Texte intégral
F. Laborde.- Nous allons évoquer un certain nombre de dossiers juridiques qui sont au coeur de l'actualité. A commencer par cette décision du Conseil constitutionnel qui a censuré une partie de la loi sur la modernisation sociale, l'article 107 précisément, qu'il a considéré comme non conforme à la Constitution. Cet article était au coeur de la polémique, il a été pris après un certain nombre de plans de licenciement - Michelin, Danone, etc.. On sait que le patronat était contre, que les syndicats étaient moyennement...
- "Ils n'ont pas été consultés..."
Il n'en reste pas moins que c'est pour le Gouvernement un véritable camouflet ?
- "Oui, mais il l'a cherché, peut-on dire. D'abord, il n'y a pas eu de dialogue social dans cette affaire et les syndicats n'ont pas du tout été consultés. Ensuite, ce sont des dispositions que la France était seule à avoir, c'est-à-dire un handicap considérable pour nos entreprises dans la compétition internationale. Si la France doit être forte il faut qu'elle ait des entreprises fortes, c'est aussi simple que cela. Et si on veut avoir des emplois, il faut que nos entreprises soient fortes."
Cela veut dire qu'il faut laisser aux entreprises la possibilité de licencier sans aucune limite ?
- "Non, pas du tout. Les plans de licenciements sont des dispositions qui sont les plus protectrices justement des salariés. Et c'était là-dessus que finalement le Parti communiste voulait revenir. D'autre part, les entreprises ont besoin de s'adapter en permanence à la compétition internationale. Si on ne veut pas avoir la multiplication des affaires Moulinex - parce que le cas de Moulinex est assez révélateur..."
Parce qu'au fond, l'entreprise est perdue ?
- "L'entreprise est perdue, parce qu'elle n'a pas été capable de s'adapter aux évolutions du monde de l'économie, des désirs des consommateurs. Le résultat, c'est la faillite."
Dans le fond, c'est parce que cette disposition a été trop politique qu'elle a été censurée par le Conseil constitutionnel ?
- "Parce qu'elle n'est pas conforme à la Constitution, tout simplement. La Constitution prévoit la liberté d'entreprendre, qui est notamment de pouvoir diriger une entreprise de manière à ce qu'elle soit compétitive et qu'elle puisse gagner dans la compétition internationale. Là, ce n'est plus possible."
Donc, accuser le Conseil constitutionnel de partialité, parce qu'aujourd'hui, les équilibres politiques font qu'il y a plus de membres qui ont été nommés par la droite que par la gauche...
- "C'est minable ! C'est minable, parce qu'ils font du droit. Et le Conseil constitutionnel est dans sa tradition juridique. D'ailleurs, quand le Conseil constitutionnel avait une majorité de gauche, cela ne venait à l'idée de personne de venir contester ses décisions. Alors aujourd'hui, c'est vraiment de mauvaise aloi que de le faire."
Même si, effectivement, les censures se multiplient - il y a eu les 35 heures ?
- "Oui, il y en a eu huit pour le gouvernement Jospin et, avec la Corse, on en aura peut-être neuf."
La Corse, sur laquelle on attend une décision cette semaine...
- "Mais plutôt que d'accuser le thermomètre, il faut se demander pourquoi on a la fièvre ? Or, ce Gouvernement a pris la mauvaise habitude de ne pas respecter scrupuleusement la Constitution. Cela lui retombe sur le nez."
Le juste Halphen annonce aujourd'hui, chez nos confrères du Parisien, qu'il s'en va. Il donne une longue interview où il explique qu'il n'a pas pu exercer son métier de magistrat dans les conditions qu'il aurait voulues. Le juge Halphen, c'est celui des HLM, de la cassette Méry, c'est l'homme aussi qui avait convoqué le président de la République en envoyant une lettre à l'Elysée. Son départ, est-ce effectivement l'échec d'une certaine forme d'investigation ?
- "C'est son échec personnel. Le juge Halphen, au plan technique, aura été un très mauvais magistrat, qui aura été annulé constamment par la Cour d'appel, la Cour de cassation... Ce sont ses pairs qui l'ont jugé le plus sévèrement, pas l'opinion. Ce sont ses collègues de travail qui ont considéré qu'il violait la loi beaucoup trop souvent. Finalement, c'est un des juges les plus annulés de France. Je n'ai pas dit les plus nuls, mais les plus annulés."
Et quand il dit qu'il a travaillé en permanence sous pression, qu'il a été écouté, traqué ? C'est vrai qu'il y avait l'histoire de son beau-père qu'on avait essayé de corrompre...
- "Je crois que l'affaire de son beau-père n'était pas très claire pour tout le monde. Mais enfin, ce n'est pas lui qui était en cause."
Autre élément de l'actualité judiciaire, juridique : la loi sur la présomption d'innocence. Il y a des dispositifs qui doivent être aménagés, notamment après le rapport de J. Dray. Vous considérez que c'est nettement insuffisant. C'est tout le dispositif qu'il faut revoir ?
- "Non, c'est une loi très compliquée. Au départ, elle avait à peu près 45 articles et à l'arrivée, elle en avait 142. Donc, on a ajouté en cours de discussion beaucoup de choses, dont certaines sont très bonnes..."
Par exemple ?
- "Il y a des dispositions sur les victimes qui sont de bonne qualité ; il y a l'organisation du contradictoire à l'audience qui est une très bonne chose. Il y a des bonnes choses dans cette loi, il n'y a pas de doute à cela. Seulement, un certain nombre de dispositions ont été bâclées, pas réfléchies. Et c'est le cas sur l'organisation de la garde à vue, où les policiers sont submergés par le formalisme, ne peuvent donc plus enquêter et cela paralyse évidemment la recherche de la délinquance. Et c'est le cas aussi sur la détention provisoire que le problème est vrai. Mais la solution apportée est improvisée et le résultat est, on l'a vu, un certain nombre de bavures : des gens qui ont commis des infractions très graves, ont été remis en liberté pour des raisons de procédure, grand scandale de l'opinion. Ces choses-là, qui n'ont pas été suffisamment réfléchies, il faut les corriger. Il y en a malheureusement beaucoup, parce que l'ensemble du système a été bâclé. Les intentions sont bonnes souvent..."
Oui, parce que tout le monde l'a votée, cette loi !
- "Non, tout le monde ne l'a pas votée, l'opposition s'est abstenue à l'Assemblée nationale."
Elle n'a pas voté contre...
- "Elle n'a pas voté contre, parce que justement nous avons dit que si les intentions étaient louables, le travail était bâclé et qu'on verrait des effets pervers importants. On a commencé à les voir, il y en aura encore beaucoup d'autres."
N'y a-t-il pas eu une petite fronde des magistrats qui ont remis en liberté, en s'appuyant sur cette loi... On a eu le sentiment qu'il y avait une lecture un peu négative de la loi ?
- "Non, il y a des automaticités. Par exemple, quelqu'un qui peut être condamné jusqu'à 20 ans de prison - c'est beaucoup, la torture par exemple, cela va jusqu'à 15 ans de prison -, au bout de deux ans d'instruction, et une instruction qui est de plus en plus lourde, de plus en plus formelle, doit être automatiquement remis en liberté, quels que soient ses antécédents, si l'instruction n'est pas achevée. Cette espèce de couperet automatique, sans nuance, est évidemment une folie. Il faut revenir là-dessus."
D. Vaillant va présenter un dispositif dans les jours qui viennent concernant la recherche des personnes disparues. On a vu récemment des affaires absolument abominables de pédophilie, d'enfants violés, torturés, battus à mort. Est-ce qu'aujourd'hui, il y a une sorte de crise de société dans ce pays, où il y a de plus en plus de prise en charge économique, et en même temps de plus en plus de violence ?
- "Oui, c'est vrai. La société est de plus complexe et finalement, cette complexité donne lieu à de plus en plus de violence. Sur ce point, monsieur Vaillant a tout à fait raison. C'est-à-dire que quand une personne disparaît par exemple, bien souvent il n'y a aucune diligence faite pour la retrouver. Et si on peu améliorer le système, tout le monde ne pourra que s'en féliciter. Mais en réalité, au plan de la sécurité, je crois qu'il faut que nous ayons une grande réflexion et que nous organisions complètement différemment notre sécurité, parce qu'on voit bien, au-delà des polémiques, au-delà des rapports entre la gauche et la droite, que c'est l'ensemble d'un système qui aujourd'hui est dépassé par l'évolution de la société. Notre organisation de la sécurité est périmée. Ce sera un des devoir de l'opposition si elle gagne : c'est de réorganiser complètement la sécurité dans notre pays."
C'est votre nouveau grand chantier et ce sera dans les propositions de l'opposition ?
- "Il n'y a pas de liberté, il n'y a pas d'égalité, si le minimum du fonctionnement d'une société qui est la sécurité n'est pas assuré."
(Source http://perso.wanadoo.fr/devedjian, le 26 février 2003)
- "Ils n'ont pas été consultés..."
Il n'en reste pas moins que c'est pour le Gouvernement un véritable camouflet ?
- "Oui, mais il l'a cherché, peut-on dire. D'abord, il n'y a pas eu de dialogue social dans cette affaire et les syndicats n'ont pas du tout été consultés. Ensuite, ce sont des dispositions que la France était seule à avoir, c'est-à-dire un handicap considérable pour nos entreprises dans la compétition internationale. Si la France doit être forte il faut qu'elle ait des entreprises fortes, c'est aussi simple que cela. Et si on veut avoir des emplois, il faut que nos entreprises soient fortes."
Cela veut dire qu'il faut laisser aux entreprises la possibilité de licencier sans aucune limite ?
- "Non, pas du tout. Les plans de licenciements sont des dispositions qui sont les plus protectrices justement des salariés. Et c'était là-dessus que finalement le Parti communiste voulait revenir. D'autre part, les entreprises ont besoin de s'adapter en permanence à la compétition internationale. Si on ne veut pas avoir la multiplication des affaires Moulinex - parce que le cas de Moulinex est assez révélateur..."
Parce qu'au fond, l'entreprise est perdue ?
- "L'entreprise est perdue, parce qu'elle n'a pas été capable de s'adapter aux évolutions du monde de l'économie, des désirs des consommateurs. Le résultat, c'est la faillite."
Dans le fond, c'est parce que cette disposition a été trop politique qu'elle a été censurée par le Conseil constitutionnel ?
- "Parce qu'elle n'est pas conforme à la Constitution, tout simplement. La Constitution prévoit la liberté d'entreprendre, qui est notamment de pouvoir diriger une entreprise de manière à ce qu'elle soit compétitive et qu'elle puisse gagner dans la compétition internationale. Là, ce n'est plus possible."
Donc, accuser le Conseil constitutionnel de partialité, parce qu'aujourd'hui, les équilibres politiques font qu'il y a plus de membres qui ont été nommés par la droite que par la gauche...
- "C'est minable ! C'est minable, parce qu'ils font du droit. Et le Conseil constitutionnel est dans sa tradition juridique. D'ailleurs, quand le Conseil constitutionnel avait une majorité de gauche, cela ne venait à l'idée de personne de venir contester ses décisions. Alors aujourd'hui, c'est vraiment de mauvaise aloi que de le faire."
Même si, effectivement, les censures se multiplient - il y a eu les 35 heures ?
- "Oui, il y en a eu huit pour le gouvernement Jospin et, avec la Corse, on en aura peut-être neuf."
La Corse, sur laquelle on attend une décision cette semaine...
- "Mais plutôt que d'accuser le thermomètre, il faut se demander pourquoi on a la fièvre ? Or, ce Gouvernement a pris la mauvaise habitude de ne pas respecter scrupuleusement la Constitution. Cela lui retombe sur le nez."
Le juste Halphen annonce aujourd'hui, chez nos confrères du Parisien, qu'il s'en va. Il donne une longue interview où il explique qu'il n'a pas pu exercer son métier de magistrat dans les conditions qu'il aurait voulues. Le juge Halphen, c'est celui des HLM, de la cassette Méry, c'est l'homme aussi qui avait convoqué le président de la République en envoyant une lettre à l'Elysée. Son départ, est-ce effectivement l'échec d'une certaine forme d'investigation ?
- "C'est son échec personnel. Le juge Halphen, au plan technique, aura été un très mauvais magistrat, qui aura été annulé constamment par la Cour d'appel, la Cour de cassation... Ce sont ses pairs qui l'ont jugé le plus sévèrement, pas l'opinion. Ce sont ses collègues de travail qui ont considéré qu'il violait la loi beaucoup trop souvent. Finalement, c'est un des juges les plus annulés de France. Je n'ai pas dit les plus nuls, mais les plus annulés."
Et quand il dit qu'il a travaillé en permanence sous pression, qu'il a été écouté, traqué ? C'est vrai qu'il y avait l'histoire de son beau-père qu'on avait essayé de corrompre...
- "Je crois que l'affaire de son beau-père n'était pas très claire pour tout le monde. Mais enfin, ce n'est pas lui qui était en cause."
Autre élément de l'actualité judiciaire, juridique : la loi sur la présomption d'innocence. Il y a des dispositifs qui doivent être aménagés, notamment après le rapport de J. Dray. Vous considérez que c'est nettement insuffisant. C'est tout le dispositif qu'il faut revoir ?
- "Non, c'est une loi très compliquée. Au départ, elle avait à peu près 45 articles et à l'arrivée, elle en avait 142. Donc, on a ajouté en cours de discussion beaucoup de choses, dont certaines sont très bonnes..."
Par exemple ?
- "Il y a des dispositions sur les victimes qui sont de bonne qualité ; il y a l'organisation du contradictoire à l'audience qui est une très bonne chose. Il y a des bonnes choses dans cette loi, il n'y a pas de doute à cela. Seulement, un certain nombre de dispositions ont été bâclées, pas réfléchies. Et c'est le cas sur l'organisation de la garde à vue, où les policiers sont submergés par le formalisme, ne peuvent donc plus enquêter et cela paralyse évidemment la recherche de la délinquance. Et c'est le cas aussi sur la détention provisoire que le problème est vrai. Mais la solution apportée est improvisée et le résultat est, on l'a vu, un certain nombre de bavures : des gens qui ont commis des infractions très graves, ont été remis en liberté pour des raisons de procédure, grand scandale de l'opinion. Ces choses-là, qui n'ont pas été suffisamment réfléchies, il faut les corriger. Il y en a malheureusement beaucoup, parce que l'ensemble du système a été bâclé. Les intentions sont bonnes souvent..."
Oui, parce que tout le monde l'a votée, cette loi !
- "Non, tout le monde ne l'a pas votée, l'opposition s'est abstenue à l'Assemblée nationale."
Elle n'a pas voté contre...
- "Elle n'a pas voté contre, parce que justement nous avons dit que si les intentions étaient louables, le travail était bâclé et qu'on verrait des effets pervers importants. On a commencé à les voir, il y en aura encore beaucoup d'autres."
N'y a-t-il pas eu une petite fronde des magistrats qui ont remis en liberté, en s'appuyant sur cette loi... On a eu le sentiment qu'il y avait une lecture un peu négative de la loi ?
- "Non, il y a des automaticités. Par exemple, quelqu'un qui peut être condamné jusqu'à 20 ans de prison - c'est beaucoup, la torture par exemple, cela va jusqu'à 15 ans de prison -, au bout de deux ans d'instruction, et une instruction qui est de plus en plus lourde, de plus en plus formelle, doit être automatiquement remis en liberté, quels que soient ses antécédents, si l'instruction n'est pas achevée. Cette espèce de couperet automatique, sans nuance, est évidemment une folie. Il faut revenir là-dessus."
D. Vaillant va présenter un dispositif dans les jours qui viennent concernant la recherche des personnes disparues. On a vu récemment des affaires absolument abominables de pédophilie, d'enfants violés, torturés, battus à mort. Est-ce qu'aujourd'hui, il y a une sorte de crise de société dans ce pays, où il y a de plus en plus de prise en charge économique, et en même temps de plus en plus de violence ?
- "Oui, c'est vrai. La société est de plus complexe et finalement, cette complexité donne lieu à de plus en plus de violence. Sur ce point, monsieur Vaillant a tout à fait raison. C'est-à-dire que quand une personne disparaît par exemple, bien souvent il n'y a aucune diligence faite pour la retrouver. Et si on peu améliorer le système, tout le monde ne pourra que s'en féliciter. Mais en réalité, au plan de la sécurité, je crois qu'il faut que nous ayons une grande réflexion et que nous organisions complètement différemment notre sécurité, parce qu'on voit bien, au-delà des polémiques, au-delà des rapports entre la gauche et la droite, que c'est l'ensemble d'un système qui aujourd'hui est dépassé par l'évolution de la société. Notre organisation de la sécurité est périmée. Ce sera un des devoir de l'opposition si elle gagne : c'est de réorganiser complètement la sécurité dans notre pays."
C'est votre nouveau grand chantier et ce sera dans les propositions de l'opposition ?
- "Il n'y a pas de liberté, il n'y a pas d'égalité, si le minimum du fonctionnement d'une société qui est la sécurité n'est pas assuré."
(Source http://perso.wanadoo.fr/devedjian, le 26 février 2003)