Texte intégral
du colloque de Villepinte le 24 octobre 1997.
Mesdames, messieurs, ,
Je vous remercie d'être venus nombreux à Villepinte pour participer à ce colloque. "Des villes sûres pour des citoyens libres", le sujet le mérite.
La sécurité est l'affaire de tous, et vous êtes venus d'horizons très divers. La sécurité est aussi l'affaire de tout le gouvernement: les ministres concernés participeront à nos travaux. Le Premier ministre les clôturera.
Nous ne réussirons pas à faire reculer l'insécurité sans d'abord nous appuyer sur ce qui a été fait - car nous ne partons pas de rien - et je tiens à rendre hommage à l'effort des policiers, des gendarmes, des magistrats, mais aussi de tous les acteurs qui, au quotidien, mènent une lutte difficile pour la sécurité de nos concitoyens.
Nous ne réussirons pas non plus sans les mobiliser tous par un effort de longue haleine dans une bataille que je résume en trois mots : citoyenneté, proximité, efficacité. J'aurai l'occasion d'y revenir. Ce rassemblement doit permettre un dialogue et surtout une meilleure définition de la politique de sécurité.
Plus personne aujourd'hui ne saurait nier ni sous-estimer ce fait: la multiplication des crimes et des délits, qui sont passés de 500 000 environ par an au début des années 1960, à plus de 3.500.000 ces dernières années. Encore s'agit-il là des actes connus et reconnus. En-deça des délits proprement dits, le développement de ce qu'on appelle les incivilités n'est pas moins inquiétant: il contribue grandement au sentiment d'insécurité. L'abaissement de l'âge des délinquants et la croissance de la délinquance des mineurs ne laissent pas d'être préoccupants; les adultes s'en trouvent souvent désarmés et désemparés: non seulement parce que les mineurs bénéficient d'un droit particulièrement protecteur, mais parce qu'un adolescent ou un enfant qui bascule dans la délinquance, c'est la manifestation d'un échec de la société tout entière, de son impuissance à transmettre ses valeurs et à faire respecter ses règles les plus élémentaires.
J'ajoute que l'insécurité frappe plus sévèrement les plus faibles et les plus démunis de nos concitoyens, les plus pauvres ou les plus âgés. La réalité de la délinquance est massivement concentrée dans certaines zones urbaines. 80 % des faits délictueux enregistrés l'ont été dans les 27 départements les plus urbanisés. La région Ile-de-France totalise à elle seule le quart de ces faits. Les beaux quartiers sont généralement épargnés. Il en résulte que les Français ne sont pas égaux devant l'insécurité. Cette inégalité s'ajoute aux autres.
Or la sûreté est l'un des droits fondamentaux de l'homme et du citoyen. La déclaration de 1789, dans son article 2, le proclame haut et fort en mettant la sûreté au même rang que la liberté avec laquelle elle entretient des rapports subtils. Les Français y sont légitimement attachés, comme ils le sont à leur égalité dans la jouissance de ce droit.
Je n'ignore pas les efforts accomplis depuis quinze ans pour relever le niveau et la qualité de la sûreté sur tout le territoire de la République. Force est de constater, cependant, que le but reste encore loin d'être atteint.
C'est dans ces conditions que le Premier ministre a annoncé, le 19 juin dernier, dans son discours de politique générale qu'il mettait la sûreté parmi les priorités du gouvernement. Joignant, pour ainsi dire, le geste à la parole, il a décidé la création de 35.000 emplois de sécurité, dans le cadre du programme qui prévoit la création de 350.000 emplois pour les jeunes. De tels moyens nous font obligation de résultat.
Ce colloque a sa place dans la suite de ces décisions. Lesquelles ont déjà fait l'objet d'un travail gouvernemental et administratif : réflexion sur le contenu des contrats locaux de sécurité, sur lesquels je reviendrai, préparation des textes réglementaires sur les emplois d'adjoints de sécurité, qui seront publiés aussitôt que le Conseil d'Etat aura donné son avis sur le premier d'entre eux, concertation avec le ministère de l'emploi et de la solidarité sur les agents locaux de médiation ; projets de loi sur les polices municipales, sur les sociétés de gardiennage et de protection et sur un conseil supérieur de déontologie en matière de sécurité.
Mais la sécurité ne saurait être l'affaire des seules forces de police, ni du seul ministère de l'intérieur. C'est d'abord l'affaire de tout le gouvernement : du ministère de la défense, dont dépend la gendarmerie ; du ministère de la justice, qui administre la sanction des infractions à la loi et contribue aussi largement, par le truchement de la protection judiciaire de la jeunesse, à leur prévention ; du ministère de l'éducation nationale, dont les personnels encadrent et instruisent tous nos enfants, et sont les interlocuteurs privilégiés des parents ; du ministère du logement et du ministère de l'emploi et de la solidarité, qui, au-delà de la politique de la ville et du remodelage de nos banlieues, ont autorité sur le vaste domaine de la politique sociale. A la lumière de ma propre expérience de maire, je sais qu'il y a un rapport entre l'urbanisme et l'urbanité.
La sécurité c'est ensuite l'affaire des élus locaux et des associations, quotidiennement au contact de la vie des quartiers, où ils exercent des responsabilités et un rôle d'animation essentiels.
Voilà pourquoi j'ai jugé utile de vous réunir, pour que notre politique de sécurité fasse l'objet d'un large échange d'idées et d'expériences. Je suis sûr que nous pourrons en tirer le plus grand profit, pour mieux éclairer, définir ensemble et mettre en forme notre action future. Je ne sous-estime pas l'apport de l'administration ; il sera d'autant plus précieux qu'il sera confronté à celui d'autres acteurs. C'est sur ce genre de débat que je compte pour enrichir et préciser les orientations de notre travail commun, car une sécurité plus égale sur tout le territoire de la République ne peut procéder que d'un effort d'ensemble.
Je partirai du triptyque citoyenneté - proximité - efficacité.
I) La citoyenneté est la base de la sûreté:
Garantir la sûreté des biens et des personnes est certainement la première mission de l'Etat. Mais l'Etat ne remplira pas cette mission si chacun de nos concitoyens ne se sent pas lié, à travers l'Etat, à toute la société, par un contrat, qu'on a raison de nommer le pacte républicain.
On ne peut pas mettre un policier derrière chaque Français. Pour que le droit à la sûreté soit pleinement respecté, les policiers, les gendarmes et les tribunaux seront toujours insuffisants si tous nos concitoyens ne sont pas, dès le plus jeune âge, instruits de ce qu'est la loi: un instrument de protection et d'émancipation, une règle démocratiquement délibérée qui s'impose à chacun; s'ils ne sont pas convaincus de leur intérêt, individuel et collectif, à adhérer à ce pacte républicain qui leur crée des devoirs comme autant de contreparties des droits éminents qu'il leur confère puisque ce sont les droits du Souverain : le Peuple dont chaque citoyen n'est qu'une parcelle. Le premier facteur de l'insécurité est sans doute l'effacement délétère du sentiment d'appartenance à la nation, qui a choisi de s'organiser dans la République. Le défaut de citoyenneté, voilà la cause principale de l'insécurité.
Certes, il faut faire sa place à la crise morale que traverse notre société, qui est largement la conséquence de sa crise sociale. Le chômage de masse, la précarité, le creusement des inégalités, cette idée qui se répand, cette idée malheureusement neuve en France depuis la Révolution française, selon laquelle le sort sera lus dur pour la prochaine génération que pour la précédente, ce sont là des données démoralisantes. Elles contribuent à dévaloriser, chez les jeunes particulièrement, le travail, l'étude, l'effort, dès lors que ces derniers, à tort d'ailleurs, n'apparaissent plus comme la garantie de la réussite personnelle ou, à tout le moins, d'une insertion décente dans la société.
Et comment ne pas voir que la sûreté est, en général, le plus menacée dans les quartiers les plus déshérités de nos villes et de nos banlieues, là où l'intégration des jeunes à la République, et notamment des jeunes d'origine étrangère, rencontre le plus d'obstacles, là où les valeurs républicaines sont le moins bien comprises, parce qu'elles apparaissent si loin de la réalité ?
Rien ne serait plus dangereux, pourtant, que de prendre prétexte de ces causes économiques et sociales de l'insécurité, pour céder à l'impuissance. On sait, depuis Victor Hugo, que les prisons sont peuplées des damnés de la terre. On sait aussi qu'on peut être pauvre et honnête, et même, riche et malhonnête. La responsabilité personnelle ne détermine pas toutes les conduites individuelles.
Mais la délinquance n'est pas l'inéluctable réponse au sentiment de l'injustice sociale.
Il faut reconnaître ce qu'a de juste le slogan des travaillistes britanniques "Dur avec le crime, dur avec les causes du crime."
C'est en gardant à l'esprit cet équilibre nécessaire entre les conditionnements sociaux et la responsabilité personnelle que peuvent intervenir les acteurs et les institutions qui contribuent, chacun à sa place, à la formation et à la vie civiques.
l) Les familles
Et d'abord les parents. Je veux le dire ici sobrement, à l'écart de tout a priori idéologique, sans référence à aucune tradition philosophique ou religieuse particulière, mais seulement dans un souci pratique: l'autorité parentale, dès la prime enfance, joue un rôle décisif dans l'apprentissage des premières règles de la vie en société. J'observe que les professionnels de diverses origines - professeurs, éducateurs sociaux, magistrats, policiers - convergent sur ce constat: la destruction de la famille, quelles qu'en soient les formes, la disparition de l'autorité familiale, quelles qu'en soient les causes, sont désormais communément désignées comme un handicap majeur dans la socialisation des enfants.
Un petit nombre d'enfants est concerné par cet effondrement de la structure familiale, mais sur ce petit nombre, l'échec des institutions est patent: elles ne parviennent pas à se substituer efficacement au cadre familial, je ne dis pas seulement pour favoriser un développement affectif harmonieux, cela va de soi, mais pour faire comprendre et accepter par un enfant l'élémentaire distinction du licite et de l'illicite. Dans ce qu'on désigne souvent comme la perte de tout repère, en face d'un adolescent délinquant plusieurs fois récidiviste, on finit toujours par incriminer les parents, ou plutôt l'insuffisance, l'absence des parents.
Dans la République, il n'appartient pas à l'Etat d'empiéter sur la liberté des familles. Mais les occasions ne manquent pas de contacts entre ses fonctionnaires - enseignants, travailleurs sociaux - et les familles. Sans se départir du tact et de la retenue qui s'imposent dans cette sorte d'affaires privées, il n'est pas inutile de rappeler, le cas échéant, chacun à ses responsabilités. Mettre un enfant au monde implique la responsabilité de l'éduquer.
2) Avec l'Ecole on entre de plain-pied dans le domaine public.
Ces dernières années, la demande d'éducation civique, formulée à l'adresse de l'école, n'a cessé de croître. Cette demande était déjà sensible quand, il y a douze ans, en tant que ministre de l'éducation nationale, j'ai rétabli l'éducation civique dans l'enseignement primaire et au collège. Il n'est pas sûr qu'elle soit toujours correctement orientée: elle se réduit souvent à des préoccupations moralisantes ou militantes, exaltant un altruisme bien intentionné, ou revendiquant des droits individuels, y compris le droit à la différence comme une forme moderne de la tolérance.
Et de fait, il y a loin des programmes et des directives ministérielles à la réalité, plus confuse et plus modeste, de l'éducation civique dans nos établissements scolaires. Les professeurs eux-mêmes n'ont pas, le plus souvent, ni une claire conception des objectifs, ni les connaissances indispensables pour la délivrance de l'éducation civique dont ils ont la charge.
Je l'admets volontiers: l'éducation civique faillirait à sa tâche, si elle ne visait pas, notamment à l'égard des plus jeunes, à civiliser des enfants qui ne sont pas naturellement enclins à l'être et que le Professeur Nicolet qualifie avec humour de "jeunes barbares". L'éducation civique peut, ce faisant, offrir une première garantie de l'ordre contre la violence, par un apprentissage précoce des règles de la civilité.
Mais l'Ecole doit faire beaucoup plus: préparer les adolescents à leur état de citoyen, les éclairer en leur dispensant l'intelligence réelle, donc critique, des choses de la société et des affaires de l'Etat. Elle les mettra ainsi à même de juger, de souscrire au pacte républicain, de choisir, voire d'agir, bref d'exercer leur éminente prérogative de membre d'un peuple souverain, capable de se donner à lui-même ses propres lois.
On aurait tort de juger l'ambition excessive. L'éducation civique doit toujours garder sa dimension critique, sans quoi elle court le risque de verser dans l'endoctrinement totalitaire, et les enseignants s'en détournent discrètement. Elle doit s'élever au-dessus de l'apprentissage d'une sociabilité minimale, fondée seulement sur les bons sentiments et débouchant sur un conformisme docile. C'est à ce prix, élevé j'en conviens, qu'elle atteindra son but: l'institution permanente de la République par l'accession de chaque génération à la liberté de jugement sans laquelle il n'est pas de citoyenneté.
Ne nous y trompons pas! C'est par là que passe le respect librement consenti de la loi, qui ne va pas sans la recherche toujours inachevée d'un ordre réconcilié avec la justice. Le citoyen voit ici sa fonction, son droit et son devoir définis. C'est à ce noble enseignement qu'il faut préparer les professeurs.
La République est un régime de liberté. Elle n'est pas un régime de faiblesse.
3) Les collectivités locales et les associations prolongent l'action de l'Etat.
D'une part, la démocratie locale et la vie associative ont partie liée dans ce qu'on pourrait appeler les travaux pratiques de l'éducation civique. La participation à la vie de la commune ou aux activités d'une association est souvent l'occasion d'un apprentissage pratique de la citoyenneté. Dans ce cadre, les élus locaux et les militants associatifs exercent une responsabilité éminente: ils sont, à leur manière, des instituteurs de la République.
D'autre part, collectivités locales et associations ont amplement montré, depuis plus de quinze ans, leur capacité de jouer un rôle majeur dans la prévention de la délinquance. De la médiation à la police municipale, en passant par l'aide au travail scolaire ou l'animation sportive et culturelle, les exemples sont variés, qui manifestent le dynamisme de l'action locale pour contribuer à la sécurité de proximité. Les contrats locaux de sécurité que l'Etat proposera aux municipalités donneront aux uns et aux autres de nouvelles occasions d'y contribuer efficacement.
Il) Une priorité: la sécurité de proximité.
La volonté du gouvernement est claire: faire de la sûreté un droit égal pour tous, c'est-à-dire réduire massivement la petite délinquance qui rend la vie infernale à celles et à ceux qui en sont les victimes ou qui craignent légitimement de l'être, rétablir la paix civile dans les quartiers où elle est menacée, apporter à tous nos concitoyens, et particulièrement à ceux qui en ont le plus besoin, la protection de la loi républicaine.
L'insécurité n'est pas un fantasme. Tout ce qu'on a fait pour la faire reculer mérite considération. A l'évidence, l'action passée a rencontré ses limites. La police n'a pas pour seule tâche la répression de la criminalité. Elle doit prendre en compte de plus en plus les liens entre crise urbaine, violences et incivilités. On désigne par là des conduites aussi exaspérantes que fréquentes, à la frontière de la délinquance, mais qui échappent aux sanctions pénales et aux statistiques : petits groupes menaçants, mendiants agressifs, dégradations diverses de l'espace public. Les pauvres souffrent plus que les riches de cette progression des incivilités.
Le travail policier doit évoluer en conséquence: la psychologie, et par conséquent la formation comptent plus encore que la technologie. Le lien de la police avec la population est essentiel. Il faut être familier avec les quartiers.
L'image de la police et par conséquent son efficacité en dépendent. L'îlotage pédestre est nécessaire. Il ne suffit pas. Il faut un contact direct, permettant de rappeler celui-ci à ses devoirs, et celui-là à un peu plus de tolérance. Il y faut beaucoup de discernement. C'est là la qualité essentielle du policier de proximité. Cela implique une capacité à discuter avec les habitants pour définir au plus juste ce qui doit être réprimé et ce qui doit être toléré. Cette réorientation du travail policier ne sera sans doute pas facile. Il faudra reconnaître mieux la grandeur d'une police citoyenne et proche des gens, associer la recherche en matière de sécurité interne à la formation des policiers, mettre en oeuvre enfin des moyens nouveaux.
Ceux que le gouvernement affecte à cette fin doivent être l'occasion d'un effort d'imagination et d'innovation, d'une mobilisation exceptionnelle, non seulement des forces de la police nationale, mais de tous ceux qui concourent à la sûreté. Ces moyens sont de deux ordres: des emplois supplémentaires d'abord et peut-être surtout des formes renouvelées de l'action sur le terrain.
l) Les emplois pour la sécurité de proximité
Au nombre de 35.000 d'ici à 1999, se répartiront en 20.000 emplois d'adjoints de sécurité, et 15.000 emplois d'agents locaux de médiation.
a) Les adjoints de sécurité seront, selon les termes de la loi, des contractuels de droit public, rattachés à la direction générale de la police nationale. Leurs missions se situeront toutes dans le cadre de la sécurité de proximité. Ils pourront contribuer à l'amélioration des réseaux d'information et d'action de la police nationale avec ses partenaires institutionnels, notamment la justice et les autres services publics, et avec les travailleurs sociaux ; faciliter l'accès au service public de la police, en participant à l'accueil, à l'information et à l'orientation du public ; soutenir les victimes de la délinquance et des incivilités, par exemple en leur facilitant les démarches administratives ; apporter une aide au public à la sortie des écoles, dans les îlots d'habitation et dans les transports en commun ; participer à des tâches de surveillance générale, en particulier par îlotage et patrouille ; améliorer l'insertion des communautés étrangères et faciliter leur intégration.
En aucun cas ils ne pourront participer à des missions de police judiciaire ou de maintien de l'ordre.
Un arrêté fixera les conditions de leur recrutement et de leur formation. Je peux d'ores et déjà vous dire que les adjoints de sécurité pourront déposer leur demande dans le commissariat de leur choix, qu'une commission départementale sélectionnera les candidatures et que les préfets prendront les décisions d'engagement. Je souhaite que nos jeunes adjoints de sécurité soient recrutés à l'image de la population. La sélection ce n'est pas le concours de l'ENA ou de Polytechnique : c'est la recherche de la meilleure adéquation entre le profil et la mission.
Quant à la formation elle s'étendra sur deux mois , s'agissant seulement de la formation initiale, dont six semaines dans une école ou un centre de formation de la police nationale, et deux semaines de formation, sur le terrain, en alternance. L'adjoint de sécurité sera par ailleurs placé sous la responsabilité d'un tuteur, qui l'accompagnera dans ses activités et dans son insertion professionnelle, laquelle pourra être facilitée par un diplôme homologué par l'éducation nationale, baccalauréat professionnel "métiers de la sécurité" par exemple. Il bénéficiera, s'il le souhaite, d'une préparation aux différents concours de la police nationale. Chacun sait que ce sont près de 25.000 emplois qu'il faudra pourvoir dans les cinq années qui viennent, du fait de très nombreux départs à la retraite. La fonction d'adjoint de sécurité ne sera pas un passage obligé pour l'accès aux métiers de la police nationale, mais elle le rendra particulièrement aisé.
Ces policiers auxiliaires pourront, eux, être recrutés comme adjoints de sécurité selon une procédure allégée. Compte tenu de leur formation antérieure et de leur expérience professionnelle, ils suivront une formation accélérée et seront ainsi rapidement disponibles pour les services de la sécurité publique. Les premiers seront sur le terrain dès le mois de décembre 1997. Ils seront aisément reconnaissables à leur uniforme.
Le projet de budget pour 1998 prévoit le recrutement de 8250 adjoints de sécurité, y compris ceux qui l'auront été d'ici à la fin de 1997. Je veillerai personnellement à ce qu'ils soient affectés dans les départements et, au sein des départements, dans les villes et les quartiers où le renforcement des effectifs de la police est le plus nécessaire et le plus urgent.
b) Les agents locaux de médiation seront d'un autre type; ils seront embauchés sur des contrats de droit privé, comme les autres emplois du programme "350.000 jeunes".
Ces agents n'interviendront pas directement dans l'établissement de la sécurité, qui ressortit à la responsabilité de l'Etat. Ils agiront en amont de la police dans un rôle essentiellement préventif. Ils pourront aider au resserrement du lien social, là où il est par trop distendu, assurer une présence humaine dans les quartiers où elle fait cruellement défaut, repérer et apaiser les tensions sociales avant qu'elles ne dégénèrent en conflits graves.
Les employeurs potentiels de ces jeunes sont nombreux: les collectivités locales, les bailleurs de logements sociaux, les sociétés de transport en commun, les organismes consulaires, les associations dans des secteurs aussi variés que l'assurance, le tourisme, le sport, le commerce. Quant aux tâches qui leur seront confiées, on ne saurait les définir toutes par avance. Il appartiendra aux employeurs intéressés de proposer des idées nouvelles, inventer des réponses à des besoins inventoriés, qui ne trouvent pas aujourd'hui leur légitime satisfaction : médiation, alerte sociale, aide aux victimes, prévention de proximité, etc.
Les agents locaux de médiation recevront une formation, dont le contenu principal portera sur la sécurité des biens et des personnes. Elle devra donc comporter des éléments relatifs aux libertés publiques, à l'organisation de la justice, au fonctionnement des dispositifs de sécurité. La durée de cette formation pourra être prolongée par 40 heures de formation continue. Il reviendra aux employeurs d'adapter cette formation aux emplois proposés.
L'AFPA et la police nationale y prêteront leur concours. Il importe en effet que les agents locaux de médiation apprennent à travailler en liaison avec la police et avec la justice.
Si j'insiste sur la formation des adjoints de sécurité et des agents locaux, c'est que nous devons aussi penser à l'avenir de ces jeunes, au-delà des cinq années du contrat qu'ils signeront. Nous avons le devoir -et c'est tout le sens du programme de création d'emplois pour les jeunes- de les préparer à une insertion durable dans les métiers de la sécurité.
La création de 35.000 emplois pour les jeunes dans la sécurité de proximité est certainement un puissant moyen de répondre aux nécessités de la sûreté. A condition toutefois que nous sachions en faire un bon usage. Je ne vise pas ici seulement le ministère de l'intérieur, les préfets et la police nationale, mais je m'adresse aussi à vous tous et, au-delà, à tous les acteurs de la sécurité.
Leur association dynamique s'opèrera, sous l'impulsion des préfets, à l'échelon local: celui de la commune ou de préférence de l'agglomération.
Tel est l'objet des contrats locaux de sécurité.
2) Les contrats locaux de sécurité:
L'idée d'associer des partenaires élus, administratifs et associatifs, sur une base territoriale, pour prévenir la délinquance et concourir à la sécurité des personnes n'est pas totalement nouvelle. Depuis les conseils communaux de prévention de la délinquance, créés en 1982, sous l'impulsion de Gilbert Bonnemaison, de nombreuses formules ont été expérimentées. En proposant aujourd'hui des contrats locaux de sécurité, nous nous efforçons de tenir compte des acquis du passé, tout en corrigeant ses insuffisances.
Le texte de la circulaire sur les contrats locaux de sécurité vient d'être signé par six ministres. Je veux ici vous en présenter les grandes lignes.
Les contrats locaux de sécurité seront l'outil d'une politique de sécurité privilégiant la citoyenneté comme axe de la prévention, la proximité comme mode d'intervention et l'efficacité de la coopération entre les services de l'Etat, au premier chef la police, la gendarmerie, et la justice.
Le choix du domaine d'application de ces contrats indique clairement que les maires seront au coeur d'une démarche dont l'initiative reviendra aux préfets, en liaison avec les procureurs de la République. Mais des , représentants d'autres administrations ont vocation à contribuer à l'élaboration des contrats locaux: les services de la police et de la gendarmerie d'abord et ensuite l'inspecteur d'académie, les chefs d'établissements scolaires, les responsables des services sociaux, les représentants des bailleurs sociaux, les sociétés de transport en commun, ceux des principaux établissements commerciaux, le monde associatif et sportif. Il n'y a pas, en cela, de formule toute faite, applicable partout de la même façon. Il conviendra de s'adapter aux circonstances locales. On pourra s'appuyer, ce faisant, sur les conseils communaux de prévention de la délinquance, quand ils existent, ou susciter la constitution de semblables instances qui devraient devenir de véritables conseils locaux de la citoyenneté et de la sécurité.
La souplesse s'imposera de même dans la délimitation du territoire: un ou plusieurs quartiers, une commune, et de préférence une agglomération. C'est un choix qui appartiendra aux acteurs locaux.
La première tâche qui s'imposera avant la signature d'un contrat sera l'établissement d'un véritable diagnostic de sécurité, reposant sur la connaissance, aussi précise que possible, d'une part de la délinquance, des délinquants et de ceux qui peuvent le devenir, des victimes, des attentes de la population et du sentiment d'insécurité, tel qu'il est éprouvé, et d'autre part des moyens disponibles de l'Etat, des collectivités territoriales, des associations et du secteur privé. Ce diagnostic fera naturellement l'objet d'une révision permanente.
De là découleront des priorités : apprentissage de la citoyenneté et de la responsabilité, promotion d'une solidarité et d'une sûreté de voisinage, soutien aux actions locales de prévention à l'égard des jeunes en voie de marginalisation, lutte contre toute discrimination à l'embauche, prévention des toxicomanies, des violences scolaires et urbaines, humanisation de l'urbanisme, etc.
Les actions envisagées pourront aussi s'appliquer à la présence policière sur la voie publique, l'accueil dans les services, le recueil et le suivi des plaintes, avec des enquêtes de satisfaction des usagers. Elles viseront de même à l'extension du traitement en temps réel des infractions pénales, ou bien encore à la création de nouvelles maisons de justice et du droit.
Dans le cadre de ces contrats, les emplois d'adjoints de sécurité et d'agents locaux de médiation seront affectés, conformément aux programmes d'action arrêtés.
Les contrats locaux de sécurité s'inscriront dans les plans de sécurité départementaux. Ils feront l'objet d'un suivi national.
Le gouvernement s'est donné les moyens de relancer vigoureusement l'action publique dans le domaine de la sécurité de proximité: ce sont les emplois nouveaux. Nous donnons une impulsion et une orientation de travail: ce sont les contrats locaux de sécurité. Nous avons l'occasion, aujourd'hui, d'en débattre et d'en préciser les termes. Reste la mise en oeuvre, qui exigera la mobilisation de tous.
III) Comment améliorer l'efficacité de la coopération entre la police et la justice ?
l) La politique vénale:
Les faits, encore les faits: l'année dernière, en 1996, 590.000 affaires ont été poursuivies par les Parquets. Près de 400.000 ont fait l'objet d'un jugement correctionnel. Ce n'est pas peu. Seulement, ces chiffres doivent être comparés à d'autres: dans le même temps, ce sont 5.200.000 plaintes, dénonciations et procès-verbaux qui ont été déposés aux Parquets. Sur ce total, près de deux millions de procédures ont permis l'identification de l'auteur du délit par la police ou la gendarmerie, et sur ce nombre, la moitié n'a pas donné lieu à des poursuites. Si l'on ajoute les affaires où l'auteur du délit n'a pas été retrouvé, on aboutit à cette donnée: 79 % des affaires transmises aux Parquets n'ont pu avoir de suite judiciaire.
On comprend la nécessité du classement sans suite: les procureurs sont juges de l'opportunité des poursuites et les contraintes de la gestion des moyens limités des juridictions imposent des choix.
Et cependant, il y a, dans ces faits, tous les éléments de l'incompréhension du fonctionnement de la chaîne police-justice.
A cette incompréhension, il n'y a pas d'autre remède qu'une plus grande transparence dans l'élaboration de la politique pénale, à l'échelon national et à l'échelon territorial, et aussi, une association étroite des élus et des services de la police nationale et de la gendarmerie aux décisions et aux orientations adoptées en la matière par le ministère de la justice et par les magistrats. Sans quoi, pèsera toujours le soupçon d'arbitraire, incompatible aveu l'indispensable respect des institutions de la République.
2) Les délais de la réponse judiciaire
Toutes procédures confondues, la durée qui sépare la commission d'un acte délictueux ou criminel de sa sanction a diminué, mais n'est pas inférieure à dix mois. Le jeune délinquant n'est plus en mesure de comprendre la peine qui lui est infligée quand un tel délai s'est écoulé depuis l'acte qui lui est reproché.
S'agissant des crimes, l'attente du verdict des Cours d'assises est mal comprise. Les victimes et leurs familles y trouvent un redoublement de l'horreur et de l'angoisse engendrées par le crime lui-même. On dira que je m'éloigne de la sécurité de proximité. Ce n'est pas sûr: l'incompréhension qui se manifeste à l'endroit de la justice dans le traitement des affaires criminelles à grand retentissement n'est pas sans conséquence sur la perception qu'on en a dans les affaires délictueuses.
Depuis quelques années, les procédures de comparution immédiate, de convocation par procès verbal du procureur de la République et de convocation en justice par officier de police ont permis de raccourcir sensiblement les délais de la réponse judiciaire. Plus encore, avec le traitement en temps réel des infractions, on s'achemine vers l'immédiateté de cette réponse. Cette procédure exige des moyens, mais quand ces derniers sont réunis, la justice y gagne en crédibilité, aux yeux du public comme à ceux des services d'enquête. Son extension fait précisément partie des questions qui devraient être abordées dans la négociation d'un contrat local de sécurité.
3) Des sanctions appropriées
La peine d'emprisonnement reste encore, et de très loin, la plus répandue.
Pour la dernière année de référence, en 1994, sur 410.000 condamnations dans les tribunaux correctionnels, 280.000 furent des peines de privation de liberté, dont la moitié de prison ferme.
Or la prison est souvent une sanction mal adaptée à la faute, et plus encore à l'individu qui l'a commise, particulièrement lorsqu'il s'agit d'un jeune. Un primo-délinquant, incarcéré avec des multi-récidivistes, court plus de risques d'aggraver son cas, qu'il n'a de chances de s'amender. Pour certains, la prison est d'ailleurs vécue comme un rite initiatique : ils s'en feraient même un titre de gloire auprès de jeunes matériellement et psychologiquement démunis. La surpopulation des prisons et l'allongement continu des peines d'emprisonnement montrent les limites de ce type de condamnation.
Sans doute a-t-on recours à des peines de substitution, dans 10 % des condamnations. Mais la plupart d'entre elles -suspension du permis de conduire, amende, interdiction d'émettre des chèques- ne s'appliquent qu'à des individus jouissant d'une certaine insertion sociale, disposant d'un véhicule et de ressources pécuniaires. Le travail d'intérêt général est une sanction encore rare. Il est vrai qu'il n'a pas toujours ce caractère dissuasif et contraignant que l'opinion attend d'une sanction pénale. Il est vrai aussi que les collectivités n'offrent pas autant de postes de travail qu'il en faudrait.
Assurément, nous avons à faire encore un grand effort d'imagination pour inventer des sanctions plus réparatrices pour les victimes et plus réformatrices pour les délinquants et mieux adaptées à ce qu'est devenue notre société de plus en plus médiatique.
4) La délinquance des mineurs
Elle s'est aggravée ces dernières années; et même ces deux dernières années, alors que pendant ce temps-là, la croissance des faits délictueux a marqué le pas. Pire: cette délinquance est de plus en plus violente et elle est le fait de mineurs de plus en plus jeunes.
Beaucoup s'interrogent sur l'adéquation de notre droit à ce phénomène. La justice des mineurs repose, pour l'essentiel, sur un texte de 1945 qui donne le premier rôle à l'éducation comme moyen de correction. Mais on était alors au sortir de la guerre, c'est-à-dire aussi au sortir de la Résistance, où tant de très jeunes gens avaient donné l'exemple suprême du civisme, avec un plein emploi que la reconstruction annonçait durable et dans une situation idéologique et politique où dominait, à droite comme à gauche, l'espoir d'un monde meilleur. Rien, aujourd'hui n'est semblable: le chômage, l'incertitude du progrès, et jusqu'à la nation qui semble douter d'elle-même.
Peut-on encore, à cinquante ans de distance, traiter la délinquance des mineurs par des moyens identiques ? L'institution récente des unités à encadrement éducatif renforcé marque, non sans hésitation, le retour au regroupement des mineurs délinquants dans des structures closes, qu'on avait abandonnées au long des dernières décennies. On peut s'en effrayer. Le fait est qu'on n'a pas trouvé d'autre alternative, quand toutes les mesures prises en milieu ouvert ont échoué. Nos débats ne peuvent pas éluder cette délicate question.
Mesdames, Messieurs, il y a aujourd'hui deux menaces auxquelles la République doit faire face: le chômage et l'insécurité. Les valeurs républicaines ne sont pas des mythes. Elles ne sont fortes, elles ne seront mobilisatrices que si elles s'incarnent. Il en va ainsi du droit à la sûreté, égal pour tous. Ou bien nous sommes capables de l'établir, de le faire respecter, et nos concitoyens feront retour à l'esprit républicain. Ou bien nous échouons, et ils s'en détourneront, ou le considéreront comme une illusion.
On sait ce qu'il en coûte des illusions déçues: la révolte sans but, la rébellion sans logique, le désespoir sans fin; et le sommeil de la raison engendre des monstres. Il nous revient de faire en sorte que la République ne soit pas analysée un jour, par quelque futur historien, comme le passé d'une illusion.
Agir ensemble pour que le droit à la sûreté soit une réalité incontestable, un bien commun, c'est contribuer à la refondation de la République. Et c'est dans cet esprit que je vous invite à débattre aujourd'hui des moyens d'y parvenir ensemble et, sans hésiter, chacun dans votre domaine, à sortir des routines et à innover.
Villepinte, 25 octobre 1997.
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, messieurs les ministres,
Mesdames, messieurs,
Permettez-moi d'abord d'adresser mes remerciements à tous ceux qui ont assuré le succès de ce colloque: madame Nicole Klein, chef service de l'information et des relations publiques, monsieur Raphaël Bartolt, rapporteur général, et les rapporteurs, messieurs Jean-Louis Nembrini, Gilles Sanson, Claude Hanoteau et madame Ballestrazzi. Mes remerciements s'adressent aussi aux parlementaires qui ont accepté de présider nos ateliers de la journée d'hier, monsieur Jean-Marc Ayrault, monsieur Jean-Paul Delevoye, madame Jacqueline Fraysse-Cazalis, monsieur Paul Loridant, monsieur Michel Vauzelle, monsieur Pierre-André Wiltzer. Et je n'oublie aucun de ceux, nombreux, qui ont animé nos débats, élus, fonctionnaires ou militaires, militants associatifs, universitaires. J'ai été frappé par l'épaisseur humaine, fruit d'une longue expérience que laissaient voir beaucoup d'interventions, nourrissant un riche dialogue.
Monsieur le Premier ministre, le 19 juin dernier, vous avez clairement affirmé, dans votre discours de politique générale devant le Parlement, que la sécurité serait une priorité majeure de votre gouvernement. Tant il est vrai que le droit à la sûreté, égal pour tous, conditionne toutes nos libertés.
Vous avez dégagé des moyens : 8.250 emplois d'adjoints de sécurité seront créés d'ici la fin de 1998. S'y ajouteront les agents locaux de médiation qui seront créés dans le cadre du plan emplois-jeunes, notamment par les collectivités locales.
De ces moyens nouveaux, il nous faut faire un bon usage. Des textes sont en préparation, une circulaire interministérielle sur les contrats locaux de sécurité vient d'être signée. Trois projets de loi sont en cours d'élaboration, sur les polices municipales, les sociétés privées de gardiennage et de protection et sur la création d'un Conseil Supérieur de la déontologie dans le domaine de la sécurité.
L'Etat doit remplir la première de ses missions qui est d'assurer à chacun la sûreté de sa personne et de ses biens.
Qu'il le fasse en partenariat ne signifie évidemment pas qu'il déserte cette responsabilité éminente.
Quand l'insécurité s'ajoute au chômage et à la pauvreté, nous savons que le désespoir n'est pas loin, avec des réactions irrationnelles, dangereuses pour la démocratie. C'est pourquoi un gouvernement vraiment républicain doit répondre à l'attente de nos concitoyens dans le domaine de la sécurité, dont on sait qu'elle est -avec l'emploi- leur principale et d'ailleurs légitime revendication.
C'est l'objet de ce colloque : "Des villes sûres pour des citoyens libres" : donner un élan nouveau à notre politique de sécurité, et particulièrement assurer la sécurité de proximité, celle à laquelle nos concitoyens aspirent légitimement dans leur vie quotidienne, celle qui leur permet de circuler librement dans leur quartier ou dans les transports en commun, sans encourir ni agression, ni menace, ni incivilité, celle qui met leur domicile ou leur véhicule à l'abri du vol et des déprédations, celle qui protège leurs enfants du racket et du trafic de drogue. Car ce sont les couches sociales les plus démunies qui souffrent le plus de l'insécurité. C'est ce qu'ont compris les démocrates américains et les travaillistes britanniques, mais nous devons le faire à la française, en nous appuyant sur l'idée républicaine : citoyenneté - proximité - efficacité, tel est le triptyque autour duquel se sont organisés les travaux de notre colloque, et qui fournit les grandes orientations d'une politique qui lie la sûreté et la liberté, comme l'avait fait dans son article 2, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Une telle politique est évidement l'affaire de tout le gouvernement, et je remercie chaleureusement chaque ministre de la contribution éminente qu'il a apportée à nos travaux. Une société sûre ne peut résulter que d'efforts convergents, même s'ils s'inscrivent dans des temps différents :
- le temps long pour l'éducation à la citoyenneté dans les classes de première des lycées ou l'introduction de la morale civique dans les concours de formation des enseignants annoncés par Claude Allègre. De même pour le remodelage de nos banlieues, évoqué hier à l'horizon de vingt ans par Martine Aubry et par Louis Besson
- le temps court, bien sûr, pour la police, la gendarmerie et la justice, car contre la délinquance il faut frapper vite et fort. Se donner les moyens d'enquêtes rapides par la police scientifique et technique de proximité ainsi que l'a souligné Alain Richard et traiter autant que possible les affaires judiciaires en temps réel, comme Elisabeth Guigou l'a suggéré, en s'appuyant en particulier sur la territorialisation de l'action publique.
De ce colloque si riche de propositions, quelques grands axes se dégagent déjà à l'évidence :
1) Il n'est pas de société policée -c'est-à-dire civilisée- sans valeurs partagées :
Que les valeurs de la citoyenneté -ensemble indissociable de droits et de devoirs- viennent à s'effacer, et c'est le risque de l'anomie sociale qui menace :
la République est un régime de liberté, elle n'est pas un régime d'anarchie, car la liberté s'organise. Elle implique des règles définies en commun, et par conséquent des limites. Il faut le comprendre : c'est l'objet même de l'éducation civique.
Une société qui ne croit plus en ses valeurs ne peut plus les transmettre. Est-ce un hasard si la délinquance des mineurs a doublé de 1973 à 1996, et si sa part dans la délinquance générale est passée de 9,7 à 17,9 % ? On ne peut pas mettre un policier derrière chaque Français !
2) Deuxième leçon : la proximité est le gage de la confiance de la population.
La police de proximité est un défi pour la police nationale qu'elle a déjà commencé à relever : la Préfecture de Police a entrepris de réformer ses structures pour répondre aux attentes des Parisiens. Dans les régions aussi, un effort de permanence 24 heures sur 24 va être entrepris. Les moyens nouveaux, à commencer par les adjoints de sécurité, seront systématiquement affectés aux départements et aux zones qui concentrent plus des quatre cinquièmes de la délinquance. Laissant vagabonder mon imagination, j'imaginerais volontiers, à l'exemple du Plan "Universités 2000", un plan quinquennal "Sécurité proximité 2002" pour accélérer la construction de commissariats de proximité dans les quartiers difficiles.
L'effort des collectivités locales et des associations prendra aussi le relais. Des contrats locaux de sécurité seront passés à l'initiative des Préfets, des Procureurs de la République et des maires, en s'appuyant sur des diagnostics largement débattus avec tous les acteurs locaux de la sécurité.
Puis-je faire une suggestion ? Que sur la base des actes de ce colloque national, des colloques départementaux ou locaux permettent les mêmes décloisonnements, les mêmes échanges fructueux car nous souffrons dans notre pays d'un excessif repli de chaque institution sur elle-même. La proximité, c'est aussi cela : la mise en commun.
3) Troisième conclusion de ce colloque,
La sécurité ne va pas sans la sanction, lorsqu'on n'a pas su prévenir l'infraction de la loi. La coopération entre la justice et la police sortira renforcée de nos échanges même si des sanctions adaptées aux formes variées de la délinquance, et singulièrement à la délinquance des mineurs peuvent faire l'objet de recherches plus approfondies. Faut-il en rester à la philosophie de l'ordonnance de 1945 sur la protection judiciaire de la jeunesse ? Suffit-il d'augmenter les moyens ? Ne faut-il pas trouver des formules nouvelles pour isoler les quelques délinquants multi-récidivistes qui forment dans les quartiers le noyau dur de la violence urbaine ?
Comme l'a souligné le Directeur de la prison de Loos dans une intervention remarquée : ce n'est pas tant la privation de liberté qui devrait faire problème que les conditions de détention et le déni de tout droit aux détenus. Leçon parfaitement admise dans les démocraties scandinaves, étant bien entendu qu'à l'horizon de la sanction, il doit toujours y avoir le souci d'une réinsertion dans la société.
Un grand chantier a ainsi été ouvert pour améliorer l'efficacité de cette chaîne qui, de la prévention à la répression des actes délictueux, lie la police, la gendarmerie, la justice et, je serais tenté d'ajouter les médias, tant la représentation de la délinquance et de la société où elle s'enracine redouble ses effets de peur et de fascination.
Bref, il n'y a pas de politique de sécurité républicaine qui ne parte de quelques concepts clairs, si possible partagés. Je souhaite que le dialogue si riche entamé ici, à Villepinte, se poursuive, entre tous les acteurs de la sécurité, avec les citoyens, dans la presse et bien sûr aussi sur le terrain.
J'aurai l'occasion, dans les prochains mois, d'aller sur place, dans les régions, dans les villes, dans les quartiers, pour m'entretenir avec les responsables, de la mise en place des contrats locaux de sécurité. Les questions qui ont fait ici l'objet de nos échanges devront trouver là l'occasion de solutions pratiques. Je n'ai pas de tâche plus urgente.
Merci, Monsieur le Premier ministre, d'avoir bien voulu marquer encore une fois, en concluant nos travaux, la place que le gouvernement et vous-même, accordez aux attentes des Français en matière de sécurité. Je vous cède la parole.
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 11 juin 2001)
Mesdames, messieurs, ,
Je vous remercie d'être venus nombreux à Villepinte pour participer à ce colloque. "Des villes sûres pour des citoyens libres", le sujet le mérite.
La sécurité est l'affaire de tous, et vous êtes venus d'horizons très divers. La sécurité est aussi l'affaire de tout le gouvernement: les ministres concernés participeront à nos travaux. Le Premier ministre les clôturera.
Nous ne réussirons pas à faire reculer l'insécurité sans d'abord nous appuyer sur ce qui a été fait - car nous ne partons pas de rien - et je tiens à rendre hommage à l'effort des policiers, des gendarmes, des magistrats, mais aussi de tous les acteurs qui, au quotidien, mènent une lutte difficile pour la sécurité de nos concitoyens.
Nous ne réussirons pas non plus sans les mobiliser tous par un effort de longue haleine dans une bataille que je résume en trois mots : citoyenneté, proximité, efficacité. J'aurai l'occasion d'y revenir. Ce rassemblement doit permettre un dialogue et surtout une meilleure définition de la politique de sécurité.
Plus personne aujourd'hui ne saurait nier ni sous-estimer ce fait: la multiplication des crimes et des délits, qui sont passés de 500 000 environ par an au début des années 1960, à plus de 3.500.000 ces dernières années. Encore s'agit-il là des actes connus et reconnus. En-deça des délits proprement dits, le développement de ce qu'on appelle les incivilités n'est pas moins inquiétant: il contribue grandement au sentiment d'insécurité. L'abaissement de l'âge des délinquants et la croissance de la délinquance des mineurs ne laissent pas d'être préoccupants; les adultes s'en trouvent souvent désarmés et désemparés: non seulement parce que les mineurs bénéficient d'un droit particulièrement protecteur, mais parce qu'un adolescent ou un enfant qui bascule dans la délinquance, c'est la manifestation d'un échec de la société tout entière, de son impuissance à transmettre ses valeurs et à faire respecter ses règles les plus élémentaires.
J'ajoute que l'insécurité frappe plus sévèrement les plus faibles et les plus démunis de nos concitoyens, les plus pauvres ou les plus âgés. La réalité de la délinquance est massivement concentrée dans certaines zones urbaines. 80 % des faits délictueux enregistrés l'ont été dans les 27 départements les plus urbanisés. La région Ile-de-France totalise à elle seule le quart de ces faits. Les beaux quartiers sont généralement épargnés. Il en résulte que les Français ne sont pas égaux devant l'insécurité. Cette inégalité s'ajoute aux autres.
Or la sûreté est l'un des droits fondamentaux de l'homme et du citoyen. La déclaration de 1789, dans son article 2, le proclame haut et fort en mettant la sûreté au même rang que la liberté avec laquelle elle entretient des rapports subtils. Les Français y sont légitimement attachés, comme ils le sont à leur égalité dans la jouissance de ce droit.
Je n'ignore pas les efforts accomplis depuis quinze ans pour relever le niveau et la qualité de la sûreté sur tout le territoire de la République. Force est de constater, cependant, que le but reste encore loin d'être atteint.
C'est dans ces conditions que le Premier ministre a annoncé, le 19 juin dernier, dans son discours de politique générale qu'il mettait la sûreté parmi les priorités du gouvernement. Joignant, pour ainsi dire, le geste à la parole, il a décidé la création de 35.000 emplois de sécurité, dans le cadre du programme qui prévoit la création de 350.000 emplois pour les jeunes. De tels moyens nous font obligation de résultat.
Ce colloque a sa place dans la suite de ces décisions. Lesquelles ont déjà fait l'objet d'un travail gouvernemental et administratif : réflexion sur le contenu des contrats locaux de sécurité, sur lesquels je reviendrai, préparation des textes réglementaires sur les emplois d'adjoints de sécurité, qui seront publiés aussitôt que le Conseil d'Etat aura donné son avis sur le premier d'entre eux, concertation avec le ministère de l'emploi et de la solidarité sur les agents locaux de médiation ; projets de loi sur les polices municipales, sur les sociétés de gardiennage et de protection et sur un conseil supérieur de déontologie en matière de sécurité.
Mais la sécurité ne saurait être l'affaire des seules forces de police, ni du seul ministère de l'intérieur. C'est d'abord l'affaire de tout le gouvernement : du ministère de la défense, dont dépend la gendarmerie ; du ministère de la justice, qui administre la sanction des infractions à la loi et contribue aussi largement, par le truchement de la protection judiciaire de la jeunesse, à leur prévention ; du ministère de l'éducation nationale, dont les personnels encadrent et instruisent tous nos enfants, et sont les interlocuteurs privilégiés des parents ; du ministère du logement et du ministère de l'emploi et de la solidarité, qui, au-delà de la politique de la ville et du remodelage de nos banlieues, ont autorité sur le vaste domaine de la politique sociale. A la lumière de ma propre expérience de maire, je sais qu'il y a un rapport entre l'urbanisme et l'urbanité.
La sécurité c'est ensuite l'affaire des élus locaux et des associations, quotidiennement au contact de la vie des quartiers, où ils exercent des responsabilités et un rôle d'animation essentiels.
Voilà pourquoi j'ai jugé utile de vous réunir, pour que notre politique de sécurité fasse l'objet d'un large échange d'idées et d'expériences. Je suis sûr que nous pourrons en tirer le plus grand profit, pour mieux éclairer, définir ensemble et mettre en forme notre action future. Je ne sous-estime pas l'apport de l'administration ; il sera d'autant plus précieux qu'il sera confronté à celui d'autres acteurs. C'est sur ce genre de débat que je compte pour enrichir et préciser les orientations de notre travail commun, car une sécurité plus égale sur tout le territoire de la République ne peut procéder que d'un effort d'ensemble.
Je partirai du triptyque citoyenneté - proximité - efficacité.
I) La citoyenneté est la base de la sûreté:
Garantir la sûreté des biens et des personnes est certainement la première mission de l'Etat. Mais l'Etat ne remplira pas cette mission si chacun de nos concitoyens ne se sent pas lié, à travers l'Etat, à toute la société, par un contrat, qu'on a raison de nommer le pacte républicain.
On ne peut pas mettre un policier derrière chaque Français. Pour que le droit à la sûreté soit pleinement respecté, les policiers, les gendarmes et les tribunaux seront toujours insuffisants si tous nos concitoyens ne sont pas, dès le plus jeune âge, instruits de ce qu'est la loi: un instrument de protection et d'émancipation, une règle démocratiquement délibérée qui s'impose à chacun; s'ils ne sont pas convaincus de leur intérêt, individuel et collectif, à adhérer à ce pacte républicain qui leur crée des devoirs comme autant de contreparties des droits éminents qu'il leur confère puisque ce sont les droits du Souverain : le Peuple dont chaque citoyen n'est qu'une parcelle. Le premier facteur de l'insécurité est sans doute l'effacement délétère du sentiment d'appartenance à la nation, qui a choisi de s'organiser dans la République. Le défaut de citoyenneté, voilà la cause principale de l'insécurité.
Certes, il faut faire sa place à la crise morale que traverse notre société, qui est largement la conséquence de sa crise sociale. Le chômage de masse, la précarité, le creusement des inégalités, cette idée qui se répand, cette idée malheureusement neuve en France depuis la Révolution française, selon laquelle le sort sera lus dur pour la prochaine génération que pour la précédente, ce sont là des données démoralisantes. Elles contribuent à dévaloriser, chez les jeunes particulièrement, le travail, l'étude, l'effort, dès lors que ces derniers, à tort d'ailleurs, n'apparaissent plus comme la garantie de la réussite personnelle ou, à tout le moins, d'une insertion décente dans la société.
Et comment ne pas voir que la sûreté est, en général, le plus menacée dans les quartiers les plus déshérités de nos villes et de nos banlieues, là où l'intégration des jeunes à la République, et notamment des jeunes d'origine étrangère, rencontre le plus d'obstacles, là où les valeurs républicaines sont le moins bien comprises, parce qu'elles apparaissent si loin de la réalité ?
Rien ne serait plus dangereux, pourtant, que de prendre prétexte de ces causes économiques et sociales de l'insécurité, pour céder à l'impuissance. On sait, depuis Victor Hugo, que les prisons sont peuplées des damnés de la terre. On sait aussi qu'on peut être pauvre et honnête, et même, riche et malhonnête. La responsabilité personnelle ne détermine pas toutes les conduites individuelles.
Mais la délinquance n'est pas l'inéluctable réponse au sentiment de l'injustice sociale.
Il faut reconnaître ce qu'a de juste le slogan des travaillistes britanniques "Dur avec le crime, dur avec les causes du crime."
C'est en gardant à l'esprit cet équilibre nécessaire entre les conditionnements sociaux et la responsabilité personnelle que peuvent intervenir les acteurs et les institutions qui contribuent, chacun à sa place, à la formation et à la vie civiques.
l) Les familles
Et d'abord les parents. Je veux le dire ici sobrement, à l'écart de tout a priori idéologique, sans référence à aucune tradition philosophique ou religieuse particulière, mais seulement dans un souci pratique: l'autorité parentale, dès la prime enfance, joue un rôle décisif dans l'apprentissage des premières règles de la vie en société. J'observe que les professionnels de diverses origines - professeurs, éducateurs sociaux, magistrats, policiers - convergent sur ce constat: la destruction de la famille, quelles qu'en soient les formes, la disparition de l'autorité familiale, quelles qu'en soient les causes, sont désormais communément désignées comme un handicap majeur dans la socialisation des enfants.
Un petit nombre d'enfants est concerné par cet effondrement de la structure familiale, mais sur ce petit nombre, l'échec des institutions est patent: elles ne parviennent pas à se substituer efficacement au cadre familial, je ne dis pas seulement pour favoriser un développement affectif harmonieux, cela va de soi, mais pour faire comprendre et accepter par un enfant l'élémentaire distinction du licite et de l'illicite. Dans ce qu'on désigne souvent comme la perte de tout repère, en face d'un adolescent délinquant plusieurs fois récidiviste, on finit toujours par incriminer les parents, ou plutôt l'insuffisance, l'absence des parents.
Dans la République, il n'appartient pas à l'Etat d'empiéter sur la liberté des familles. Mais les occasions ne manquent pas de contacts entre ses fonctionnaires - enseignants, travailleurs sociaux - et les familles. Sans se départir du tact et de la retenue qui s'imposent dans cette sorte d'affaires privées, il n'est pas inutile de rappeler, le cas échéant, chacun à ses responsabilités. Mettre un enfant au monde implique la responsabilité de l'éduquer.
2) Avec l'Ecole on entre de plain-pied dans le domaine public.
Ces dernières années, la demande d'éducation civique, formulée à l'adresse de l'école, n'a cessé de croître. Cette demande était déjà sensible quand, il y a douze ans, en tant que ministre de l'éducation nationale, j'ai rétabli l'éducation civique dans l'enseignement primaire et au collège. Il n'est pas sûr qu'elle soit toujours correctement orientée: elle se réduit souvent à des préoccupations moralisantes ou militantes, exaltant un altruisme bien intentionné, ou revendiquant des droits individuels, y compris le droit à la différence comme une forme moderne de la tolérance.
Et de fait, il y a loin des programmes et des directives ministérielles à la réalité, plus confuse et plus modeste, de l'éducation civique dans nos établissements scolaires. Les professeurs eux-mêmes n'ont pas, le plus souvent, ni une claire conception des objectifs, ni les connaissances indispensables pour la délivrance de l'éducation civique dont ils ont la charge.
Je l'admets volontiers: l'éducation civique faillirait à sa tâche, si elle ne visait pas, notamment à l'égard des plus jeunes, à civiliser des enfants qui ne sont pas naturellement enclins à l'être et que le Professeur Nicolet qualifie avec humour de "jeunes barbares". L'éducation civique peut, ce faisant, offrir une première garantie de l'ordre contre la violence, par un apprentissage précoce des règles de la civilité.
Mais l'Ecole doit faire beaucoup plus: préparer les adolescents à leur état de citoyen, les éclairer en leur dispensant l'intelligence réelle, donc critique, des choses de la société et des affaires de l'Etat. Elle les mettra ainsi à même de juger, de souscrire au pacte républicain, de choisir, voire d'agir, bref d'exercer leur éminente prérogative de membre d'un peuple souverain, capable de se donner à lui-même ses propres lois.
On aurait tort de juger l'ambition excessive. L'éducation civique doit toujours garder sa dimension critique, sans quoi elle court le risque de verser dans l'endoctrinement totalitaire, et les enseignants s'en détournent discrètement. Elle doit s'élever au-dessus de l'apprentissage d'une sociabilité minimale, fondée seulement sur les bons sentiments et débouchant sur un conformisme docile. C'est à ce prix, élevé j'en conviens, qu'elle atteindra son but: l'institution permanente de la République par l'accession de chaque génération à la liberté de jugement sans laquelle il n'est pas de citoyenneté.
Ne nous y trompons pas! C'est par là que passe le respect librement consenti de la loi, qui ne va pas sans la recherche toujours inachevée d'un ordre réconcilié avec la justice. Le citoyen voit ici sa fonction, son droit et son devoir définis. C'est à ce noble enseignement qu'il faut préparer les professeurs.
La République est un régime de liberté. Elle n'est pas un régime de faiblesse.
3) Les collectivités locales et les associations prolongent l'action de l'Etat.
D'une part, la démocratie locale et la vie associative ont partie liée dans ce qu'on pourrait appeler les travaux pratiques de l'éducation civique. La participation à la vie de la commune ou aux activités d'une association est souvent l'occasion d'un apprentissage pratique de la citoyenneté. Dans ce cadre, les élus locaux et les militants associatifs exercent une responsabilité éminente: ils sont, à leur manière, des instituteurs de la République.
D'autre part, collectivités locales et associations ont amplement montré, depuis plus de quinze ans, leur capacité de jouer un rôle majeur dans la prévention de la délinquance. De la médiation à la police municipale, en passant par l'aide au travail scolaire ou l'animation sportive et culturelle, les exemples sont variés, qui manifestent le dynamisme de l'action locale pour contribuer à la sécurité de proximité. Les contrats locaux de sécurité que l'Etat proposera aux municipalités donneront aux uns et aux autres de nouvelles occasions d'y contribuer efficacement.
Il) Une priorité: la sécurité de proximité.
La volonté du gouvernement est claire: faire de la sûreté un droit égal pour tous, c'est-à-dire réduire massivement la petite délinquance qui rend la vie infernale à celles et à ceux qui en sont les victimes ou qui craignent légitimement de l'être, rétablir la paix civile dans les quartiers où elle est menacée, apporter à tous nos concitoyens, et particulièrement à ceux qui en ont le plus besoin, la protection de la loi républicaine.
L'insécurité n'est pas un fantasme. Tout ce qu'on a fait pour la faire reculer mérite considération. A l'évidence, l'action passée a rencontré ses limites. La police n'a pas pour seule tâche la répression de la criminalité. Elle doit prendre en compte de plus en plus les liens entre crise urbaine, violences et incivilités. On désigne par là des conduites aussi exaspérantes que fréquentes, à la frontière de la délinquance, mais qui échappent aux sanctions pénales et aux statistiques : petits groupes menaçants, mendiants agressifs, dégradations diverses de l'espace public. Les pauvres souffrent plus que les riches de cette progression des incivilités.
Le travail policier doit évoluer en conséquence: la psychologie, et par conséquent la formation comptent plus encore que la technologie. Le lien de la police avec la population est essentiel. Il faut être familier avec les quartiers.
L'image de la police et par conséquent son efficacité en dépendent. L'îlotage pédestre est nécessaire. Il ne suffit pas. Il faut un contact direct, permettant de rappeler celui-ci à ses devoirs, et celui-là à un peu plus de tolérance. Il y faut beaucoup de discernement. C'est là la qualité essentielle du policier de proximité. Cela implique une capacité à discuter avec les habitants pour définir au plus juste ce qui doit être réprimé et ce qui doit être toléré. Cette réorientation du travail policier ne sera sans doute pas facile. Il faudra reconnaître mieux la grandeur d'une police citoyenne et proche des gens, associer la recherche en matière de sécurité interne à la formation des policiers, mettre en oeuvre enfin des moyens nouveaux.
Ceux que le gouvernement affecte à cette fin doivent être l'occasion d'un effort d'imagination et d'innovation, d'une mobilisation exceptionnelle, non seulement des forces de la police nationale, mais de tous ceux qui concourent à la sûreté. Ces moyens sont de deux ordres: des emplois supplémentaires d'abord et peut-être surtout des formes renouvelées de l'action sur le terrain.
l) Les emplois pour la sécurité de proximité
Au nombre de 35.000 d'ici à 1999, se répartiront en 20.000 emplois d'adjoints de sécurité, et 15.000 emplois d'agents locaux de médiation.
a) Les adjoints de sécurité seront, selon les termes de la loi, des contractuels de droit public, rattachés à la direction générale de la police nationale. Leurs missions se situeront toutes dans le cadre de la sécurité de proximité. Ils pourront contribuer à l'amélioration des réseaux d'information et d'action de la police nationale avec ses partenaires institutionnels, notamment la justice et les autres services publics, et avec les travailleurs sociaux ; faciliter l'accès au service public de la police, en participant à l'accueil, à l'information et à l'orientation du public ; soutenir les victimes de la délinquance et des incivilités, par exemple en leur facilitant les démarches administratives ; apporter une aide au public à la sortie des écoles, dans les îlots d'habitation et dans les transports en commun ; participer à des tâches de surveillance générale, en particulier par îlotage et patrouille ; améliorer l'insertion des communautés étrangères et faciliter leur intégration.
En aucun cas ils ne pourront participer à des missions de police judiciaire ou de maintien de l'ordre.
Un arrêté fixera les conditions de leur recrutement et de leur formation. Je peux d'ores et déjà vous dire que les adjoints de sécurité pourront déposer leur demande dans le commissariat de leur choix, qu'une commission départementale sélectionnera les candidatures et que les préfets prendront les décisions d'engagement. Je souhaite que nos jeunes adjoints de sécurité soient recrutés à l'image de la population. La sélection ce n'est pas le concours de l'ENA ou de Polytechnique : c'est la recherche de la meilleure adéquation entre le profil et la mission.
Quant à la formation elle s'étendra sur deux mois , s'agissant seulement de la formation initiale, dont six semaines dans une école ou un centre de formation de la police nationale, et deux semaines de formation, sur le terrain, en alternance. L'adjoint de sécurité sera par ailleurs placé sous la responsabilité d'un tuteur, qui l'accompagnera dans ses activités et dans son insertion professionnelle, laquelle pourra être facilitée par un diplôme homologué par l'éducation nationale, baccalauréat professionnel "métiers de la sécurité" par exemple. Il bénéficiera, s'il le souhaite, d'une préparation aux différents concours de la police nationale. Chacun sait que ce sont près de 25.000 emplois qu'il faudra pourvoir dans les cinq années qui viennent, du fait de très nombreux départs à la retraite. La fonction d'adjoint de sécurité ne sera pas un passage obligé pour l'accès aux métiers de la police nationale, mais elle le rendra particulièrement aisé.
Ces policiers auxiliaires pourront, eux, être recrutés comme adjoints de sécurité selon une procédure allégée. Compte tenu de leur formation antérieure et de leur expérience professionnelle, ils suivront une formation accélérée et seront ainsi rapidement disponibles pour les services de la sécurité publique. Les premiers seront sur le terrain dès le mois de décembre 1997. Ils seront aisément reconnaissables à leur uniforme.
Le projet de budget pour 1998 prévoit le recrutement de 8250 adjoints de sécurité, y compris ceux qui l'auront été d'ici à la fin de 1997. Je veillerai personnellement à ce qu'ils soient affectés dans les départements et, au sein des départements, dans les villes et les quartiers où le renforcement des effectifs de la police est le plus nécessaire et le plus urgent.
b) Les agents locaux de médiation seront d'un autre type; ils seront embauchés sur des contrats de droit privé, comme les autres emplois du programme "350.000 jeunes".
Ces agents n'interviendront pas directement dans l'établissement de la sécurité, qui ressortit à la responsabilité de l'Etat. Ils agiront en amont de la police dans un rôle essentiellement préventif. Ils pourront aider au resserrement du lien social, là où il est par trop distendu, assurer une présence humaine dans les quartiers où elle fait cruellement défaut, repérer et apaiser les tensions sociales avant qu'elles ne dégénèrent en conflits graves.
Les employeurs potentiels de ces jeunes sont nombreux: les collectivités locales, les bailleurs de logements sociaux, les sociétés de transport en commun, les organismes consulaires, les associations dans des secteurs aussi variés que l'assurance, le tourisme, le sport, le commerce. Quant aux tâches qui leur seront confiées, on ne saurait les définir toutes par avance. Il appartiendra aux employeurs intéressés de proposer des idées nouvelles, inventer des réponses à des besoins inventoriés, qui ne trouvent pas aujourd'hui leur légitime satisfaction : médiation, alerte sociale, aide aux victimes, prévention de proximité, etc.
Les agents locaux de médiation recevront une formation, dont le contenu principal portera sur la sécurité des biens et des personnes. Elle devra donc comporter des éléments relatifs aux libertés publiques, à l'organisation de la justice, au fonctionnement des dispositifs de sécurité. La durée de cette formation pourra être prolongée par 40 heures de formation continue. Il reviendra aux employeurs d'adapter cette formation aux emplois proposés.
L'AFPA et la police nationale y prêteront leur concours. Il importe en effet que les agents locaux de médiation apprennent à travailler en liaison avec la police et avec la justice.
Si j'insiste sur la formation des adjoints de sécurité et des agents locaux, c'est que nous devons aussi penser à l'avenir de ces jeunes, au-delà des cinq années du contrat qu'ils signeront. Nous avons le devoir -et c'est tout le sens du programme de création d'emplois pour les jeunes- de les préparer à une insertion durable dans les métiers de la sécurité.
La création de 35.000 emplois pour les jeunes dans la sécurité de proximité est certainement un puissant moyen de répondre aux nécessités de la sûreté. A condition toutefois que nous sachions en faire un bon usage. Je ne vise pas ici seulement le ministère de l'intérieur, les préfets et la police nationale, mais je m'adresse aussi à vous tous et, au-delà, à tous les acteurs de la sécurité.
Leur association dynamique s'opèrera, sous l'impulsion des préfets, à l'échelon local: celui de la commune ou de préférence de l'agglomération.
Tel est l'objet des contrats locaux de sécurité.
2) Les contrats locaux de sécurité:
L'idée d'associer des partenaires élus, administratifs et associatifs, sur une base territoriale, pour prévenir la délinquance et concourir à la sécurité des personnes n'est pas totalement nouvelle. Depuis les conseils communaux de prévention de la délinquance, créés en 1982, sous l'impulsion de Gilbert Bonnemaison, de nombreuses formules ont été expérimentées. En proposant aujourd'hui des contrats locaux de sécurité, nous nous efforçons de tenir compte des acquis du passé, tout en corrigeant ses insuffisances.
Le texte de la circulaire sur les contrats locaux de sécurité vient d'être signé par six ministres. Je veux ici vous en présenter les grandes lignes.
Les contrats locaux de sécurité seront l'outil d'une politique de sécurité privilégiant la citoyenneté comme axe de la prévention, la proximité comme mode d'intervention et l'efficacité de la coopération entre les services de l'Etat, au premier chef la police, la gendarmerie, et la justice.
Le choix du domaine d'application de ces contrats indique clairement que les maires seront au coeur d'une démarche dont l'initiative reviendra aux préfets, en liaison avec les procureurs de la République. Mais des , représentants d'autres administrations ont vocation à contribuer à l'élaboration des contrats locaux: les services de la police et de la gendarmerie d'abord et ensuite l'inspecteur d'académie, les chefs d'établissements scolaires, les responsables des services sociaux, les représentants des bailleurs sociaux, les sociétés de transport en commun, ceux des principaux établissements commerciaux, le monde associatif et sportif. Il n'y a pas, en cela, de formule toute faite, applicable partout de la même façon. Il conviendra de s'adapter aux circonstances locales. On pourra s'appuyer, ce faisant, sur les conseils communaux de prévention de la délinquance, quand ils existent, ou susciter la constitution de semblables instances qui devraient devenir de véritables conseils locaux de la citoyenneté et de la sécurité.
La souplesse s'imposera de même dans la délimitation du territoire: un ou plusieurs quartiers, une commune, et de préférence une agglomération. C'est un choix qui appartiendra aux acteurs locaux.
La première tâche qui s'imposera avant la signature d'un contrat sera l'établissement d'un véritable diagnostic de sécurité, reposant sur la connaissance, aussi précise que possible, d'une part de la délinquance, des délinquants et de ceux qui peuvent le devenir, des victimes, des attentes de la population et du sentiment d'insécurité, tel qu'il est éprouvé, et d'autre part des moyens disponibles de l'Etat, des collectivités territoriales, des associations et du secteur privé. Ce diagnostic fera naturellement l'objet d'une révision permanente.
De là découleront des priorités : apprentissage de la citoyenneté et de la responsabilité, promotion d'une solidarité et d'une sûreté de voisinage, soutien aux actions locales de prévention à l'égard des jeunes en voie de marginalisation, lutte contre toute discrimination à l'embauche, prévention des toxicomanies, des violences scolaires et urbaines, humanisation de l'urbanisme, etc.
Les actions envisagées pourront aussi s'appliquer à la présence policière sur la voie publique, l'accueil dans les services, le recueil et le suivi des plaintes, avec des enquêtes de satisfaction des usagers. Elles viseront de même à l'extension du traitement en temps réel des infractions pénales, ou bien encore à la création de nouvelles maisons de justice et du droit.
Dans le cadre de ces contrats, les emplois d'adjoints de sécurité et d'agents locaux de médiation seront affectés, conformément aux programmes d'action arrêtés.
Les contrats locaux de sécurité s'inscriront dans les plans de sécurité départementaux. Ils feront l'objet d'un suivi national.
Le gouvernement s'est donné les moyens de relancer vigoureusement l'action publique dans le domaine de la sécurité de proximité: ce sont les emplois nouveaux. Nous donnons une impulsion et une orientation de travail: ce sont les contrats locaux de sécurité. Nous avons l'occasion, aujourd'hui, d'en débattre et d'en préciser les termes. Reste la mise en oeuvre, qui exigera la mobilisation de tous.
III) Comment améliorer l'efficacité de la coopération entre la police et la justice ?
l) La politique vénale:
Les faits, encore les faits: l'année dernière, en 1996, 590.000 affaires ont été poursuivies par les Parquets. Près de 400.000 ont fait l'objet d'un jugement correctionnel. Ce n'est pas peu. Seulement, ces chiffres doivent être comparés à d'autres: dans le même temps, ce sont 5.200.000 plaintes, dénonciations et procès-verbaux qui ont été déposés aux Parquets. Sur ce total, près de deux millions de procédures ont permis l'identification de l'auteur du délit par la police ou la gendarmerie, et sur ce nombre, la moitié n'a pas donné lieu à des poursuites. Si l'on ajoute les affaires où l'auteur du délit n'a pas été retrouvé, on aboutit à cette donnée: 79 % des affaires transmises aux Parquets n'ont pu avoir de suite judiciaire.
On comprend la nécessité du classement sans suite: les procureurs sont juges de l'opportunité des poursuites et les contraintes de la gestion des moyens limités des juridictions imposent des choix.
Et cependant, il y a, dans ces faits, tous les éléments de l'incompréhension du fonctionnement de la chaîne police-justice.
A cette incompréhension, il n'y a pas d'autre remède qu'une plus grande transparence dans l'élaboration de la politique pénale, à l'échelon national et à l'échelon territorial, et aussi, une association étroite des élus et des services de la police nationale et de la gendarmerie aux décisions et aux orientations adoptées en la matière par le ministère de la justice et par les magistrats. Sans quoi, pèsera toujours le soupçon d'arbitraire, incompatible aveu l'indispensable respect des institutions de la République.
2) Les délais de la réponse judiciaire
Toutes procédures confondues, la durée qui sépare la commission d'un acte délictueux ou criminel de sa sanction a diminué, mais n'est pas inférieure à dix mois. Le jeune délinquant n'est plus en mesure de comprendre la peine qui lui est infligée quand un tel délai s'est écoulé depuis l'acte qui lui est reproché.
S'agissant des crimes, l'attente du verdict des Cours d'assises est mal comprise. Les victimes et leurs familles y trouvent un redoublement de l'horreur et de l'angoisse engendrées par le crime lui-même. On dira que je m'éloigne de la sécurité de proximité. Ce n'est pas sûr: l'incompréhension qui se manifeste à l'endroit de la justice dans le traitement des affaires criminelles à grand retentissement n'est pas sans conséquence sur la perception qu'on en a dans les affaires délictueuses.
Depuis quelques années, les procédures de comparution immédiate, de convocation par procès verbal du procureur de la République et de convocation en justice par officier de police ont permis de raccourcir sensiblement les délais de la réponse judiciaire. Plus encore, avec le traitement en temps réel des infractions, on s'achemine vers l'immédiateté de cette réponse. Cette procédure exige des moyens, mais quand ces derniers sont réunis, la justice y gagne en crédibilité, aux yeux du public comme à ceux des services d'enquête. Son extension fait précisément partie des questions qui devraient être abordées dans la négociation d'un contrat local de sécurité.
3) Des sanctions appropriées
La peine d'emprisonnement reste encore, et de très loin, la plus répandue.
Pour la dernière année de référence, en 1994, sur 410.000 condamnations dans les tribunaux correctionnels, 280.000 furent des peines de privation de liberté, dont la moitié de prison ferme.
Or la prison est souvent une sanction mal adaptée à la faute, et plus encore à l'individu qui l'a commise, particulièrement lorsqu'il s'agit d'un jeune. Un primo-délinquant, incarcéré avec des multi-récidivistes, court plus de risques d'aggraver son cas, qu'il n'a de chances de s'amender. Pour certains, la prison est d'ailleurs vécue comme un rite initiatique : ils s'en feraient même un titre de gloire auprès de jeunes matériellement et psychologiquement démunis. La surpopulation des prisons et l'allongement continu des peines d'emprisonnement montrent les limites de ce type de condamnation.
Sans doute a-t-on recours à des peines de substitution, dans 10 % des condamnations. Mais la plupart d'entre elles -suspension du permis de conduire, amende, interdiction d'émettre des chèques- ne s'appliquent qu'à des individus jouissant d'une certaine insertion sociale, disposant d'un véhicule et de ressources pécuniaires. Le travail d'intérêt général est une sanction encore rare. Il est vrai qu'il n'a pas toujours ce caractère dissuasif et contraignant que l'opinion attend d'une sanction pénale. Il est vrai aussi que les collectivités n'offrent pas autant de postes de travail qu'il en faudrait.
Assurément, nous avons à faire encore un grand effort d'imagination pour inventer des sanctions plus réparatrices pour les victimes et plus réformatrices pour les délinquants et mieux adaptées à ce qu'est devenue notre société de plus en plus médiatique.
4) La délinquance des mineurs
Elle s'est aggravée ces dernières années; et même ces deux dernières années, alors que pendant ce temps-là, la croissance des faits délictueux a marqué le pas. Pire: cette délinquance est de plus en plus violente et elle est le fait de mineurs de plus en plus jeunes.
Beaucoup s'interrogent sur l'adéquation de notre droit à ce phénomène. La justice des mineurs repose, pour l'essentiel, sur un texte de 1945 qui donne le premier rôle à l'éducation comme moyen de correction. Mais on était alors au sortir de la guerre, c'est-à-dire aussi au sortir de la Résistance, où tant de très jeunes gens avaient donné l'exemple suprême du civisme, avec un plein emploi que la reconstruction annonçait durable et dans une situation idéologique et politique où dominait, à droite comme à gauche, l'espoir d'un monde meilleur. Rien, aujourd'hui n'est semblable: le chômage, l'incertitude du progrès, et jusqu'à la nation qui semble douter d'elle-même.
Peut-on encore, à cinquante ans de distance, traiter la délinquance des mineurs par des moyens identiques ? L'institution récente des unités à encadrement éducatif renforcé marque, non sans hésitation, le retour au regroupement des mineurs délinquants dans des structures closes, qu'on avait abandonnées au long des dernières décennies. On peut s'en effrayer. Le fait est qu'on n'a pas trouvé d'autre alternative, quand toutes les mesures prises en milieu ouvert ont échoué. Nos débats ne peuvent pas éluder cette délicate question.
Mesdames, Messieurs, il y a aujourd'hui deux menaces auxquelles la République doit faire face: le chômage et l'insécurité. Les valeurs républicaines ne sont pas des mythes. Elles ne sont fortes, elles ne seront mobilisatrices que si elles s'incarnent. Il en va ainsi du droit à la sûreté, égal pour tous. Ou bien nous sommes capables de l'établir, de le faire respecter, et nos concitoyens feront retour à l'esprit républicain. Ou bien nous échouons, et ils s'en détourneront, ou le considéreront comme une illusion.
On sait ce qu'il en coûte des illusions déçues: la révolte sans but, la rébellion sans logique, le désespoir sans fin; et le sommeil de la raison engendre des monstres. Il nous revient de faire en sorte que la République ne soit pas analysée un jour, par quelque futur historien, comme le passé d'une illusion.
Agir ensemble pour que le droit à la sûreté soit une réalité incontestable, un bien commun, c'est contribuer à la refondation de la République. Et c'est dans cet esprit que je vous invite à débattre aujourd'hui des moyens d'y parvenir ensemble et, sans hésiter, chacun dans votre domaine, à sortir des routines et à innover.
Villepinte, 25 octobre 1997.
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, messieurs les ministres,
Mesdames, messieurs,
Permettez-moi d'abord d'adresser mes remerciements à tous ceux qui ont assuré le succès de ce colloque: madame Nicole Klein, chef service de l'information et des relations publiques, monsieur Raphaël Bartolt, rapporteur général, et les rapporteurs, messieurs Jean-Louis Nembrini, Gilles Sanson, Claude Hanoteau et madame Ballestrazzi. Mes remerciements s'adressent aussi aux parlementaires qui ont accepté de présider nos ateliers de la journée d'hier, monsieur Jean-Marc Ayrault, monsieur Jean-Paul Delevoye, madame Jacqueline Fraysse-Cazalis, monsieur Paul Loridant, monsieur Michel Vauzelle, monsieur Pierre-André Wiltzer. Et je n'oublie aucun de ceux, nombreux, qui ont animé nos débats, élus, fonctionnaires ou militaires, militants associatifs, universitaires. J'ai été frappé par l'épaisseur humaine, fruit d'une longue expérience que laissaient voir beaucoup d'interventions, nourrissant un riche dialogue.
Monsieur le Premier ministre, le 19 juin dernier, vous avez clairement affirmé, dans votre discours de politique générale devant le Parlement, que la sécurité serait une priorité majeure de votre gouvernement. Tant il est vrai que le droit à la sûreté, égal pour tous, conditionne toutes nos libertés.
Vous avez dégagé des moyens : 8.250 emplois d'adjoints de sécurité seront créés d'ici la fin de 1998. S'y ajouteront les agents locaux de médiation qui seront créés dans le cadre du plan emplois-jeunes, notamment par les collectivités locales.
De ces moyens nouveaux, il nous faut faire un bon usage. Des textes sont en préparation, une circulaire interministérielle sur les contrats locaux de sécurité vient d'être signée. Trois projets de loi sont en cours d'élaboration, sur les polices municipales, les sociétés privées de gardiennage et de protection et sur la création d'un Conseil Supérieur de la déontologie dans le domaine de la sécurité.
L'Etat doit remplir la première de ses missions qui est d'assurer à chacun la sûreté de sa personne et de ses biens.
Qu'il le fasse en partenariat ne signifie évidemment pas qu'il déserte cette responsabilité éminente.
Quand l'insécurité s'ajoute au chômage et à la pauvreté, nous savons que le désespoir n'est pas loin, avec des réactions irrationnelles, dangereuses pour la démocratie. C'est pourquoi un gouvernement vraiment républicain doit répondre à l'attente de nos concitoyens dans le domaine de la sécurité, dont on sait qu'elle est -avec l'emploi- leur principale et d'ailleurs légitime revendication.
C'est l'objet de ce colloque : "Des villes sûres pour des citoyens libres" : donner un élan nouveau à notre politique de sécurité, et particulièrement assurer la sécurité de proximité, celle à laquelle nos concitoyens aspirent légitimement dans leur vie quotidienne, celle qui leur permet de circuler librement dans leur quartier ou dans les transports en commun, sans encourir ni agression, ni menace, ni incivilité, celle qui met leur domicile ou leur véhicule à l'abri du vol et des déprédations, celle qui protège leurs enfants du racket et du trafic de drogue. Car ce sont les couches sociales les plus démunies qui souffrent le plus de l'insécurité. C'est ce qu'ont compris les démocrates américains et les travaillistes britanniques, mais nous devons le faire à la française, en nous appuyant sur l'idée républicaine : citoyenneté - proximité - efficacité, tel est le triptyque autour duquel se sont organisés les travaux de notre colloque, et qui fournit les grandes orientations d'une politique qui lie la sûreté et la liberté, comme l'avait fait dans son article 2, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Une telle politique est évidement l'affaire de tout le gouvernement, et je remercie chaleureusement chaque ministre de la contribution éminente qu'il a apportée à nos travaux. Une société sûre ne peut résulter que d'efforts convergents, même s'ils s'inscrivent dans des temps différents :
- le temps long pour l'éducation à la citoyenneté dans les classes de première des lycées ou l'introduction de la morale civique dans les concours de formation des enseignants annoncés par Claude Allègre. De même pour le remodelage de nos banlieues, évoqué hier à l'horizon de vingt ans par Martine Aubry et par Louis Besson
- le temps court, bien sûr, pour la police, la gendarmerie et la justice, car contre la délinquance il faut frapper vite et fort. Se donner les moyens d'enquêtes rapides par la police scientifique et technique de proximité ainsi que l'a souligné Alain Richard et traiter autant que possible les affaires judiciaires en temps réel, comme Elisabeth Guigou l'a suggéré, en s'appuyant en particulier sur la territorialisation de l'action publique.
De ce colloque si riche de propositions, quelques grands axes se dégagent déjà à l'évidence :
1) Il n'est pas de société policée -c'est-à-dire civilisée- sans valeurs partagées :
Que les valeurs de la citoyenneté -ensemble indissociable de droits et de devoirs- viennent à s'effacer, et c'est le risque de l'anomie sociale qui menace :
la République est un régime de liberté, elle n'est pas un régime d'anarchie, car la liberté s'organise. Elle implique des règles définies en commun, et par conséquent des limites. Il faut le comprendre : c'est l'objet même de l'éducation civique.
Une société qui ne croit plus en ses valeurs ne peut plus les transmettre. Est-ce un hasard si la délinquance des mineurs a doublé de 1973 à 1996, et si sa part dans la délinquance générale est passée de 9,7 à 17,9 % ? On ne peut pas mettre un policier derrière chaque Français !
2) Deuxième leçon : la proximité est le gage de la confiance de la population.
La police de proximité est un défi pour la police nationale qu'elle a déjà commencé à relever : la Préfecture de Police a entrepris de réformer ses structures pour répondre aux attentes des Parisiens. Dans les régions aussi, un effort de permanence 24 heures sur 24 va être entrepris. Les moyens nouveaux, à commencer par les adjoints de sécurité, seront systématiquement affectés aux départements et aux zones qui concentrent plus des quatre cinquièmes de la délinquance. Laissant vagabonder mon imagination, j'imaginerais volontiers, à l'exemple du Plan "Universités 2000", un plan quinquennal "Sécurité proximité 2002" pour accélérer la construction de commissariats de proximité dans les quartiers difficiles.
L'effort des collectivités locales et des associations prendra aussi le relais. Des contrats locaux de sécurité seront passés à l'initiative des Préfets, des Procureurs de la République et des maires, en s'appuyant sur des diagnostics largement débattus avec tous les acteurs locaux de la sécurité.
Puis-je faire une suggestion ? Que sur la base des actes de ce colloque national, des colloques départementaux ou locaux permettent les mêmes décloisonnements, les mêmes échanges fructueux car nous souffrons dans notre pays d'un excessif repli de chaque institution sur elle-même. La proximité, c'est aussi cela : la mise en commun.
3) Troisième conclusion de ce colloque,
La sécurité ne va pas sans la sanction, lorsqu'on n'a pas su prévenir l'infraction de la loi. La coopération entre la justice et la police sortira renforcée de nos échanges même si des sanctions adaptées aux formes variées de la délinquance, et singulièrement à la délinquance des mineurs peuvent faire l'objet de recherches plus approfondies. Faut-il en rester à la philosophie de l'ordonnance de 1945 sur la protection judiciaire de la jeunesse ? Suffit-il d'augmenter les moyens ? Ne faut-il pas trouver des formules nouvelles pour isoler les quelques délinquants multi-récidivistes qui forment dans les quartiers le noyau dur de la violence urbaine ?
Comme l'a souligné le Directeur de la prison de Loos dans une intervention remarquée : ce n'est pas tant la privation de liberté qui devrait faire problème que les conditions de détention et le déni de tout droit aux détenus. Leçon parfaitement admise dans les démocraties scandinaves, étant bien entendu qu'à l'horizon de la sanction, il doit toujours y avoir le souci d'une réinsertion dans la société.
Un grand chantier a ainsi été ouvert pour améliorer l'efficacité de cette chaîne qui, de la prévention à la répression des actes délictueux, lie la police, la gendarmerie, la justice et, je serais tenté d'ajouter les médias, tant la représentation de la délinquance et de la société où elle s'enracine redouble ses effets de peur et de fascination.
Bref, il n'y a pas de politique de sécurité républicaine qui ne parte de quelques concepts clairs, si possible partagés. Je souhaite que le dialogue si riche entamé ici, à Villepinte, se poursuive, entre tous les acteurs de la sécurité, avec les citoyens, dans la presse et bien sûr aussi sur le terrain.
J'aurai l'occasion, dans les prochains mois, d'aller sur place, dans les régions, dans les villes, dans les quartiers, pour m'entretenir avec les responsables, de la mise en place des contrats locaux de sécurité. Les questions qui ont fait ici l'objet de nos échanges devront trouver là l'occasion de solutions pratiques. Je n'ai pas de tâche plus urgente.
Merci, Monsieur le Premier ministre, d'avoir bien voulu marquer encore une fois, en concluant nos travaux, la place que le gouvernement et vous-même, accordez aux attentes des Français en matière de sécurité. Je vous cède la parole.
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 11 juin 2001)