Interview de M. François Hollande, Premier secrétaire du PS, à "LCI", le 20 décembre 2001, sur le mécontement des policiers, leur conflit avec les magistrats sur l'application des modalités de la garde-à-vue, la décision du Conseil constitutionnel relative au financement des 35 heures et les différents accords électoraux signés par les socialistes avec les autres partis de la majorité.

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Texte intégral

A. Hausser Il semble que la grogne des policiers ait porté ses fruits. J. Dray a présenté ses propositions. Les modalités de garde à vue devraient être modifiées, celles de l'enregistrement des interrogatoires également. Il est question de la création d'une police des transferts des détenus. L. Jospin a promis de tenir compte de ces propositions. Quand pourraient-elles être mises en oeuvre, compte tenu du calendrier assez serré ?
- "J. Dray a travaillé rapidement. Un rapport lui avait été demandé il y a à peine trois semaines. Il en a délivré les conclusions au Premier ministre hier. Il faut en tirer toutes les conséquences. C'est ce qu'a dit d'ailleurs L. Jospin. Il faut, notamment pour les mesures d'application, un certain nombre de circulaires, de décrets, et les prendre le plus vite possible. Pour ce qui est de la réforme d'un certain nombre de procédures, il faudra sans doute plus de temps, parce que c'est plus compliqué. Mais il faut aller le plus vite possible, dans le respect des principes de la loi."
Le respect de la loi, mais aussi l'écoute de ceux qui l'appliquent...
- "Bien sûr. J. Dray est allé voir des policiers, des gendarmes, des magistrats. Il a recueilli non pas des opinions sur la loi - c'est une affaire qui intéresse le législateur qui doit néanmoins entendre -, mais il a surtout recueilli des opinions, des avis, des témoignages sur l'application de la loi. Or, il a été démontré que des interprétations n'étaient pas bonnes. Il y avait des lourdeurs et même des contraintes. Sur la première heure de la garde à vue, il y a un certain nombre de difficultés d'application. J. Dray, et j'espère, le Gouvernement, doivent en tenir compte et faire en sorte que cette loi puisse s'appliquer en ayant le souci de la présomption d'innocence - c'est son but -, mais le souci de pouvoir traduire devant les tribunaux ceux qui se sont livrés à des actes de délinquance ou de criminalité."
Ce sont les policiers qui gagnent contre les magistrats ?
- "Non, c'est la loi qui doit gagner."
C'est une réponse vague...
- "Il ne s'agit pas de donner priorité aux magistrats par rapport aux policiers ou l'inverse, ce serait absurde. Il faut faire en sorte que les policiers puissent arrêter des présumés innocents sans doute, mais qui peuvent avoir été coupables. C'est la loi qui en indique les principes. Ceux qui se sont livrés à des actes de délinquance ou de criminalité doivent être appréhendés par les forces de police, interrogés, capables de passer des aveux. S'ils n'en passent pas, ils sont de toute façon traduits devant les magistrats qui, eux, ont à prendre leur décision. On est dans un Etat de droit. Et l'Etat de droit, comme l'avait dit d'ailleurs R. Badinter dans une très belle formule, n'est pas un "Etat de faiblesse"."
La morale de cette histoire, c'est qu'il faut être davantage à l'écoute ? Quand on veut, on peut ?
- "La morale de cette histoire, c'est qu'il ne suffit pas de voter des lois, il faut veiller à leur très bonne application. Et la deuxième morale : quand il y a un problème d'application, il faut le régler. Il n'y a rien de pire que de se décharger finalement sur des fonctionnaires, d'autorité sans doute, magistrats comme policiers, d'une responsabilité qui est de l'ordre des pouvoirs publics. S'il y a un problème d'application, on le règle. S'il y a un problème de construction de la loi, à ce moment-là, on revoit la loi. Mais lorsqu'il s'agit d'une loi qui est reconnue par tous comme respectueuse des principes, et en même temps, capable d'être efficace pour régler les problèmes d'insécurité, il faut l'appliquer et l'appliquer encore mieux. Et prendre toutes les mesures nécessaires..."
On assiste à une surenchère ?
- "Je ne crois pas. Il y a eu beaucoup de responsabilités de la part des magistrats et des policiers qui ont dit ce qu'ils pouvaient penser, non pas de la loi, car c'est une affaire de peuple et de législateurs, mais qui ont dit qu'il y avait des problèmes d'application. Ce qu'a fait J. Dray, au nom du Gouvernement, c'est de prendre ce qu'il y avait dans ces témoignages de plus juste, de plus réel, de plus adapté à ce qui est vécu par les magistrats et les policiers, pour en faire les conclusions indispensables."
Il y a un autre souci, c'est le financement des 35 heures, censuré partiellement par le Conseil constitutionnel. Est-ce un simple problème technique qu'on va régler de manière technique, avec des artifices comptables ? Ou est-ce que le Conseil constitutionnel a [opéré] une censure politique ?
- "On pourrait interpréter les décisions du Conseil constitutionnel, regarder la majorité politique de cette instance, et je pourrais, à ce moment-là, en faire des commentaires d'ordre purement politique. Je ne le ferai pas. Si le Conseil constitutionnel a censuré telle ou telle disposition, c'était pour des raisons juridiques et non pas politiques. Il faut répondre juridiquement et techniquement à des observations du Conseil constitutionnel. Je vais revenir au fond du sujet : depuis deux ans, il y a des excédents de Sécurité sociale - je dis bien des "excédents". Souvenez-vous : pendant les années Juppé, il y avait 60-65 milliards de déficit de la Sécurité sociale. Grâce à la croissance et aux 35 heures, nous avons eu des excédents de Sécurité sociale. Quand on dit "financer les 35 heures", c'est "financer les exonérations de cotisations sociales des employeurs pour passer aux 35 heures". Qu'on ne se trompe pas : il ne s'agit pas de financer par des moyens budgétaires, les salariés pour qu'ils passent au 35 heures. C'est pour financer les exonérations de cotisations sociales des employeurs. Le Gouvernement a dit qu'il y avait des excédents de Sécurité sociale produits par la croissance et par les créations d'emplois des 35 heures. Il n'est pas anormal qu'il y ait une forme de recyclage. Le Conseil constitutionnel dit qu'il n'est pas possible de le faire de cette manière. On le fera d'une autre manière. Dire qu'il y a des excédents de Sécurité sociale produits par la croissance et par les 35 heures qui vont servir, pour partie assez faible, au financement des exonérations de cotisations sociales, c'est la logique même. Cette logique-là n'a pas à être remise en cause."
Et on ne change rien sur le fond ?
- "Non. On a une logique de cette nature : il y a des excédents produits par des créations d'emplois nés des 35 heures, et il n'est pas anormal que cela finance un certain nombre des exonérations de cotisations sociales pour les 35 heures. C'est 35 milliards. Le chiffre est à peu près comparable : 35 heures, 35 milliards... A ce moment-là, ce n'est pas anormal qu'une partie des excédents serve à ce financement des employeurs. Mais si la droite ou le Medef ne veulent plus de ces exonérations de charges sociales, qu'ils nous le disent..."
Un mot de politique. Le PS a signé un accord électoral avec les radicaux de gauche. Avec les Verts, les négociations sont un peu laborieuses. Le Parti socialiste a présenté un candidat contre E. Zuccarelli, ancien ministre, élu de Bastia, mais contre le processus de Matignon. Le processus, c'est la nouvelle ligne de partage ?
- "E. Zuccarelli a été ministre de L. Jospin. C'est un ami personnel. Nous avons siégé pendant des années à l'Assemblée nationale. J'ai pour lui le plus grand respect. Mais il défend - et c'est bien son droit - une position sur le processus de Matignon qui n'est pas celle des socialistes. Il n'est pas anormal que dans cette circonscription, comme d'une manière générale, en Corse, chacun y aille au premier tour, sous sa bannière. Bien évidemment, nous nous retrouverons au second tour, et je l'espère, nous permettrons la victoire de la gauche, là-bas aussi, en Corse."
Idem à Belfort contre J.-P. Chevènement ?
- "Idem. J.-P. Chevènement se présente à l'élection présidentielle : c'est bien son droit. Il ne veut pas d'accord électoral avec le Parti socialiste, pour le moment : c'est bien également sa responsabilité. Il entend présenter des candidats partout en France, y compris dans ma propre circonscription, et il en a parfaitement la liberté. Mais nous pouvons aussi avoir la nôtre, c'est-à-dire de présenter des candidats partout."
Répondez-moi par "oui" ou par "non" : est-ce que le père de famille que vous êtes, est favorable à la semaine de cinq jours pour les élèves ?
- J'y suis plutôt favorable, mais je ne suis pas forcément présent à la maison les cinq jours. C'est cela, mon problème..."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 20 décembre 2001)