Déclaration de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, sur la mise en place d'un cadre juridique nécessaire au développement du commerce électronique et d'internet, Paris, le 20 mai 1999.

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Circonstance : Colloque Internet et les libertés à la Cour d'Appel de Paris, le 20 mai 1999

Texte intégral

Monsieur le Président de Droit et Démocratie,
Messieurs les élus,
Messieurs les Présidents des juridictions judiciaires et administratives,
Mesdames et Messieurs les magistrats,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Le Président Jacques RIBS a souhaité me voir dresser une synthèse de vos travaux, en plus des " réponses politiques " que je dois vous apporter. Cette synthèse me semble difficile : d'abord du fait de mon absence lors de vos débats, que vous excuserez, - je pense - tous aisément, compte tenu de mes obligations ministérielles ; ensuite à cause de la richesse des participations et de la diversité des intervenants. Mais je sais que Droit et Démocratie, sous la houlette de notre ami RIBS, publiera les actes de ce colloque dans des délais relativement courts. Ces actes permettront - j'en suis sûr - à tous les participants de faire le bilan et d'apprécier les perspectives dégagées lors de cette rencontre, à une période essentielle du développement d'internet...
Le Premier ministre a souhaité que le droit s'adapte rapidement à internet. Il y a six mois, un rapport intitulé " internet et les réseaux numériques " lui a été remis par le Conseil d'Etat. Pour notre part, avec Dominique STRAUSS-KAHN, nous avons confié à M. Francis LORENTZ la présidence d'une Mission " Commerce électronique ", dont les conclusions ont été rendues le 4 février. Le Secrétariat d'Etat à l'Industrie participe activement aux discussions internationales, et en particulier européennes, sur internet.
De l'ensemble de ces travaux, trois constats s'imposent. Premièrement, internet n'est pas un espace de non-droit. Les règles existantes en matière commerciale doivent, pour l'essentiel, continuer de s'y appliquer. Il n'y a pas lieu de créer un droit spécifique à internet. Deuxièmement, un cadre réglementaire minimal, mais contraignant, est nécessaire pour assurer et garantir les droits fondamentaux des personnes et la sécurité juridique des transactions électroniques. Enfin, troisièmement, il serait illusoire de vouloir encadrer de manière trop précise des technologies et des marchés caractérisés par leur rapidité d'évolution. La responsabilisation des acteurs du marché
- fournisseurs et consommateurs -, de même que le développement de l'autorégulation, sont dès lors indispensables.
Ainsi donc, les pouvoirs publics doivent mettre en place un cadre légal propice à l'instauration de la confiance, sur le territoire national comme - j'y insiste - dans les enceintes européennes et internationales. En clôture de ce colloque, je souhaite évoquer quel devrait en être le contenu : à savoir le commerce électronique (1), le droit d'auteur et les droits voisins (2), la protection des données personnelles (3) et la cryptologie (4).

1. Commerce électronique
Une proposition de directive européenne sur les enjeux juridiques du commerce électronique est en cours de négociation. Elle concerne non seulement les échanges entre entreprises et consommateurs, mais aussi les échanges inter-entreprises. Elle vise à résoudre des problèmes importants pour les acteurs économiques. Le texte actuel comporte plusieurs dispositions, qui me semblent opportunes ; d'autres devront encore être discutées. J'en soutiens les principes de base et je souhaite un accord rapide.
Dans ce cadre, la question de la responsabilité des intermédiaires techniques - opérateurs d'hébergement, de télécommunications et de cache - doit être clarifiée. Il convient de traiter les services d'internet dans leur diversité et d'utiliser les régimes propres à l'édition - notamment à la presse - pour les seuls services relevant de l'édition de contenu. Le prestataire technique n'est pas, en effet, en mesure de réaliser pratiquement un contrôle sur l'information. La proposition de directive " commerce électronique " traite d'ailleurs de la limitation de leur responsabilité.
L'actualité nous le rappelle avec une récente décision de justice concernant le fournisseur d'hébergement ALTERN : le régime juridique applicable à internet doit encore être adapté. Un équilibre doit être trouvé entre la liberté d'expression et le respect des droits essentiels, comme la protection de la vie privée. Au plan législatif, les principes de cet équilibre sont en cours de discussion aujourd'hui même, dans le cadre du débat parlementaire sur la loi audiovisuelle. La responsabilité sur les contenus devrait ainsi incomber aux éditeurs des sites, et non pas aux intermédiaires techniques. La déclaration des sites Web auprès du Conseil supérieur de l'audiovisuel va d'ailleurs dans ce sens. Cette exonération de responsabilité s'applique notamment aux activités d'hébergement. Elle devrait être liée, de la part de l'intermédiaire, d'un côté à un devoir de réaction appropriée, et de l'autre à l'absence de participation de l'hébergeur à la définition du contenu. Par ailleurs, la loi devrait préciser que l'hébergeur de site doit fournir à la justice les éléments dont il dispose et qui permettraient d'identifier l'auteur. Par delà ces principes législatifs, il convient de favoriser l'adoption de règles déontologiques propres aux prestataires techniques. Des organismes d'autorégulation trouveraient ici un rôle majeur à jouer.
L'Etat est le garant de la protection des consommateurs sur internet. La réglementation est à même d'établir et d'entretenir des relations de confiance, sans lesquelles il ne saurait y avoir ni échange ni commerce. La mise en place d'une réglementation protectrice du consommateur favorisera l'usage du commerce électronique et, partant, profitera bien aux professionnels eux-mêmes. Deux points me paraissent fondamentaux : l'information du consommateur et la mise en place, ou le renforcement, de moyens de recours rapides et efficaces en cas de litiges. Les dommages sur internet se propagent très vite : une attention particulière devra être portée au règlement des litiges trans-frontières, ou nés avec un partenaire européen. Enfin, les contrats électroniques prendront, à terme, la même valeur que les contrats dits " classiques ". Il faudra s'assurer que le consommateur est correctement informé sur les modalités de formation d'un tel contrat, par exemple sur le moment précis auquel il est conclu. Il devra aussi disposer de moyens rapides pour corriger ses erreurs de manipulation, courantes - je parle d'expérience - sur un terminal informatique.
La reconnaissance juridique d'un document sous forme électronique, la certitude que l'information a bien été envoyée par l'émetteur annoncé - authentification de l'origine - et qu'elle n'a pas été modifiée au cours de son transfert - intégrité de l'information - sont des problèmes réels, dès lors qu'une transaction a lieu sur un support de communication ouvert comme l'est internet. La signature électronique permet de résoudre, suivant les technologies utilisées, tout ou partie de ces problèmes. La Commission européenne a bien identifié l'importance des signatures électroniques pour le développement du commerce électronique. Elle a proposé une directive en mai 1998. L'utilisation des signatures électroniques doit être facilitée, d'une part, par leur reconnaissance juridique et, d'autre part, par la libre circulation des services de certification associés. Je me réjouis que cette directive ait été adoptée par le Conseil des ministres des télécommunications du 22 avril dernier au sein duquel je représentais la France. Comme le Premier ministre l'avait annoncé lors du Comité interministériel pour la société de l'information du 19 janvier dernier, une modification du code civil est en cours d'étude en France, visant à assurer, avec toutes les garanties nécessaires, la valeur probante des documents et des signatures électroniques. Cette modification fait l'objet d'un projet de disposition législative, élaboré par le ministère de la Justice, et portant adaptation du droit de la preuve aux nouvelles technologies et à la signature électronique. Ce projet est en cours de discussion au niveau interministériel.
2. Droit d'auteur et création salariée
Une proposition de directive sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information est en cours d'examen par les Etats membres. En matière de droits d'auteurs, l'activité de transmission simple - activités de " caching " notamment - ne peut s'accompagner d'aucune rétribution par les opérateurs. Il faudra clairement préciser que seul l'éditeur d'un site est dans la situation d'exploitant commercial de l'uvre : c'est à lui, et à lui seul, qu'incombe la responsabilité de disposer des droits nécessaires - droits patrimoniaux - et de l'accord de son auteur
- droit moral -, pour mettre à disposition une uvre sur son site. A lui seul, incombe également la responsabilité de réaliser l'information des intermédiaires techniques, ainsi que de l'utilisateur final, pour faire connaître l'exploitation qui peut être faite de l'uvre ainsi mise à disposition.
En outre, la question de la création salariée doit être réglée, de manière à sécuriser l'exploitation commerciale des uvres par les sociétés productrices. Il s'agit là d'une condition sine qua non du développement des investissements dans le secteur multimédia en France. C'est là un domaine dans lequel je souhaite, de concert avec Catherine TRAUTMANN, pouvoir rapidement clarifier le droit applicable. Nous réunirons début juin les acteurs concernés pour évoquer ces questions.
3. Protection des données personnelles
La France, depuis la création de la C.N.I.L. en 1978, dont je salue ici le Président (ou le représentant), a toujours été un moteur en Europe dans la protection des données personnelles et de la vie privée des citoyens.
En matière de données personnelles, le cadre juridique défini au sein de l'Union européenne permet une bonne protection du consommateur. Il repose sur deux directives : l'une, de 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements des données à caractère personnel et à la libre circulation des données ; l'autre, de 1997, spécifique au secteur des télécommunications. Il faut mener à son terme la transposition de ces directives, afin de ne pas fragiliser notre position dans la négociation avec les pays tiers à l'Union européenne. Un avant-projet de loi vient d'être préparé par le ministère de la Justice pour la transposition de la directive générale. La transposition de la directive sur le secteur des télécommunications est aussi en cours, par voie réglementaire. Il conviendra d'examiner précisément comment les principes issus de cette transposition s'appliquent à l'évolution des techniques de recueil et de traitement de l'information. Cette question a été abordée à Ottawa, par l'O.C.D.E., en octobre 1998, où mes collègues des autres pays membres et moi-même avons adopté une déclaration sur la protection de la vie privée sur les réseaux mondiaux.
4. Cryptologie
Le gouvernement a décidé de libéraliser largement l'utilisation de la cryptologie en France. D'ores et déjà cette libéralisation est effective pour des moyens de cryptologie dont la clé n'excède pas 120 bits. Des textes législatifs sont en cours d'élaboration afin d'aller plus loin conformément aux discours du Premier ministre. Sur un réseau ouvert, tel que l'est internet, la confidentialité des échanges est un sujet délicat, pour les communications privées bien sûr, mais peut-être davantage encore - sur le plan économique en tout cas - pour les entreprises elles-mêmes. Celles-ci sont de plus en plus nombreuses à utiliser des réseaux privés virtuels, ces réunions d'intranets par l'intermédiaire d'internet. Pour utiliser ces réseaux en toute sécurité, elles doivent pouvoir recourir facilement aux outils de la cryptologie. L'emploi de la cryptologie n'est certes pas une garantie absolue de sécurité. D'abord, la sécurité doit concerner tout le système, et ne pas reposer sur la seule cryptologie. Ensuite, certains produits de cryptologie ne sont pas fiables. Ils sont parfois conçus pour permettre à ceux qui les ont élaborés, ou à ceux qui ont certaines clés, d'accéder à l'information : c'est ce que l'on appelle des " back-doors ". C'est pourquoi nous allons lancer dans les entreprises, notamment les P.M.E.-P.M.I., une campagne de sensibilisation à la sécurité. Nous allons aussi poursuivre notre action de soutien au développement de produits français de sécurité au travers du programme OPPIDUM d'aide à la recherche et développement.
Mesdames et Messieurs,
Le droit, pour internet, est un facteur de croissance et un moteur de la concurrence. Les positions acquises aujourd'hui sur le marché encore émergent d'internet auront une importance considérable dans la détermination des futurs rapports de forces. Avec la croissance exponentielle que connaît le réseau, les premiers acteurs présents auront, en effet, un avantage compétitif sans doute décisif sur les retardataires. En outre, il est important que cette période d'appropriation de internet par le grand public se déroule dans les meilleures conditions. C'est, il est vrai, durant cette première phase que se mettent en place les usages et les comportements d'utilisation du réseau. Ainsi, la définition d'un cadre juridique - clair et stable - pour l'ensemble des questions que je viens de citer sera de nature à permettre à la France de tenir rapidement la place qui lui revient dans l'économie d'internet.
(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 25 mai 1999)