Déclaration de Mme Erika Bareigts, ministre des outre-mer, sur les grandes orientations du projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer, à l'Assemblée nationale le 20 septembre 2016.

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Circonstance : Présentation du projet de loi Egalité réelle Outre-mer à la commission des lois, à l'Assemblée nationale le 20 septembre 2016

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et messieurs les Députés,
Je suis très heureuse de vous retrouver pour engager le travail sur le projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.
La discussion de ce projet de loi est un rendez-vous important pour nos territoires qui attendent que de nouveaux progrès et avancées leur soient apportés. Il y a 70 ans : Aimé Césaire, Léopold Bissol, Gaston Monnerville et Raymond Vergès étaient aussi réunis dans un combat politique pour la reconnaissance des Outre-mer et la consolidation des piliers de la République dans ces territoires. La loi de départementalisation de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion et de la Guyane a permis de franchir des étapes essentielles sur le chemin de l'égalité, des droits sociaux notamment.
C'est en quelque sorte la marche de l'histoire que nous devons sans cesse nous rappeler. Robert Badinter expliquait le nécessaire travail de mémoire, un travail qui permet de « revenir aux sources, dresser le bilan, ouvrir des voies nouvelles » pour le citer. Voilà ce à quoi nous devons nous atteler maintenant : ouvrir des voies nouvelles.
En 2016, les progrès sont importants, nous en sommes tous conscients. Mais les écarts de niveau de vie demeurent persistants. Je pense au chômage, au taux de pauvreté, aux inégalités de revenu, au taux d'illettrisme, mais aussi à la mortalité infantile où les retards renvoient à une situation qui était celle de l'hexagone il y a vingt ans. Cette réalité constitue une insulte aux principes républicains et enferment nos concitoyens des DCOM dans des situations de vie particulièrement pénibles.
Il nous faut alors poursuivre et parachever cette dynamique de développement et l'accompagner de politiques volontaristes. Il nous faut assurer aux ultramarins la capacité de bénéficier des mêmes opportunités dans notre société : en matière de conditions de vie, d'accès aux droits, de développement personnel et professionnel. C'est cela, l'égalité républicaine.
Le Gouvernement a ainsi souhaité qu'un projet de loi soit présenté au Parlement pour faire du principe d'égalité, une réalité pour les près de 3 millions de compatriotes résidant dans les DOM, les COM et la Nouvelle-Calédonie.
C'est pourquoi, le Président de la République et le Premier ministre ont confié à Victorin Lurel le soin de rédiger un rapport visant à préparer ce rendez-vous législatif. Ce dernier est l'aboutissement d'un long processus de concertation exemplaire, et de consultation fournie : universitaires, socio-professionnels notamment via le CESE et, bien entendu, parlementaires ont été mobilisés dans des délais très contraints. Je souhaite rendre hommage au travail des députés et sénateurs, tous territoires et tendances politiques confondus ; votre voix compte, et votre rôle sera là aussi essentiel tout au long de notre discussion.
Cette mobilisation démontre notre capacité à construire un projet pour une France qui se pense au-delà des frontières hexagonales.
Le texte qui vous est soumis ne constitue qu'une première étape d'une stratégie globale en faveur de l'égalité réelle Outre-mer. Il détaille les principes, les outils, la méthodologie et plusieurs mesures économiques et sociales y contribuant. Je souhaite maintenant vous en présenter les différents volets.
Le titre premier définit les principes et l'objectif à atteindre pour l'égalité réelle.
Il est nécessaire d'affirmer un horizon commun pour la conduite des politiques publiques dans les Outre-mer. Cet horizon, c'est celui de l'égalité réelle. Il permet de poser le cadre d'une stratégie destinée à engager un nouvel élan.
L'histoire républicaine des Outre-mer doit continuer d'être écrite. Cette nouvelle page sera celle de l'égalité réelle. Ma conviction profonde est que nous sommes arrivés au bout d'un modèle qui a consisté, exclusivement, à réduire les écarts immenses entre l'Hexagone et les Outre-mer, sans toujours y être parvenus notamment en termes d'opportunité de développement ou de droits sociaux.
Selon moi, il faut définir une nouvelle approche stratégique qui doit s'inscrire pleinement dans le projet républicain. Les Outre-mer disposent chacun de singularités constituant autant d'atouts pour l'attractivité de ces territoires. Nous entrons aujourd'hui dans une nouvelle étape de notre histoire : pour qu'un modèle économique et social dynamique, puissant, solidaire, tourné vers l'environnement régional de chaque territoire, permette aux ultramarins de libérer pleinement leur potentiel et aux territoires d'être des atouts pour le développement et la réussite française au sein d'aires géoéconomiques en pleine expansion.
Ainsi, le projet de loi, dans sa première partie, est consacré à l'ensemble des mesures de programmation pour l'égalité réelle. Il affirme que l'égalité réelle entre les Outre-mer et l'Hexagone constitue une priorité de la Nation et définit les objectifs des politiques publiques qui y concourent.
C'est ce qui permettra d'accroître les niveaux de vie, de réduire les inégalités, d'encourager le développement des territoires. Bref, de faire en sorte que ces territoires et leurs habitants bénéficient des mêmes opportunités que leurs compatriotes de l'hexagone.
L'égalité est bien sûr inscrite dans nos principes républicains : mais à l'instar de la République, elle ne saurait être seulement évoquée et invoquée, et reste encore aujourd'hui trop éloignée pour certains Français. Il nous faut donc, ensemble, assurer à tous les citoyennes et les citoyens, quels que soient leurs lieux d'habitation, leur couleur de peau, leur identité culturelle ou cultuelle, les moyens adaptés pour se réaliser et progresser dans notre société, et faire prévaloir la solidarité nationale.
Dès ma nomination au Secrétariat d'Etat à l'Egalité réelle auprès du Premier ministre en février dernier, je l'avais déclaré : l'égalité ne se décrète pas. Elle est un processus, un projet de société qui s'inscrit dans le long terme.
Cela concerne aussi les territoires qui connaissent de grandes disparités structurelles : l'éloignement géographique, les différences en matières de ressources naturelles, d'attractivité touristique, etc. Avancer sur le chemin de l'égalité réelle, c'est prendre en compte ces différences pour y apporter des nouveaux outils adaptés.
C'est ce projet, cette stratégie globale que nous vous proposons d'inscrire dans la loi. Un texte de loi qui définit une ambition, une méthodologie et des outils. Un texte de loi qui irriguera les futures politiques publiques mises en place.
Une fois l'objectif posé, il nous faut définir une méthode d'action. C'est l'objet du titre II.
Le titre II crée, à cette fin, un nouvel instrument de planification de la trajectoire de convergence et de réduction des écarts de développement territoire par territoire.
Cet instrument, c'est le plan de convergence.
Ces plans de convergence permettront de définir une méthode commune entre tous les acteurs pour concrétiser l'égalité réelle. Ils seront le fruit d'un travail de co-construction qui impliquera les citoyens, les associations, les acteurs économiques, les collectivités, les corps constitués. Cette méthode constitue une condition sine qua non pour que les plans répondent effectivement aux besoins locaux et que les différents acteurs se les approprient pleinement.
Les plans de convergence préciseront ainsi les mesures et actions à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs. Ils comprendront notamment un volet relatif au périmètre et à la durée du plan ; un diagnostique économique, social, financier et environnemental ; une stratégie de convergence ; des actions opérationnelles ; des expérimentations ; une programmation financière et un tableau de suivi. Ils s'appuieront sur les outils contractuels déjà existants.
La Commission nationale d'évaluation des politiques publiques de l'Etat Outre-mer (CNEPEOM) assurera le suivi du plan de convergence de chaque collectivité. Cette démarche d'évaluation permettra de mesurer les progrès réalisés, les objectifs atteints, là où il reste encore du travail. Cette évaluation s'appuiera notamment sur un tableau de bord qui regroupera les principaux indicateurs de la convergence, prenant en compte les spécificités locales.
Cette démarche de contractualisation permettra d'installer une dynamique collective pour mutualiser les moyens et définir une stratégie partenariale. Ainsi, les plans de convergence, élaborés de manière participative, se présenteront sous la forme d'un document de programmation transverse, contractualisé et d'une durée de 10 à 20 ans.
Un horizon défini, une méthodologie efficace sont ainsi proposés dans ce projet de loi. Il contient aussi des mesures visant à renforcer le modèle social des territoires ultramarins et leur développement économique.
Le titre III est consacré à des dispositions sociales en faveur de l'égalité dans le Département de Mayotte.
La recherche de l'égalité sociale constitue un thème toujours actuel et attendu par nos concitoyens ultramarins. Depuis 70 ans, la Gauche a été au rendez-vous du progrès, et a porté des avancées concrètes. Ainsi, sous l'impulsion de Michel ROCARD, les allocations familiales ont été alignées sur les montants hexagonaux en 1993. Et en 2000, quatre ans après l'alignement du SMIC, sous l'égide du Gouvernement de Lionel JOSPIN, la loi d'orientation pour l'Outre-mer a aligné le RMI en deux ans.
Aujourd'hui, deux articles, à ce stade, prévoient des mesures relatives à l'égalité sociale à Mayotte, où la départementalisation y est intervenue il n'y a que cinq ans. Je précise que le volet social de ce texte aura vocation à être affiné, complété et enrichi durant l'ensemble du processus parlementaire. Des avancées volontaristes et équilibrées pourront ainsi être obtenues, de concert.
Le premier objectif de ce titre est d'accélérer la logique de convergence à l'œuvre afin de permettre à nos compatriotes Mahorais de disposer d'une politique familiale renforcée.
C'était l'engagement pris par le Premier ministre Manuel VALLS dans le document stratégique « Mayotte 2025 », signé en juin 2015. Nous le réalisons dans ce projet de loi.
Rappelons que dès mai 2012, de nombreuses avancées ont déjà eu lieu : alignement de l'Allocation de rentrée scolaire, hausse significative du RSA, mise en place des allocations logement, instauration de la prime d'activité grâce au concours actif des services du Ministère des Affaires sociales et de la santé. Je tiens à souligner l'engagement de Marisol TOURAINE sur ces sujets, au service des ultramarins.
Ainsi, l'article 9 prévoit d'accélérer le rythme d'augmentation des allocations familiales. Il prévoit également, comme dans les DOM « historiques », la mise en place du complément familial Outre-mer. De plus, ce même article procède à l'extension des compléments de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) à Mayotte, et ce dans les mêmes conditions que dans l'Hexagone. Ces différentes mesures permettront de renforcer les soutiens apportés aux familles à Mayotte et, en particulier, aux foyers les plus modestes, alors que le PIB/habitant demeure encore, dans ce département, inférieur à 30 % de la moyenne nationale.
Le deuxième objectif est d'accompagner la mise en place d'un système complet d'assurance vieillesse dans ce département.
L'article 10 institue notamment un dispositif spécifique de garantie des pensions des salariés du secteur privé, ce « minimum contributif » devant permettre aux retraités ayant cotisé de manière significative au titre de la retraite de disposer d'une pension supérieure à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), actuellement de moins de 400 € par mois. L'article prévoit par ailleurs la mise en œuvre simultanée des systèmes de retraite complémentaire obligatoire existant dans l'hexagone et dans les six autres collectivités ultra-marines régies par le droit social national.
Ce volet est ainsi une étape importante pour favoriser le développement humain de nos territoires.
Enfin, le titre IV vise à ouvrir de nouvelles opportunités économiques et à faciliter l'initiative entrepreneuriale.
Les Outre-mer seront amenés à faire face dans les prochaines années à d'importants défis, démographiques, sociaux mais aussi, économiques.
Je crois profondément que nous devons proposer une nouvelle vision, un nouveau modèle économique pour nos territoires. J'évoquais la fin d'un processus ; il nous faut inventer l'avenir. Les douze territoires des Outre-mer ne sauraient être à part dans la réussite économique de la France. Ils en sont les parties-prenantes, et doivent être mieux connus, et reconnus en tant que tels.
Cessons de voir ces territoires comme des périphéries, des lieux d'exotisme mais considérons tout leur potentiel et leurs atouts, géopolitiques et surtout humains. Prenons l'exemple entrepreneurial : le tissu économique y est composé par près de 90% de petites et moyennes entreprises et le dynamisme de la jeunesse ultramarine est avéré (rappelons que les DCOM comptent près d'un million de jeunes de moins de 20 ans). Les Outre-mer sont une terre d'innovation, permise par des traditions, des savoir-faire, des échanges commerciaux diversifiés.
A nous de les renforcer et de les développer.
Plusieurs dispositions sont ainsi prévues dans le titre IV, notamment en matière de formation.
A Mayotte, nous proposons de renforcer l'accès des personnes à la formation puis à des emplois de haut niveau dans les administrations publiques et dans le secteur privé. C'est le sens de la création du dispositif « cadres avenir » qui s'inspire du dispositif qui a très bien fonctionné en Nouvelle-Calédonie. Il permettra d'accompagner ces personnes, notamment financièrement, pour qu'elles puissent pleinement développer leur compétences puis les placer au service de leur département.
Pour compléter les dispositifs en faveur de la jeunesse ultramarine, dans l'ensemble des territoires, le projet de loi définit un nouveau dispositif de continuité territoriale financé par le fonds de continuité territoriale géré par l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM). Ainsi, les élèves et étudiants qui effectuent un stage dans le cadre de leur formation professionnelle à l'extérieur de la collectivité de leur établissement pourront bénéficier d'une aide. Il s'agit d'une substantielle avancée en faveur de leur mobilité.
Favoriser les dispositifs de formation est aussi l'objectif poursuivi par l'article 13. Il permet d'étendre la possibilité d'intégrer les travailleurs informels dans une démarche de validation es acquis de l'expérience (VAE) en contrepartie de leur insertion dans un parcours de formalisation progressive de leurs activités.
Enfin, les articles 14 et 15, sont des dispositions techniques permettant d'assurer la modération des prix par les transporteurs maritimes et via la lutte contre la concentration des activités commerciales.
Mesdames et messieurs les députés,
Ce projet de loi constitue un véritable levier économique et social pour les Outre-mer. Il a pour ambition de les inscrire dans une démarche d'excellence économique, environnementale, éducative. Mais aussi de combler les retards sociaux (plus d'une vingtaine d'années en termes d'IDH), en luttant davantage contre la pauvreté et les inégalités, notamment en investissant encore plus dans le capital humain. Cette démarche, c'est celle de l'égalité réelle.
Ce projet ambitieux, je souhaite qu'il soit affiné, complété et enrichi durant l'ensemble du processus parlementaire, et notamment en ce qui concerne son volet social. Je serai très attentive à vos propositions et souhaite que nous concrétisions notre ambition.
La loi égalité réelle Outre-mer sera l'un des derniers vecteurs législatifs du quinquennat. Nous devons donc être à la hauteur de ce rendez-vous et participer ainsi au renforcement de l'inclusion républicaine de ces territoires. Je vous remercie.Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 27 septembre 2016