Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, sur la réforme de la justice et le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale, à l'Assemblée nationale le 22 juin 1999.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame la Présidente de la Commission des lois,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés.
Introduction :
Le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale que j'ai l'honneur de soumettre ce jour à votre Assemblée est à la fois un texte de rupture avec un passé contestable mais aussi un texte fondateur, une nouvelle donne pour la justice de notre pays.
Ce texte consacre d'abord la rupture, effective depuis deux ans, avec les pratiques d'intervention directe et occulte dans le cours de la justice.
C'est aussi et surtout un texte qui consacre la volonté de ce gouvernement, exprimée avec force par le Premier Ministre, dans son discours de politique générale, de garantir à nos concitoyens une justice impartiale, égale pour tous.
Pour atteindre cet objectif, il fallait à la fois mettre fin aux interventions destinées à manipuler le cours de la justice et aussi assurer que la politique pénale soit appliquée de façon équivalente sur tout le territoire national.
C'est donc d'abord et avant tout l'objectif d'impartialité de la Justice qui est au coeur de ce texte.
La Justice doit être la même pour tous; le gouvernement, sous le contrôle du Parlement doit en toute transparence fonder sa politique pénale sur l'intérêt général et non sur les intérêts particuliers.
Ici même, il y a deux ans, le Premier ministre avait déclaré, dans son discours de politique générale: "dès aujourd'hui, plus aucune instruction concernant des affaires individuelles de nature à dévier le cours de la Justice ne sera donnée par le Garde des Sceaux" . Cet engagement pris devant les représentants du peuple français, au nom de qui la Justice est rendue, s'est concrétisé par l'adoption en Conseil des Ministres des orientations de la réforme de la justice, le 29 octobre 1997.
Cette réforme, je le rappelle comporte trois volets : une justice plus proche des citoyens, une justice plus respectueuse des libertés individuelles, une justice impartiale.
Le texte que vous examinez aujourd'hui s'inscrit dans ce dernier volet de la réforme.
Cette réforme, le Parlement l'a aujourd'hui largement fait entrer dans notre droit: depuis le débat sur les orientations générales, il y a 18 mois, votre assemblée a d'ores et déjà approuvée plusieurs textes législatifs :
1°/ Pour le 1er volet qui concerne la justice au quotidien, les projets que je vous ai présentés sont devenus des Lois de la République :
- la loi sur l'accès au droit du 18.12.1998 permet de renforcer la justice de proximité et de rendre ce service public plus adapté aux besoins de nos concitoyens. A ce titre je vous indique que 21 maisons de justice et du droit ont été ouvertes depuis le mois de juin 1997, dont 10 depuis le 1° janvier 1999. Actuellement 63 nouveaux projets sont en cours d'examen. Je rappelle qu'avant juin 1997, 16 MJD, seulement, fonctionnaient.
- la loi sur l'efficacité de la procédure pénale définitivement votée le 9.06.99 permet d'apporter des réponses rapides, adaptées et systématiques aux actes de la petite et moyenne délinquance, celle qui est vécue par nos concitoyens quotidiennement comme une source majeure d'insécurité.
- le décret de procédure civile du 28.12.1998 permettra lui aussi d'accélerer la justice civile au quotidien, celle qui concerne l'essentiel des litiges entre particuliers.
2°/ Pour le deuxième volet qui concerne la protection des libertés : le projet de loi sur la présomption d'innocence a été adopté par votre assemblée en 1ère lecture et est en cours d'examen au Sénat. Ce texte vise à garantir un meilleur respect de la présomption d'innocence par la réduction des atteintes qui y sont portées: limitation de la détention provisoire, droits renforcés pour la défense, y compris dès la garde à vue, meilleure protection des victimes.
3°/ Le dernier volet de cette réforme qui a pour but de restaurer l'impartialité de la justice, comprend, outre le texte dont nous discutons aujourd'hui, le projet de loi constitutionnel sur la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature. Ce texte a été voté, dans les mêmes termes, par les deux assemblées. Il doit, donc maintenant, être soumis au Congrès.
Lorsque le Congrès aura modifié en vertu de ce texte l'article 65 de la Constitution, le Gouvernement pourra proposer au Parlement les deux projets de loi organiques qui complètent le dispositif.
Dix huit mois après le débat d'orientation générale, la réforme avance donc au rythme prévu et je vous remercie du soutien que vous avez apporté à ces textes.
Le présent projet suscite beaucoup de questions et il a permis d'ouvrir un véritable débat sur la place de la justice et le rôle des juges dans la démocratie.
Avant d'aborder ce débat nécessaire et essentiel, je vous exposerai les lignes directrices de ce texte qui apporte une contribution majeure à l'impartialité de la justice en associant dans un équilibre toujours présent: transparence et responsabilité.
Avant d'aborder le détail des dispositions, je souhaite souligner la qualité du travail du rapporteur, André VALLINI, qui je le sais a procédé à de très nombreuses auditions, à des visites de Parquet et à une importante concertation. Ce travail, va permettre d'enrichir le texte d'un certain nombre d'amendements qui contribuent à renforcer la transparence et la responsabilité des magistrats du parquet.
Je souhaite également remercier la présidente de votre commission des lois, Catherine TASCA, qui a largement contribué à la réflexion sur ce projet. Je sais que de très nombreuses réunions se sont tenues, à son initiative et je salue la qualité des débats de votre commission des lois.
Le projet de loi qui vous est présenté consacre l'impartialité de la politique pénale (I), sans remettre en cause l'équilibre des pouvoirs et des institutions (II).
I/ Le projet de loi consacre l'impartialité de la politique pénale:
La situation de l'institution judiciaire était largement compromise au moment des élections législatives de juin 1997. Les français n'avaient plus confiance dans leur justice et considéraient qu'elle fonctionnait selon des intérêts partisans. Les dossiers construits, tronqués, démembrés, dispersés, retardés ou accélérés sont encore présents dans nos mémoires. Je veux citer ici l'article du recteur Jacques GEORGEL, paru dans la "Gazette du Palais" du 29/09/98, intitulé "Les libertés de la justice", qui évoque les pratiques passées: la dissimulation volontaire à la justice d'éléments essentiels, les manipulations procédurales pour ralentir l'action judiciaire, l'ignorance délibérée des règles, les menaces et le saucissonnage des affaires (Jacques GEORGEL, "Les libertés de la Justice", Gazette du Palais, n°270 à 272, du dimanche 27 au mardi 29 septembre 1998).
Les interventions directes, inopportunes, dans les affaires sensibles, mais aussi dans les affaires qui ne devenaient sensibles que du fait de ces interventions, ont défrayé la chronique. Par delà la mise en cause de l'institution judiciaire c'est tout le système démocratique qui était ébranlé. Nos concitoyens n'avaient plus confiance dans leur justice, qui n'était plus garante de l'intérêt général, n'assurait plus un traitement égal pour tous les citoyens, mais qui était devenue un outil à l'usage de quelques uns. Pour lever définitivement le soupçon, pour redonner du crédit tant aux politiques qu'à la justice, pour recentrer la justice sur ses missions dans un Etat démocratique, il était urgent de rompre définitivement avec ces dévoiements.
A/ Depuis deux ans, j'ai mis en place une pratique qui a anticipé sur le texte qui vous est soumis aujourd'hui :
Conformément aux engagements du Premier ministre devant vous le 19/06/97, j'ai mis en place des méthodes nouvelles de gestion des relations entre les parquets et la chancellerie.
1- Le traitement des affaires individuelles se fait dans les parquets et non plus à la chancellerie :
Depuis deux ans, aucune instruction n'a plus été donnée, par la chancellerie et le garde des sceaux, dans les affaires individuelles aux parquets. Aucune procédure, qu'elle soit médiatique ou pas, n'a fait l'objet d'une instruction. Personne ne peut citer une seule affaire dans laquelle des décisions auraient été prises sur injonction de la chancellerie. Il a été mis fin à ces pratiques qui visaient à servir quelques uns au détriment de l'intérêt général.
Peu à peu les conclusions des rapports des procureurs généraux se sont modifiés. Ont disparu les mentions "sauf avis contraire de votre part" ou "sous réserve de vos instructions", pour faire place à la mention "je ne manquerai pas de vous tenir informé".
2- Un échange constant sur les procédures et sur le contexte :
Dans le même temps, je me suis attaché à ce que se mette en place un dialogue étroit et permanent entre la chancellerie et les parquets avec des règles du jeu transparentes. J'ai exigé des procureurs généraux qu'il me rendent compte de l'activité de leur ressort, j'ai demandé à être tenue informée des développements des affaires qui peuvent toucher à l'intérêt général ou qui ont un retentissement particulier, et cela dans tous les domaines et en toute transparence.
Par exemple je suis informée, en temps réel, des évolutions judiciaires de certaines affaires importantes qui peuvent avoir des répercussion soit sur l'ordre public, soit sur les orientations de la jurisprudence, soit sur les relations internationales de la France, soit enfin sur la mise en oeuvre des politiques conduites par le gouvernement. Je citerai ici, trois exemples, dans lesquels, vous le verrez, les enjeux nécessitent une information complète et dans lesquels aucune instruction pourtant n'a été donnée pour dévier le cours de la justice :
1- l'action judiciaire en Corse, bien sur d'abord dans le cadre de l'instruction relative à l'assassinat du préfet ERIGNAC, mais aussi sur des affaires de délinquance économique et financière, comme celles du Crédit Agricole, de la Chambre de Commerce et d'Industrie et également sur cette malheureuse affaire dite des "paillotes",
2- les incidents graves qui se sont déroulés dans la commune de VAUVERT, symbole des violences urbaines qui sont l'une des préoccupations de nos concitoyens et donc de ma politique pénale,
3- les affaires de dopage dans le monde sportif.
Dans ces affaires, comme dans d'autres, je suis avisée des initiatives prises et des décisions rendues par les juridictions. Il est pourtant clair dans mon esprit, comme dans celui des procureurs que cette information précise n'est pas destinée à servir de support à de quelconques instructions. Information ne vaut pas demande d'instruction.
Informer ne veut pas dire se soumettre : dans un monde de plus en plus transparent, où l'information se généralise et se diffuse de plus en plus rapidement, il faut admettre que l'on puisse rendre compte sans pour autant attendre des instructions, des approbations. A chacun, dans une démocratie adulte, de se conduire en adulte; c'est à dire d'assumer à son poste les responsabilités que la loi et les institutions de la République lui confèrent.
Par ailleurs, je ne me suis pas limitée à demander à être informée sur des affaires individuelles. Mes prédécesseurs qui concentraient l'essentiel de leur énergie et de leur activité, à donner des instructions individuelles se privaient de l'outil essentiel, pour un ministre de la justice, comme pour l'ensemble du gouvernement, que constituent les informations générales sur le contexte local, sur les évolutions de la délinquance et sur l'adaptation des moyens pour répondre à celle ci de manière efficace. J'ai donc demandé aux procureurs généraux de me rendre compte régulièrement, d'initiative ou à mon choix, de l'état de l'activité de leurs ressorts. Ils font entendre la voix des autorités judiciaires, leurs expériences, leur approche, nécessaires à la bonne conduite des affaires de l'Etat.
C'est par ce biais que j'ai pu conduire les débats interministériels et nationaux sur les grands thèmes qui ont nourris le travail gouvernemental. Là aussi je peux vous donner deux exemples :
1- en matière de délinquance des mineurs la préparation du conseil de sécurité intérieur du 29/01/99 a été fondée sur les informations précises que les procureurs généraux m'ont fait parvenir dès octobre 1998, notamment ceux de DOUAI, et BORDEAUX.
2- la préparation du récent comité interministériel sur la drogue repose sur un travail de recueil des expériences et des pratiques des juridictions et des magistrats spécialisés.
L'information n'est pas à sens unique. Les procureurs généraux savent qu'ils peuvent solliciter de la chancellerie sur des avis juridiques, des informations concernant le contexte national et international, des analyses jurisprudentielles, pour leur permettre de prendre en toute responsabilité les initiatives qui conviennent. Quand un procureur général s'interroge sur l'attitude de la France à l'égard des Kurdes, à l'égard des autorités libyennes ou sur la politique en matière de drogue des Pays-Bas, ou enfin sur l'attitude des Etats-Unis vis à vis d'un ressortissant dont ils demandent l'extradition, il est clair que la chancellerie joue son rôle de conseil.
Je vous assure qu'ils ont compris que demander une information de cette nature n'avait rien à voir avec une quelconque soumission. D'ailleurs j'ai pu constater que le fait de ne plus recevoir d'instruction individuelle libérait les esprits et permettaient des demandes d'informations indispensables en toute franchise.
Cette pratique démontre clairement, nous y reviendrons, que débarrassés des instructions individuelles, parquets et chancellerie peuvent se concentrer sur l'essentiel: l'intérêt général.
3- Une politique pénale cohérente :
J'ai développé un ensemble d'initiatives visant à promouvoir l'égalité devant la loi, l'efficacité des politiques pénales et l'ouverture de la justice à un partenariat local et national. Trois axes ont été mis en place :
a/ Les circulaires :
Si je n'ai plus donné d'instructions dans les affaires individuelles, j'ai en revanche adressé aux parquets des directives générales mais précises quand cela était nécessaire. Ainsi 5 circulaires ont été adressées en 1997, 26 en 1998 et 7 cette année. Elles sont toutes inspirées par l'intérêt général. Deux catégories peuvent être distinguées.
1- La première relative aux directives générales qui visent à mettre en place une politique pénale, conforme aux orientations définies par le gouvernement. Quelques exemples: la circulaire du 15/07/98 sur la délinquance des mineurs, celle du 13/07/98 sur l'aide aux victime, celle du 16/07/98 relative à la lutte contre le racisme et la xénophobie et enfin celles, récentes de juin 1999, sur la politique en matière de stupéfiants.
2- La deuxième catégorie répond elle à des événements exceptionnels ou à des périodes de crise pouvant affecter l'ordre public. Je citerai ici la circulaire du 03/03/98 sur la coupe du monde de football, et celle du 23/12/98 sur les réponses aux actes de violences urbaines. Cette dernière a été inspirée par le souci de prévenir les événements de fin d'année, de tirer les leçons des violences de décembre 1997. Grâce aux informations précises adressées par les parquets généraux. Ces circulaires ont anticipé très clairement les événements, en prévoyant notamment la mise en place de cellules de crise réunissant le préfet et le procureur, en organisant la présence des officiers de police judiciaire sur les lieux où des violences se déroulaient et en faisant usage de la procédure de comparution immédiate.
b/ Les réunions de politique pénale :
Tant moi même, que le directeur des affaires criminelles et des grâces, à ma demande, avons réunis régulièrement les procureurs généraux autour de thèmes relatifs à la conduite de l'action publique. Je peux vous donner quelques exemples: délinquance des mineurs, mise en place de la loi sur les délinquants sexuels, entraide répressive internationale. Chaque fois j'ai demandé des évaluations de ces politiques. Celle ci a été précieuse pour l'élaboration des projets de loi, décrets ou circulaires.
c/ L'incitation à conduire des politiques partenariales :
J'ai demandé aux magistrats du parquets de s'investir régulièrement dans des actions partenariales avec d'autres ministères ou d'autres institutions: contrats locaux de sécurité, politique de la ville pour laquelle j'ai réuni avec Claude BARTELONE le 28/09/98, l'ensemble des correspondants ville de France, contrats de plan Etat-régions pour lesquels, pour la première fois j'ai demandé aux chefs de cours de se mobiliser.
B/ Sur la base de cette expérience positive menée pendant deux ans, le projet de loi vise à conforter les missions essentielles de la justice et notamment du parquet :
Cette pratique, qui est reprise par le projet de loi, a pour objectif essentiel de repositionner la justice sur sa mission, au sein des autres institutions de la République, qui est de garantir l'intérêt général et d'assurer l'égalité de traitement des citoyens devant la loi.
Les instructions individuelles du ministère de la justice étant supprimées, elles ne doivent évidemment pas être remplacées par des instructions d'autres ministères, d'élus locaux, ou de quelconques groupes de pression. Je demande aux procureurs généraux de m'alerter quand de telles occurrences se produisent.
Le projet de loi est fondé sur l'idée que la justice n'est pas conçue pour le service d'intérêts particuliers, de domaines réservés, de groupes de pression. Elle est avant tout un service public pour les justiciables, elle est au service des usagers de ceux et de celles qui ont besoin de son indépendance, de sa technicité et de son impartialité. Elle n'est pas faite pour la satisfaction de ceux qui la servent. L'indépendance dont bénéficient les magistrats n'est pas une prébende. Elle est l'indispensable garantie d'une justice au service des citoyens.
Plus encore, dans un Etat démocratique, l'impartialité de la justice, est la garantie du fonctionnement normal de l'ensemble des institutions.
Ce texte est avant tout un texte de confiance dans les magistrats rendus à leurs missions de service public: entendre, poursuivre, juger, et le tout "au nom du peuple français". C'est à dire au seul nom de la loi et non au nom du téléphone, de la majorité, des promesses, des services rendus ou de l'avancement promis.
C'est pourquoi le projet vise à clarifier le rôle et les missions de chacun :
- au gouvernement, dans le cadre des lois votées par le parlement et sous son contrôle, de définir la politique judiciaire, exprimée par le garde des sceaux par des directives générales, qui sont mises en oeuvre par les parquets
- au garde des sceaux, grâce aux informations qui lui sont fournies par les parquets d'évaluer cette politique et cette mise en oeuvre, de proposer les orientations nouvelles et de rendre compte au parlement des politiques conduites et de leur application,
- aux parquets généraux et aux parquets de prendre, en exécution des directives nationales, les mesures générales et individuelles qui conviennent, de manière à garantir, dans le cadre de l'opportunité des poursuites un traitement cohérent, égalitaire et efficace des affaires individuelles. A eux de prendre en compte le besoin d'explications de la population dans la transparence grâce aux recours contre les classements sans suite, et à l'information qu'ils sont tenus d'apporter au ministre et au public,
- à la police judiciaire, sous un contrôle renforcé des magistrats qui pourront participer directement à la définition des moyens mis en place, d'exécuter les directives précises des parquets chargés par la loi de sa direction.
Ainsi les institutions verront leurs rôles mieux définis, mieux précisé et reconnu, pour une répartition démocratique des pouvoirs :
- le procureur de la République, d'abord qui assume la responsabilité de l'engagement et de la conduite des poursuites,
- le procureur général qui assure la coordination, l'animation des politiques pénales et leur évaluation,
- le garde des sceaux qui assure la synthèse des informations qu'ils recueillent, qui fixent les orientations et surtout qui rend compte de l'ensemble devant le Parlement.
C/ Présentation du projet :
Ce projet de loi poursuit un double objectif, je l'ai dit: renforcer la transparence de la justice et responsabiliser les acteurs de la décision judiciaire à tout moment de la procédure
a- La transparence :
1/ La conduite de la politique pénale :
Le Garde des Sceaux conduit la politique pénale en se dotant des moyens de la faire appliquer également sur tout le territoire national. Le Garde des sceaux élaborera "des orientations générales" dans le cadre de la politique judiciaire déterminée par le gouvernement (art 30 nouveau du CPP).
La définition du rôle du ministre de la justice apparaît pour la première fois, en tant que tel, dans le code de procédure pénale, alors qu'il n'existait pas jusqu'alors.
- ces "orientations générales", publiques, seront mises en oeuvre par les magistrats du parquet. Elles devront déterminer les priorités et permettre l'application coordonnée et cohérente de la loi pénale sur l'ensemble du territoire national.
2/ Le non retour des instructions individuelles :
Le Ministre de la Justice est le Ministre du droit, il n'est pas le Ministre des affaires individuelles. Le projet prévoit donc que le Garde des Sceaux ne pourra plus donner aucune instruction individuelle : ( art 30 -1 nouveau du CPP)
3/ Une politique pénale transparente et publique :
Cette publicité s'impose aux procureurs et aux procureurs généraux qui devront ainsi que le prévoit le projet, rendre publiques les conditions de mise en oeuvre des orientations générales de politique pénale, tant vis à vis de leurs juridictions que vis à vis du public.
Cette publicité concerne aussi le Garde des Sceaux qui informera chaque année le parlement de la mise en oeuvre de la politique pénale.
4/ L'information du garde des sceaux :
Le devoir d'information figure dans le projet de loi : il s'impose aux procureurs généraux et aux procureurs vis à vis du Garde des Sceaux. Là aussi ce devoir est défini par le projet de loi pour la première fois.
5/ Le droit d'agir du garde des sceaux :
Le Garde des Sceaux disposera d'un droit d'action (ART 30-2 nouveau du CPP) Il pourra agir directement en saisissant une juridiction (juge d'instruction, tribunaux..) lorsque l'intérêt général commande de telles poursuites et lorsque ces poursuites n'ont pas été engagées par le procureur. Afin que cette action subsidiaire du Garde des Sceaux s'accomplisse en toute transparence, le texte prévoit également que le Parlement sera informé chaque année de la mise en oeuvre des orientations générales et de l'exercice de son droit d'action.
b/ Une responsabilité accrue des magistrats du parquet :
1/ Le rôle des procureurs généraux :
* le procureur général aura autorité sur les procureurs de son ressort (art 36 nouveau du CPP) ;
* le procureur général sera le garant d'une application réelle et uniforme de la loi pénale dans son ressort (art 35 nouveau du CPP) :
- il devra coordonner la mise en oeuvre par les procureurs des orientations générales dont il pourra adapter l'application en fonction des circonstances locales ;
- il pourra donner aux procureurs des instructions écrites et motivées de mettre en mouvement l'action publique. Ces instructions seront versées au dossier (art 37 nouveau du CPP) ;
- les procureurs de la République mettront en oeuvre les orientations générales de politique pénale (art 39-1 du projet) et ils devront exécuter les instructions écrites données par les procureurs généraux.
2/ Les procureurs auront de nouvelles obligations vis à vis des justiciables :
*/ A l'égard des victimes (Art 4 du projet)
- les victimes seront avisées des décisions de classement sans suite par le procureur de la République (art 40-1 nouveau du CPP).
- cet avis sera motivé en droit et en fait.
- les victimes seront informées des droits dont elles disposent : se constituer partie civile, obtenir l'aide juridictionnelle.
*/ A l'égard des personnes intéressées par la procédure (art 5 du projet)
- les personnes intéressées (celles qui n'ont pas la possibilité de se constituer partie civile) pourront former un recours contre le classement: dans un premier temps devant le procureur général (art 48-1 nouveau du CPP), puis devant une commission des recours composés de magistrats du parquet ayant une compétence régionale(art 48-2 nouveau du CPP). 3/ Les procureurs disposeront des moyens de contrôler plus efficacement la police judiciaire :
Le projet ne prévoit pas le rattachement de la police judiciaire au ministère de la justice. Il s'attache à donner efficacité au principe inscrit a l'article 41 du code de procédure pénale selon lequel la police judiciaire est dirigée, contrôlée, surveillée par le parquet, en traitant de quatre points: les moyens, les délais d'exécution des missions confiées, l'information des magistrats et le contrôle de la chambre d'accusation :
a/ les moyens :
Pour permettre un véritable contrôle de la police judiciaire, les enquêtes devront s'exercer dans le cadre des orientations générales de la politique pénale (art 14 modifié du CPP). Le procureur contrôlera non seulement les mesures de garde à vue mais aussi le déroulement des enquêtes (art 41 modifié du CPP) Ainsi, les autorités judiciaires disposeront d'un véritable droit de regard sur l'affectation des effectifs de police judiciaire lors des enquêtes.
b/ les délais :
Dans le cadre d'une affaire complexe ou d'une certaine durée, le procureur ou le juge d'instruction (si une information est ouverte) définiront avec le responsable du service de police judiciaire les moyens qui doivent être mobilisés (art 41 modifié du CPP).Dans le cadre d'une enquête préliminaire, le procureur fixera le délai d'exécution de l'enquête et il devra être informé par les enquêteurs dès que l'auteur présumé de l'infraction sera identifié (art 75-1 et 75-2 nouveau du CPP).
c/ l'information :
Dans le cadre d'une enquête préliminaire, la police judiciaire devra informer systématiquement le procureur de l'état d'avancement de la procédure à l'achèvement d'un délai d'un an (art 75-2 nouveau du CPP).
d/ effectivité du contrôle de la chambre d'accusation :
Les décisions de la chambre d'accusation seront d'application immédiate pour le retrait d'habilitation des officiers de police judiciaire.
En donnant au procureur de la République un véritable contrôle sur les moyens dédiés aux enquêtes, le texte donne une réelle responsabilité au magistrat qui devra justifier de son utilisation.
II - Ce projet réalise un meilleur équilibre entre les pouvoirs exécutifs, législatifs et l'autorite judiciaire.
L'article 20 de la constitution énonce que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il lui appartient donc, sous l'autorité du Premier ministre, de déterminer et conduire la politique judiciaire.
Dans ce cadre, le rôle du Garde des Sceaux sera d'élaborer les orientations générales de la politique pénale et de veiller à leur mise en oeuvre par les magistrats du ministère public. Je sais que le texte que je vous propose suscite encore des interrogations parmi ceux qui sont les plus soucieux de l'intérêt général et de l'avenir de notre démocratie.
Je veux vous convaincre de deux choses :
* l'Etat non seulement ne sera pas désarmé mais il sera plus fort.
* les magistrats ne gouverneront pas mais ils seront plus autonomes et plus responsables.
A - L'Etat est mieux armé
1°/ - En ce qui me concerne, je n'ai jamais cru, et ma pratique ne m'a pas démenti, que la politique pénale pouvait être élaborée et se conduire par l'addition désordonnée d'instructions individuelles.
Non seulement les instructions individuelles ne font pas une politique pénale, mais quand on a tenté de les réglementer, comme en 1993, elles ont été utilisées à des fins partisanes. D'ailleurs ceux qui les ont utilisés s'en repentent encore.
Il se trouve que depuis 1993, les instructions écrites et versées au dossier ont été rares et elles ont laissé peu de traces à la chancellerie! En revanche, les instructions non écrites et adressées en secret ont été utilisées pour empêcher que la justice suive son cours.
2°/ Le texte dont nous débattons aujourd'hui permettra de mener une politique pénale claire, transparente et déterminée.
* d'une part, la conception d'ensemble de la politique judiciaire sera clairement affirmée selon ses domaines d'application. Elle sera rendue publique et sa mise en oeuvre fera l'objet d'une évaluation.
* d'autre part, assumée devant le Parlement et devant les citoyens, cette politique aura plus de cohérence sur l'ensemble du territoire. Elle réalisera une plus grande égalité devant la loi pénale.
En disant cela, je ne fais ni profession de foi, ni pari risqué sur l'avenir, puisque ce que je vous propose d'inscrire dans le texte c'est la traduction de ce que j'ai fait pendant deux ans.
* Peut on soutenir que l'Etat est désarmé quand nous avons pu gérer des crises comme :
- les manifestations d'agriculteurs
- les blocages de routiers
- le Mondial
- les violences urbaines
- la délinquance des mineurs
- les événements de Corse
Non seulement la Justice a bien rempli sa tâche dans ces occasions mais je puis dire que la suppression des instructions individuelles nous a conduit à anticiper et à modifier nos modes d'action : observation systématique des événements, envoi de télex d'orientations générales en fonction de l'évolution des événements, cellules de veille et de traitement de l'information.
* Peut-on soutenir que l'Etat est désarmé quand chaque procureur sait qu'il lui revient d'exercer la plénitude de ses attributions à la seule lumière du code pénal et des directives générales reçues mais en même temps doit clarifier ses propres objectifs en les annonçant et les commentant publiquement, doit rendre compte à son procureur général, doit mieux s'expliquer dans les cas de classement !
* Peut-on soutenir que l'Etat est désarmé quand le garde des sceaux est informé du déroulement des procédures, émet des directives et en évalue constamment la mise en oeuvre, dispose d'un droit subsidiaire d'engager les poursuites si le parquet n'a pas poursuivi dans un cas où des impératifs supérieurs rendaient la saisine du juge indispensable !
* Peut-on soutenir que l'Etat est désarmé quand les premiers résultats des politiques pénales s'inscrivent dans les chiffres : par exemple baisse du taux de classement sur auteur connu et augmentation sensible du recours aux mesures alternatives !
Je vous ai indiqué quelle action nous avions menée pour lutter contre les violences urbaines. Je pourrais vous dire aussi comment j'ai engagé les parquets dans la lutte contre les mouvements sectaires.
Je ne fais pas de politique pénale fiction, je vous parle de ma pratique. Je ne prends pas des paris, je vous propose de codifier ce qui a été fait. Loin de moi l'angélisme !
Je sais que nous avons besoin d'une politique pénale déterminée dans ses choix et appliquée partout où il n'y a pas de raison convaincante d'y déroger.
B - Le texte du projet réalise un meilleur équilibre entre pouvoirs :
- un meilleur équilibre, parce que je souhaite que plus jamais personne ne puisse dire que l'Exécutif a instrumenté l'autorité judiciaire.
- un meilleur équilibre, parce que les magistrats du parquet comme les magistrats du siège qui font partie de l'autorité judiciaire, seront plus responsables.
Avant de vous le montrer, je voudrais tout de même rappeler quelques idées simples et mettre fin, si possible, à quelques idées fausses.
* l'indépendance de la justice n'est pas faite pour les magistrats. Elle est au service des justiciables.
* l'indépendance de la justice, c'est ce qui permet aux magistrats de se déterminer seulement en fonction de la loi et pour le seul intérêt général.
Car seule la loi nous libère des passions privées des êtres humains.
* les magistrats du siège sont déjà totalement indépendants du pouvoir politique, heureusement pour notre démocratie.
Il s'agit aujourd'hui de donner une plus grande autonomie aux magistrats du parquet parce que l'Exécutif ne doit pas pouvoir se servir d'eux à des fins partisanes.
Face à l'indépendance des uns et à l'autonomie renforcée des autres, l'impartialité de la justice commande que les magistrats soient responsables. En effet, ils détiennent en vertu de la loi, des prérogatives dont l'usage peut affecter les citoyens dans leur liberté, leurs biens, leurs sentiments, leur vie familiale et l'exercice de leur activité professionnelle. La préoccupation de la responsabilité apparaît alors autant comme l'expression de la volonté d'assurer la réparation des conséquences dommageables d'un mauvais fonctionnement de la justice que celle de le prévenir. Elle vise à rappeler que l'indépendance des magistrats est au service des citoyens.
Il existe déjà un régime de responsabilité des magistrats, pénal, civil et disciplinaire.
Cette responsabilité s'applique aux magistrats du parquet comme aux magistrats du siège.
Mais la question de la responsabilité se pose aujourd'hui d'une manière aiguë en raison de la judiciarisation de notre société qui place le juge au centre des débats politiques, économiques et sociaux, et lui impose d'être un arbitre, voire un censeur.
Du coup, chacun sent bien que le renforcement des pouvoirs du juge doit s'accompagner d'une plus grande responsabilité.
Je tiens à rappeler que si les magistrats ne bénéficient d'aucun privilège, ni d'aucune immunité en matière de responsabilité pénale ou civile, leur responsabilité disciplinaire peut également être mise en cause comme ma pratique l'a montré.
Sur la responsabilité des magistrats
* pour les magistrats du parquet, les articles 5 et 43 de l'ordonnance de 1958 prévoient qu'ils sont soumis pour l'exercice de leurs fonctions spécifiquement à l'autorité du Garde des Sceaux et au contrôle de leur chef hiérarchique et que leurs fautes s'apprécient "compte tenu des obligations qui découlent de leur subordination hiérarchique".
* pour les magistrats du siège, le principe général de responsabilité leur est applicable : "tout manquement par un magistrat aux devoirs de son Etat, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constituent une faute disciplinaire". (article 43 de l'ordonnance de 1958).
Ma pratique depuis deux années
Depuis deux ans j'ai exercé tous mes pouvoirs en matière disciplinaire et pré-disciplinaire. Ainsi pour la seule année 1998, c'est plus d'une cinquantaine de saisines du C.S.M. et de demandes d'explications que j'ai effectuées. Depuis un an, j'ai saisi le conseil supérieur de la magistrature de quinze dossiers disciplinaires.
En outre, j'ai renforcé les moyens de l'Inspection Générale des Services Judiciaires ( le projet de loi de finances a prévu 5 postes supplémentaires par rapport aux 10 existants) et celle ci a été sollicitée beaucoup plus fréquemment.
Par ailleurs, la formation des magistrats comprend maintenant des enseignements sur la responsabilité des magistrats au regard de la jurisprudence du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Enfin, le renforcement de la responsabilité des magistrats est présent dans l'ensemble de la réforme de la justice :
a) Dans la réforme constitutionnelle qui prévoit que le CSM sera composé majoritairement de non magistrats afin d'échapper à la menace du corporatisme.
b) Dans le texte sur la présomption d'innocence, avec :
- l'instauration du juge de la détention, pour que les mesures relatives à la privation de liberté fassent l'objet de deux regards,
- l'instauration de délais d'enquêtes et d'instruction contrôlés,
- le développement des droits de la défense au cours de l'enquête, de l'instruction,
- l'indemnisation des détentions provisoires, en cas de non lieu, de relaxe ou d'acquittement. La modification apportée sur ce point par le projet, amendé par l'assemblée nationale, vise à étendre les cas où une indemnisation est possible, à renforcer les garanties offertes à la personne qui a subi une détention provisoire abusive et à permettre l'information systématique sur les décisions rendues par la commission chargée de cette indemnisation, de tous les magistrats qui ont participé à la décision sur la détention provisoire.
c) Dans les textes qui doivent être examinés prochainement par le Parlement :
- le projet de loi organique sur la réforme du CSM qui prévoit qu'il pourra être saisi par les chefs de cour et non plus seulement par le Garde des Sceaux, des fautes éventuelles des magistrats.
- le projet de loi organique sur le statut des magistrats qui instituera une commission d'examen des plaintes des justiciables avec information du Garde des Sceaux et saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature si le comportement apparaît contraire à la déontologie et la limitation dans la durée des fonctions de chefs de juridictions et de cours d'appel.
d) Enfin dans le texte dont nous débattons aujourd'hui sur les rapports entre la Chancellerie et le parquet :
- affirmation du rôle du Garde des Sceaux qui définit les orientations de politique pénale et qui rend compte au Parlement de leur mise en oeuvre.
- renforcement des droits et obligations des procureurs généraux qui ont autorité sur les procureurs.
- devoir d'information de tous les magistrats du parquet à l'égard du Garde des Sceaux.
- obligation de motiver les décisions de classement et possibilité de recours contre ces mêmes décisions.
Conclusion
Voilà !
La justice est un des fondements du pacte démocratique et social. Nous voulons une démocratie adulte, une justice impartiale, à la fois indépendante et responsable.
Je voudrais terminer en vous exprimant ma plus intime conviction.
Aucun Gouvernement ne pourra plus sortir indemne des tentatives de manipulations de la justice. Je le sais comme vous tous ici le savez.
Le pacte républicain n'inspire confiance à notre peuple que si celui-ci est certain que la justice est égale pour tous, que l'on soit puissant ou misérable.
Il n'y a pas de justice si les magistrats ne peuvent pas faire leur travail à l'abri de la contrainte et des pressions. Enfin, il n'y a pas d'impartialité de la justice si ceux qui la rendent au nom du peuple n'ont aucun compte à rendre au peuple.
Je vous redis ma conviction que ce texte donne à la justice les moyens d'une grande ambition : l'impartialité.
Je vous remercie.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 23 juin 1999)