Déclaration de Mme Erika Bareigts, ministre des outre-mer, sur la nécessité d'une meilleure intégration des régions ultrapériphériques (RUP) au sein de l'Union européenne, à Madère le 23 septembre 2016.

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Circonstance : XXIe Conférence des présidents des régions ultrapériphériques, Madère (Funchal, Portugal) le 22 septembre 2016

Texte intégral

Madame la Ministre des Affaires européennes du Portugal,
Monsieur le Président du Gouvernement régional de Madère,
Madame la Commissaire européenne en charge de la politique régionale,
Mesdames, Messieurs les Députés européens,
Madame, Messieurs les Présidents des Régions Ultrapériphériques de l'Union européenne,
Mesdames et Messieurs les représentants de la Commission européenne et du Gouvernement espagnol,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse de participer à cette conférence et d'intervenir devant vous. Cette réunion nous permet ensemble d'affirmer une ambition collective : celle de faire des RUP des régions pleinement intégrées au sein de l'Union européenne.
En 1988, les Présidents des Régions Ultrapériphériques avaient pris l'initiative de se réunir à Funchal pour préconiser un dialogue avec la Commission européenne et les autorités nationales de leurs trois Etat-membres respectifs, afin que les institutions communautaires apportent des réponses adéquates et novatrices aux questions rencontrées par les RUP.
Presque trente ans plus tard, nous voici réunis, à nouveau, ensemble, à Madère. L'heure des bilans, certes, mais aussi des espoirs et des perspectives. Des avancées ont été obtenues. A l'inverse, certaines évolutions ont engendré déceptions et inquiétudes. Mais nos régions, plus que jamais, sont déterminées à faire entendre leur voix, pour défendre leurs intérêts légitimes dans l'Europe où elles ont toute leur place, apportant une valeur ajoutée et un supplément d'âme au Vieux continent.
En premier lieu, je crois qu'il nous faut d'abord affirmer une vision dynamique, constructive, énergique, de ces territoires et déconstruire les stéréotypes dont ils sont parfois les victimes.
A l'instar des départements et collectivités d'Outre-mer françaises, les RUP souffrent, au sein d'une certaine Europe, d'un regard distinct, souvent paternaliste, parfois méprisant. L'Union européenne aura tout à gagner à pleinement connaître et reconnaître ses compatriotes d'Outre-mer ! Et je salue, dans ce sens, l'engagement de la Commissaire CRETU dont la présence ici témoigne de la considération et de l'estime qu'elle nous porte. J'entends trop souvent que les neuf RUP « coûtent ». Alors qu'on devrait dire qu'elles « comptent » !
Elles comptent d'abord démographiquement : les populations cumulées des Açores, des Canaries, de la Guadeloupe, de la Guyane, de Madère, de la Martinique, de Mayotte, de La Réunion, de la partie française de Saint-Martin, atteignent presque 4 800 000 habitants. Soit une population comparable à celle de l'Irlande, et supérieure à celle de la Croatie?.
Elles comptent ensuite économiquement, puisque le PIB cumulé des RUP espagnoles, françaises et portugaises approche les 100 milliards d'euros et est supérieur de près d'un tiers à celui d'un Etat membre comme la Slovaquie.
Elles comptent enfin, et surtout, grâce à leurs innombrables atouts, humains et géopolitiques.
On le sait, et on le répète chaque année depuis 1995, date de la première Conférence des Présidents des RUP, nos territoires constituent de véritables plateformes de recherche dans les domaines de l'agroalimentaire, de la biodiversité, des énergies renouvelables, de l'aérospatial, de l'océanographie, ou encore de la vulcanologie et de la sismologie.
L'Outre-mer européen, tous statuts confondus, contribue également à renforcer la dimension maritime du Vieux Continent : l'Union européenne est une véritable puissance maritime, potentiellement la première d'entre elles, avec, à ce jour, près de 25 millions de km² de ZEE.
L'apport des RUP, enfin, est humain, avec une exceptionnelle diversité culturelle et patrimoniale, certes, mais aussi grâce à la jeunesse de ces territoires.
En second lieu, force est de constater, hélas, que l'écart de richesse et de développement entre les RUP et l'Europe continentale ne s'est pas suffisamment résorbé. Il a même tendance à s'accroître à nouveau depuis 2008-2009, à cause d'une crise économique dure et profonde.
Les dernières données d'EUROSTAT de Février dernier, présentant les PIB régionaux pour l'année 2014, montrent que, depuis la crise, le rattrapage de la moyenne communautaire en termes de PIB par habitant s'est interrompu en moyenne dans les RUP.
Certes, depuis 2007, la tendance s'est poursuivie dans les DOM français, à un rythme ralenti. Mais aux Açores, et encore davantage aux Canaries et à Madère, on a assisté à un véritable décrochage.
Il est donc inexact de prétendre, comme je l'ai entendu dire ici ou là, que les RUP seraient des territoires « privilégiés », notamment par rapport à certains Etats membres de l'Est, du Nord et du Sud de l'Europe.
Par exemple, avec en moyenne 66 % du niveau de PIB par habitant de l'Union européenne en 2014, la moyenne des DOM français est inférieure à celle de la Hongrie et de la Pologne (68 %). Le niveau de vie de Madère (73 %) est désormais inférieur à celui de la Slovaquie (77 %). Et la deuxième région la plus pauvre d'Europe est Mayotte, avec 31 % de la moyenne de l'UE. Je me rendrai justement à Mayotte dès la semaine prochaine.
Contrairement à certaines idées reçues, les RUP restent donc empreintes de précarité et de pauvreté, d'autant plus que les contraintes structurelles (éloignement, insularité), elles, demeurent.
Il faut donc ensemble mener des politiques proactives qui permettent d'accompagner le développement humain et économique de ces territoires !
C'est pourquoi, nous demandons la solidarité européenne, ni plus ni moins. Elle doit nous permettre de prendre nos destins en main en valorisant nos atouts. Dans cette optique, les RUP doivent être mieux connues et reconnues.
• Les RUP doivent tout d'abord être mieux connues. Pour cela, l'amélioration de l'outil statistique est importante.
Cela s'avère particulièrement sensible dans les collectivités ultra-marines françaises, et notamment dans le DOM de Mayotte et la COM de Saint-Martin. Je porte d'ailleurs, en ce moment même au Parlement français, une loi qui va s'efforcer d'améliorer la situation dans ce domaine.
Par ailleurs, les réalités statistiques des territoires en général et des RUP en particulier ont vocation à être mieux prises en compte au niveau communautaire.
Les indicateurs liés à la dette, au déficit, pour n'en citer que quelques-uns servant à la Commission pourraient être complétés par des indicateurs sociaux, environnementaux afin de présenter une vision plus large de la diversité des territoires de l'Union européenne et de leurs défis spécifiques.
• Les RUP doivent, ensuite, être mieux reconnues dans et par les politiques publiques de l'Union européenne.
Certaines des demandes d'adaptation des politiques et du droit de l'Union européenne formulées par les RUP ont été prises en compte ; je tiens à le saluer. Mais de nombreuses améliorations restent à mettre en place.
Certes, des avancées ont eu lieu, je pense ici par exemple à la mise en place du programme IEJ (Initiative pour l'Emploi des Jeunes).
Je note également des avancées importantes pour le développement de nos régions, comme la préservation du taux de cofinancement de 85 % pour les RUP et le relèvement à 85 % du taux de cofinancement de l'allocation FEDER-RUP.
Je me félicite, en outre, de l'accent mis sur la coopération et l'insertion régionale. C'est une nécessité vitale pour l'avenir de nos régions d'outre-mer et j'y suis très attachée. Ainsi, pour prendre l'exemple des RUP françaises, les crédits transfrontaliers et transnationaux ont considérablement augmenté : 17 millions d'euros entre 2000 et 2006, 96 millions d'euros entre 2007 et 2013, puis 168 millions d'euros entre 2014 et 2020. Il s'agit d'une évolution pertinente et salutaire.
Enfin, je rappellerai que l'économie des RUP est avant tout structurée par son appartenance à l'Union Européenne, sous réserve des adaptations et dérogations permises par les Traités à l'attention desdites collectivités en vertu de l'article 349 du Traité de Lisbonne. Or, cet article emblématique pour nous a été, fort opportunément, consolidé le 15 Décembre dernier par un important arrêt de la Cour de Justice de l'UE. Cet arrêt réaffirme clairement la possibilité d'adaptations du droit de l'UE en faveur des RUP dès lors qu'il s'agit de dispositions ou politiques spécifiques.
Parce que nos économies sont structurellement petites et éloignées, aucune n'aide publique n'est de nature à entraver la concurrence et le libre jeu du marché.
• Je voudrais ainsi évoquer en quelques mots le dossier du RGEC. Ce règlement de Juin 2014 devait être un outil de simplification. Pour beaucoup, hélas, il peut être perçu comme un carcan.
Depuis près de deux ans, le dossier a avancé. Des incompréhensions ont pu être levées. La sécurisation provisoire des aides au fonctionnement en direction des entreprises a été obtenue au 1er Semestre 2015 permettant notamment de confirmer l'éligibilité aux aides des secteurs de l'énergie et des transports.
Et à l'issue d'intenses débats techniques et après l'intervention personnelle du Président HOLLANDE en Septembre dernier, le Gouvernement français a obtenu l'enclenchement d'une révision rétroactive du RGEC pour les RUP.
Pour autant, nos demandes, à ce jour, subsistent.
Il s'agit en particulier de l'introduction d'un « quatrième critère » en sus des critères actuels de plafonnement des aides au fonctionnement. Ce quatrième critère proposé, « l'ensemble des surcoûts admissibles mesurables » s'inscrit totalement dans la logique de l'article 349 du traité, lequel reconnaît la situation spécifique des RUP et leurs handicaps structurels.
Et il devrait être apprécié, compte-tenu du tissu économique ultramarin composé essentiellement de PME, par secteur économique, et non pas par bénéficiaire.
Car apprécier, contrôler et calculer les aides entreprise par entreprise est comptablement délicat : ces aides perçues sont essentiellement des allègements de fiscalité directe et indirecte ou de charges sociales. Elles n'entrent donc jamais, par nature, dans les comptes d'exploitation des entreprises des DOM, ce qui rend impossible pour le bénéficiaire la vérification du respect des plafonds autorisés.
Cette situation génère une insécurité juridique nuisant au climat des affaires et au bon fonctionnement de l'économie. Et ce, au moment même où la Commission, pertinemment, promeut le développement de l'entrepreneuriat, en particulier dans les PME.
Il s'agit donc d'une demande forte de nos régions. Une demande légitime et de bon sens. Je m'en entretiendrai bientôt avec la Commissaire VESTAGER.
• Je terminerai enfin par trois points qui me tiennent particulièrement à cœur.
1 L'utilisation du « Plan Juncker », lequel vient d'être fort opportunément renforcé. Nos régions, jeunes, parfois encore en retard en matière d'infrastructures, ont un besoin impérieux d'investissements, privés et publics. Je souhaiterais que les RUP puissent donc bénéficier pleinement de ce plan
2 Dès à présent, s'engagent les réflexions sur les programmes de cohésion post 2020. Et j'entends comme vous, Madame la Commissaire CRETU, les inquiétudes des RUP quant à la pérennisation des fonds structurels. Ensemble, nous devons travailler à les lever.
3 Enfin, la prise en compte des RUP dans la négociation des accords commerciaux de libre échange nous interpelle. Il nous faut avant tout défendre les intérêts des Européens et des populations. Nos régions fragiles subissent la concurrence d'Etats tiers non soumis aux mêmes réglementations sociales, fiscales ou environnementales, on le voit notamment au niveau des négociations agricoles. Là encore, nous devons travailler à rassurer les économiques et les citoyens.
Mesdames et messieurs, La France est convaincue qu'une meilleure intégration des RUP permettra la consolidation d'une Europe Forte, présente dans tous les océans !
Nous saluons tous ceux qui se sont investis dans cette dynamique, et notamment la Commission et les représentants des RUP, unis depuis plus de vingt ans autour du slogan « Nos différences se ressemblent et nous rassemblent ».
Je vous assure de mon entière disponibilité pour approfondir cette relation de travail.
Je vous remercie.Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 27 septembre 2016