Texte intégral
En cette fin d'année, et à quelques mois d'une échéance majeure, le débat sur l'avenir de la décentralisation est relancé et une clarification des objectifs est nécessaire afin de faire des propositions concrètes et réalistes.
- Autonomie ou libre administration
Apparemment consensuelle, la décentralisation a de nombreux visages. D'abord celui de la " libération des énergies ", qui seraient bridées par le carcan de l'uniformité institutionnelle qu'il faudrait briser par la " libre expérimentation ", la décentralisation à la carte.
On fait litière de l'unité du territoire national et on valorise " les territoires " qu'on abandonne en réalité à leurs difficultés.
Et on voit fleurir le mot " d'autonomie locale " en oubliant sa sémantique, totalement absente de notre histoire depuis 1789 et de notre Constitution de 1958. Le principe de libre administration sous le règne de la loi commune n'est en effet pas un principe d'autonomie selon lequel chaque autorité locale élaborerait ses propres règles.
L'article 72 de la Constitution a le mérite de la clarté puisqu'il indique que les collectivités territoriales de la République " s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ". En peu de mots, tout est dit : l'exercice de la liberté locale s'exerce sous le contrôle du suffrage universel, en bas, dans les assemblées locales et, en haut, au Parlement.
Cette paresse conceptuelle autorise certaines assemblées régionales à s'ériger en petites assemblées constituantes : voilà ce qui est bon pour " notre " région, " laissez-nous faire " ! Dans ce brouillard des idées, la décentralisation devient parfois régionalisation, elle-même utilisée par les régionalismes, heureusement ultra-minoritaires mais qui alimentent des communautarismes ethniques redoutables pour l'avenir.
On cède ainsi au libéralisme ambiant jusqu'à voir, c'est cocasse, certains aller jusqu'à utiliser la sémantique libertaire, telle que la " République d'en bas ".
La vraie décentralisation, celle que la gauche a portée en 1982, ce n'est ni la France des notables, ni celles des féodaux de l'An mil, ni celle des libéraux de l'An 2000.
La décentralisation de 1982 n'a pas remis en cause l'unité des règles et la hiérarchie des normes qui font la République. Elle a permis, certes, un foisonnement des initiatives locales et un développement sans précédent des services et des équipements mais pas l'expression d'autonomies identitaires.
Elle a renforcé l'autonomie financière des collectivités territoriales sans porter atteinte au pouvoir fiscal du législateur. Elle a maintenu la cohésion nationale en assurant une péréquation indispensable entre les collectivités territoriales. Est-ce un hasard d'ailleurs si, de tous les pays d'Europe, la France est celui dans lequel les inégalités entre les régions sont les moins marquées ?
Il ne s'agit pas de confier de nouveaux moyens d'exercer des pouvoirs à des systèmes politiques locaux repliés sur eux-mêmes. Ce pays a besoin d'une décentralisation solidaire, où la recherche de la proximité ne doit pas flatter les intérêts particuliers mais viser l'intérêt général et renforcer l'égalité devant les services publics.
Pour cela, trois conditions :
- écarter, comme l'a fait la commission Mauroy, l'idée d'une Europe des régions. La Nation doit conserver un Etat capable de résister aux pouvoirs supra-nationaux pour donner sens à la solidarité nationale,
- maintenir un cadre unitaire qui n'a en rien empêché la décentralisation de s'épanouir et de favoriser un développement sans précédent des services et des équipements,
- s'assurer, toujours, de la participation de tous les citoyens (et non des groupes de pressions) à la vie démocratique, car la décentralisation n'est pas la confiscation du pouvoir.
Ecarter les schémas préconçus et irréalistes.
Au jeu du mécano institutionnel, on lit tout et son contraire. Une rationalisation brutale de la carte administrative serait pourtant dangereux et contre-productive. Certains ont déjà effacé les communes et organisent la disparition des départements. Quel contre-sens !
Au PS comme à l'UDF et au RPR, fleurit la théorie des " couples " : communes fédérées en intercommunalités et départements fédérés en régions. Les plus audacieux, imaginent même la fusion des départements dans les régions. Mais ce n'est pas un hasard si on fait disparaître au nom de je ne sais quelle modernité, les plus vieilles institutions de la République, celles dans lesquelles les Français se reconnaissent le mieux.
Faut-il rappeler que la révolution inter-communale que j'ai moi-même encouragée, ne vaut pas disparition des communes mais au contraire vise à leur survie ? La prochaine étape du renforcement de la démocratie locale, c'est bien sûr l'élection au suffrage universel des délégués des communes dans les communautés. Mais le scrutin devra être organisé de façon à préserver les communes, sur des listes et des circonscriptions communales. Sinon, la supra-communalité tuerait ce qui est un lieu irremplaçable de démocratie.
Quant aux départements, ils ont un avenir : l'action sociale, la solidarité et la péréquation dans l'équipement des communes rurales, la coopération inter-départementale qui donnera de la chair aux régions qui restent encore abstraites aux yeux des Français. Sur le modèle de l'intercommunalité, les régions pourraient devenir en 10 ou 15 ans des assemblées inter-départementales, mieux ancrées qu'aujourd'hui sur des périmètres qui pourraient -pourquoi pas ?- être progressivement redéfinis si une volonté démocratique claire s'exprime à cet égard.
Pour renforcer le département, il faudra bien sûr réformer le mode de scrutin départemental qui fait injure à l'égalité du suffrage et doit mieux représenter les villes. La carte intercommunale étant achevée, peut-être pourra-t-elle servir d'ancrage territorial des départements.
Loin du mythe du " jardin à la française ".
Pour répondre au besoin de clarification, on a la nostalgie des " blocs de compétences " qui sont plutôt l'exception que la règle dans les lois Deferre. A quoi s'ajoute la faculté, pour tous les niveaux de collectivités, d'intervenir dans presque tous les domaines d'action publique grâce à la compétence d'attribution générale.
Et la contractualisation n'a fait qu'accentuer le phénomène. L'Etat est en voie de paupérisation relative depuis vingt ans. Il a donc encouragé les collectivités locales à intervenir dans tous les domaines, y compris les siens, afin de retrouver des marges de manoeuvre perdues. Quoiqu'on en dise, cette confusion arrange tout le monde.
Il faut y mettre un peu d'ordre. Puisqu'on ne peut pas supprimer la compétence générale de chaque niveau, la loi pourrait, dans chaque domaine, désigner un " chef de file ", responsable soit des orientations, soit de la maîtrise d'ouvrage des politiques communes.
Quant à de nouveaux transferts, expérimentons-les, selon la méthode lancée par Charles Pasqua en 1995 et en voie d'achèvement aujourd'hui sur les services régionaux de voyageurs : le législateur teste un transfert avant une généralisation à tout le territoire, prévue dans le temps. Cela n'a rien à voir avec l'idée de P. Méhaignerie, malheureusement soutenue par les députés socialistes, d'une délégation du pouvoir législatif ouvrant la voie à un fédéralisme à la carte, flou et contraire au principe d'égalité.
La commission Mauroy a lancé des chantiers pour achever la décentralisation dans les domaines de l'enseignement (universités), de la formation professionnelle, de l'équipement routier, de l'action sociale, ou bien pour décentraliser de nouvelles compétences dans des domaines comme le logement social, l'environnement... Testons ces propositions dans quelques départements et régions pour en vérifier la pertinence et surtout, l'adhésion des personnels concernés.
Enfin, je n'ai rien contre le développement du pouvoir réglementaire local, tel qu'il existe déjà, par exemple avec les plans d'occupation des sols ou les règlements départementaux d'action sociale. La loi est en effet bien trop bavarde et détaillée, bien loin souvent du cadre fixé par l'article 34 de la Constitution.
Des élus responsables d'impôts justes et allégés par la solidarité nationale.
Notre système financier local est à bout de souffle mais tout "grand soir "
est impossible. Alors, depuis dix ans, on procède à rebours de ce qui est souhaitable : on supprime les impôts locaux au lieu de les réformer, on ravaude le système des dotations au lieu d'en changer l'architecture.
Il faut maintenir des impôts locaux qui responsabilisent les élus dans leurs choix d'investissements. Les budgets locaux doivent avoir une marge de manoeuvre indépendante des finances de l'Etat, ne serait-ce que pour amortir une éventuelle récession.
J'estime satisfaisant l'équilibre atteint aujourd'hui après les allégements nécessaires de taxe professionnelle et de taxe d'habitation : les budgets locaux sont composés d'environ 45 % d'impôts, 45 % de dotations de l'Etat et de 10 % d'emprunt. Arrêtons donc de supprimer des impôts locaux, mais réformons-les.
Il faut alléger et rendre plus juste la taxe d'habitation. D'abord en osant, enfin, faire la révision des valeurs locatives à laquelle on a renoncé 3 fois, quitte à l'étaler dans le temps. Ensuite, en supprimant la part départementale de taxe d'habitation qu'on remplacerait par une taxe départementale sur le revenu, légère et très simple, sur tous les revenus de tous les habitants. Enfin, en confiant davantage de pouvoirs aux élus locaux dans la fixation des taux et des abattements.
Quant à la taxe professionnelle, presque sauvée grâce à sa naturalisation intercommunale, on peut la rendre plus juste pour certains secteurs d'activité en intégrant à l'assiette des éléments du résultat des entreprises.
On doit aussi réserver une part d'impôt d'Etat aux régions où la nécessité d'un lieu citoyen est moins forte. L'Etat peut parfaitement céder une part de la Taxe Intérieure sur les produits pétroliers (T.I.P), pour favoriser par exemple une politique interrégionale d'aide au développement technologique des entreprises, sur le modèle allemand..
S'il revient aux élus d'égaliser la charge fiscale, il revient à l'Etat d'égaliser les budgets locaux en fonction des charges et d'assurer la péréquation au nom de la solidarité nationale. Les marges de manoeuvre existent, pour peu qu'on parvienne à dépasser les intérêts catégoriels de toute sorte.
Tout ce qui précède relève des moyens. Ceux-ci doivent servir des projets collectifs. La décentralisation n'est pas la chose des grands élus. Elle doit être le bien des citoyens à qui il importe assez peu de savoir qui fait quoi entre les collectivités et l'Etat. Qu'attendent les usagers sinon de meilleurs services publics, davantage de solidarité devant l'impôt, le m3 d'eau à peu près au même prix partout, des outils culturels de proximité ?
Beaucoup dépend de la capacité des 500.000 élus locaux à se mobiliser sur leurs projets de développement local. Mais beaucoup dépend aussi de l'Etat qui doit penser à organiser le long terme et inscrire l'action locale dans de grandes politiques nationales d'aménagement du territoire.
Les Français plébiscitent la décentralisation, mais ils sont rattachés au rôle de l'Etat. Puisque l'Etat républicain n'est rien d'autre que l'Etat des citoyens, c'est à son approfondissement, à son adaptation, à sa réforme qu'il faut se livrer, non pas à sa liquidation. L'Etat républicain s'épanouit dans la démocratie locale.
(source http://www.chevenement2002.net, le 19 octobre 2001)
- Autonomie ou libre administration
Apparemment consensuelle, la décentralisation a de nombreux visages. D'abord celui de la " libération des énergies ", qui seraient bridées par le carcan de l'uniformité institutionnelle qu'il faudrait briser par la " libre expérimentation ", la décentralisation à la carte.
On fait litière de l'unité du territoire national et on valorise " les territoires " qu'on abandonne en réalité à leurs difficultés.
Et on voit fleurir le mot " d'autonomie locale " en oubliant sa sémantique, totalement absente de notre histoire depuis 1789 et de notre Constitution de 1958. Le principe de libre administration sous le règne de la loi commune n'est en effet pas un principe d'autonomie selon lequel chaque autorité locale élaborerait ses propres règles.
L'article 72 de la Constitution a le mérite de la clarté puisqu'il indique que les collectivités territoriales de la République " s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ". En peu de mots, tout est dit : l'exercice de la liberté locale s'exerce sous le contrôle du suffrage universel, en bas, dans les assemblées locales et, en haut, au Parlement.
Cette paresse conceptuelle autorise certaines assemblées régionales à s'ériger en petites assemblées constituantes : voilà ce qui est bon pour " notre " région, " laissez-nous faire " ! Dans ce brouillard des idées, la décentralisation devient parfois régionalisation, elle-même utilisée par les régionalismes, heureusement ultra-minoritaires mais qui alimentent des communautarismes ethniques redoutables pour l'avenir.
On cède ainsi au libéralisme ambiant jusqu'à voir, c'est cocasse, certains aller jusqu'à utiliser la sémantique libertaire, telle que la " République d'en bas ".
La vraie décentralisation, celle que la gauche a portée en 1982, ce n'est ni la France des notables, ni celles des féodaux de l'An mil, ni celle des libéraux de l'An 2000.
La décentralisation de 1982 n'a pas remis en cause l'unité des règles et la hiérarchie des normes qui font la République. Elle a permis, certes, un foisonnement des initiatives locales et un développement sans précédent des services et des équipements mais pas l'expression d'autonomies identitaires.
Elle a renforcé l'autonomie financière des collectivités territoriales sans porter atteinte au pouvoir fiscal du législateur. Elle a maintenu la cohésion nationale en assurant une péréquation indispensable entre les collectivités territoriales. Est-ce un hasard d'ailleurs si, de tous les pays d'Europe, la France est celui dans lequel les inégalités entre les régions sont les moins marquées ?
Il ne s'agit pas de confier de nouveaux moyens d'exercer des pouvoirs à des systèmes politiques locaux repliés sur eux-mêmes. Ce pays a besoin d'une décentralisation solidaire, où la recherche de la proximité ne doit pas flatter les intérêts particuliers mais viser l'intérêt général et renforcer l'égalité devant les services publics.
Pour cela, trois conditions :
- écarter, comme l'a fait la commission Mauroy, l'idée d'une Europe des régions. La Nation doit conserver un Etat capable de résister aux pouvoirs supra-nationaux pour donner sens à la solidarité nationale,
- maintenir un cadre unitaire qui n'a en rien empêché la décentralisation de s'épanouir et de favoriser un développement sans précédent des services et des équipements,
- s'assurer, toujours, de la participation de tous les citoyens (et non des groupes de pressions) à la vie démocratique, car la décentralisation n'est pas la confiscation du pouvoir.
Ecarter les schémas préconçus et irréalistes.
Au jeu du mécano institutionnel, on lit tout et son contraire. Une rationalisation brutale de la carte administrative serait pourtant dangereux et contre-productive. Certains ont déjà effacé les communes et organisent la disparition des départements. Quel contre-sens !
Au PS comme à l'UDF et au RPR, fleurit la théorie des " couples " : communes fédérées en intercommunalités et départements fédérés en régions. Les plus audacieux, imaginent même la fusion des départements dans les régions. Mais ce n'est pas un hasard si on fait disparaître au nom de je ne sais quelle modernité, les plus vieilles institutions de la République, celles dans lesquelles les Français se reconnaissent le mieux.
Faut-il rappeler que la révolution inter-communale que j'ai moi-même encouragée, ne vaut pas disparition des communes mais au contraire vise à leur survie ? La prochaine étape du renforcement de la démocratie locale, c'est bien sûr l'élection au suffrage universel des délégués des communes dans les communautés. Mais le scrutin devra être organisé de façon à préserver les communes, sur des listes et des circonscriptions communales. Sinon, la supra-communalité tuerait ce qui est un lieu irremplaçable de démocratie.
Quant aux départements, ils ont un avenir : l'action sociale, la solidarité et la péréquation dans l'équipement des communes rurales, la coopération inter-départementale qui donnera de la chair aux régions qui restent encore abstraites aux yeux des Français. Sur le modèle de l'intercommunalité, les régions pourraient devenir en 10 ou 15 ans des assemblées inter-départementales, mieux ancrées qu'aujourd'hui sur des périmètres qui pourraient -pourquoi pas ?- être progressivement redéfinis si une volonté démocratique claire s'exprime à cet égard.
Pour renforcer le département, il faudra bien sûr réformer le mode de scrutin départemental qui fait injure à l'égalité du suffrage et doit mieux représenter les villes. La carte intercommunale étant achevée, peut-être pourra-t-elle servir d'ancrage territorial des départements.
Loin du mythe du " jardin à la française ".
Pour répondre au besoin de clarification, on a la nostalgie des " blocs de compétences " qui sont plutôt l'exception que la règle dans les lois Deferre. A quoi s'ajoute la faculté, pour tous les niveaux de collectivités, d'intervenir dans presque tous les domaines d'action publique grâce à la compétence d'attribution générale.
Et la contractualisation n'a fait qu'accentuer le phénomène. L'Etat est en voie de paupérisation relative depuis vingt ans. Il a donc encouragé les collectivités locales à intervenir dans tous les domaines, y compris les siens, afin de retrouver des marges de manoeuvre perdues. Quoiqu'on en dise, cette confusion arrange tout le monde.
Il faut y mettre un peu d'ordre. Puisqu'on ne peut pas supprimer la compétence générale de chaque niveau, la loi pourrait, dans chaque domaine, désigner un " chef de file ", responsable soit des orientations, soit de la maîtrise d'ouvrage des politiques communes.
Quant à de nouveaux transferts, expérimentons-les, selon la méthode lancée par Charles Pasqua en 1995 et en voie d'achèvement aujourd'hui sur les services régionaux de voyageurs : le législateur teste un transfert avant une généralisation à tout le territoire, prévue dans le temps. Cela n'a rien à voir avec l'idée de P. Méhaignerie, malheureusement soutenue par les députés socialistes, d'une délégation du pouvoir législatif ouvrant la voie à un fédéralisme à la carte, flou et contraire au principe d'égalité.
La commission Mauroy a lancé des chantiers pour achever la décentralisation dans les domaines de l'enseignement (universités), de la formation professionnelle, de l'équipement routier, de l'action sociale, ou bien pour décentraliser de nouvelles compétences dans des domaines comme le logement social, l'environnement... Testons ces propositions dans quelques départements et régions pour en vérifier la pertinence et surtout, l'adhésion des personnels concernés.
Enfin, je n'ai rien contre le développement du pouvoir réglementaire local, tel qu'il existe déjà, par exemple avec les plans d'occupation des sols ou les règlements départementaux d'action sociale. La loi est en effet bien trop bavarde et détaillée, bien loin souvent du cadre fixé par l'article 34 de la Constitution.
Des élus responsables d'impôts justes et allégés par la solidarité nationale.
Notre système financier local est à bout de souffle mais tout "grand soir "
est impossible. Alors, depuis dix ans, on procède à rebours de ce qui est souhaitable : on supprime les impôts locaux au lieu de les réformer, on ravaude le système des dotations au lieu d'en changer l'architecture.
Il faut maintenir des impôts locaux qui responsabilisent les élus dans leurs choix d'investissements. Les budgets locaux doivent avoir une marge de manoeuvre indépendante des finances de l'Etat, ne serait-ce que pour amortir une éventuelle récession.
J'estime satisfaisant l'équilibre atteint aujourd'hui après les allégements nécessaires de taxe professionnelle et de taxe d'habitation : les budgets locaux sont composés d'environ 45 % d'impôts, 45 % de dotations de l'Etat et de 10 % d'emprunt. Arrêtons donc de supprimer des impôts locaux, mais réformons-les.
Il faut alléger et rendre plus juste la taxe d'habitation. D'abord en osant, enfin, faire la révision des valeurs locatives à laquelle on a renoncé 3 fois, quitte à l'étaler dans le temps. Ensuite, en supprimant la part départementale de taxe d'habitation qu'on remplacerait par une taxe départementale sur le revenu, légère et très simple, sur tous les revenus de tous les habitants. Enfin, en confiant davantage de pouvoirs aux élus locaux dans la fixation des taux et des abattements.
Quant à la taxe professionnelle, presque sauvée grâce à sa naturalisation intercommunale, on peut la rendre plus juste pour certains secteurs d'activité en intégrant à l'assiette des éléments du résultat des entreprises.
On doit aussi réserver une part d'impôt d'Etat aux régions où la nécessité d'un lieu citoyen est moins forte. L'Etat peut parfaitement céder une part de la Taxe Intérieure sur les produits pétroliers (T.I.P), pour favoriser par exemple une politique interrégionale d'aide au développement technologique des entreprises, sur le modèle allemand..
S'il revient aux élus d'égaliser la charge fiscale, il revient à l'Etat d'égaliser les budgets locaux en fonction des charges et d'assurer la péréquation au nom de la solidarité nationale. Les marges de manoeuvre existent, pour peu qu'on parvienne à dépasser les intérêts catégoriels de toute sorte.
Tout ce qui précède relève des moyens. Ceux-ci doivent servir des projets collectifs. La décentralisation n'est pas la chose des grands élus. Elle doit être le bien des citoyens à qui il importe assez peu de savoir qui fait quoi entre les collectivités et l'Etat. Qu'attendent les usagers sinon de meilleurs services publics, davantage de solidarité devant l'impôt, le m3 d'eau à peu près au même prix partout, des outils culturels de proximité ?
Beaucoup dépend de la capacité des 500.000 élus locaux à se mobiliser sur leurs projets de développement local. Mais beaucoup dépend aussi de l'Etat qui doit penser à organiser le long terme et inscrire l'action locale dans de grandes politiques nationales d'aménagement du territoire.
Les Français plébiscitent la décentralisation, mais ils sont rattachés au rôle de l'Etat. Puisque l'Etat républicain n'est rien d'autre que l'Etat des citoyens, c'est à son approfondissement, à son adaptation, à sa réforme qu'il faut se livrer, non pas à sa liquidation. L'Etat républicain s'épanouit dans la démocratie locale.
(source http://www.chevenement2002.net, le 19 octobre 2001)