Déclaration de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur la réforme de l'Etat et des ressources humaines dans la fonction publique et sur la simplification des relations entre l'administration et les usagers par le biais de l'administration électronique, Paris le 17 décembre 2001.

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Circonstance : Ouverture du 3ème forum international de gestion publique à Paris le 17 décembre 2001

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'ouvrir aujourd'hui les travaux de votre forum international de la gestion publique. Ce forum est en effet une occasion de mieux appréhender les termes du débat, sur le thème de la réforme de l'Etat et de la gestion des ressources humaines dans les fonctions publiques.
Dépasser le stade de l'incantation, imprécation, scepticisme et de la polémique, structurer les échanges autour d'oppositions ou de convergences, préciser les lignes de partage : j'espère que ce forum permettra ainsi d'identifier ce qui, justement, fait débat.
Le moment de cet échange est également important parce que nous disposons aujourd'hui, et de façon concomitante, de trois leviers essentiels de réforme : la promulgation de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 est, chacun en convient aujourd'hui, le vecteur d'une transformation profonde et inéluctable du fonctionnement des administrations de l'Etat. Cette réforme va bien au-delà d'un rééquilibrage des compétences et des pouvoirs respectifs du Parlement et du gouvernement dans l'élaboration, le vote et le contrôle des lois de finances. Elle va bien au-delà d'une simple adaptation des modes de gestion des crédits de l'Etat.
Le deuxième levier dont nous disposons est l'évolution démographique que vont vivre, ou que sont déjà en train de vivre, les trois fonctions publiques. Le départ à la retraite de la moitié des agents publics dans les dix ans qui viennent, dans un contexte de faible croissance démographique, nous conduit à nous interroger dès aujourd'hui sur les équilibres à trouver entre emploi public et emploi privé, sur la façon de former, de recruter, de gérer les carrières des agents publics, sur la façon d'adapter de façon anticipée le fonctionnement des services publics aux besoins de nos concitoyens.
Le troisième levier dont nous disposons a fait l'objet de progrès remarquables depuis 1997 : il s'agit du développement des technologies de l'information et de la communication, au service des relations entre nos concitoyens et les administrations, et entre les administrations elles-mêmes. Au sein de l'Etat comme partout dans la société, ces technologies sont un stimulus puissant en faveur d'une révision en profondeur de nos méthodes de travail, pour plus d'efficacité et plus de réactivité.
L'adoption de la loi organique du 1er août 2001, en à peine plus d'une année entre le dépôt de la proposition de loi et la promulgation du texte adopté conjointement par l'Assemblée nationale et par le Sénat, constitue un antidote puissant à tous les discours qui concluent invariablement à l'impossibilité qu'aurait l'Etat de se réformer.
L'histoire de cette réforme est riche d'enseignement : le premier de ces enseignements est que la réforme de l'Etat doit être fondée sur le dialogue et la mobilisation de tous. Rien n'est pire en effet que la réforme imposée, mal expliquée, qui peut conduire, par les réactions qu'elle suscite, à la stérilisation d'un débat pendant de longues années. Le dialogue, la pédagogie, la capacité de persuasion, ne sont pas de simples outils au service d'un intérêt général élaboré abstraitement, dans des cercles ministériels restreints. Ce sont des objectifs en soi, qui doivent systématiquement contribuer à l'émergence de l'intérêt général.
S'agissant de la réforme de l'ordonnance de 1959, je crois qu'il nous faut reconnaître que l'origine parlementaire de cette réforme est loin d'être étrangère à son succès : un projet de loi gouvernemental aurait sans doute eu plus de mal à déboucher sur une réforme de cette ampleur. La qualité du travail réalisé, jusqu'au dépôt de sa proposition de loi, par Didier MIGAUD, le champ des travaux couvert par la commission spéciale présidée par Raymond FORNI, l'apport indispensable de la commission des finances du Sénat et du président LAMBERT, l'esprit de coopération qui a présidé, au cours de la procédure parlementaire, aux relations entre les deux commissions des finances et les ministères concernés : tout cela explique le succès de la démarche engagée.
Cette réforme prendra plusieurs années pour entrer pleinement en vigueur, et c'est pourquoi nous avons prévu une phase de transition jusqu'à la discussion du projet de loi de finances pour 2006. Cette phase de transition n'est en aucune façon une phase d'attente ou d'attentisme : le Gouvernement a défini, lors du dernier Comité interministériel à la réforme de l'Etat en novembre dernier, un programme de travail et des clauses de rendez-vous précis et impératifs. Dès 2002, des expérimentations sur tel ou tel volet de la réforme seront conduits par un grand nombre de ministères et j'ai été frappé par l'appétence non seulement des ministres, mais de leurs administrations lors de la programmation de ces expérimentations.
Concertation, coopération, transition sont trois facteurs clés de succès de la réforme de l'Etat. Ces trois principes sont au cur de la méthode que nous avons arrêtée pour mettre en uvre la nouvelle loi organique. Il nous a semblé en effet très important de ne pas définir à l'avance le point d'arrivée, de ne pas arrêter par exemple a priori les futurs programmes de la loi de finances ou les différentes formules de comptes-rendus budgétaires et comptables. La stratégie que nous avons arrêtée est une stratégie gagnant-gagnant : chacun s'y retrouvera.
Sur le fond, le CIRE a souligné l'importance de trois sujets, dont le traitement sera essentiel pour la réussite de la réforme.
Premier élément : la déconcentration budgétaire.
C'est une priorité. Quelle meilleure preuve d'autonomie et de responsabilité, quel meilleur gage de confiance que la déconcentration budgétaire, c'est-à-dire la latitude donnée à chaque gestionnaire au niveau local, de gérer son budget sans contrôle tâtillon a priori, mais avec une évaluation précise a posteriori des résultats engrangés ? L'existence de programmes ministériels mis en uvre sur un territoire donné ne doit pas conduire à une recentralisation de la gestion budgétaire et à une segmentation inadaptée de l'action territoriale de l'Etat. La globalisation et la fongibilité des crédits doivent concerner chaque service déconcentré. Il nous faut donc définir des outils permettant des délégations de crédits globales et rapides, fondées sur des instruments de maîtrise budgétaire transparents. Il nous faut aussi, au niveau central, mettre en uvre des missions interministérielles qui regrouperont certains programmes, pour donner une traduction concrète à cette réalité de tous les jours qu'est l'interministérialité des politiques publiques.
Deuxième élément : la nomenclature.
S'il ne faut certes pas réduire cette réforme à une simple modification de la nomenclature budgétaire et à une importante réduction du nombre d'unités budgétaires, il n'en reste pas moins que le contour qui sera donné aux programmes déterminera de façon essentielle l'autonomie des gestionnaires.
Il faut en quelque sorte dépasser l'expérience des agrégats pour arriver à coupler programme et politique publique en permettant une mesure satisfaisante de leurs résultats. Un programme devra donc son existence en grande partie à la qualité de la mesure de ses résultats.
Troisième élément : l'évolution des procédures de contrôle.
C'est toute la chaîne de contrôle, de l'ordonnateur principal jusqu'au payeur, que la réforme doit nous donner l'occasion de revoir. La mise en place du système d'information ACCOR dans certains ministères pilotes révèle l'excès et la redondance de certains contrôles, dans un environnement où les délais de paiement de l'Etat prennent une importance de plus en plus grande. Il faut rationaliser cette chaîne, afin de supprimer les redondances, de concentrer le contrôle financier sur les opérations réellement significatives, de faire évoluer le positionnement respectif de l'ordonnateur et du comptable.
De nouveaux schémas d'organisation doivent être étudiés, pour rapprocher et faire travailler ensemble des services qui ont les mêmes missions. C'est dans cette perspective que le Comité interministériel à la réforme de l'Etat a décidé de traiter la question du contrôle a priori, appelé à disparaître au fur et à mesure que s'accroît la responsabilité des gestionnaires.
Il faut le reconnaître : nous ne savons pas, aujourd'hui, à quoi ressemblera le projet de loi de finances de l'Etat pour 2006. Nous savons simplement que nous disposons d'un calendrier et d'une méthode, autour de principes clairs. Vous allez contribuer de façon essentielle, au cours de ces deux journées, à alimenter le débat.
Nous savons en tout état de cause que nous pouvons dès maintenant nous appuyer sur des expérimentations en cours ou à venir. Je crois que nous tenons là le principal enseignement de cette réforme : c'est en tâtonnant que nous trouverons le chemin, c'est en expérimentant que nous résoudrons les problèmes, c'est en préfigurant et en évaluant que nous appliquerons, demain et après-demain, le texte voté.
Les perspectives de renouvellement des effectifs de la fonction publique constituent également un levier majeur de la réforme de l'Etat. Dans ce domaine, deux visions sont possibles : la première, que je qualifierais de dogmatique, consiste à programmer par principe et de manière aveugle, une diminution du nombre d'agents publics ; la seconde, marquée du sceau du pragmatisme, consiste à s'appuyer sur l'évolution des missions des services publics pour adapter leurs effectifs, en tenant compte évidemment de l'évolution de la population active. Prenant clairement parti pour la deuxième vision, nous avons commencé à mettre en place les outils de gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences dont chacun d'entre-nous reconnaît le caractère indispensable et dont l'absence, en d'autres temps et sous d'autres gouvernements, fait cruellement sentir ses effets aujourd'hui encore dans certains métiers de la fonction publique, qu'il s'agisse des infirmières, des policiers ou des greffiers de justice.
Les efforts réalisés en ce sens par les administrations, sous la direction de l'observatoire de l'emploi public, ne sont peut-être pas spectaculaires médiatiquement, mais ils sont réels.
Ils sont réels en matière de transparence des effectifs : le premier rapport annuel de l'observatoire, que j'ai transmis au Parlement en septembre dernier, établit un premier recensement de l'emploi public, après un effort considérable de rapprochement des méthodes statistiques et des techniques de recensement, qui étaient jusqu'à présent fort disparates. Ce premier rapport présente également, pour trois départements ministériels, des matrices de passage, pour le budget de l'année 2000, entre l'emploi budgétaire et l'emploi réel. Ces deux exercices, qui prolongent et approfondissent les premiers travaux réalisés il y a déjà quelques années par la Cour des comptes, constituent une avancée réelle dans le sens d'une plus grande transparence de la gestion de l'Etat ; ils préfigurent en cela l'application de la nouvelle loi organique.
La gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences n'est également plus une incantation vaine. Des plans de gestion prévisionnelle ont été élaborés, au ministère de l'éducation nationale, au ministère de la recherche. D'ici la fin du premier trimestre 2002, chaque ministère sera doté d'un tel plan. Les techniques sont aujourd'hui mutualisées, les outils sont disponibles, chaque ministère a élaboré une pyramide des âges et est en mesure de prévoir les flux de départ à la retraite. Par rapport au vide qui a pu être constaté par les rapports de Serge VALLEMONT et de Bernard CIEUTAT, des avancées très utiles et très concrètes ont été réalisées.
Moderniser l'Etat, c'est aussi moderniser la gestion des ressources humaines de l'administration. Je sais que le statut général des fonctionnaires, tel qu'il a été mis en place après la guerre et tel qu'il a été rénové entre 1983 et 1986, est parfois perçu comme un obstacle à la rénovation de la gestion des ressources humaines dans les trois fonctions publiques.
Je crois que poser la question de cette façon reviendrait à stériliser les termes du débat pour de nombreuses années. Non que le statut général constitue l'alpha et l'oméga de toute gestion de la fonction publique, ou que les dispositions législatives ou réglementaires qui le constituent ne puissent être améliorées. Mais sur ce point, ma conviction est double :
- Je reste en premier lieu persuadé que le statut, tel qu'il a été défini en 1946, pose les grands principes, toujours d'actualité, de la fonction publique : égalité, neutralité, continuité, mutabilité.
- En second lieu, j'affirme que c'est moins le statut que son application qui pose aujourd'hui problème : le statut de 1946 est rempli de potentialités inexploitées, de souplesses abandonnées, d'intentions dénaturées. On oublie un peu vite que le statut prévoit explicitement la mobilité, l'évaluation, la rémunération fondée sur la performance. Le statut n'empêche pas d'avancer ; je pense même que nous devons, pour avancer, revenir au statut.
Deux directions ont été retenues par le dernier comité interministériel à la réforme de l'Etat :
- diversifier et moderniser le recrutement dans la fonction publique, en généralisant les troisièmes concours, en mettant en place des procédures de pré-recrutement, en déconcentrant l'organisation des concours ;
- adapter la gestion des carrières aux besoins du service public, en levant les obstacles à la mobilité des agents, en généralisant leur évaluation professionnelle, en harmonisant l'architecture d'ensemble des régimes indemnitaires.
Les échéances démographiques qui nous attendent nous conduisent, dès maintenant, à décloisonner les modes de recrutement, à fluidifier les carrières, à lever tous les obstacles à la mobilité. La mise en uvre de la loi organique nous conduit à une gestion différente, fondée sur la transparence et la performance. C'est précisément ce que nous sommes en train de faire.
Le troisième pilier de réforme de l'Etat est le développement, dans le travail des administrations comme dans leurs relations avec leurs usagers, des technologies de l'information et de la communication.
L'administration électronique est aujourd'hui une réalité en France. Alors qu'en 1997, nous partions à peu près de zéro, chacun s'accorde aujourd'hui pour souligner le rôle moteur, volontariste et pragmatique des services publics dans l'utilisation des technologies de l'information et de la communication.
Les résultats sont avant tout concrets pour l'usager.
Aujourd'hui, tous les services de l'Etat sont présents en ligne et la qualité de ces sites se renforce rapidement. Les téléservices se développent rapidement. Service-public.fr propose ainsi 110 téléservices entièrement dématérialisés, comme l'inscription aux concours d'enseignants, ou le suivi par chaque assuré de ses remboursements de sécurité sociale.
Les entreprises peuvent aujourd'hui télédéclarer et payer en ligne leur TVA. Le portail " Net-entreprises " engage une véritable révolution dans les échanges entre entreprises et organismes sociaux, puisque la douzaine de déclarations au cur du projet représente 90% des 130 millions des déclarations sociales renvoyées chaque année par les employeurs.
Ces réalisations nous ont permis de " recoller " au peloton de tête européen en matière d'e-gouvernement : TéléTVA a ainsi été primé comme " meilleure pratique " à Bruxelles en novembre, tout comme Service-public.fr (qui a obtenu la note maximale d'un concours international rassemblant plus de 200 candidats) ou l'application iProf du ministère de l'Education nationale.
Plus globalement, les résultats d'une étude récente réalisée pour le compte de la commission européenne et des Etats-membres permettent de marquer les progrès de l'administration électronique en Europe. La France se situe régulièrement dans le groupe de tête, notamment en matière de déclaration et de paiement des impôts en ligne, de recherche d'emploi en ligne, de télédéclarations sociales pour les entreprises, de déclaration de TVA, de déclarations de douane, de délivrance des cartes grises ou délivrance de permis de construire. En revanche, il nous reste des progrès à faire pour ce qui concerne, par exemple, les télédéclarations à la police ou la gestion en ligne des informations de santé.
Ces bons résultats, mais aussi l'accroissement des attentes des usagers, ont conduit le gouvernement, en novembre dernier, à décider d'engager une nouvelle phase du développement de l'administration électronique. Les décisions prises lors du Comité interministériel à la réforme de l'Etat du 15 novembre 2001 visent cinq objectifs :
· généraliser d'ici à 2005 les téléservices personnalisés ;
· faire progresser la protection quotidienne, opérationnelle, des données personnelles ;
· moderniser pour tous et pas pour les seuls internautes : les progrès doivent également être visibles pour les usagers qui se rendent au guichet ou qui utilisent le téléphone ou le courrier ;
· développer les consultations en ligne des citoyens et des acteurs économiques et sociaux sur les projets de l 'administration ;
· donner toute leur place aux agents publics grâce, notamment, à une formation continue et adaptée.
Ce faisant, nous répondons à deux impératifs : moderniser et simplifier les relations entre les administrations et les usagers, mais aussi faire de la France la première économie numérique d'Europe. C'est l'ambition qu'a récemment rappelé le Premier ministre ; et c'est notre projet pour demain.
Mesdames, Messieurs,
La réforme de l'Etat n'est ni un big bang des administrations, ni un " grand soir ". C'est un effort de tous les instants, fondé sur la recherche de la responsabilité des agents publics, au profit d'un meilleur service aux Français. Je sais que vos travaux et vos échanges contribueront, cette année encore, à faire progresser, et la modernisation de notre Etat et de nos services publics, et sa compréhension par tout un chacun. Je vous en remercie.
(source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 17 décembre 2001)