, ce n'est pas une contrainte ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, ce n'est pas une contrainte. C'est une indication. Ça peut être un plancher, ça peut être un plafond, ça peut être un encadrement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Un plafonnement, c'est un plafond. Oui, c'est un plancher.
JEAN-JACQUES URVOAS
Prenons un autre terme. Une règle et des perspectives, un écart, je ne sais pas. Je ne suis pas dans la négociation. Moi mon sujet, Jean-Jacques BOURDIN, sur les prud'hommes, c'est qu'aujourd'hui personne ne va aux prud'hommes par hasard ni par envie. Ni le patron, ni le salarié. Aujourd'hui quand vous allez aux prud'hommes, c'est dix-huit mois. Dix-huit mois. Vous pensez que c'est sain pour quelqu'un qui est dans cette situation…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc le plafonnement va permettre d'accélérer les choses ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Le plafonnement permet à une entreprise qui se dit : « Je n'ai plus suffisamment de commandes. J'ai besoin d'avoir un ajustement », le patron qui ne licencie jamais par hasard ni par plaisir dit : « Voilà ce que ça va me coûter », et après on mesure. On a l'impression qu'on invente la machine à courber les bananes, mais ce sont des choses qui existent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
« Ce texte est dangereux pour les droits des salariés ».
JEAN-JACQUES URVOAS
Je ne le crois pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Martine AUBRY qui le dit.
JEAN-JACQUES URVOAS
Je pense que Martine AUBRY se trompe.
JEAN-JACQUES BOURDIN
« C'est un permis de licencier » dit-elle aussi.
JEAN-JACQUES URVOAS
Je pense qu'elle se trompe à nouveau, mais c'est utile qu'elle le dise. Comme ça, ça permet de préciser les choses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien, bien. Je vais changer de sujet : les prisons. Vous avez promis de créer douze mille places de prison – c'est bien cela ? – supplémentaires en dix ans. C'est bien cela ?
JEAN-JACQUES URVOAS
J'ai dit à l'Assemblée nationale à une question qui m'était posée que si nous voulons en 2025 atteindre l'objectif fixé par le législateur de 80 % des détenus dans des cellules individuelles, il faudrait construire douze mille places. Et j'ai aussi dit que ça pouvait coûter autour de deux à trois milliards d'euros.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Deux à trois milliards d'euros sur dix ans.
JEAN-JACQUES URVOAS
Avant 2025.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc douze mille places, il va falloir construire des prisons.
JEAN-JACQUES URVOAS
L'objectif est d'atteindre ce que la loi…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc construire des prisons.
JEAN-JACQUES URVOAS
Construire des places de prison bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc des places de prison mais construire des prisons.
JEAN-JACQUES URVOAS
Evidemment. Nous en construisons.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Combien ? Combien de prisons devraient être construites ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Je ne peux pas vous dire ça, parce que ça sous-entend que je sais combien il y a de places dans chaque prison. Nous construisons tous les jours des places de prison. Je vais aller au mois de juillet inaugurer une prison qui est en train d'être construite. Ça met énormément de temps. Vous savez, je trouve là dans mon escarcelle une prison à Lutterbach. C'est autour de cinq cents places je crois, cinq cent vingt places. Les premières études, c'est il y a deux ans. L'inauguration est prévue dans trois ans, donc ça met énormément de temps. Donc il faut lancer les chantiers. Lancer les chantiers, c'est quoi ? C'est d'abord trouver le financement. Si vous avez deux milliards à me donner à l'instant, moi je dis OK. On ne les a pas, donc il faut trouver les financements, trouver les endroits. Notre société n'assume plus ses prisons. Il y a quelques années, décennies, siècles, la prison était au coeur de la ville. Aujourd'hui, on la met au milieu des champs de betteraves, comme si on ne voulait pas voir. Ce sont des espaces de relégation. Moi, je crois au sens de la prison. C'est-à-dire je pense qu'une société ne peut pas vivre sans prison et il faut donc qu'une fois qu'on incarcère quelqu'un, qu'on le prive de liberté – ce qui doit être la sanction ultime – il faut donner du sens. Nos prisons sont pleines.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elles sont même plus que pleines bien souvent.
JEAN-JACQUES URVOAS
Elles sont sur-pleines bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elles sont sur-pleines. Alors très bien, vous allez construire des places de prison, mais dans l'immédiat, que faites-vous ? Qu'allez-vous faire pour désengorger, pour lutter contre cette surpopulation carcérale qui est insupportable ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Dans la seconde, je ne peux rien faire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas dans la seconde mais dans les semaines qui viennent.
JEAN-JACQUES URVOAS
Dans les semaines qui viennent, c'est d'abord assumer le fait qu'il faut construire des prisons. Je n'ai pas de tabou dans ce domaine. Ensuite, il faut évidemment regarder l'évolution de notre politique pénale. Est-ce que tous les délits doivent être sanctionnés tout de suite par la privation de liberté ? Moi, je ne le crois pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors quelles initiatives ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Permettez-moi de vous dire que la surpopulation des prisons ne concerne pas toutes les prisons. Il y a aujourd'hui dans nos prisons trois mille places de vides.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais c'est incompréhensible.
JEAN-JACQUES URVOAS
C'est incompréhensible. Pourquoi c'est incompréhensible ? Parce que ce qui est la surpopulation, ce sont dans les maisons d'arrêt. C'est-à-dire dans ceux qui sont réputés innocents, ceux qui sont prévenus, qui ne sont pas encore sanctionnés. Par contre dans les établissements pour peines, parce que nous n'avons pas toujours une conformité de la géographie de nos prisons et de la géographie des sanctions.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc si j'ai bien compris, il y a un amendement qui a été voté, qui prend en compte le taux d'occupation de la prison.
JEAN-JACQUES URVOAS
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Cet amendement a été battu parce que le gouvernement, j'ai eu l'honneur de le dire, a déposé…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous voulez la suppression de cet article.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui. Oui, parce que qu'est-ce que disait cet amendement ? Cet amendement disait : quand on est dans une prison surpeuplée, les détenus doivent bénéficier de réduction de peine.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes contre ça. Vous étiez contre ça.
JEAN-JACQUES URVOAS
J'ai trouvé ça hallucinant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors comment faites-vous ? Comment faites-vous pour faire en sorte que ceux qui n'ont pas encore condamnés n'aillent pas en prison ? Certains, certains.
JEAN-JACQUES URVOAS
Merci de cette question parce qu'elle va me permettre de dire ce que c'est qu'un garde des Sceaux. Le garde des Sceaux, ce n'est pas celui qui décide qu'on va lancer une poursuite. Ce n'est pas celui qui décide de la sanction. Quand vous allez divorcer, ce n'est pas devant le garde des Sceaux. Moi, je ne reçois pas les gens tous les matins me dire : « Je vais divorcer », c'est le juge qui fait cela. Donc celui qui décide d'incarcérer, c'est le juge. Moi mon sujet de ministre de la Justice, c'est d'avoir une politique pénale, c'est de fixer des règles. Après, les juges dans leur indépendance – dans leur indépendance. Moi, je ne suis pas le ministre qui décide des sanctions. Ils sont indépendants. Et on va le faire encore mieux puisque nous allons redéposer le texte sur l'indépendance du parquet, c'est-à-dire de ceux qui poursuivent, parce que nous avons besoin de ça. Il faut modifier la constitution. Il faut que les juges sanctionnent et engagent les poursuites de manière indépendante. Je suis le cinquième garde des Sceaux – ce n'est donc pas que la gauche – cinquième garde des Sceaux qui ne donne pas de consignes sur des nominations. Depuis 2013, nous ne donnons plus d'indications sur les affaires privées.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Alors là, je vais y revenir à la réforme du CFCM et à la réforme du statut du Parquet. Je vais en parler avec vous.
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais je reviens à votre question. Moi mon sujet, c'est de construire une politique pénale. C'est-à-dire je dois mettre sur la table à la disposition du magistrat tous les outils pour qu'ils disent : à ce délit-là, à ce crime-là, voilà ce que doit être la sanction.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Justement, est-ce que vous allez engager la fameuse réforme de la justice des mineurs ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Bonne question.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que Christiane TAUBIRA était venue, je me souviens, au mois de juin dernier et m'avait dit : « Si on ne la fait pas, je n'assumerai pas ». Puis elle est partie.
JEAN-JACQUES URVOAS
Moi, je suis un garde des Sceaux à qui on a confié cette responsabilité pour agir. Pour agir, ça veut dire qu'il faut partager le diagnostic. Est-ce que la justice des mineurs aujourd'hui fonctionne bien ? Le jugement n'est pas aussi simple que ça. Oui pour l'essentiel. 80 % de ceux qui viennent devant un juge des enfants n'y reviennent jamais. On ne le sait pas assez pour une raison précise : c'est que la juridiction des mineurs se déroule à huis-clos et tant mieux. Parce que quand on a douze ans, quinze ans, seize ans, on n'est pas encore totalement un homme : on est en construction, et donc on peut faire des erreurs. Donc c'est bien que la sanction vienne remettre dans le droit chemin, mais il y a aussi le 20 % de ceux qui font des bêtises et qui reviennent. C'est ceux-là qui m'intéressent. Ceux-là, est-ce que par exemple le fameux…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que l'incarcération aggrave la récidive.
JEAN-JACQUES URVOAS
Ça peut arriver et ça peut aussi être un moment où on se met devant ses responsabilités et une fois qu'on a pris connaissance de ça, conscience de ça… Mais la justice des mineurs, monsieur BOURDIN…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y aura une réforme ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Il y aura une réforme si on partage le diagnostic. Moi, je suis prêt à la réforme pour une raison très simple.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avant la fin du quinquennat ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Le président de la République a dit en 2013 devant la cour de cassation – ce n'est pas le mauvais endroit pour dire les choses comme ça – devant la cour de cassation, il a dit qu'il était favorable à ce qu'on regarde à nouveau cette question. Pourquoi ? Vous savez, c'est l'ordonnance de 45 comme on dit.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord. Il est favorable la question. Est-ce qu'il y aura une réforme avant la fin du quinquennat ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais je vous dis que je suis prêt. Je suis prêt à déposer un projet de loi pour en débattre pour une raison très simple. C'est que dans les textes qui aujourd'hui régissent la juridiction des mineurs, il n'y a pas de place pour la victime par exemple. Elle n'existe pas dans le texte de 1945. On a une justice des mineurs qui est trop lente. Comment donner une dimension pédagogique à une sanction si ça intervient deux ans, trois ans après la sanction. Donc il faut raccourcir, il faut la simplifier, il faut la raccourcir.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Est-ce que vous allez supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui. Oui, oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ces tribunaux correctionnels pour mineurs seront supprimés ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui. Pourquoi ils seront supprimés ? Parce que, 1°) d'abord aujourd'hui ils ne concernent qu'un pourcent des condamnations des mineurs – un pourcent. 2°) Tous les magistrats – invitez n'importe quel magistrat, il vous dira que ce sont des créations qui embouteillent les tribunaux, et mon problème à moi c'est de simplifier la vie des magistrats – et donc parce que ça sature, ça asphyxie, pour des sanctions dont on nous disait qu'elles allaient être plus dures. Non. Là aussi, une étude a été conduite pour dire : « Alors, qu'est-ce que ça devient ces tribunaux correctionnels ? » Ce n'est pas plus ni moins sévère que les juridictions antérieures. Donc supprimons ça parce que c'est lourd, c'est pesant et ça ne fonctionne pas, pour revenir à quelque chose qui est plus simple, plus fluide et plus rapide.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jean-Jacques URVOAS, réforme donc du Conseil supérieur de la magistrature. Oui ou non ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quand ?
JEAN-JACQUES URVOAS
6 avril.
JEAN-JACQUES BOURDIN
6 avril. Le 6 avril, vous proposerez cette réforme.
JEAN-JACQUES URVOAS
Le 6 avril, ce texte qui est en carafe depuis trois ans reviendra à l'Assemblée nationale et je demanderai à la majorité de l'Assemblée nationale d'adopter le texte que le Sénat a adopté il y a trois ans.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Ça veut dire quoi ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Ça veut dire que les parquets, c'est-à-dire les autorités de poursuite, ceux qui sont le ministère public comme on dit, ils vont pouvoir dorénavant être pleinement constitutionnellement indépendants. Ils sont déjà indépendants. Moi comme garde des Sceaux, je ne donne aucune consigne. Aucune consigne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais les procureurs sont nommés par le gouvernement.
JEAN-JACQUES URVOAS
Les procureurs sont nommés par le gouvernement, mais sur avis conforme dorénavant du Conseil supérieur de la magistrature.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et qu'est-ce qui va changer ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Qu'on comprenne bien, parce que vous et moi arrivons à nous entendre mais peut-être que vos auditeurs et téléspectateurs… Aujourd'hui un procureur est nommé évidemment par le pouvoir. Bien. Mais il le fait sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature qui est une structure où le gouvernement n'a pas sa place, le gouvernement ne siège pas. Aujourd'hui, je pourrais parfaitement – j'en ai le pouvoir – dire : « La proposition que vous me faites ne me va pas. Je vais nommer monsieur X parce que je le trouve plus sympathique » Je ne le fais pas. Je ne le fais pas parce que justement, je respecte l'indépendance de la magistrature.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous pouvez.
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais un garde des Sceaux différent pourrait le faire. Avec la réforme que nous allons voter, dans la constitution, c'est le Conseil supérieur de la magistrature parce qu'il aura un avis conforme qui décidera qui sont les procureurs. Et c'est tant mieux parce que quand vous êtes un justiciable, vous devez avoir la garantie que celui qui vous engage d'une poursuite et celui qui vous juge le fait sans aucune influence de l'extérieur.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais qui choisit les membres du Conseil supérieur de la magistrature ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Les magistrats. Ils sont élus pour la moitié d'entre eux par le corps des magistrats, et l'autre ce sont des personnalités qui sont nommées.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui sont nommées ? Et par qui ? Par le pouvoir politique ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Il y a plusieurs catégories. Dans le texte tel qu'il était à l'origine par le gouvernement, on proposait que ce soit des majorités de l'Assemblée nationale et du Sénat au-delà du caractère partisan qui puissent le faire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça, c'est la réforme pour le 6 avril, on est bien d'accord.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Aujourd'hui, vote en première lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement. Jean-Jacques URVOAS, justement cette réforme renforce les pouvoirs des procureurs.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Ils pourront garder la main sur les enquêtes.
JEAN-JACQUES URVOAS
Ils pourront enquêter à charge et à décharge, ce qui est nouveau. A charge et à décharge.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, et comme un juge d'instruction.
JEAN-JACQUES URVOAS
Comme un juge d'instruction.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ils pourront même presque remplacer les juges d'instruction.
JEAN-JACQUES URVOAS
Non. Ils vont éviter là encore – j'ai un fil conducteur dans l'action. Vous savez, j'ai quatorze mois pour agir. Quatorze mois pour agir, ce n'est pas beaucoup et il y a beaucoup de choses à faire. Donc moi, je me suis fixé trois missions. Simplifier, c'est-à-dire faire que les juges s'occupent de ce qu'ils savent faire. Là où il y a de la plus-value, il faut permettre au juge de travailler, donc il faut le décharger de plein de choses. Dans ce texte, il y a beaucoup d'éléments de simplification. Sur les histoires de procureur et de juge de l'instruction, les juges de l'instruction ça ne concerne aujourd'hui que trois à cinq pourcent des affaires les plus compliquées et il faut qu'ils aient le temps. Mais pour beaucoup d'affaires, le procureur peut parfaitement agir dans… S'il agit à charge et à décharge.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais il va pouvoir utiliser les fameuses valises antennes par exemple, il va pouvoir demander la sonorisation, la vidéosurveillance, la captation des données informatiques. Oui, le procureur.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui. Sous le contrôle d'un autre juge qu'on appelle le juge de la liberté et de la détention.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Qui ne fera pas vraiment le poids peut-être face au procureur, non ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mon travail à moi comme ministre de la Justice, c'est de donner les moyens à ce juge de la liberté et de la détention. Parce que, je n'ai pas encore eu l'occasion de dire que mon unique obsession pendant quatre mois, c'est l'argent. C'est de faire que la justice ait des moyens.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez les moyens ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Aujourd'hui non. Non, je n'ai pas les moyens. Vous savez, j'ai cherché tout ça. Je veux être vraiment très précis parce que je ne suis pas là pour me faire plaisir. Je suis là pour être utile. Il y a vingt-cinq mille personnes – vingt-cinq mille personnes – qui chaque jour passent la porte d'un palais de justice. Quatre millions par an. Ces citoyens qui contribuent par leurs impôts au fonctionnement de la justice, ils doivent avoir un service public de qualité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Un service public qui parfois rend un jugement trois ans après.
JEAN-JACQUES URVOAS
Voilà, et donc tout le monde est malheureux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Tout le monde est malheureux ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Le justiciable, le magistrat, le greffier, le personnel administratif. Le mot que j'ai le plus entendu depuis un mois et quelque que je suis ministre, c'est la souffrance. Je ne rencontre que des magistrats, des greffiers, des personnels administratifs en souffrance.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais si vous n'avez pas d'argent, comment allez-vous faire ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais justement, mon travail c'est d'arriver à convaincre le Premier ministre, le ministre du Budget de la nécessité et j'avance avec des arguments.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est vrai ? Ça y est, vous allez avoir une rallonge là ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Ecoutez, jugez-moi sur les actes. Réinvitez-moi dans trois mois et vous verrez si, au moment de la loi de finances rectificative qui sera sans doute déposée, je pourrais avoir un peu d'argent. J'en ai besoin.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous en aurez ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais j'espère que j'en aurai. Je l'ai dit souvent, pardon de le répéter ici mais chaque Français consacre soixante-et-un euros au fonctionnement de la justice. Un Allemand, cent quarante-quatre euros. Nous en avons besoin, pour que la justice fonctionne mieux, sinon les tribunaux sont asphyxiés, les personnels sont en souffrance, et les justiciables sont mécontents.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Deux questions pour terminer. Proposition de loi sur les femmes battues défendue par la députée les Républicains Valérie BOYER qui était avec nous tout à l'heure instituant une atténuation de la responsabilité pénale des femmes battues. Vous êtes prêt à soutenir ce texte ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Moi, je suis prêt à tout faire pour que ce fléau de la violence soit supprimé ou soit atténué et soit sanctionné quand elle est commise.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est une bonne idée ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Je ne sais pas si c'est une bonne idée, c'est une idée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Atténuer la responsabilité pénale.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui. Mais j'ai aussi entendu tout à l'heure sur RMC, vous avez invité une psychiatre je crois, qui disait que c'est compliqué tout ça à définir pour des spécialistes. Donc la proposition de madame BOYER n'est pas encore inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, elle le sera aujourd'hui.
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, non, non. Elle le dépose aujourd'hui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, elle n'est pas inscrite, oui c'est vrai.
JEAN-JACQUES URVOAS
Tout à l'heure nous nous sommes croisés dans votre couloir.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et alors ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Je lui ai demandé si le texte viendrait, elle me dit : « Dans un autre projet que j'aurai l'occasion de défendre début mai », qui s'appelle la Justice du XXIème siècle. Nous en discuterons à ce moment-là. Moi, je n'écarte jamais d'un revers de main une proposition d'où qu'elle vienne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Est-ce que la liberté conditionnelle de Jean-Marc ROUILLAN, l'ancien leader d'Action Directe, terroriste en son temps dans les années 80.
JEAN-JACQUES URVOAS
Condamné pour crime.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Condamné pour crime, est-ce que cette liberté sera révoquée ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Je vous renvoie à ce que j'ai dit il y a cinq minutes. Ce n'est pas le garde des Sceaux qui sanctionne. Moi mon travail, c'est de faire que le magistrat qui aura à se prononcer…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous souhaitez cette révocation après les propos tenus et qu'il conteste d'ailleurs aujourd'hui ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, non. Ne demandez pas au ministre de la Justice de faire le travail d'un juge. Moi je constate que ce monsieur a tenu des propos qui sont inqualifiables. Le Parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire qui va enquêter pour savoir si c'est une apologie du terrorisme. Le tribunal correctionnel jugera. Si le tribunal correctionnel dit : oui, c'est de l'apologie du terrorisme, alors ce sera une infraction. Monsieur ROUILLAN a une libération conditionnée, elle peut être supprimée s'il commet une nouvelle infraction. Si donc le tribunal décide qu'il y a une nouvelle infraction, il est logique que le tribunal d'application des peines – pardon d'être précis – supprime. Mais monsieur ROUILLAN est un récidiviste puisqu'en 2008, il était déjà sous libération conditionnée, il a commis une nouvelle infraction et sa libération a été supprimée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Jean-Jacques URVOAS.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 mars 2016