Interviews de M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants, à Europe 1 et RMC le 11 novembre 2001, sur l'hommage rendu aux veuves et orphelins de guerre à l'occasion de la célébration de l'armistice du 11 novembre 1918, sur la désignation d'un correspondant défense dans chaque conseil municipal et sur la fixation d'une date pour la commémoration de la guerre d'Algérie.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Commémoration de l'armistice du 11 novembre 1918

Média : Emission Forum RMC FR3 - Europe 1 - RMC

Texte intégral

Interview à RMC :
11 novembre. La France commémore le souvenir des millions de morts de la Première Guerre mondiale. Monsieur Floch, vous avez tenu à ce que cet anniversaire soit l'occasion d'un hommage étendu aux veuves et aux orphelins des guerres.
Parce que ce sont aussi des victimes de la guerre et qu'on les a longtemps ignorées. Savez-vous qu'au cours des guerres du XXe siècle, celles que la France a vécues : 14-18, 39-45, les guerres coloniales ou la guerre d'Algérie, la France a fait environ 800 000 veuves et 1 500 000 orphelins.
Sous quelle forme souhaiteriez-vous que cet hommage leur soit rendu ?
Très simplement. C'est une idée qui m'a été soumise par l'Association des veuves de Menton, qui m'avait envoyé une petite lettre de félicitations lors de mon arrivée au ministère et m'a proposé simplement d'honorer les veuves et les orphelins de guerre par l'apposition d'une plaque dans un lieu public, dans chaque commune de France, qui mentionnerait simplement : " Aux veuves et aux orphelins victimes de la guerre. " Une petite plaque qui pourrait être apposée sur un mur, près d'une école, près de la mairie, pas sur le Monument aux Morts parce que là ne peuvent être inscrits que les noms des morts pour la France.
Pour l'instant, cette initiative semble avoir reçu un bon accueil
Oui, très bien. Beaucoup de maires ont déjà pris des dispositions. Nous ne leur avons pas demandé de réaliser cela pour le 11 novembre parce que c'était un peu court mais que dans l'année ou dans les mois qui viennent, ils puissent, à l'occasion d'une rencontre avec des associations de veuves de guerre, d'anciens combattants, apposer cette plaque. Ce que je souhaite, c'est que les maires invitent les veuves ou les orphelins, qui sont souvent des personnes âgées, à la manifestation.
Vous vous êtes adressé également aux maires, - n'oublions pas que votre secrétariat d'Etat est rattaché au ministère de la Défense -, pour qu'ils désignent, dans chaque municipalité, un correspondant Défense.
Oui, simplement un conseiller municipal ou un adjoint ou le maire lui-même qui aurait la responsabilité de recevoir toutes les informations sur la Défense. Aujourd'hui, avec la professionnalisation des armées, il n'y a plus de jeunes gens qui vont accomplir leur service militaire. Une coupure entre l'armée et la Nation risque de se produire. En même temps - on le voit bien depuis quelques semaines suite aux événements de New York, suite à ce qui se passe en Afghanistan -, il y a un intérêt pour la défense. Est-ce que la France est prête à se défendre ? Est-ce que la France a les moyens de se défendre ? C'est une question qui nous sera posée et pour cela il faut des personnes qui soient capables de répondre sur l'ensemble du territoire.
Donc j'ai proposé que dans chaque conseil municipal, un élu soit désigné comme le " Monsieur Défense " ou la " Madame Défense ", quelqu'un qui soit bien informé des problèmes de la Défense. D'autre part, des stages se sont organisés dans les régions, ce sont des stages d'information d'une demi-journée, d'une journée, et là l'Institut est prêt à faire des rencontres, réservées spécialement à ces élus.
Monsieur le Ministre, au cours de la discussion, du débat de votre ministère, on a vu apparaître une quasi-unanimité parmi les députés pour accepter votre souhait, votre proposition, de la fixation d'une date pour la commémoration de la guerre d'Algérie
Oui, c'est un débat qui fait partie de celui sur la guerre d'Algérie. La guerre d'Algérie on la raconte mal ou pas du tout. Ou lorsqu'on la raconte, c'est par " petits bouts ". On a parlé de la torture, on parle du viol, mais moi je souhaiterais qu'avec les associations d'anciens combattants, on puisse expliquer pourquoi la guerre d'Algérie. Pourquoi la France a-t-elle été faire cette guerre ? C'est parce qu'elle n'a pas su terminer une période coloniale. Mais encore faut-il que des historiens puissent décrire ce qui s'est passé, que des personnes qui étudient la politique puissent dire quelle politique a été menée. Il faut réaliser un vrai travail de mémoire sur la guerre d'Algérie, qui conduira peut être les Algériens à faire la même chose. Mais nous Français, nous devons faire ce travail.
Une date du souvenir, du recueillement, une date qui rappelle les deuils et qui rappelle les malheurs qu'ont subi les Algériens, les Français d'Algérie, les Pieds noirs qui ont été rapatriés dans des conditions parfois extrêmement difficiles, les Harkis qui ont subi les massacres que l'on connaît, les soldats français, les soldats qui ont été métropolitains, qui se sont battus en Algérie, -30 000 sont morts,- il faut rappeler tout cela. Le monde combattant est divisé sur la date. Comme il n'y a pas eu de déclaration de guerre, de signature de traité de paix, la seule date historique est celle du cessez-le-feu, le 19 mars 1962. Actuellement le débat est externe, il a lieu dans la presse, dans les associations d'anciens combattants, dans les partis politiques, mais le seul lieu où l'on peut discuter d'une date commémorative c'est le Parlement, c'est l'Assemblée nationale, c'est le Sénat. Organisons le débat et à l'issue, en fonction du résultat du vote, le Premier ministre prendra la décision de savoir si l'on continue ou non. Pour fixer une date de cette importance il faut que ce soit transverse, ce n'est pas un débat où l'on peut se contenter d'une majorité politique de 50 %, il faut au moins que 70-75 % des parlementaires en acceptent le contenu pour bien montrer que ce n'est pas un débat droite/gauche traditionnel ou gauche/droite traditionnel. C'est autre chose, et je souhaite faire cette proposition au Premier ministre dans quelques jours. Si je suis autorisé à lancer le débat je verrais avec les groupes politiques comment on peut procéder.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 14 novembre 2001)
Interview à Europe 1 :
La cérémonie du 11 novembre a lieu aujourd'hui sur les Champs-Elysées, avec une innovation cette année, le piquet d'honneur devant la tombe du soldat inconnu et le premier dépôt de gerbes ont été confiés à des appelés du contingent. Ce sont donc les derniers, puisque désormais l'armée française ne sera plus composée que de professionnels ?
Tout à fait. Et je confirme que le service militaire est suspendu pour tout le monde. Certains jeunes, entre autres les sursitaires, s'en étaient inquiétés.
Vous voulez qu'à partir de cette année, un hommage tout particulier soit rendu aux veuves et aux orphelins de toutes les guerres de la France pendant ce 20ème siècle ?
Oui parce que ce sont des victimes de la guerre. La France, au cours du dernier siècle, a subi un certain nombre de moments de guerre importants. Ces 800 000 femmes se sont retrouvées veuves et 1 500 000 enfants, orphelins.
Comment leur rendre hommage, vous voulez que des plaques soient apposées dans chaque commune de France ?
Il est possible d'apposer une plaque dans un lieu public, on ne peut pas les apposer sur les monuments aux morts, parce que le règlement est très strict. Mais il y a bien des lieux publics dans toutes les villes, villages de France, où le passant pourra se souvenir qu'il y a eu des veuves et des orphelins des guerres, qui ont été les premières victimes après le décès de leur mari ou de leur père. Ce sont des vies brisées, qui ont subi des contrecoups de la guerre de façon terrible.
Est-ce que vous avez déjà eu des réponses de certains maires ?
Oui, tout à fait.
Certains sont-ils favorables ?
Oui, plutôt favorables.
Même quand vous leur dites qu'il n'y aura pas de subvention, est-ce vous qui paierez la plaque ?
Je crois que toutes les communes peuvent faire cet effort. Ce n'est pas un coût exorbitant. Cela dépend de la matière dont sera faite la plaque.
Il n'y aura pas le nom de toutes les victimes, comme par exemple sur les monuments aux morts ?
Non, simplement aux veuves et orphelins victimes des guerres.
Estimez-vous que cela fait partie du devoir de mémoire ?
Tout à fait. Qui se souvient qu'il y a eu 2500 veuves de guerre au cours de la guerre d'Algérie, par exemple ? Dans la dernière génération qui a subi une guerre, 2500 jeunes femmes se sont trouvées veuves, et je les retrouve parfois aux derniers rangs des manifestations. Peut-être que l'on pourrait les faire avancer de quelques pas, pour se souvenir qu'elles ont subi la guerre, elles aussi.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 14 novembre 2001)