Déclaration de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi et le projet de loi organique rétablissant la confiance dans l'action publique, au Sénat le 10 juillet 2017.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique sur le rétablissement de la confiance dans l'action publique, au Sénat le 10 juillet 2017

Texte intégral


M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en procédure accélérée, du projet de loi rétablissant la confiance dans l'action publique (projet n° 581, texte de la commission n° 609, rapport n° 607, avis n° 602) et du projet de loi organique rétablissant la confiance dans l'action publique (projet n° 580, texte de la commission n° 608, rapport n° 607, avis n° 602).
Il a été décidé que ces deux textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche, du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Madame la garde des sceaux, nous vous accueillons avec plaisir, pour cette première prise de parole en séance publique au Sénat.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous remercie, monsieur le président, de ces mots chaleureux. C'est effectivement une première pour moi ; il est toujours à la fois impressionnant et émouvant de se trouver au Sénat, devant la représentation nationale.
Monsieur le président, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, conformément à l'engagement pris devant les Français par le Président de la République, vous êtes aujourd'hui saisis d'une réforme très attendue, je crois, par nos concitoyens, et dont l'ambition est de rétablir la confiance dans l'action publique.
Dès son entrée en fonction, mon prédécesseur, M. François Bayrou, a préparé un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire. Ces textes ont été présentés au conseil des ministres le 14 juin dernier et ont été déposés le même jour sur le bureau de votre assemblée.
J'ai aujourd'hui l'honneur de présenter devant vous, au nom du Gouvernement, ces deux textes.
La transparence, la probité des élus, l'exemplarité de leur comportement constituent une exigence sociale, politique et éthique fondamentale. Le respect de cette exigence a toujours constitué le fondement de la confiance que les citoyens éprouvent à l'égard de leurs gouvernants comme de tous ceux qui concourent à l'exercice de l'action publique.
Est-il nécessaire de rappeler que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 proclame, en son article XV, que « la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration » ? Ce principe de confiance est donc ancré dans notre histoire depuis longtemps et, ces dernières années, beaucoup a été fait pour mieux répondre à des exigences nouvelles.
Plusieurs textes ont été adoptés sur ces sujets. Je me contenterai de les énumérer brièvement : les lois organique et ordinaire du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, qui ont créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qui a institué un procureur de la République financier, la loi du 20 avril 2016, qui a renforcé les obligations déontologiques des fonctionnaires et, plus récemment, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, qui a notamment créé l'Agence française anticorruption.
Avant même l'adoption de ces lois, le Parlement avait de son propre chef, il faut le souligner, agi en la matière. Dès 2009, le Sénat s'est doté, sur l'initiative du président Larcher, d'un comité de déontologie parlementaire ; il a été suivi par l'Assemblée nationale, qui a institué un déontologue en 2011. De grands progrès ont donc été accomplis au cours des dernières années, c'est absolument indiscutable.
Néanmoins, beaucoup reste encore à faire pour restaurer cette confiance, nécessaire dans une démocratie, entre les citoyens et leurs représentants.
Je souhaite le dire d'emblée et être très claire sur les intentions du Gouvernement : il n'est aucunement question ici de stigmatiser le comportement de l'ensemble des élus locaux et nationaux, dont l'engagement exemplaire doit être sans cesse rappelé. Cela dit, nul ne peut le nier, certains agissements ou certaines pratiques, qui hier étaient acceptés, ne le sont plus désormais. L'exigence éthique dans la société est aujourd'hui, plus encore qu'hier, à l'ordre du jour.
La détermination de règles claires – non de principes moraux – est d'ailleurs l'une des meilleures garanties qui puissent être apportées aux élus, car elle permet de leur donner des repères face à des situations parfois extrêmement complexes.
Je suis convaincue que le rétablissement de cette confiance permettra aux citoyens d'apprécier l'engagement des élus sous son meilleur jour et leur volonté d'agir efficacement dans le sens de l'intérêt général sans compter leur temps ni leurs efforts. Je sais cela suffisamment pour pouvoir l'affirmer ici avec force.
C'est précisément pour cela que nous avons collectivement besoin d'un choc de confiance. En vous proposant ces dispositions, nous sommes fidèles à une histoire et à un projet, celui qui faisait dire à Jean Jaurès, dans son discours à la jeunesse, à Albi, en 1903, « Dans notre France moderne, qu'est-ce donc que la République ? C'est un grand acte de confiance ». Le mot était lâché…
Par cette réforme, le Gouvernement entend apporter une réponse globale, fondatrice, en proscrivant définitivement certaines pratiques, mais également en renforçant la transparence et le pluralisme de la vie politique.
Tout en édictant de nouvelles règles qui renforcent les garanties de probité et d'intégrité des élus et la prévention des conflits d'intérêts, répondant ainsi à un objectif d'intérêt général défini par le Conseil constitutionnel en 2013, cette réforme se veut également respectueuse de la séparation des pouvoirs, à commencer par l'autonomie des assemblées.
Elle répond à quelques principes simples : sanctionner plus sévèrement ceux qui manquent à la probité et éviter les conflits d'intérêts ; mettre fin à des pratiques qui ne sont plus acceptées par les citoyens ; renforcer les contrôles sur les comptes des partis, tout en leur offrant, ainsi qu'aux candidats, un accès plus facile au financement, un moyen de garantir la réalité du pluralisme.
J'évoquais la prise de conscience collective qui nous conduit à cette réforme et je voudrais rendre hommage à votre commission des lois, de même qu'à son président-rapporteur, M. Philippe Bas, qui a montré ces derniers jours sa volonté de s'inscrire résolument dans cet esprit.
Mme Catherine Procaccia. C'est normal !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Les travaux de votre commission des lois, comme ceux d'ailleurs de la commission des finances et de son rapporteur pour avis, Albéric de Montgolfier, ont été marqués par une démarche collective et par une grande richesse des débats, qui ne manqueront pas de caractériser également, j'en suis sûre, les échanges dans cet hémicycle.
Nous verrons que les voies que vous souhaitez emprunter se distinguent parfois de celles qui ont été tracées par le Gouvernement, mais nos perspectives convergent, et c'est bien là l'essentiel.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite maintenant vous présenter sommairement ces perspectives, ainsi que les grandes lignes de la réforme qui vous est soumise par le Gouvernement. Cette réforme porte sur trois axes ; elle s'attache à l'exercice du mandat parlementaire, elle renforce les règles de probité des acteurs, et elle conduit à une refonte des règles de financement de la vie politique.
Premier axe de la réforme, l'exercice du mandat parlementaire. La fonction parlementaire est, depuis longtemps, la plus noble qui soit, et parce qu'ils représentent le peuple, parce qu'ils incarnent la souveraineté nationale, les parlementaires sont tenus à un devoir d'exemplarité particulièrement exigeant.
M. Charles Revet. Ils l'ont toujours rempli !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Vous devez pouvoir légiférer et contrôler l'action du Gouvernement en toute indépendance, sans subir en aucune manière le jeu des puissances ou des lobbies. Je sais combien vous êtes attachés à cette indépendance.
Les mesures applicables aux membres du Sénat et de l'Assemblée nationale sont donc au cœur des projets de loi et de loi organique. Elles ont été conçues – je le répète, parce que c'est important – dans le respect de la séparation des pouvoirs et de l'autonomie des assemblées, qui en découle.
Un renvoi au règlement des assemblées pour la mise en œuvre des dispositions a ainsi été prévu chaque fois que nécessaire, dans la limite du champ de compétence défini par le Conseil constitutionnel, à savoir l'organisation ou le fonctionnement des assemblées, la procédure législative et le contrôle de l'action du Gouvernement.
Votre commission a parfois adapté les dispositifs en prévoyant la compétence du bureau du Sénat ; le Gouvernement comprend les raisons qui peuvent dicter ce choix. Je précise en outre que, chaque fois que cela se justifiait, les mesures applicables aux parlementaires nationaux ont été étendues aux représentants français au Parlement européen.
Quatre aspects de l'exercice du mandat parlementaire sont traités : l'inéligibilité et l'incompatibilité, les conflits d'intérêts, l'indemnité représentative de frais de mandat, l'IRFM, et la réserve parlementaire.
Tout d'abord, de nouveaux cas d'inéligibilité et d'incompatibilité sont créés.
En premier lieu, les parlementaires dans l'incapacité de justifier qu'ils ont satisfait à leurs obligations fiscales ne pourront plus rester en fonction. Saisi par le bureau de l'assemblée, le Conseil constitutionnel pourra prononcer la démission d'office du parlementaire.
En second lieu, les incompatibilités relatives à l'activité de conseil sont renforcées et étendues. À l'heure actuelle, seule l'impossibilité pour un parlementaire de commencer, pendant son mandat, une activité de conseil existe. Cette interdiction ne s'applique d'ailleurs pas aux professions libérales réglementées, comme la profession d'avocat.
Cette disposition est apparue très insuffisante en raison des risques de conflits d'intérêts liés à ce type d'activité. Ce dispositif est donc complété selon trois axes complémentaires.
Tout d'abord, un parlementaire ne pourra commencer à exercer de telles activités pendant son mandat et devra cesser celles qui ont débuté au cours des douze mois précédant le début de son mandat. La dérogation qui s'applique pour les professions réglementées est par ailleurs supprimée.
Ensuite, les fonctions de direction exercées dans une société de conseil sont désormais prises en compte.
Enfin, le contrôle par un parlementaire d'une société de conseil est également visé. En effet, un parlementaire qui détient une société de conseil peut être influencé par les intérêts de ses clients, comme s'il en était le dirigeant. Actuellement, le code électoral ne prévoit rien ; le projet de loi y remédie.
Le dispositif proposé par le Gouvernement en matière d'encadrement des activités de conseil assure une conciliation entre les objectifs d'intérêt général visés par le texte, tels que l'indépendance des élus ou la prévention des risques de conflits d'intérêts, et d'autres droits et libertés constitutionnellement garantis, en particulier la liberté d'entreprendre reconnue au parlementaire comme à tout citoyen. Les dispositions prévues devraient permettre d'éviter les écueils constitutionnels mis en évidence par la décision du Conseil constitutionnel du 9 octobre 2013, qui avait censuré une interdiction trop générale.
Deuxième aspect, ces nouvelles règles sont complétées par des dispositions renforçant la prévention des conflits d'intérêts.
Le choix assumé du Gouvernement est de retenir une définition de la notion de conflit d'intérêts moins englobante que celle qui figure dans les lois du 11 octobre 2013 et du 20 avril 2016. Ce choix est justifié par le souci de ne pas mettre les parlementaires exerçant d'autres responsabilités, notamment électives, les conduisant à assumer un autre intérêt public, par exemple local, dans l'impossibilité récurrente de participer aux travaux du Parlement.
Il reviendra à chaque assemblée de préciser les règles internes de prévention et de traitement de ces situations de conflits d'intérêts.
Troisième aspect, dans un souci de transparence concernant les frais engagés par les parlementaires dans l'exercice de leur mandat, le projet du Gouvernement a prévu que l'indemnité représentative de frais de mandat, l'IRFM, soit remplacée par un remboursement de ces frais, sur une base réelle et sur présentation de justificatifs.
La commission des lois a adopté un nouveau dispositif dont nous débattrons, le Gouvernement étant attaché à quelques principes simples et lisibles sur ce sujet : il appartient aux assemblées de définir les conditions et les plafonds de remboursement des frais de mandats ; les frais doivent naturellement être réellement exposés et faire l'objet de justificatifs ; ils doivent faire l'objet de remboursements et non d'une indemnisation a priori. Nous débattrons au cours des prochains jours de ces sujets.
Enfin, quatrième aspect, le projet de loi organique met fin à la pratique de la « réserve parlementaire », pratique contestée et qui répond à une logique contraire à l'article 40 de la Constitution,… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE.)
M. Alain Fouché. Pas du tout !
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n'est pas vrai !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … même si cela peut être présenté différemment. Nous pourrons en débattre.
La commission des lois a proposé un mécanisme de substitution. Le Gouvernement est ouvert à la discussion sur ce point, mais estime que ce débat doit avoir lieu en loi de finances, ce qui est naturel pour un dispositif de nature budgétaire.
Le deuxième axe de la réforme consiste à renforcer les règles de probité des acteurs politiques.
Premièrement, les obligations de transparence pesant sur le Président de la République sont renforcées. Chaque citoyen pourra juger de l'évolution de son patrimoine entre le début et la fin de son mandat, au regard de l'avis publié par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP.
Deuxièmement, le projet de loi étend l'obligation pour les juridictions répressives, sauf décision spécialement motivée, de prononcer la peine complémentaire d'inéligibilité pour tout crime et pour une série d'infractions à la probité comme la corruption, le détournement de fonds publics ou encore la fraude électorale ou fiscale, dans le respect du principe de nécessité des peines garanti par l'article VIII de la Déclaration de 1789 et du principe d'individualisation des peines, qui en découle.
Seront ainsi écartées des fonctions électives les personnes qui ont démontré qu'elles ne remplissent plus les conditions de moralité essentielles à l'exercice d'un mandat électif.
Troisièmement, il sera désormais interdit au Président de la République, aux membres du Gouvernement, aux parlementaires et aux titulaires de fonctions exécutives locales d'employer des membres de leur famille proche comme collaborateurs.
Cette pratique acceptée hier ne l'est plus aujourd'hui. Cette interdiction est déjà prévue, pour ce qui concerne les collaborateurs du Président de la République et des membres du Gouvernement, par le décret du 14 juin 2017, conformément au principe de séparation des pouvoirs. Des dispositions du texte qui est soumis visent les parlementaires.
Enfin, troisième axe, la présente réforme procède également à une refonte importante des règles de financement de la vie politique.
Les partis politiques dépendent très largement du financement public. Néanmoins, les règles qui s'appliquent à eux n'offrent pas toutes les garanties contre les abus ou les dérives. Ces règles sont par ailleurs peu favorables au renouvellement de la vie politique et au pluralisme.
Il est donc proposé, tout d'abord, de renforcer le contrôle des comptes des partis politiques et des campagnes électorales, dans le respect des dispositions de l'article 4 de la Constitution, selon lequel « les partis et groupements politiques […] se forment et exercent leur activité librement. »
Ainsi, le mandataire financier du parti recueillera l'ensemble des ressources reçues par ce dernier et non plus seulement les dons. Les partis politiques devront tenir une comptabilité selon un règlement établi par l'Autorité des normes comptables. Cette comptabilité devra inclure les comptes de toutes les organisations territoriales du parti ou groupement, afin de permettre à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de disposer d'un périmètre de contrôle consolidé.
La question se pose de savoir si ces obligations doivent être ou non étendues à tous les partis, même à ceux qui ne relèvent pas de la loi du 11 mars 1988. Votre commission des lois l'a souhaité, pour y intégrer les micropartis. Cette extension pose certaines difficultés, que nous évoquerons lors de l'examen de l'article concerné.
En outre, le financement des partis et des campagnes électorales sera mieux encadré en ce qui concerne les prêts des personnes physiques, afin d'éviter les dons déguisés. Une interdiction des prêts des personnes morales, y compris de droit étranger, à l'exception des partis et des établissements de crédit européens est également posée.
Toutefois, en contrepartie, l'accès au financement par les candidats et partis politiques sera amélioré grâce à la création d'un médiateur du crédit, que votre commission a souhaité désigner sous un autre titre. Nous y reviendrons.
Enfin, le Gouvernement souhaite la création d'une structure pérenne de financement, la banque de la démocratie, afin de remédier aux carences du financement bancaire privé. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur pour avis. À voir…
Mme Nicole Bricq. La commission l'a supprimée !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cette banque pourra se constituer sous la forme juridique d'un établissement doté de la personnalité morale, être adossée à un établissement de crédit existant ou prendre la forme d'un mécanisme de financement spécifique.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Cela mérite d'être précisé, car c'est un peu vague.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Une mission va être confiée en ce sens à l'Inspection générale des finances et l'Inspection générale de l'administration, pour étudier les conditions de mise en place de cette structure. Il semblerait que nous ayons là une divergence avec votre commission des lois.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Et avec celle des finances !
M. Roger Karoutchi. Cela fait beaucoup…
Mme Éliane Assassi. C'est bien dommage !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'ensemble des dispositions que le Gouvernement soumet à votre examen entendent servir la démocratie, en lui apportant, je le répète, un surcroît de transparence, de justice et d'éthique.
Elles sont à la fois ambitieuses et équilibrées : ambitieuses, parce qu'elles s'attaquent aux vraies questions que se posent nos concitoyens depuis plusieurs années et singulièrement au cours des derniers mois ; équilibrées, parce qu'il s'agit non pas seulement de poser des interdits, mais aussi de consolider le pluralisme politique dans notre pays, la transparence de notre vie démocratique et, ainsi, la confiance de nos concitoyens dans les institutions et leurs représentants.
Comme vous le savez, ces mesures seront complétées par la réforme constitutionnelle annoncée par le Président de la République dans son discours au Congrès du Parlement, le 3 juillet dernier. Il s'agit donc ici du premier acte, inaugural, essentiel, de cette volonté de rétablir le lien de confiance entre les Français et leurs élus.
Dans les débats qui nous attendent, le Gouvernement sera naturellement attentif aux propositions de la Haute Assemblée. Il souhaite que cette réforme volontariste et souhaitée par les Français soit à la hauteur de leur attente.
Le président Bas s'est réjoui que les forces politiques du Sénat se soient fédérées pour travailler sur ces textes. Il faut effectivement s'en féliciter, car c'est par l'ardente fédération de toutes les volontés que nous pourrons progresser ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
(…)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, merci infiniment de vos interventions, que j'ai trouvées extrêmement riches, bien qu'elles aient parfois été critiques. Je prends évidemment toute la mesure de vos propos.
De manière liminaire, je voudrais rappeler ici que je n'ai pas prononcé le mot de « moralisation ». M. Sueur en a parlé, mais c'est un mot que j'ai évité à dessein. Il ne s'agit pas ici, en effet, de « moralisation » ; il s'agit de poser un certain nombre de règles de droit qui nous protègent, dans nos comportements et dans la gestion de la complexité des situations que nous avons à traiter. Je le dis donc clairement ici : ce projet de loi n'est pas un projet de loi de moralisation !
En revanche, mais nous aurons l'occasion d'y revenir, je ne suis pas certaine de me satisfaire pleinement du nouvel intitulé proposé par M. le président Bas et par la commission des lois : le terme de « régulation », que, quant à moi, je peux entendre, ne me semble pas aussi directement lisible que la formule proposée par le Gouvernement, à savoir celle de « rétablissement de la confiance », laquelle parle immédiatement à nos concitoyens. Or c'est bien un remède susceptible d'agir sur la relation entre les citoyens et les représentants de la Nation, entre les citoyens et leurs gouvernants, que nous devons trouver.
Monsieur le président de la commission, nous aurons l'occasion de revenir sur chaque volet du travail remarquable que vous avez accompli. Je voudrais simplement, à ce stade, mentionner deux points.
Vous avez dit expressément que vous souhaitiez converger, avec le Gouvernement, vers des propositions que les deux parties du débat pourraient comprendre et accepter. Il me semble que, parmi les éléments de réponse que j'apporterai et dont nous discuterons dès demain, ce souci de convergence apparaît, puisque le Gouvernement a d'ores et déjà entendu un certain nombre de préoccupations que vous avez exprimées sur la limitation de l'indemnité perçue par les ministres quittant leur fonction, sur l'attestation fiscale pour les parlementaires – vous en avez parlé –, sur la publicité de la réserve ministérielle, sur l'extension du droit de communication directe de la HATVP, sur la possibilité que les collaborateurs parlementaires membres de la famille d'un parlementaire aient le temps de se retourner – nous y reviendrons également.
Le Gouvernement a donc d'ores et déjà pris en compte un certain nombre de vos propositions ; bien entendu, d'autres points demeurent en discussion, s'agissant notamment de la réserve et de l'IRFM, sur lesquelles nous avons des divergences. Toutefois, il me semble impossible d'en déduire que nous ne sommes pas mus, les uns et les autres, par la volonté très forte de travailler ensemble et d'œuvrer en faveur de cette convergence.
Monsieur de Montgolfier, merci également de votre intervention. Vous avez évoqué différents points, dont certains reviennent d'ailleurs de manière récurrente au fil des propos qui ont été successivement tenus.
Vous avez notamment abordé la question de la réserve. S'agissant de l'analyse constitutionnelle de ce problème, j'ai entendu, dans l'hémicycle, des murmures lorsque j'ai parlé d'une utilisation de la réserve non conforme à l'article 40 de la Constitution. J'ai parfaitement conscience que, sur le papier, c'est le Gouvernement qui a déposé un amendement sur ce point.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. D'accord !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Reste que c'est une convention de la Constitution qui est ainsi mise en place, révélant une pratique qui, elle, n'est pas exactement conforme aux dispositions de la Constitution. Nous aurons l'occasion d'en reparler et d'étudier la manière dont, en la matière, nous pourrions évoluer.
Monsieur de Montgolfier, vous avez également évoqué la question de la réserve ministérielle. Son montant est très modeste : 5 millions d'euros. Il me semble que les mesures de publicité qui ont été proposées par la commission des lois et la commission des finances seront les bienvenues et qu'elles permettront d'inscrire dans la loi un principe de transparence qui correspond à une pratique utile pour nos concitoyens.
Vous avez par ailleurs exprimé assez longuement vos craintes, ou votre opposition, devrais-je dire, s'agissant de la « banque de la démocratie ».
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. En l'état ! Cela me semble en effet prématuré.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ce sujet a été évoqué par plusieurs d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs. J'ai bien sûr entendu les réserves qui ont accueilli cette proposition de demande d'habilitation.
Si le Gouvernement a souhaité aller dans le sens d'une réflexion sur la création d'une banque de la démocratie et, en la matière, d'une demande d'habilitation, c'est parce qu'il nous est apparu que le médiateur du crédit ne constituait pas, à lui seul, une institution suffisante pour remédier à l'ensemble des difficultés rencontrées par les partis politiques ou les candidats à une élection.
C'est pour cette raison qu'une loi d'habilitation a été proposée ; les pistes envisageables, que j'ai énoncées devant vous, y seraient fixées, à savoir la création soit d'une structure dédiée, liée à un opérateur existant, soit d'un mécanisme spécifique de financement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous dire, à ce stade, qu'en toute hypothèse, sur ces sujets, le Gouvernement avancera de manière totalement transparente avec vous. Il n'est pas question, par une loi d'habilitation, de mettre en œuvre un dispositif dont vous ignoreriez une partie. Vous savez d'ailleurs pertinemment que, le cas échéant, l'examen du projet de loi de ratification vous permet de vous prononcer sans réserve sur ce qui pourrait être proposé.
Monsieur Sueur, vous avez évoqué « l'ombre et la lumière ».
M. Jean-Claude Lenoir. Le jour et la nuit !
M. Jean-Pierre Sueur. Je citais Jack Lang. Cela vous a plu, madame la garde des sceaux ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Oui ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Ah, 1981 !
M. François Bonhomme. Nostalgie, quand tu nous tiens !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. On voyait très bien, alors, où était l'ombre et où était la lumière !
M. Christian Cambon. Cela se discute…
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Évidemment, chacun l'interprétera comme il l'entend !
M. Alain Richard. C'était au départ une formule de Goethe, pour évoquer 1789 !
M. Jean-Claude Lenoir. Pour ma part, je n'étais pas né en 1981 ! (Sourires.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Dois-je répondre à toutes les interpellations ?
M. le président. Non, madame la garde des sceaux !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez évoqué la définition des partis politiques. C'est évidemment un point extrêmement sensible. M. Hugues Portelli a abordé ce sujet lors de mon audition préalable en commission. La question notamment des micropartis qui n'entrent pas dans le cadre de la loi de 1988 est ancienne et récurrente. Comme l'a suggéré la commission des lois, nous devons avancer sur ce sujet en étant respectueux des dispositions de l'article 4 de la Constitution, que vous avez été nombreux à citer.
J'ai bien entendu, monsieur Alain Richard, votre suggestion de compléter l'article 4 de la Constitution. C'est un débat que nous ne pourrons pas avoir ici, mais qui pourrait être évoqué prochainement.
Monsieur Sueur, vous avez également posé la question du bulletin n° 2. Nous avons pris les dispositions qui figurent dans le texte, car le Conseil d'État a mis en évidence le risque constitutionnel lié à une inéligibilité totale et automatique. Cela ne correspond bien évidemment pas au dispositif que nous avons voulu, qui laisse au juge un pouvoir d'appréciation permettant selon nous de rendre le texte conforme à la Constitution.
Par ailleurs, vous avez abordé la fiscalisation des indemnités complémentaires à l'indemnité parlementaire. C'est un point important, qui doit être envisagé de manière globale ; il ne peut être traité de manière isolée, dans le cadre d'un tel texte, me semble-t-il.
M. Jean-Pierre Sueur. Il suffit de fiscaliser toutes les indemnités parlementaires !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. C'est une autre démarche que celle qui a été proposée ; nous en reparlerons demain.
Mme Corinne Bouchoux a parlé de la consultation citoyenne, que son collègue Joël Labbé avait également évoquée en commission. Je lui avais répondu que je n'y étais pas sur le principe défavorable. Néanmoins, en la circonstance, et alors même que le débat parlementaire commence, je ne désire pas prendre personnellement position sur le sujet. Il n'est pas bon qu'une telle consultation se déroule en même temps que le travail avec les élus de la Nation. Il s'agit donc non pas d'une opposition de principe, mais plutôt d'une contre-indication circonstancielle.
Mme Bouchoux souhaite également que soit mis en place, si je ne déforme pas ses propos, un statut plus général pour les collaborateurs parlementaires. C'est une question qui a été reprise également par d'autres sénateurs. Il s'agit d'une demande sensible, qui concerne directement les assemblées. Le Gouvernement y est donc attentif, comme il sera attentif à ce que les solutions trouvées puissent s'inscrire dans le cadre plus général des principes applicables en droit du travail : c'est un point important. Quoi qu'il en soit, il appartiendra aux deux assemblées d'engager le dialogue, afin d'élaborer le texte tant attendu par les collaborateurs.
Monsieur Alain Richard, je vous remercie de l'ensemble de vos propos. Vous avez rappelé qu'il convenait de rester lucide sur la question de l'éthique et de la déontologie des parlementaires, mais aussi des dirigeants du pays. J'ai été extrêmement frappée par une enquête publiée il y a quelques jours dans Le Monde et faisant état de chiffres absolument atterrants : 69 % des Français estiment que les élus sont corrompus. C'est effroyable. Je le ressens, sinon comme une vexation, du moins comme une sorte d'échec personnel.
M. Alain Fouché. Les médias se plaisent à en parler à longueur de journée…
M. Éric Doligé. Ils font de la démagogie permanente !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Vous avez raison, monsieur Richard, il faut être lucide, et c'est tout l'objet de ce texte et du travail que vous avez réalisé.
Vous avez également évoqué la réserve parlementaire. Usant d'un joli jeu de mots, vous vous êtes demandé s'il ne s'agissait pas d'un « fric-frac budgétaire ». (Sourires.) De mon point de vue, il s'agit surtout d'un ping-pong législatif, puisque tout ce qui ne sera pas traité aujourd'hui pourrait l'être en loi de finances, surtout si nous décidons, comme vous le suggérez les uns et les autres, de satisfaire les attentes des territoires, dans le prolongement de ce qui existe déjà.
Du fric-frac au ping-pong, je suis certaine que nous arriverons à trouver un accord sur ce point ! (Nouveaux sourires.)
Vous avez encore évoqué la question de la limitation des activités de conseil. Je ne suis pas sûre qu'il faille interdire toute activité professionnelle aux parlementaires. Cela poserait d'ailleurs une très sérieuse difficulté de nature constitutionnelle.
Madame Assassi, j'ai été intéressée par la mise en perspective extrêmement globale que vous proposez de ce texte, dépassant même ses objectifs. Vous rappelez très justement que l'absence de résultats a largement contribué à la perte de confiance. Vous avez raison : l'action politique que nous essayons, chacun à notre niveau, de conduire, doit se traduire par des résultats concrets. C'est ce qu'essaient de faire aussi bien les élus locaux que les élus nationaux, même si leurs efforts ne sont manifestement pas probants pour le moment.
En revanche, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous affirmez que les institutions ne permettent pas une juste représentation de la réalité politique du pays. Dire cela, c'est oublier les réformes que le Président de la République a souhaité engager, qu'il s'agisse de l'introduction de la proportionnelle, de l'accroissement du pouvoir de contrôle du Parlement grâce à différentes dispositions dont le contenu sera évoqué lors de la révision constitutionnelle ou de l'indépendance de la justice, que je défendrai en améliorant notamment le statut des parquets. Voilà quelques points que je souhaitais relever, en vous remerciant néanmoins de vos propos.
M. Pierre-Yves Collombat a eu une réflexion qui va bien au-delà du strict enjeu de la loi que nous examinons. Il a souligné, à juste titre, que ce texte ne suffira pas en lui-même à rétablir la confiance : il faudra que d'autres éléments viennent s'y adjoindre. Je ne puis que corroborer ses propos. Aucun des sujets qu'il a évoqués n'est illégitime, même si nombre d'entre eux vont bien au-delà du champ des présents textes. Ceux-ci répondent pourtant à maintes interrogations qu'il a exprimées. En tout état de cause, je serai attentive à toutes vos propositions, monsieur le sénateur.
M. Vincent Capo-Canellas a soulevé quatre questions directement liées aux enjeux de la loi ; il a raison, il s'agit pour nous d'être collectivement à la hauteur des enjeux et des défis qui nous sont posés. Il s'est par ailleurs interrogé sur le caractère démocratique de l'indemnité parlementaire. Effectivement, il importe que les parlementaires puissent exercer leur mandat en disposant pour ce faire des moyens nécessaires. Il s'agit d'une question qui mérite d'être posée et débattue, même si j'ignore si nous pourrons le faire à l'occasion de ces textes.
M. Capo-Canellas a soulevé un certain nombre de questions sur les emplois familiaux, que la société n'accepte plus aujourd'hui. C'est un fait dont nous devons prendre acte. J'ai répondu aussi à l'instant sur le parachèvement du statut des collaborateurs : c'est une démarche qui incombera aux assemblées, lesquelles devront résoudre les difficultés dans la concertation.
Monsieur Bonhomme, votre intervention m'a marquée par ses références historiques. Vous avez fort justement évoqué les mauvais procès en vertu. Vous avez raison : la question de la transparence, qui a été un ingrédient trop commodément utilisé et parfois mal dosé, a donné lieu à des dérives très problématiques.
Cependant, à la différence des époques historiques que vous avez citées, les citoyens sont actuellement extrêmement actifs dans l'histoire politique et sociale qui se construit, et l'on ne peut faire abstraction d'eux. Nul ne peut aujourd'hui avoir les mêmes faiblesses que Colbert ou Rousseau, lequel abandonnait ses enfants tout en écrivant de splendides ouvrages sur l'éducation… (Mme Éliane Assassi sourit.)
M. Jean-Claude Lenoir. C'est vrai ! Belle référence.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur Jean-Yves Leconte, avec le concours de la commission des lois du Sénat, nous serons très attentifs à ce que la séparation des pouvoirs et l'autonomie des assemblées parlementaires soit respecté. Nous accepterons d'ailleurs un certain nombre d'amendements en ce sens.
Vous avez fait référence au financement de la vie politique européenne. Au fond, est-ce que cela ne relève pas du règlement du Parlement européen ? C'est un point sur lequel nous reviendrons ultérieurement.
Monsieur Fouché, je ne reviendrai pas sur ce que j'ai déjà dit au sujet de la réserve parlementaire. En revanche, pas une fois je n'ai utilisé le mot de « clientélisme », qui jette inutilement l'opprobre sur le travail des parlementaires.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Enfin, M. Laménie, sénateur des Ardennes, a fait clairement valoir son souhait de maintenir la réserve parlementaire. Je le dis donc ici en toute franchise : nous aurons peut-être un désaccord sur ce point, mais nous l'assumerons avec respect, comme il se doit.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir répondu à l'ensemble de vos questions. Merci infiniment de vos propos. J'aurai plaisir à vous retrouver demain pour travailler avec vous et examiner dans le détail chacun des articles du projet de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La discussion générale commune est close.
Source http://www.senat.fr, le 18 juillet 2017