Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la politique du gouvernement en matière de protection de l'enfance et notamment celle des mineurs étangers isolés, Paris le 15 novembre 2001.

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Circonstance : Etats généraux de la protection de l'enfance à Paris le 15 novembre 2001

Texte intégral


Mesdames les ministres,
Mesdames et Messieurs les Présidents des Conseils généraux,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les Présidents d'association,
Mesdames, Messieurs,
Cher(e)s ami(e)s,
Je suis heureux de vous rencontrer aujourd'hui à l'occasion de ces premiers Etats généraux de la protection de l'Enfance, imaginés et organisés à l'initiative de la ministre déléguée à la Famille, à l'Enfance et aux Personnes handicapées, Ségolène ROYAL, en liaison avec Marylise LEBRANCHU, ministre de la Justice. Je les salue amicalement. Je remercie chaleureusement tous ceux qui se sont mobilisés pour assurer la préparation et la réussite de ces Etats généraux, en particulier l'Association des départements de France. Sous l'impulsion des Préfets, l'ensemble des services de l'Etat exerçant une mission d'ordre social ou éducatif ainsi que toutes les associations familiales ou parentales qui luttent contre la violence et l'exclusion ont contribué à faire de cette journée un moment exceptionnel d'échanges et de partage d'expériences.
Ces Etats généraux marquent une étape importante dans l'action engagée par le Gouvernement depuis 1997 pour améliorer le dispositif de protection de l'enfance. Ce dispositif repose notamment sur le travail accompli par les Conseils généraux, qui assument, depuis la grande réforme de la décentralisation, une part essentielle de cette mission difficile.
Depuis 1997, la protection de l'enfance est au cur de la politique du Gouvernement.
Notre action se fonde sur plusieurs convictions que je voudrais évoquer devant vous.
La première est que l'enfance est une question de société de première importance. Des enfants qui grandissent, ce sont bien sûr, des personnalités qui s'ébauchent, des individus qui s'épanouissent, qui se préparent à la vie adulte et aux responsabilités qu'elle implique. Mais c'est aussi, à travers eux, la société qui se construit et la Nation qui se renouvelle. L'accueil, l'éducation, le devenir des enfants et la protection de leur droit fondamental à vivre harmonieusement en famille, constituent donc une exigence républicaine. Garant de la cohésion sociale et de la solidarité nationale, l'Etat doit jouer son rôle au côté des familles, en particulier auprès de celles que la crise économique a fragilisées ou de celles qui, issues ou non de l'immigration, peuvent avoir du mal à s'intégrer. Toutes les enfances, sans exception, doivent être protégées. Et il faut aider les enfants en difficulté à se construire " avant qu'ils ne soient grands, c'est-à-dire morts à leur enfance ", pour reprendre la forte expression de Françoise DOLTO, qui a tant contribué à changer le regard des adultes sur les enfants et qui fut, à sa manière, une pionnière des droits de l'enfant.
Notre deuxième conviction est que l'enfance et la famille sont indissociables. Aider les familles, c'est aider les enfants ; en aidant les enfants, nous aidons les familles. La famille contemporaine, reflet des libertés conquises et de l'évolution des murs, offre de multiples visages. Mais elle reste un repère dans une société qui, parfois, en manque.
Si les parents doivent conserver leur place fondamentale, il leur faut parfois s'appuyer sur un soutien extérieur. Soutenir les parents dans leur rôle éducatif, c'est leur permettre de comprendre pourquoi, à un moment donné, leur enfant a besoin d'être suivi par des personnes extérieures à la famille. C'est aussi leur donner la possibilité de s'exprimer de manière contradictoire tout au long de la procédure judiciaire d'assistance éducative, lorsque celle-ci s'impose. Tel est le sens de la réforme engagée par la ministre de la Justice, Marylise LEBRANCHU, concernant notamment l'accès aux dossiers d'assistance éducative, qui permettra aux parents de consulter leurs dossiers auprès des Tribunaux pour enfants. De même, les ruptures du lien familial, lorsqu'elles sont inévitables pour la sécurité et le bien-être de l'enfant, doivent s'accompagner d'un travail avec la famille. Il faut éviter par tous les moyens qu'une mise sous tutelle soit synonyme, pour les parents, de disqualification sociale, et pour l'enfant, d'un processus de perte de l'estime de soi et du respect d'autrui qui l'empêchera de devenir demain, à son tour, adulte et parent.
Troisième conviction, le droit à mener une vie familiale normale vaut pour tous, y compris pour les familles en situation de très grande précarité. Les associations ont joué un rôle déterminant dans la prise de conscience par les pouvoirs publics de cette dimension essentielle. Ce n'est pas parce que des familles connaissent des difficultés matérielles qu'elles ne sont pas en mesure d'élever convenablement leurs enfants. Il faut restaurer leurs compétences et non se contenter de stigmatiser leurs défaillances éventuelles. Cette confiance renouvelée dans la capacité des familles à surmonter les difficultés constitue le socle de la réforme de la politique familiale que le Gouvernement a souhaité engager. La loi d'orientation sur la lutte contre les exclusions mise en place par Martine AUBRY en 1998 a consacré le droit à une vie familiale normale. Elle prévoyait la mise en uvre d'un programme qui entre aujourd'hui dans sa deuxième étape. J'ai donc demandé à Elisabeth GUIGOU, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, et à qui nous devons l'ouverture dans ce domaine de bien des dossiers qui aboutissent aujourd'hui, de veiller à garantir un réel accès aux droits formalisés par la loi pour les familles en grande difficulté.
Ces convictions ont trouvé leur traduction concrète dans les travaux successifs de la Conférence de la famille. Je voudrais rappeler brièvement certaines avancées majeures qui confortent un dispositif de protection de l'enfance faisant sa juste place aux familles : le renforcement des réseaux d'aide, d'appui et d'accompagnement des parents ; le développement de la médiation familiale ; la réforme du droit de la famille qui rappelle à chacun son rôle, ses droits et ses devoirs ; le renforcement de la place des pères. A cet égard, beaucoup reste à accomplir pour parvenir à un meilleur équilibre, lorsque l'on sait, par exemple, que seuls 10 % des pères d'enfants relevant de l'aide sociale à l'enfance consentent à engager le dialogue avec les travailleurs sociaux. Je pense également au problème des familles monoparentales, composées en grande majorité de femmes élevant seules un ou plusieurs enfants, et dont les difficultés spécifiques ne sont pas encore suffisamment prises en compte.
Mesdames, Messieurs,
Protéger l'enfance, c'est donner toutes leurs chances à tous les enfants pour qu'ils puissent se construire dans l'estime de soi, le désir d'apprendre et le respect des autres. Cela repose sur une condition première, qui est de préserver l'enfant de la violence, sous toutes ses formes.
C'est pourquoi notre politique fait de la lutte contre la maltraitance des enfants une priorité absolue.
La maltraitance est un scandale qui interpelle la société tout entière. Il nous met au défi de comprendre comment et pourquoi, dans notre société, des enfants sont méprisés dans leur dignité, bafoués dans leurs droits et parfois souillés dans leur chair. Les négligences, les humiliations et pire, la violence, brisent le ressort de la confiance à laquelle tout enfant a besoin de s'adosser pour aller de l'avant. Antoine de SAINT-EXUPERY disait que l'" on est de son enfance comme on est d'un pays ". Certaines blessures de l'intimité reçues pendant l'enfance peuvent être irrémédiables. Il faut beaucoup de soins pour que ces enfants puissent progresser dans leurs apprentissages, vivre dans l'amour d'une famille et grandir sous la protection de la société.
A travers vous, je rends hommage à toutes celles et tous ceux qui travaillent auprès des enfants " en danger " ou " en situation de risque " et de leurs familles. Je sais combien votre travail est éprouvant : la violence parfois terrible des situations vécues par ces enfants pèse sur la relation que vous nouez avec eux. Du contact avec les enfants maltraités, nul ne peut sortir tout à fait indemne : nos certitudes en sont bouleversées, notre confiance en l'humanité ébranlée, nos souffrances personnelles peuvent être parfois ravivées. Je mesure l'ampleur de cette tâche qui est la vôtre, toujours recommencée, et ce qu'elle suppose d'engagement personnel, de générosité et d'amour. Au nom du Gouvernement et de tous nos concitoyens, je vous dis mon estime et ma gratitude.
Dans cette lutte contre la maltraitance, le Gouvernement se tient à vos cotés.
Nous combattons résolument la maltraitance lorsque, en un insupportable paradoxe, elle s'exerce au sein même des institutions accueillant des enfants. Cette lutte, qui commence à porter ses fruits dans notre pays, doit continuer sans relâche. Je demande aux Préfets de poursuivre, en liaison avec les Conseils généraux et avec les services des affaires sociales, de l'Education nationale et de l'autorité judiciaire, les efforts de coordination institutionnelle amorcés grâce à la circulaire interministérielle du 10 janvier 2001 qui institue " les groupes départementaux de protection de l'enfance ". Il nous faut ainsi mieux prévenir les violences institutionnelles en mettant en place des actions de dépistage et des sanctions efficaces.
Pour cela, il y a une priorité : briser la loi du silence. La souffrance d'un enfant peut être muette, désespérée, inaudible parfois, agressive aussi. Le silence doit être rompu, la plainte entendue, la souffrance traitée, médicalement s'il est nécessaire, en liaison avec les médecins, notamment les pédopsychiatres. Trop souvent, du côté des adultes, la peur de parler se conjugue à l'aveuglement ou à l'indulgence du milieu social face à la maltraitance des enfants, notamment dans le cas d'abus sexuels. Il faut permettre aux témoins, qu'ils soient des proches ou des professionnels, de s'exprimer sans crainte. La protection contre les licenciements des salariés qui signalent des faits de maltraitance vient d'être inscrite dans la proposition de loi sur la lutte contre les discriminations. Celle des médecins par rapport à la violation du secret professionnel le sera prochainement.
Dans notre pays, une des situations les plus dramatiques faites à des enfants est celle des mineurs étrangers isolés. Plusieurs élus se sont inquiétés auprès de moi des conditions de vie de ces jeunes, parfois très jeunes, qui sont exposés à tous les dangers possibles, notamment dans les grands centres urbains. Après avoir entendu la Commission nationale consultative des droits de l'homme, le Gouvernement a décidé d'améliorer la situation juridique de ces mineurs étrangers isolés. Nous prévoyons la désignation d'un administrateur ad hoc, chargé d'agir à leurs côtés pour veiller à la défense de leur dignité. Parallèlement à la question du statut, se posent souvent celles de l'accueil et de l'orientation de ces mineurs. Tous n'ont pas vocation à s'établir en France ; il faut leur permettre de rejoindre leur famille lorsque c'est possible. Ils doivent pouvoir être pris en charge dans de bonnes conditions : c'est le sens du projet de lieu d'accueil et d'orientation qui ouvrira ses portes dans le Val d'Oise au début de 2002 et qui sera géré par la Croix Rouge.
Mais si ces mineurs étrangers arrivent en France, c'est souvent parce qu'ils espèrent, en quittant leur pays d'origine, fuir une situation très difficile. La misère, l'exploitation, les violences sont le lot quotidien de millions d'enfants à travers le monde.
C'est donc à l'échelle du monde qu'il faut protéger l'enfant et lutter contre la maltraitance.
Tel est l'enjeu de la Convention internationale des droits de l'enfant. Elle consacre le droit des enfants à une protection particulière, dont les Etats sont les garants. L'enfant est une personne en devenir et, comme telle, un sujet de droit. Il ne s'agit pas de gommer l'asymétrie, protectrice et structurante, de ses rapports avec l'adulte. Mais il faut lui permettre de bénéficier, dans sa famille, à l'école et ailleurs, de l'éducation, des repères et des sécurités nécessaires à la conquête progressive de son autonomie.
Ce texte fondateur a été ratifié par la France le 8 août 1990. Depuis 1997, notre pays continue d'en tirer les conséquences en droit interne. Nous avons voulu mieux garantir le droit effectif de tout enfant à être éduqué par ses deux parents, mariés ou non, vivant ensemble ou séparés. Tel est le sens de l'égalisation des droits entre enfants adultérins et légitimes réalisée dans le cadre de la réforme de notre droit de la famille. En application de l'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant, le projet de loi relatif à l'accès aux origines personnelles sera bientôt voté par le Parlement. La loi apporte à l'accouchement secret des aménagements de nature à garantir le droit de tout enfant à connaître l'histoire de sa naissance. Afin que soient mieux défendus encore les droits de l'enfant, la France a créé en 2000 une autorité indépendante, le " défenseur des enfants ", dont la mission est assurée par Madame Claire BRISSET, que je reçois d'ailleurs tout à l'heure.
Dans la lutte contre la maltraitance, l'Europe doit montrer l'exemple. Elle est aujourd'hui un cadre juridique nécessaire et pertinent pour l'action. Tous les pays européens, quelles que soient leurs différences historiques, culturelles ou politiques, sont engagés dans les mêmes combats pour faire reculer la maltraitance des enfants, sous tous ses aspects. C'est pourquoi la France a veillé, au moment où elle assurait la présidence de l'Union européenne, à favoriser la coordination des politiques de l'Enfance en Europe. Cette coopération ne doit pas homogénéiser artificiellement nos politiques, mais permettre d'agir ensemble. Il s'agit de protéger nos enfants de menaces qui se jouent des frontières. Il s'agit de parler d'une même voix quand notre responsabilité est en jeu à l'échelle du monde, en particulier à l'égard de l'Europe centrale et orientale et des pays du Sud.

La coopération internationale est particulièrement nécessaire pour lutter contre la prostitution infantile. C'est le sens du congrès mondial qui se tiendra à Yokohama en décembre prochain. La France pourra y témoigner de sa mobilisation. La mission d'information menée par Christine LAZERGES et Alain VIDALIES, députés, sur les différentes formes de l'esclavage moderne a pour objectif de proposer une série de mesures contre la traite des êtres humains, dont la prostitution des mineurs est un des aspects les plus scandaleux. L'exploitation sexuelle des mineurs est interdite par le code pénal. Cependant, une relation sexuelle contre versement d'une rémunération n'est en droit condamnée que si la victime a moins de quinze ans. Il était nécessaire de pouvoir engager, dans le cadre d'une nouvelle infraction spécifique, des poursuites à l'encontre de clients de prostitués mineurs de plus de quinze ans, qui sont les principaux concernés. Le Gouvernement présentera un amendement en ce sens modifiant la loi sur l'autorité parentale devant le Sénat le 21 novembre prochain. Par ailleurs, nous sommes le premier pays d'Europe à ouvrir un site internet entièrement sécurisé permettant de dénoncer les contenus à caractère pédophile auprès de la police et de la Justice.
Notre politique serait incomplète si elle ne comprenait une action visant directement les raisons, souvent économiques, qui font que des enfants sont amenés à quitter leur famille ou à être victimes d'une exploitation. C'est pourquoi je souhaite que, parallèlement aux efforts faits par la France pour promouvoir la paix et le développement dans les pays concernés, une politique déterminée de coopération soit menée pour assurer des actions de promotion familiale. J'ai demandé aux ministres concernés de me saisir de leurs propositions avant la fin de l'année pour qu'un programme de soutien aux actions familiales puisse être engagé dès 2002 dans un certain nombre de pays. Un magistrat français sera prochainement détaché en Roumanie, où nous avons déjà des programmes de coopération, afin de contribuer à l'élaboration d'un système judiciaire de protection de la jeunesse. C'est une question que j'avais examinée directement lors de mon dernier déplacement dans ce pays et que j'avais abordée avec les autorités roumaines.
Mesdames, Messieurs,
Cher(e)s ami(e)s,
La protection de l'enfance et la lutte contre la maltraitance vont de pair. Elles se retrouvent dans la belle notion de " bientraitance ", que vous posez comme la finalité de votre engagement quotidien. Ici sont représentés les familles et tous les professionnels qui les soutiennent, dans un respect mutuel des compétences et des places de chacun. Vous travaillez tous ensemble à cette " bientraitance ". Je veux, une nouvelle fois, saluer cet engagement et vous assurer du soutien du Gouvernement. Vous êtes les auxiliaires du lien social le plus fondamental de l'Humanité, celui qui unit les générations à travers les âges. Un enfant doit être aimé et protégé par les adultes qui le font naître et grandir, ses parents et ses proches. Nous savons tous ici que chaque génération doit porter plus haut l'exigence de donner à ses enfants le désir de transmettre à leur tour la vie avec l'ambition de construire un monde plus juste et plus heureux. Cette responsabilité, portons-la ensemble.

(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 16 novembre 2001)