Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
La nuit suivant la création du secrétariat d'Etat à la biodiversité, que le président de la République et le premier ministre m'ont fait l'honneur de me confier, à Amiens, ma permanence parlementaire a fait l'objet d'une opération menée par des agriculteurs en colère.
Ce n'est bien entendu jamais agréable, même si ce n'était pas le premier local de ce type à faire l'objet d'un tel traitement.
Ma première réaction a été l'incompréhension : depuis 2012, jamais je ne me suis dérobée à une rencontre avec les syndicats agricoles qui me sollicitaient, comme ils le font, et c'est bien normal, avec tous les élus nationaux.
Et puis, j'ai fait l'effort d'écouter. Ecouter ce que disaient ceux qui revendiquaient cette opération.
Ecouter ceux qui, sans la défendre, parfois même en la condamnant, exprimaient une même inquiétude : ils craignaient que la création d'un secrétariat d'Etat à la biodiversité soit la marque d'une sorte de défiance des pouvoirs publics envers le monde agricole, et le signe annonciateur de normes environnementales aveugles, qui seraient venues, c'était l'inquiétude exprimée, rendre encore plus compliqué l'exercice d'une profession déjà fortement frappée par la crise.
Ces inquiétudes, je les ai entendues, et je suis déterminée à y répondre. Car la création du secrétariat d'Etat à la biodiversité marque, certes la volonté du gouvernement d'agir avec détermination, j'y reviendrai sur les facteurs de perte de biodiversité, et pour reconquérir une partie de la biodiversité disparue lorsque c'est possible, mais mon rôle est également un rôle d'explication, de pédagogie et de sensibilisation aux enjeux de la biodiversité.
Sensibiliser et entraîner dans l'action les citoyens, c'est ma tâche de chaque jour, mais aussi sensibiliser et accompagner dans l'action ceux dont l'activité est le plus en lien avec la biodiversité : les agriculteurs figurent au premier rang de ceux-là.
Ce week-end encore, j'étais dans la Brenne et j'y ai longuement discuté avec les représentants agricoles de l'Indre, de toutes tendances.
Ce matin, à Amiens, j'ai reçu des représentants des jeunes agriculteurs et de la fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles des Hauts de France, et c'est pour la même raison que j'ai répondu cet après-midi à l'invitation de Mickaël POILLION à visiter son exploitation : cette raison porte un nom. Dialoguer. Car la base de l'action publique, c'est le dialogue.
Et les rencontres d'aujourd'hui ont tout à la fois pour buts de dire un certain nombre de faits, d'expliquer une démarche, et d'échanger pour construire, ensemble, avec le monde agricole, une politique cohérente, qui soit à la hauteur des enjeux de biodiversité.
Dire les faits, c'est d'abord rappeler que la crise agricole est principalement une crise des prix, et principalement une crise de l'élevage bovin et porcin.
C'est pourquoi le gouvernement a fait de la question du partage des marges au sein de la filière, du producteur jusqu'au distributeur en passant par les industriels, le coeur de ses initiatives.
Parce que c'est la guerre des prix sans merci, à laquelle se livrent les enseignes de la grande distribution qui entraine vers le bas les prix payés aux fournisseurs et en bout de chaîne aux agriculteurs.
Ce phénomène délétère est rendu possible par la surproduction mondiale de porcs et de lait, alors que les conséquences de l'embargo russe se font toujours sentir.
Et dans le secteur laitier, la fin des quotas laitiers le 1er avril 2015 a bien sûr eu un impact : les quotas laitiers répartissaient la production entre les pays européens, ce qui permettait de réguler les prix.
Aujourd'hui la concurrence est accrue, obligeant les exploitations laitières à une adaptation souvent très difficile. C'est pourquoi Stéphane Le Foll se bat, à Bruxelles, pour une dérogation provisoire aux règles de la concurrence telles qu'elles ont été définies sous le précédent quinquennat.
Mesdames et messieurs, se parler, dialoguer, se respecter, c'est aussi se dire un certain nombre de vérités : Il y a des forces qui, pour des raisons économiques ou par facilité politique, pour ne pas dire par pure démagogie, ont intérêt à entretenir la confusion entre crise environnementale, normes et crise agricole.
Des forces politiques, celles-là même qui ont accepté, avant 2012, la réforme entrée en vigueur en 2015 qui a vu la fin des quotas.
Des forces catégorielles parfois, celles-là même qui n'avaient rien trouvé à redire à cette réforme qui s'est révélée très néfaste aux producteurs français.
Et des forces économiques, celles qui vendent, le plus souvent, des produits dont la nocivité pour l'environnement est en cause, et qui tentent de maintenir leurs clients - les agriculteurs - dans un état de dépendance, alors qu'elles feraient mieux d'utiliser leurs ressources à accompagner les exploitants dans la mise en oeuvre de nouvelles pratiques, plutôt qu'à faire pression sur les pouvoirs publics pour retarder des échéances dont elles savent pertinemment qu'elles sont inéluctables.
Entretenir cette fiction d'un lien de causalité entre protection de l'environnement et crise agricole serait une double faute: une faute vis-à-vis de l'avenir, une faute vis-à-vis des agriculteurs.
Pour l'avenir, les deux enjeux principaux auxquels nous sommes confrontés sont la lutte pour limiter le réchauffement climatique et la réponse aux menaces qui pèsent sur la biodiversité, qu'il s'agisse de la préservation d'espaces naturels indispensables à la vie ou du maintien d'espèces animales ou végétales dont la vitesse d'extinction atteint des niveaux inégalés du fait, pour l'essentiel, de l'activité humaine.
Reconnaissons que sur la question du climat, nous avons accompli un chemin déterminant dans la prise de conscience collective, et des avancées ont été obtenues, qu'il s'agit désormais de concrétiser.
2015 a vu la conclusion de l'accord de la Conférence de Paris, en décembre dernier, et 2016 en voit la signature effective, par tous les pays engagés dans la dynamique.
Cette prise de conscience du défi climatique est importante. Mais elle n'est pas suffisante pour affronter l'avenir si elle ne s'accompagne pas de la même lucidité sur l'enjeu de la biodiversité.
Or sur ce point, il reste encore beaucoup à faire, et l'intérêt général exige que, au-delà des intérêts sectoriaux légitimes, s'exprime l'urgence à agir. Car il y a urgence à agir.
Lorsqu'on me demande de donner une définition de la biodiversité, je réponds souvent « C'est le tissu du vivant », et je précise que ce tissu est composé d'innombrables fibres végétales, animales, géologiques ou génétiques qui contribuent, chacune, à la solidité du tout.
Que certaines de ces fibres se distendent ou disparaissent, et c'est la vie elle-même qui s'en trouve modifiée, voire menacée.
Or, du fait des activités humaines, sous l'effet des modifications d'habitats, de la surconsommation des ressources, des pollutions, d'espèces exotiques invasives et du réchauffement climatique, le taux de disparition des espèces naturelles atteint des seuils qui rendent impossible leur régénération : des fibres se délitent, rompent, disparaissent. Et la qualité de la vie, la vie elle-même s'en trouvent menacées.
Tout se tient :
Lorsqu'on porte une attention particulière aux pollinisateurs, ce n'est pas seulement pour le miel des abeilles que nous nous mobilisons, mais bien parce que les services rendus à la production agricole par les pollinisateurs sont indispensables.
Lorsqu'on s'alarme de la disparition de libellules, ce n'est pas seulement pour la beauté de leurs vols qu'on se mobilise, mais bien parce qu'elles sont les vigies qui témoignent de la bonne santé des zones humides. Des zones humides qui contribuent à la gestion des systèmes hydrologiques, qui préviennent les crues, et qui entretiennent des microclimats locaux déterminants.
Entretenir, pour de mauvaises raisons, cette idée selon laquelle les combats environnementaux seraient néfastes à l'agriculture serait d'autant plus déplorable que répondre aux défis environnementaux constitue une opportunité de sortie de crise pour de nombreuses exploitations.
En France, la loi de transition énergétique et pour la croissance verte, que Ségolène Royal a portée, a ouvert de nouvelles perspectives au monde agricole : la méthanisation est par exemple un des enjeux importants de la transition énergétique.
La France a choisi de fonder sa filière méthanisation sur un modèle de méthanisation de déchets et plus particulièrement un modèle de méthanisation d'effluents d'élevage, afin de minimiser les risques de conflits d'usage avec les terres agricoles.
La réponse au défi climatique permet de concilier nos objectifs de politique énergétique, de politique de gestion des déchets et notre politique agricole.
Il y avait 252 installations de méthanisation raccordées au réseau au 30 décembre 2015.
Plus de 300 projets se sont déclarés dans le cadre de l'appel à projets « méthaniseurs » ouvert à l'été 2014 pour accélérer le développement de la méthanisation.
Le gouvernement, par l'action de Ségolène Royal, prend des initiatives pour accélérer ce développement.
Un appel d'offres pour la réalisation d'installations de méthanisation de plus de 500 kiloWatts a été lancé en février 2016. Cet appel d'offres tri-annuel porte sur un volume annuel de 10 MegaWatts.
Les offres pour la première période de candidature doivent être déposées au plus tard en août 2016.
Ce sont des décisions récentes, dont l'objectif est d'accélérer dans les prochains mois le développement des projets.
Bien entendu, les précautions doivent être prises pour que ces projets de méthanisation ne soient pas l'occasion d'opérations qui viendraient bousculer les équilibres de filières existantes ou mettre en cause les écosystèmes : rien ne serait pire que de prétendre contribuer à régler un problème environnemental en en créant d'autres.
Mais la démonstration est faite que la réponse à la crise climatique offre des perspectives de ressources nouvelles à l'agriculture, et que les dispositifs mis en place permettent de répondre à des réalités très diverses d'exploitations ; j'ai pu le mesurer cet après-midi.
Eh bien je crois que de la même manière, il nous faut prouver que la réponse aux défis de la biodiversité peut être une opportunité pour l'agriculture et pour les agriculteurs.
C'est pourquoi la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, que je porte en ce moment même au Parlement, fait de la reconnaissance du rapport étroit entre agriculture et biodiversité un principe général de notre droit.
Nous sortons enfin du débat de posture qui consistait à opposer préservation de la biodiversité et agriculture. L'agriculture, comme toutes les activités humaines, a un effet sur la biodiversité : parfois en négatif, lorsque les intrants ou les rejets dégradent l'environnement, mais parfois également en positif parce que l'entretien de nos paysages, de nos territoires, concourt à la préservation, et même parfois au retour de biodiversité.
Le projet de loi n'oppose pas : il reconnait un lien. Et il tente d'apporter des réponses, pour accompagner les agriculteurs dans la transition des pratiques.
Oui, mesdames et messieurs, je vous avais dit que vous pouviez vous attendre à un message de vérité de ma part, et que je n'entendais pas pratiquer la langue de bois : et la vérité, c'est que les questions environnementales ne sont pas la cause de la crise agricole, qui est une crise de nature économique, une crise de production, une crise des prix. Et la vérité aussi, et cela tout le monde doit en avoir conscience, c'est ce que je tire comme leçon des dialogues de ce matin, par exemple, c'est que la crise agricole rend les adaptations aux défis environnementaux plus difficiles : ce n'est jamais facile de devoir changer, de devoir s'adapter, mais lorsqu'on doit le faire alors qu'on a à affronter d'autres difficultés, qu'on doit lutter pour la survie de son exploitation, c'est encore plus difficile. Et cette réalité, il nous faut la prendre en compte dans nos décisions.
C'est ce qu'on fait Ségolène Royal et Stéphane Le Foll avec le plan Ecophyto 2, qui vise à réduire de 50% l'utilisation de pesticides d'ici 2025. Ce plan comporte un dispositif innovant de certificats d'économie de produits phytosanitaires, inspirés des certificats d'économie d'énergie.
Les fournisseurs de pesticides devront mener des actions pour réduire leur usage, sinon ils seront sanctionnés financièrement. Ce plan recevra par ailleurs un soutien de 70 millions d'euros permettant de financer des actions qui permettront la réduction des pesticides, y compris des actions de recherche, d'expérimentation, de mise en place de nombreuses fermes démonstrateurs et de formation des acteurs du monde agricole.
Le gouvernement a par ailleurs mis en oeuvre un plan de 10 millions d'euros en soutien aux agriculteurs, notamment pour moderniser les moyens d'épandage de matières fertilisantes.
C'est cette démarche à la fois volontariste et pragmatique qu'il nous faut adopter sur la question des néonicotinoïdes : ces produits ont des effets néfastes sur la biodiversité, notamment sur les insectes pollinisateurs.
Ségolène Royal avait lancé le plan « France Terre de pollinisateurs » 2016-2020 qui prévoit une vingtaine d'actions visant à mieux connaître les insectes pollinisateurs et la pollinisation et à promouvoir de bonnes pratiques dans tous les espaces fleuris et secteurs concernés, les territoires ruraux et forestiers, les espaces protégés tels les parcs naturels régionaux, et les territoires urbains. Il sagit de préserver les services rendus par les abeilles et les insectes pollinisateurs à l'agriculture, dont je parlais tout à l'heure, et qui sont évalués à plusieurs dizaines de milliards d'euros en Europe.
Par ailleurs, le gouvernement entend prendre en compte intégralement l'avis de l'ANSES sur les néonicotinoïdes.
Après avoir examiné l'ensemble des études disponibles, l'ANSES constate qu'en l'absence de mesures de gestion adaptées, l'utilisation des néonicotinoïdes a de sévères effets négatifs sur les pollinisateurs, y compris à des doses d'exposition faible.
L'ANSES a également identifié des mesures de gestion supplémentaires pour l'utilisation des néonicotinoïdes qui pourront faire l'objet de restrictions d'usage dans les autorisations de mise sur le marché, comme limiter l'implantation de cultures suivantes à des cultures non attractives pour les abeilles et les autres pollinisateurs. Tout cela nous démontre que l'avenir de l'agriculture ne peut pas passer par ces produits, qui posent tant de problèmes à l'environnement, et qui comme tous les pesticides, il faut le rappeler sans cesse, menacent la santé de ceux qui les utilisent, menacent la santé des agriculteurs.
Sur les néonicotinoïdes, le gouvernement a donc désormais un message clair : avec mes collègues ministres de l'environnement, Ségolène Royal, et de l'agriculture, Stéphane Le Foll, nous sommes arrivés à une position commune, défendue d'une seule voix.
Elle consiste à proposer d'interdire, au plus tard en 2018, les néonicotinoïdes pour lesquels il existe des alternatives plus favorables identifiées par l'ANSES, qui doit réaliser d'ici la fin de l'année une analyse comparative des bénéfices et des risques de chacun de leurs usages et des autres méthodes de traitement ou de lutte.
Pour sortir du soupçon permanent qui pèse sur ce type de décisions, pour que cessent ces accusations permanentes d'idéologie, nous proposons que ce soit l'ANSES, et l'ANSES seul, qui prenne ces décisions.
Et pour assurer à tous, à la société et aux agriculteurs, que soient effectivement mis en oeuvre, notamment par l'industrie des fournisseurs, les efforts de recherche et de développement sur des solutions qui ne soient pas nocives pour l'environnement et la santé, nous souhaitons que le principe d'une interdiction complète en 2020 figure dans la Loi. Parce que s'il n'y a pas d'échéance, il y a risque de procrastination. C'est là une proposition volontariste, mais pragmatique, qui garantit aux agriculteurs qu'ils seront accompagnés dans le changement.
Mesdames et messieurs, je vous le disais tout à l'heure : dialoguer, c'est dire des choses, mais c'est aussi apprendre, et écouter.
C'est ce que je suis venue faire cet après-midi et je remercie Mickaël POILLION de m'avoir fait partager ses expériences, ses réussites, et aussi ses interrogations.
Plus je travaille sur cette question du lien entre agriculture et biodiversité, plus je rencontre d'acteurs, plus j'échange avec des agriculteurs, plus je me dis que le discours habituel, qui consiste à dire : « il faut passer d'un modèle à un autre modèle » pèche par son simplisme. Parce qu'en réalité, et cette visite cet après-midi l'a parfaitement illustré, il n'y a pas un modèle agricole : chaque exploitation emprunte à des logiques différentes, chaque exploitation a ses spécificités.
Et ce que l'on peut non seulement attendre de l'agriculture, mais ce que l'on doit souhaiter et favoriser pour l'agriculture française, c'est que chaque exploitant se voit proposer des dispositifs, des incitations, pour évoluer vers une agriculture ancrée sur son territoire, limitant autant que possible sa dépendance aux intrants extérieurs, que ce soit pour l'alimentation animale ou pour la fertilisation des cultures, vers une agriculture plus économe en eau et en énergie. Oui, une agriculture qui réponde aux enjeux de la biodiversité, plus rentable aussi par un développement de circuits courts, de produits à haute valeur ajoutée.
Mais surtout, et c'est cela l'essentiel, une agriculture dont chaque exploitant soit maître et puisse vivre le développement économique français et le maintien de l'attractivité de nos territoires passent par une agriculture de qualité et l'avenir de l'agriculture passe par une biodiversité en bonne santé.
Cette conviction guide à la fois mon action et l'exercice de mes responsabilités ministérielles : le dialogue qui a caractérisé cette journée, j'entends le poursuivre à l'avenir, et, dans l'immédiat, autour de ce cocktail républicain qui nous permettra de poursuivre nos échanges.
Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 25 mai 2016
La nuit suivant la création du secrétariat d'Etat à la biodiversité, que le président de la République et le premier ministre m'ont fait l'honneur de me confier, à Amiens, ma permanence parlementaire a fait l'objet d'une opération menée par des agriculteurs en colère.
Ce n'est bien entendu jamais agréable, même si ce n'était pas le premier local de ce type à faire l'objet d'un tel traitement.
Ma première réaction a été l'incompréhension : depuis 2012, jamais je ne me suis dérobée à une rencontre avec les syndicats agricoles qui me sollicitaient, comme ils le font, et c'est bien normal, avec tous les élus nationaux.
Et puis, j'ai fait l'effort d'écouter. Ecouter ce que disaient ceux qui revendiquaient cette opération.
Ecouter ceux qui, sans la défendre, parfois même en la condamnant, exprimaient une même inquiétude : ils craignaient que la création d'un secrétariat d'Etat à la biodiversité soit la marque d'une sorte de défiance des pouvoirs publics envers le monde agricole, et le signe annonciateur de normes environnementales aveugles, qui seraient venues, c'était l'inquiétude exprimée, rendre encore plus compliqué l'exercice d'une profession déjà fortement frappée par la crise.
Ces inquiétudes, je les ai entendues, et je suis déterminée à y répondre. Car la création du secrétariat d'Etat à la biodiversité marque, certes la volonté du gouvernement d'agir avec détermination, j'y reviendrai sur les facteurs de perte de biodiversité, et pour reconquérir une partie de la biodiversité disparue lorsque c'est possible, mais mon rôle est également un rôle d'explication, de pédagogie et de sensibilisation aux enjeux de la biodiversité.
Sensibiliser et entraîner dans l'action les citoyens, c'est ma tâche de chaque jour, mais aussi sensibiliser et accompagner dans l'action ceux dont l'activité est le plus en lien avec la biodiversité : les agriculteurs figurent au premier rang de ceux-là.
Ce week-end encore, j'étais dans la Brenne et j'y ai longuement discuté avec les représentants agricoles de l'Indre, de toutes tendances.
Ce matin, à Amiens, j'ai reçu des représentants des jeunes agriculteurs et de la fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles des Hauts de France, et c'est pour la même raison que j'ai répondu cet après-midi à l'invitation de Mickaël POILLION à visiter son exploitation : cette raison porte un nom. Dialoguer. Car la base de l'action publique, c'est le dialogue.
Et les rencontres d'aujourd'hui ont tout à la fois pour buts de dire un certain nombre de faits, d'expliquer une démarche, et d'échanger pour construire, ensemble, avec le monde agricole, une politique cohérente, qui soit à la hauteur des enjeux de biodiversité.
Dire les faits, c'est d'abord rappeler que la crise agricole est principalement une crise des prix, et principalement une crise de l'élevage bovin et porcin.
C'est pourquoi le gouvernement a fait de la question du partage des marges au sein de la filière, du producteur jusqu'au distributeur en passant par les industriels, le coeur de ses initiatives.
Parce que c'est la guerre des prix sans merci, à laquelle se livrent les enseignes de la grande distribution qui entraine vers le bas les prix payés aux fournisseurs et en bout de chaîne aux agriculteurs.
Ce phénomène délétère est rendu possible par la surproduction mondiale de porcs et de lait, alors que les conséquences de l'embargo russe se font toujours sentir.
Et dans le secteur laitier, la fin des quotas laitiers le 1er avril 2015 a bien sûr eu un impact : les quotas laitiers répartissaient la production entre les pays européens, ce qui permettait de réguler les prix.
Aujourd'hui la concurrence est accrue, obligeant les exploitations laitières à une adaptation souvent très difficile. C'est pourquoi Stéphane Le Foll se bat, à Bruxelles, pour une dérogation provisoire aux règles de la concurrence telles qu'elles ont été définies sous le précédent quinquennat.
Mesdames et messieurs, se parler, dialoguer, se respecter, c'est aussi se dire un certain nombre de vérités : Il y a des forces qui, pour des raisons économiques ou par facilité politique, pour ne pas dire par pure démagogie, ont intérêt à entretenir la confusion entre crise environnementale, normes et crise agricole.
Des forces politiques, celles-là même qui ont accepté, avant 2012, la réforme entrée en vigueur en 2015 qui a vu la fin des quotas.
Des forces catégorielles parfois, celles-là même qui n'avaient rien trouvé à redire à cette réforme qui s'est révélée très néfaste aux producteurs français.
Et des forces économiques, celles qui vendent, le plus souvent, des produits dont la nocivité pour l'environnement est en cause, et qui tentent de maintenir leurs clients - les agriculteurs - dans un état de dépendance, alors qu'elles feraient mieux d'utiliser leurs ressources à accompagner les exploitants dans la mise en oeuvre de nouvelles pratiques, plutôt qu'à faire pression sur les pouvoirs publics pour retarder des échéances dont elles savent pertinemment qu'elles sont inéluctables.
Entretenir cette fiction d'un lien de causalité entre protection de l'environnement et crise agricole serait une double faute: une faute vis-à-vis de l'avenir, une faute vis-à-vis des agriculteurs.
Pour l'avenir, les deux enjeux principaux auxquels nous sommes confrontés sont la lutte pour limiter le réchauffement climatique et la réponse aux menaces qui pèsent sur la biodiversité, qu'il s'agisse de la préservation d'espaces naturels indispensables à la vie ou du maintien d'espèces animales ou végétales dont la vitesse d'extinction atteint des niveaux inégalés du fait, pour l'essentiel, de l'activité humaine.
Reconnaissons que sur la question du climat, nous avons accompli un chemin déterminant dans la prise de conscience collective, et des avancées ont été obtenues, qu'il s'agit désormais de concrétiser.
2015 a vu la conclusion de l'accord de la Conférence de Paris, en décembre dernier, et 2016 en voit la signature effective, par tous les pays engagés dans la dynamique.
Cette prise de conscience du défi climatique est importante. Mais elle n'est pas suffisante pour affronter l'avenir si elle ne s'accompagne pas de la même lucidité sur l'enjeu de la biodiversité.
Or sur ce point, il reste encore beaucoup à faire, et l'intérêt général exige que, au-delà des intérêts sectoriaux légitimes, s'exprime l'urgence à agir. Car il y a urgence à agir.
Lorsqu'on me demande de donner une définition de la biodiversité, je réponds souvent « C'est le tissu du vivant », et je précise que ce tissu est composé d'innombrables fibres végétales, animales, géologiques ou génétiques qui contribuent, chacune, à la solidité du tout.
Que certaines de ces fibres se distendent ou disparaissent, et c'est la vie elle-même qui s'en trouve modifiée, voire menacée.
Or, du fait des activités humaines, sous l'effet des modifications d'habitats, de la surconsommation des ressources, des pollutions, d'espèces exotiques invasives et du réchauffement climatique, le taux de disparition des espèces naturelles atteint des seuils qui rendent impossible leur régénération : des fibres se délitent, rompent, disparaissent. Et la qualité de la vie, la vie elle-même s'en trouvent menacées.
Tout se tient :
Lorsqu'on porte une attention particulière aux pollinisateurs, ce n'est pas seulement pour le miel des abeilles que nous nous mobilisons, mais bien parce que les services rendus à la production agricole par les pollinisateurs sont indispensables.
Lorsqu'on s'alarme de la disparition de libellules, ce n'est pas seulement pour la beauté de leurs vols qu'on se mobilise, mais bien parce qu'elles sont les vigies qui témoignent de la bonne santé des zones humides. Des zones humides qui contribuent à la gestion des systèmes hydrologiques, qui préviennent les crues, et qui entretiennent des microclimats locaux déterminants.
Entretenir, pour de mauvaises raisons, cette idée selon laquelle les combats environnementaux seraient néfastes à l'agriculture serait d'autant plus déplorable que répondre aux défis environnementaux constitue une opportunité de sortie de crise pour de nombreuses exploitations.
En France, la loi de transition énergétique et pour la croissance verte, que Ségolène Royal a portée, a ouvert de nouvelles perspectives au monde agricole : la méthanisation est par exemple un des enjeux importants de la transition énergétique.
La France a choisi de fonder sa filière méthanisation sur un modèle de méthanisation de déchets et plus particulièrement un modèle de méthanisation d'effluents d'élevage, afin de minimiser les risques de conflits d'usage avec les terres agricoles.
La réponse au défi climatique permet de concilier nos objectifs de politique énergétique, de politique de gestion des déchets et notre politique agricole.
Il y avait 252 installations de méthanisation raccordées au réseau au 30 décembre 2015.
Plus de 300 projets se sont déclarés dans le cadre de l'appel à projets « méthaniseurs » ouvert à l'été 2014 pour accélérer le développement de la méthanisation.
Le gouvernement, par l'action de Ségolène Royal, prend des initiatives pour accélérer ce développement.
Un appel d'offres pour la réalisation d'installations de méthanisation de plus de 500 kiloWatts a été lancé en février 2016. Cet appel d'offres tri-annuel porte sur un volume annuel de 10 MegaWatts.
Les offres pour la première période de candidature doivent être déposées au plus tard en août 2016.
Ce sont des décisions récentes, dont l'objectif est d'accélérer dans les prochains mois le développement des projets.
Bien entendu, les précautions doivent être prises pour que ces projets de méthanisation ne soient pas l'occasion d'opérations qui viendraient bousculer les équilibres de filières existantes ou mettre en cause les écosystèmes : rien ne serait pire que de prétendre contribuer à régler un problème environnemental en en créant d'autres.
Mais la démonstration est faite que la réponse à la crise climatique offre des perspectives de ressources nouvelles à l'agriculture, et que les dispositifs mis en place permettent de répondre à des réalités très diverses d'exploitations ; j'ai pu le mesurer cet après-midi.
Eh bien je crois que de la même manière, il nous faut prouver que la réponse aux défis de la biodiversité peut être une opportunité pour l'agriculture et pour les agriculteurs.
C'est pourquoi la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, que je porte en ce moment même au Parlement, fait de la reconnaissance du rapport étroit entre agriculture et biodiversité un principe général de notre droit.
Nous sortons enfin du débat de posture qui consistait à opposer préservation de la biodiversité et agriculture. L'agriculture, comme toutes les activités humaines, a un effet sur la biodiversité : parfois en négatif, lorsque les intrants ou les rejets dégradent l'environnement, mais parfois également en positif parce que l'entretien de nos paysages, de nos territoires, concourt à la préservation, et même parfois au retour de biodiversité.
Le projet de loi n'oppose pas : il reconnait un lien. Et il tente d'apporter des réponses, pour accompagner les agriculteurs dans la transition des pratiques.
Oui, mesdames et messieurs, je vous avais dit que vous pouviez vous attendre à un message de vérité de ma part, et que je n'entendais pas pratiquer la langue de bois : et la vérité, c'est que les questions environnementales ne sont pas la cause de la crise agricole, qui est une crise de nature économique, une crise de production, une crise des prix. Et la vérité aussi, et cela tout le monde doit en avoir conscience, c'est ce que je tire comme leçon des dialogues de ce matin, par exemple, c'est que la crise agricole rend les adaptations aux défis environnementaux plus difficiles : ce n'est jamais facile de devoir changer, de devoir s'adapter, mais lorsqu'on doit le faire alors qu'on a à affronter d'autres difficultés, qu'on doit lutter pour la survie de son exploitation, c'est encore plus difficile. Et cette réalité, il nous faut la prendre en compte dans nos décisions.
C'est ce qu'on fait Ségolène Royal et Stéphane Le Foll avec le plan Ecophyto 2, qui vise à réduire de 50% l'utilisation de pesticides d'ici 2025. Ce plan comporte un dispositif innovant de certificats d'économie de produits phytosanitaires, inspirés des certificats d'économie d'énergie.
Les fournisseurs de pesticides devront mener des actions pour réduire leur usage, sinon ils seront sanctionnés financièrement. Ce plan recevra par ailleurs un soutien de 70 millions d'euros permettant de financer des actions qui permettront la réduction des pesticides, y compris des actions de recherche, d'expérimentation, de mise en place de nombreuses fermes démonstrateurs et de formation des acteurs du monde agricole.
Le gouvernement a par ailleurs mis en oeuvre un plan de 10 millions d'euros en soutien aux agriculteurs, notamment pour moderniser les moyens d'épandage de matières fertilisantes.
C'est cette démarche à la fois volontariste et pragmatique qu'il nous faut adopter sur la question des néonicotinoïdes : ces produits ont des effets néfastes sur la biodiversité, notamment sur les insectes pollinisateurs.
Ségolène Royal avait lancé le plan « France Terre de pollinisateurs » 2016-2020 qui prévoit une vingtaine d'actions visant à mieux connaître les insectes pollinisateurs et la pollinisation et à promouvoir de bonnes pratiques dans tous les espaces fleuris et secteurs concernés, les territoires ruraux et forestiers, les espaces protégés tels les parcs naturels régionaux, et les territoires urbains. Il sagit de préserver les services rendus par les abeilles et les insectes pollinisateurs à l'agriculture, dont je parlais tout à l'heure, et qui sont évalués à plusieurs dizaines de milliards d'euros en Europe.
Par ailleurs, le gouvernement entend prendre en compte intégralement l'avis de l'ANSES sur les néonicotinoïdes.
Après avoir examiné l'ensemble des études disponibles, l'ANSES constate qu'en l'absence de mesures de gestion adaptées, l'utilisation des néonicotinoïdes a de sévères effets négatifs sur les pollinisateurs, y compris à des doses d'exposition faible.
L'ANSES a également identifié des mesures de gestion supplémentaires pour l'utilisation des néonicotinoïdes qui pourront faire l'objet de restrictions d'usage dans les autorisations de mise sur le marché, comme limiter l'implantation de cultures suivantes à des cultures non attractives pour les abeilles et les autres pollinisateurs. Tout cela nous démontre que l'avenir de l'agriculture ne peut pas passer par ces produits, qui posent tant de problèmes à l'environnement, et qui comme tous les pesticides, il faut le rappeler sans cesse, menacent la santé de ceux qui les utilisent, menacent la santé des agriculteurs.
Sur les néonicotinoïdes, le gouvernement a donc désormais un message clair : avec mes collègues ministres de l'environnement, Ségolène Royal, et de l'agriculture, Stéphane Le Foll, nous sommes arrivés à une position commune, défendue d'une seule voix.
Elle consiste à proposer d'interdire, au plus tard en 2018, les néonicotinoïdes pour lesquels il existe des alternatives plus favorables identifiées par l'ANSES, qui doit réaliser d'ici la fin de l'année une analyse comparative des bénéfices et des risques de chacun de leurs usages et des autres méthodes de traitement ou de lutte.
Pour sortir du soupçon permanent qui pèse sur ce type de décisions, pour que cessent ces accusations permanentes d'idéologie, nous proposons que ce soit l'ANSES, et l'ANSES seul, qui prenne ces décisions.
Et pour assurer à tous, à la société et aux agriculteurs, que soient effectivement mis en oeuvre, notamment par l'industrie des fournisseurs, les efforts de recherche et de développement sur des solutions qui ne soient pas nocives pour l'environnement et la santé, nous souhaitons que le principe d'une interdiction complète en 2020 figure dans la Loi. Parce que s'il n'y a pas d'échéance, il y a risque de procrastination. C'est là une proposition volontariste, mais pragmatique, qui garantit aux agriculteurs qu'ils seront accompagnés dans le changement.
Mesdames et messieurs, je vous le disais tout à l'heure : dialoguer, c'est dire des choses, mais c'est aussi apprendre, et écouter.
C'est ce que je suis venue faire cet après-midi et je remercie Mickaël POILLION de m'avoir fait partager ses expériences, ses réussites, et aussi ses interrogations.
Plus je travaille sur cette question du lien entre agriculture et biodiversité, plus je rencontre d'acteurs, plus j'échange avec des agriculteurs, plus je me dis que le discours habituel, qui consiste à dire : « il faut passer d'un modèle à un autre modèle » pèche par son simplisme. Parce qu'en réalité, et cette visite cet après-midi l'a parfaitement illustré, il n'y a pas un modèle agricole : chaque exploitation emprunte à des logiques différentes, chaque exploitation a ses spécificités.
Et ce que l'on peut non seulement attendre de l'agriculture, mais ce que l'on doit souhaiter et favoriser pour l'agriculture française, c'est que chaque exploitant se voit proposer des dispositifs, des incitations, pour évoluer vers une agriculture ancrée sur son territoire, limitant autant que possible sa dépendance aux intrants extérieurs, que ce soit pour l'alimentation animale ou pour la fertilisation des cultures, vers une agriculture plus économe en eau et en énergie. Oui, une agriculture qui réponde aux enjeux de la biodiversité, plus rentable aussi par un développement de circuits courts, de produits à haute valeur ajoutée.
Mais surtout, et c'est cela l'essentiel, une agriculture dont chaque exploitant soit maître et puisse vivre le développement économique français et le maintien de l'attractivité de nos territoires passent par une agriculture de qualité et l'avenir de l'agriculture passe par une biodiversité en bonne santé.
Cette conviction guide à la fois mon action et l'exercice de mes responsabilités ministérielles : le dialogue qui a caractérisé cette journée, j'entends le poursuivre à l'avenir, et, dans l'immédiat, autour de ce cocktail républicain qui nous permettra de poursuivre nos échanges.
Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 25 mai 2016