Déclaration de M. Pierre Mauroy, Premier ministre, devant les commissaires de la République de région, sur la décentralisation, Paris le 5 mai 1983.

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Texte intégral

Messieurs les commissaires de la République de Région,
Vous savez l'intérêt que je porte au corps préfectoral. Celui-ci a un rôle important de coordination et d'animation de l'administration déconcentrée. Reprenant les principes posés par la Constitution, les décrets du 10 mai 1982 précisent que le représentant de l'Etat dans le département et la région "représente chacun des ministres, dirige les services de l'Etat et a la charge des intérêts nationaux, du respect des lois etc... du contrôle administratif".
C'est parce que je connais et apprécie le rôle que vous jouez que j'ai demandé au directeur de mon cabinet de rencontrer progressivement tous les préfets avec mes collaborateurs. Il m'a rendu compte des échanges fructueux qu'il a eu avec la plupart d'entre vous et un grand nombre de vos collègues des départements.
Aujourd'hui, et c'est me dit-on, assez exceptionnel, j'ai tenu à vous recevoir moi-même à l'Hôtel Matignon, en présence de Monsieur le Ministre de l'Intérieur et de la décentralisation et de Monsieur le Secrétaire d'Etat plus particulièrement chargé de la planification.
J'ai tenu à vous recevoir pour vous entendre, sur les questions qui peuvent vous apparaître comme les plus préoccupantes, tant en ce qui concerne la situation économique et sociale sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir cet après-midi devant l'ensemble de vos collègues, que sur les sujets majeurs que sont :
la décentralisation, la déconcentration
la planification régionale
ou l'ordre public.
* La décentralisation et la déconcentration :
La décentralisation, nous l'avons faite : quatorze mois après l'entrée en vigueur de la première loi de décentralisation, la quasi totalité des mesures nécessaires à l'application de la Loi du 2 mars 1982 ont été prises : 34 décrets d'application sont intervenus, la mise en place des chambres régionales des comptes a été réalisée avec les deux lois du 10 juillet 1982. Les premières mesures d'application de la Loi du 7 janvier 1983 sur les transferts de compétence ont été prises ou le seront dans le délai prévu :
- la commission d'évaluation des transferts de charges pourra se réunir avant la fin du mois de mai, l'élection des représentants des régions étant prévue pour le 16 mai.
- la dotation globale d'équipement est entrée en vigueur, les taux pour 1983 ont été arrêtés par deux décrets du 10 mars.
- le transfert de compétence de la formation professionnelle aura lieu le 1er juin, la parution des textes réglementaires est imminente.
- le transfert des compétences pour l'urbanisme prendra effet à compter du 1er octobre 1983 pour les communes déjà dotée d'un POS.
- le transfert du remembrement entrera en vigueur le 10 mai, la publication du décret est imminente.
En outre, sont en cours d'examen devant le Parlement :
- l'examen de la 2e partie de la répartition des compétences, le débat a commencé au Sénat le 4 mai ;
- le projet de loi sur la fonction publique territoriale sera examiné par l'Assemblée Nationale au début du mois de juin prochain.
Enfin, sont en cours d'élaboration :
- le statut de l'élu qui va être examiné en partie C du Conseil des ministres très prochainement ;
- la formation professionnelle des agents de la fonction publique territoriale qui fait l'objet d'une concentration avec les élus et les organisations syndicales ;
- la participation des citoyens à la vie locale dont l'avant-projet de loi sera examinée en partie C du conseil des ministres au mois de juin.
Mais la décentralisation n'est pas synonyme d'un effacement de l'Etat. Au contraire, elle exige des modalités différentes d'exercice des responsabilités.
Si les collectivités et les citoyens ne trouvent pas du fait de la déconcentration un interlocuteur et des services capables de s'engager au nom de l'Etat et de décider sur place, la décentralisation elle-même se trouvera progressivement vidée de son contenu au profit d'administrations centrales anonymes.
A cet égard, les décrets du 10 mai ont posé des principes clairs et que vous connaissez :
- le commissaire de la République dirige les services extérieurs de l'Etat ;
- le commissaire de la République conclut au nom de l'Etat les conventions avec les collectivités territoriales ;
- le commissaire de la République préside de droit toutes les commissions administratives dans le département et la Région.
Enfin, le commissaire de la République est l'unique ordonnateur secondaire des dépenses des services extérieurs de l'Etat.
Pour que les principes posés par les décrets du 10 mai 1982 ne soient pas vidés de leur contenu, il est primordial que la déconcentration ne soit pas la préoccupation du seul ministre de l'Intérieur et de la décentralisation.
C'est pourquoi a été placé auprès du Premier ministre le Comité interministériel d'administration du Territoire (CIATER) chargé de proposer les lignes directrices d'une politique active de déconcentration.
Le CIATER vient d'adopter un certain nombre de mesures de déconcentration dans le domaine notamment de l'action économique, de la déconcentration de décisions réglementaires, de la coordination de l'action des établissements publics nationaux avec celle des services de l'Etat. Ces mesures feront prochainement l'objet de décrets.
Enfin pour renforcer l'action du CIATER une mission, dirigée par un membre du conseil d'Etat va prochainement être mise en place. Elle étudiera pour chaque ministère les attributions à déconcentrer, les conséquences qu'il faut en tirer sur la nouvelle organisation des ministères et sur la répartition du personnel de l'Etat entre les administrations centrales et les services extérieurs.
* La planification
La planification décentralisée, dans le cadre de la décentralisation, est un élément très important de la politique nationale. Elle doit permettre de réaliser nos objectifs majeurs :
- à court terme le rétablissement de notre balance des paiements, condition de notre indépendance, et la maîtrise des finances publiques ;
- à moyen terme la tâche centrale est la modernisation de notre pays. Elle se fonde sur l'investissement productif, la recherche et la formation.
C'est par là que nous répondrons au défi essentiel qui est celui de l'emploi.
Les contrats Etat-Région doivent traduire cette stratégie : ils s'inscrivent dans un budget de rigueur et doivent concourir à des redéploiements budgétaires. Il faut faire moins d'équipements lourds mais il faut soutenir les actions de développement régional qui comportent notre appareil productif, l'adaptent aux nouvelles technologies et améliorent l'efficacité de notre appareil de formation.
Monsieur LE GARREC vous exposera tout à l'heure les principales orientations retenues par le Gouvernement dans la première Loi de plan et les thèmes des programmes prioritaires mis à l'étude en vue de la 2e Loi de plan. Mais je tiens à répéter que la négociation des contrats Etat-Région vous incombe. Je sais que quelques difficultés sont apparues lorsque l'intervention de l'Etat procède de l'action des établissements publics sous sa tutelle. Je tiens à être clair sur ce point : l'intervention de ces établissements publics, lorsqu'elle concourt à une action conjointe, doit être intégrée dans les contrats de plan avec l'Etat.
C'est à vous qu'il appartient de négocier au nom de l'Etat les contrats correspondants. Vous associerez à l'examen des propositions de la Région les établissements publics concernés qui seront alors co-signataires des contrats.
S'agissant des conventions autres que les contrats de plan Etat-Région c'est à titre exceptionnel que les administrations d'Etat pourront sous-forme contractuelle et par votre intermédiaire mener avec les Régions des actions sectorielles ne figurant pas dans le contrat de plan Etat-Région. En tout état de cause, les conventions qui en résulteront ne devront pas être conclues avant la signature du contrat de plan Etat-Région.
* Décentralisation, déconcentration, planification régionale sont vos sujets de préoccupation. L'ordre public en est en autre, non moins important.
En période de crise économique, les manifestations de rue ont tendance à se développer. Il importe en la matière de faire preuve de fermeté, sans négliger pour autant le respect des principes essentiels.
Il faut tout faire pour préserver la liberté d'expression de chacun. Mais celle-ci doit s'exercer dans un cadre légal. Nul ne peut s'arroger le droit de dégrader le domaine public, de saccager les biens privés, ou de s'en prendre à l'intégrité des personnes physiques.
Je vous demande donc en toute circonstance d'assurer le maintien de l'ordre public.
Face aux revendications catégorielles qui s'expriment quelle est l'attitude du gouvernement ?
Elle est simple. D'une part, nous nous efforcerons toujours de surmonter les difficultés qui peuvent se présenter par le dialogue et la concertation. D'autre part, nous ferons toujours en sorte que les revendications catégorielles ne remettent pas en cause l'intérêt général.
L'intérêt général ne peut pas être une simple somme des intérêts catégoriels. L'intérêt général, il appartient au gouvernement, il appartient à l'Etat, de le dégager et de le faire triompher.