Texte intégral
Pour la France, conquérir la paix sociale
Changer le pouvoir, construire une société de responsabilité, cela doit s'appliquer au domaine social autant qu'à la vie politique.
Instaurer la responsabilité des partenaires sociaux, c'est une révolution aussi importante que celle qui instaurera l'autonomie des pouvoirs locaux. Dans les deux cas, l'État reconnaît enfin la légitimité de ses partenaires naturels.
Le mépris et le passage en force auxquels répondent la grève et la manifestation sont-ils les seuls moyens de gérer nos relations sociales ?
Les conflits à répétition que nous connaissons ces dernières semaines (gendarmes, policiers, médecins, enseignants, infirmières, etc.) laissent le sentiment que la culture de l'affrontement et du conflit seraient indépassables.
Ce n'est pas ma conviction. Il est possible de construire les bases d'une démocratie sociale assez solide pour pacifier nos relations sociales. Je veux rompre avec le passé, avec cette prééminence du conflit sur la négociation, du diktat sur le dialogue.
Le dialogue social dans notre pays connaît une crise profonde. Les salariés qui ne sont pas entendus assez tôt sont subitement placés devant des plans sociaux.
Le pouvoir politique s'arroge le droit de traiter des plus infimes détails en légiférant de plus en plus (sur les 35 heures par exemple).
Les syndicats et le patronat ne sont même pas consultés (par exemple sur la loi de modernisation sociale).
L'Etat n'a pas le souci de faire discuter entre eux les partenaires sociaux avant de décider. C'est cela avait provoqué les grandes grèves de 1995.
Lorsqu'il s'agit du paritarisme (Sécurité Sociale, assurance chômage, formation, etc.), l'Etat n'hésite pas à réduire l'autonomie des partenaires, à contrecarrer leurs efforts de réforme et à ponctionner les régimes paritaires.
Syndicats et entreprises voient ainsi contestée leur légitimité à traiter des sujets qui sont pourtant les leurs. Au lieu de renforcer le rôle des corps intermédiaires on préfère organiser l'affaiblissement des partenaires sociaux. Ainsi, les syndicats, élément essentiel d'un vrai dialogue social, vivent une situation difficile faute d'une clarification et d'un renforcement de leur représentativité.
Comment construire avec les partenaires sociaux cette nouvelle société dans laquelle la participation et la négociation collective seront les moyens privilégiés de résoudre les problèmes et les instruments majeurs du changement ?
Il faut d'abord en finir avec les bricolages. Seule une réforme d'envergure de nos relations sociales a des chances de réussir. Ainsi, développer la place de l'accord collectif sans garantir la représentativité et les ressources des syndicats est inefficace, incohérent et illégitime.
Il faut repenser notre droit social (droit de la négociation, de la grève, de la participation, du syndicalisme). Les organisations syndicales et patronales ont déjà avancé des propositions dans le cadre de la refondation sociale et en dehors d'elle.
Je propose que la France organise dès l'automne 2002, sous la présidence effective du nouveau président de la République les États généraux de la démocratie sociale pour dresser le bilan et négocier les nouvelles règles de nos relations sociales.
Notre démocratie sociale doit être repensée en s'inspirant des pratiques des pays voisins et du droit européen. La France a beaucoup à gagner à ne pas rester à l'écart de l'évolution des pays européens.
Au lieu de les affaiblir et de les contrecarrer, je considère que la mission de l'État est de garantir et de renforcer la légitimité de la négociation entre partenaires sociaux.
1 L'autorité de la négociation : " discuter vraiment "
La France n'a pas de culture de négociation.
Je veux inscrire le droit à la négociation dans notre constitution, comme c'est le cas au niveau européen.
En consacrant au plus haut niveau - dans la constitution - le droit de négociation, nous donnons au conseil constitutionnel les moyens nécessaires pour faire respecter l'autonomie des partenaires sociaux (lorsque le parlement légifère sans respect des partenaires sociaux) . L'accord collectif doit être privilégié et respecté par le politique. Ainsi, il est inacceptable que l'accord sur le plan d'aide au retour à l'emploi (PARE) se soit heurté à la mauvaise volonté de Martine Aubry. Il faut s'inspirer du traité d'Amsterdam reprenant le protocole social de Maastricht : aucune loi sociale ne doit pouvoir être votée sans que les partenaires sociaux aient préalablement négocié.
On se plaint des grèves de fonctionnaires à répétition. Il faut en finir avec ce système archaïque qui pousse les fonctionnaires à la grève. Il faut en finir avec une vision conflictuelle et monarchique de la gestion des personnels de l'Etat. La grève, la manifestation poussant parfois à la démission des ministres, ne doivent pas être les seuls moyens d'expression des fonctionnaires. Les fonctionnaires doivent se voir reconnaître, comme les autres salariés, le droit élémentaire à négocier avec leurs directions. Pourquoi avoir autant tergiversé sur ce sujet ? Martine Aubry n'a jamais tenu l'engagement qu'elle avait pris d'ouvrir un droit à la négociation dans les hôpitaux (protocole de mars 2001).
La négociation collective qui doit être consacrée dans nos textes fondamentaux et ouverte à tous, doit également couvrir beaucoup plus de sujets.
Concernant les plans sociaux qui touchent si profondément les salariés notamment les plus âgés, il est absurde d'imaginer les interdire, mais il serait normal que les décisions qui sont prises par les entreprises soient précédées par une vraie négociation. Il s'agit de dépasser la simple consultation du comité d'entreprise. Celle-ci, pour nécessaire et utile qu'elle soit, reste en effet insuffisante. En revanche, la conclusion d'un accord collectif, lorsqu'il est signé par des syndicats représentatifs et majoritaires auprès des salariés, garantit qu'un compromis équilibré sur l'emploi a été atteint, que des contreparties sérieuses sont trouvées.
2- Que la grève devienne le " recours ultime "
Notre pays accuse un retard considérable dans le domaine de la prévention des conflits.
Depuis le 19ème siècle nous ne sommes pas parvenus à faire fonctionner des mécanismes de règlement à froid des problèmes. Trop souvent, les litiges notamment dans les services publics entraînent des grèves à répétition, avant toute négociation ! Les arrêts de travail sont coûteux pour les grévistes et pour les entreprises. Ils ont des conséquences catastrophiques pour les usagers des services publics. Comment éviter d'en arriver là ?
Il faut que nous nous inspirions de la notion de " paix sociale " reconnue et pratiquée dans les autres pays européens .
La notion de paix sociale impose un délai de plusieurs années (de 2 à 5 ans) après la conclusion d'un accord collectif, pendant lequel les signataires renoncent à la grève sur les conclusions de l'accord pendant sa période de validité.
Cette idée nouvelle est le vrai moyen d'obtenir un véritable service garanti. L'instauration dans notre pays des clauses de paix sociale figurant dans nos accords collectifs garantira de longues périodes exemptes de toute grève (pendant 1 à 5 ans). Il faut légaliser en France les clauses de " paix sociale ". La paix sociale et le dialogue social doivent être la norme et la grève l'exception.
3- Le droit de saisir
De même, la grève ne doit plus être le moyen d'obtenir l'ouverture d'une négociation. Je veux que le droit à être entendu et à négocier devienne un droit effectif des Français. Il faut ouvrir pour tous un droit de saisir les décideurs.
Dès lors que survient un problème collectif, il doit y avoir discussion immédiate et pacifique. Il faut ainsi que les Français puissent tirer des " sonnettes d'alarme " avant que l'on arrive à une situation de blocage ou de conflit .
D'autre part, avant de se tourner vers les tribunaux, des voies de résolution des litiges individuels - notamment sur les cas de discrimination, de harcèlement, d'une injustice ressentie - doivent exister (au sein des entreprises dans les grandes firmes et au niveau des branches pour les PME) . Je propose, pour les cas individuels, la création d'un recours immédiat devant une instance paritaire.
Les problèmes individuels doivent pouvoir trouver une autre issue que la grève, la manifestation de rue, ou des tribunaux engorgés (avec des délais considérables, parfois plusieurs années) ou une administration débordée qui n'est pas dans son rôle. Il faut des lieux paritaires de règlement des griefs qui traitent le problème rapidement (dans les 10 jours).
De grandes entreprises en accord avec les organisations syndicales se sont déjà engagées dans de telles réformes. On ne peut imaginer que dans les années qui viennent les tribunaux (au plan civil et pénal) soient englués dans la résolution des problèmes d'équité et de justice au sein des entreprises et des administrations (alors que la gauche a prévu cette judiciarisation avec les récentes lois sur la discrimination et le harcèlement).
4 Des syndicats représentatifs et reconnus : " des partenaires solides, pas des adversaires " ; l'accord majoritaire
Une démarche sincère de développement de l'accord collectif et de la participation aux décisions suppose que les partenaires sociaux, auxquels sont confiés des pouvoirs étendus, aient une légitimité et une représentativité incontestable.
Il est en effet inimaginable de construire une société fondée sur la participation et d'étendre le champ de la négociation collective (notamment vis à vis de la loi) sans que soit garantie la représentativité des représentants patronaux et salariés et sans que leurs moyens d'action ne soient renforcés.
Ce d'autant plus que la reconnaissance d'une légitimité nouvelle des accords collectifs impose une évolution dans leur pratique. Je propose que la notion d'accord collectif évolue vers l'accord majoritaire.
Si l'accord est considéré comme l'élément majeur de la vie sociale en France, on ne peut en rester à la pratique actuelle, déresponsabilisante et souvent choquante, de l'accord conclu avec des organisations que l'on sait minoritaires.
Si les partenaires sociaux le souhaitent, on peut imaginer une période transitoire pendant laquelle un accord minoritaire pourrait être censuré par le veto majoritaire. Ce serait mieux que la situation actuelle. Mais ma préférence va clairement pour l'avenir des relations sociales à l'accord majoritaire.
La notion d'accord majoritaire suppose la garantie et la vérification de la représentativité des organisations.
Pour y parvenir, il convient d'abord de généraliser le recours aux élections professionnelles.
Des élections de représentativité doivent être organisées dans toutes les entreprises le même jour partout en France. Ces élections ouvertes à tous les syndicats permettront de connaître la représentativité des différentes organisations aussi bien dans les entreprises que dans les branches. Nous disposerons d'une base pour mesurer la représentativité au niveau national et procéder ainsi aux désignations dans les régimes paritaires.
Mais, ces élections ne doivent pas précipiter le syndicalisme dans une logique purement électorale qui les priverait d'un contact étroit avec les salariés. Aussi, faut-il développer le nombre des adhérents réguliers des syndicats. Le développement de l'adhésion auquel les pouvoirs publics peuvent contribuer est un outil de démocratisation et c'est un moyen d'assurer l'autonomie des syndicats. Le financement des syndicats ne doit pas passer prioritairement par des aides publiques ou une taxation des entreprises qui n'irait pas dans le sens de la nécessaire indépendance du syndicalisme mais par les cotisations. Tous les efforts doivent être faits pour aller dans cette direction. Un exemple : rembourser 40 % de leur cotisation à ceux qui ne sont pas imposables et ne peuvent donc déduire actuellement ce montant de leur impôt.
En 1791 les corps intermédiaires ont été interdits, il a fallu attendre un siècle avant que les syndicats ne soient autorisé. Hélas, de manière symptomatiques, ils ne furent légalisés que 20 ans après la grève (1884). Quant aux développements tardifs de la négociation, il ont été pénibles et lacunaires, en se heurtant aux réticences des ultras libéraux et des républicains les plus étatistes. Jacques Delors, alors conseiller de Jacques Chaban Delmas avait amorcé au début des années 70 la construction de cette nouvelle société où les partenaires sociaux (tous y compris la CGT) négocient de grands accords réformant notre pays (sur la formation continue par exemple). L'expérience fut sans lendemain.
Il est temps de franchir une étape. La négociation n'a pas encore la place qui lui revient dans notre société, c'est cette étape historique que je souhaite franchir.
5- Participation des travailleurs aux décisions : " aller plus loin "
Il faut en finir avec l'idée que l'on améliorera la participation aux décisions dans les entreprises ou les administrations en multipliant les instances et en complexifiant le système. Notre système se caractérise par la juxtaposition des types de représentation du personnel (Comité d'entreprise, délégués du personnel, CHS-CT, délégués syndicaux). Cela n'est pas le gage d'une meilleure écoute des salariés. D'autant qu'à côté de ce système complexe propre aux grandes firmes subsiste la réalité des petites entreprises où, sauf volontarisme patronal, le dialogue social est trop souvent absent.
Dans le secteur privé, il faut renforcer l'association des travailleurs à la vie des entreprises de deux manières. D'une part en rationalisant le système de représentation du personnel ; il faudrait étendre la formule de délégation unique du personnel (DUP qui regroupe CE et délégués du personnel) telle qu'elle existe actuellement entre 50 et 200 salariés. Nous proposons que ce lieu unique mais fort de dialogue soit mis en place jusqu'à 500 salariés. Dans la fonction publique, il faut profondément revoir un système de participation et de dialogue dépassé. Les comités techniques paritaires sont, de l'avis général, une forme peu satisfaisante de participation des fonctionnaires à la modernisation des services. Il faut examiner comment des comités d'entreprise et d'établissement sur le modèle du droit commun pourraient remplacer cette institution insuffisamment efficace.
Enfin, nous pouvons aller plus loin dans une approche de co-responsabilité. L'association des salariés à l'administration des entreprises qu'ils soient ou non actionnaires de l'entreprise doit progresser. Il faut soutenir les efforts des sociétés qui font une place aux représentants des salariés dans leurs instances de direction (au Conseil d'administration ou dans le conseil de surveillance).
(source http://www.bayrou.net, le 13 février 2002)
Changer le pouvoir, construire une société de responsabilité, cela doit s'appliquer au domaine social autant qu'à la vie politique.
Instaurer la responsabilité des partenaires sociaux, c'est une révolution aussi importante que celle qui instaurera l'autonomie des pouvoirs locaux. Dans les deux cas, l'État reconnaît enfin la légitimité de ses partenaires naturels.
Le mépris et le passage en force auxquels répondent la grève et la manifestation sont-ils les seuls moyens de gérer nos relations sociales ?
Les conflits à répétition que nous connaissons ces dernières semaines (gendarmes, policiers, médecins, enseignants, infirmières, etc.) laissent le sentiment que la culture de l'affrontement et du conflit seraient indépassables.
Ce n'est pas ma conviction. Il est possible de construire les bases d'une démocratie sociale assez solide pour pacifier nos relations sociales. Je veux rompre avec le passé, avec cette prééminence du conflit sur la négociation, du diktat sur le dialogue.
Le dialogue social dans notre pays connaît une crise profonde. Les salariés qui ne sont pas entendus assez tôt sont subitement placés devant des plans sociaux.
Le pouvoir politique s'arroge le droit de traiter des plus infimes détails en légiférant de plus en plus (sur les 35 heures par exemple).
Les syndicats et le patronat ne sont même pas consultés (par exemple sur la loi de modernisation sociale).
L'Etat n'a pas le souci de faire discuter entre eux les partenaires sociaux avant de décider. C'est cela avait provoqué les grandes grèves de 1995.
Lorsqu'il s'agit du paritarisme (Sécurité Sociale, assurance chômage, formation, etc.), l'Etat n'hésite pas à réduire l'autonomie des partenaires, à contrecarrer leurs efforts de réforme et à ponctionner les régimes paritaires.
Syndicats et entreprises voient ainsi contestée leur légitimité à traiter des sujets qui sont pourtant les leurs. Au lieu de renforcer le rôle des corps intermédiaires on préfère organiser l'affaiblissement des partenaires sociaux. Ainsi, les syndicats, élément essentiel d'un vrai dialogue social, vivent une situation difficile faute d'une clarification et d'un renforcement de leur représentativité.
Comment construire avec les partenaires sociaux cette nouvelle société dans laquelle la participation et la négociation collective seront les moyens privilégiés de résoudre les problèmes et les instruments majeurs du changement ?
Il faut d'abord en finir avec les bricolages. Seule une réforme d'envergure de nos relations sociales a des chances de réussir. Ainsi, développer la place de l'accord collectif sans garantir la représentativité et les ressources des syndicats est inefficace, incohérent et illégitime.
Il faut repenser notre droit social (droit de la négociation, de la grève, de la participation, du syndicalisme). Les organisations syndicales et patronales ont déjà avancé des propositions dans le cadre de la refondation sociale et en dehors d'elle.
Je propose que la France organise dès l'automne 2002, sous la présidence effective du nouveau président de la République les États généraux de la démocratie sociale pour dresser le bilan et négocier les nouvelles règles de nos relations sociales.
Notre démocratie sociale doit être repensée en s'inspirant des pratiques des pays voisins et du droit européen. La France a beaucoup à gagner à ne pas rester à l'écart de l'évolution des pays européens.
Au lieu de les affaiblir et de les contrecarrer, je considère que la mission de l'État est de garantir et de renforcer la légitimité de la négociation entre partenaires sociaux.
1 L'autorité de la négociation : " discuter vraiment "
La France n'a pas de culture de négociation.
Je veux inscrire le droit à la négociation dans notre constitution, comme c'est le cas au niveau européen.
En consacrant au plus haut niveau - dans la constitution - le droit de négociation, nous donnons au conseil constitutionnel les moyens nécessaires pour faire respecter l'autonomie des partenaires sociaux (lorsque le parlement légifère sans respect des partenaires sociaux) . L'accord collectif doit être privilégié et respecté par le politique. Ainsi, il est inacceptable que l'accord sur le plan d'aide au retour à l'emploi (PARE) se soit heurté à la mauvaise volonté de Martine Aubry. Il faut s'inspirer du traité d'Amsterdam reprenant le protocole social de Maastricht : aucune loi sociale ne doit pouvoir être votée sans que les partenaires sociaux aient préalablement négocié.
On se plaint des grèves de fonctionnaires à répétition. Il faut en finir avec ce système archaïque qui pousse les fonctionnaires à la grève. Il faut en finir avec une vision conflictuelle et monarchique de la gestion des personnels de l'Etat. La grève, la manifestation poussant parfois à la démission des ministres, ne doivent pas être les seuls moyens d'expression des fonctionnaires. Les fonctionnaires doivent se voir reconnaître, comme les autres salariés, le droit élémentaire à négocier avec leurs directions. Pourquoi avoir autant tergiversé sur ce sujet ? Martine Aubry n'a jamais tenu l'engagement qu'elle avait pris d'ouvrir un droit à la négociation dans les hôpitaux (protocole de mars 2001).
La négociation collective qui doit être consacrée dans nos textes fondamentaux et ouverte à tous, doit également couvrir beaucoup plus de sujets.
Concernant les plans sociaux qui touchent si profondément les salariés notamment les plus âgés, il est absurde d'imaginer les interdire, mais il serait normal que les décisions qui sont prises par les entreprises soient précédées par une vraie négociation. Il s'agit de dépasser la simple consultation du comité d'entreprise. Celle-ci, pour nécessaire et utile qu'elle soit, reste en effet insuffisante. En revanche, la conclusion d'un accord collectif, lorsqu'il est signé par des syndicats représentatifs et majoritaires auprès des salariés, garantit qu'un compromis équilibré sur l'emploi a été atteint, que des contreparties sérieuses sont trouvées.
2- Que la grève devienne le " recours ultime "
Notre pays accuse un retard considérable dans le domaine de la prévention des conflits.
Depuis le 19ème siècle nous ne sommes pas parvenus à faire fonctionner des mécanismes de règlement à froid des problèmes. Trop souvent, les litiges notamment dans les services publics entraînent des grèves à répétition, avant toute négociation ! Les arrêts de travail sont coûteux pour les grévistes et pour les entreprises. Ils ont des conséquences catastrophiques pour les usagers des services publics. Comment éviter d'en arriver là ?
Il faut que nous nous inspirions de la notion de " paix sociale " reconnue et pratiquée dans les autres pays européens .
La notion de paix sociale impose un délai de plusieurs années (de 2 à 5 ans) après la conclusion d'un accord collectif, pendant lequel les signataires renoncent à la grève sur les conclusions de l'accord pendant sa période de validité.
Cette idée nouvelle est le vrai moyen d'obtenir un véritable service garanti. L'instauration dans notre pays des clauses de paix sociale figurant dans nos accords collectifs garantira de longues périodes exemptes de toute grève (pendant 1 à 5 ans). Il faut légaliser en France les clauses de " paix sociale ". La paix sociale et le dialogue social doivent être la norme et la grève l'exception.
3- Le droit de saisir
De même, la grève ne doit plus être le moyen d'obtenir l'ouverture d'une négociation. Je veux que le droit à être entendu et à négocier devienne un droit effectif des Français. Il faut ouvrir pour tous un droit de saisir les décideurs.
Dès lors que survient un problème collectif, il doit y avoir discussion immédiate et pacifique. Il faut ainsi que les Français puissent tirer des " sonnettes d'alarme " avant que l'on arrive à une situation de blocage ou de conflit .
D'autre part, avant de se tourner vers les tribunaux, des voies de résolution des litiges individuels - notamment sur les cas de discrimination, de harcèlement, d'une injustice ressentie - doivent exister (au sein des entreprises dans les grandes firmes et au niveau des branches pour les PME) . Je propose, pour les cas individuels, la création d'un recours immédiat devant une instance paritaire.
Les problèmes individuels doivent pouvoir trouver une autre issue que la grève, la manifestation de rue, ou des tribunaux engorgés (avec des délais considérables, parfois plusieurs années) ou une administration débordée qui n'est pas dans son rôle. Il faut des lieux paritaires de règlement des griefs qui traitent le problème rapidement (dans les 10 jours).
De grandes entreprises en accord avec les organisations syndicales se sont déjà engagées dans de telles réformes. On ne peut imaginer que dans les années qui viennent les tribunaux (au plan civil et pénal) soient englués dans la résolution des problèmes d'équité et de justice au sein des entreprises et des administrations (alors que la gauche a prévu cette judiciarisation avec les récentes lois sur la discrimination et le harcèlement).
4 Des syndicats représentatifs et reconnus : " des partenaires solides, pas des adversaires " ; l'accord majoritaire
Une démarche sincère de développement de l'accord collectif et de la participation aux décisions suppose que les partenaires sociaux, auxquels sont confiés des pouvoirs étendus, aient une légitimité et une représentativité incontestable.
Il est en effet inimaginable de construire une société fondée sur la participation et d'étendre le champ de la négociation collective (notamment vis à vis de la loi) sans que soit garantie la représentativité des représentants patronaux et salariés et sans que leurs moyens d'action ne soient renforcés.
Ce d'autant plus que la reconnaissance d'une légitimité nouvelle des accords collectifs impose une évolution dans leur pratique. Je propose que la notion d'accord collectif évolue vers l'accord majoritaire.
Si l'accord est considéré comme l'élément majeur de la vie sociale en France, on ne peut en rester à la pratique actuelle, déresponsabilisante et souvent choquante, de l'accord conclu avec des organisations que l'on sait minoritaires.
Si les partenaires sociaux le souhaitent, on peut imaginer une période transitoire pendant laquelle un accord minoritaire pourrait être censuré par le veto majoritaire. Ce serait mieux que la situation actuelle. Mais ma préférence va clairement pour l'avenir des relations sociales à l'accord majoritaire.
La notion d'accord majoritaire suppose la garantie et la vérification de la représentativité des organisations.
Pour y parvenir, il convient d'abord de généraliser le recours aux élections professionnelles.
Des élections de représentativité doivent être organisées dans toutes les entreprises le même jour partout en France. Ces élections ouvertes à tous les syndicats permettront de connaître la représentativité des différentes organisations aussi bien dans les entreprises que dans les branches. Nous disposerons d'une base pour mesurer la représentativité au niveau national et procéder ainsi aux désignations dans les régimes paritaires.
Mais, ces élections ne doivent pas précipiter le syndicalisme dans une logique purement électorale qui les priverait d'un contact étroit avec les salariés. Aussi, faut-il développer le nombre des adhérents réguliers des syndicats. Le développement de l'adhésion auquel les pouvoirs publics peuvent contribuer est un outil de démocratisation et c'est un moyen d'assurer l'autonomie des syndicats. Le financement des syndicats ne doit pas passer prioritairement par des aides publiques ou une taxation des entreprises qui n'irait pas dans le sens de la nécessaire indépendance du syndicalisme mais par les cotisations. Tous les efforts doivent être faits pour aller dans cette direction. Un exemple : rembourser 40 % de leur cotisation à ceux qui ne sont pas imposables et ne peuvent donc déduire actuellement ce montant de leur impôt.
En 1791 les corps intermédiaires ont été interdits, il a fallu attendre un siècle avant que les syndicats ne soient autorisé. Hélas, de manière symptomatiques, ils ne furent légalisés que 20 ans après la grève (1884). Quant aux développements tardifs de la négociation, il ont été pénibles et lacunaires, en se heurtant aux réticences des ultras libéraux et des républicains les plus étatistes. Jacques Delors, alors conseiller de Jacques Chaban Delmas avait amorcé au début des années 70 la construction de cette nouvelle société où les partenaires sociaux (tous y compris la CGT) négocient de grands accords réformant notre pays (sur la formation continue par exemple). L'expérience fut sans lendemain.
Il est temps de franchir une étape. La négociation n'a pas encore la place qui lui revient dans notre société, c'est cette étape historique que je souhaite franchir.
5- Participation des travailleurs aux décisions : " aller plus loin "
Il faut en finir avec l'idée que l'on améliorera la participation aux décisions dans les entreprises ou les administrations en multipliant les instances et en complexifiant le système. Notre système se caractérise par la juxtaposition des types de représentation du personnel (Comité d'entreprise, délégués du personnel, CHS-CT, délégués syndicaux). Cela n'est pas le gage d'une meilleure écoute des salariés. D'autant qu'à côté de ce système complexe propre aux grandes firmes subsiste la réalité des petites entreprises où, sauf volontarisme patronal, le dialogue social est trop souvent absent.
Dans le secteur privé, il faut renforcer l'association des travailleurs à la vie des entreprises de deux manières. D'une part en rationalisant le système de représentation du personnel ; il faudrait étendre la formule de délégation unique du personnel (DUP qui regroupe CE et délégués du personnel) telle qu'elle existe actuellement entre 50 et 200 salariés. Nous proposons que ce lieu unique mais fort de dialogue soit mis en place jusqu'à 500 salariés. Dans la fonction publique, il faut profondément revoir un système de participation et de dialogue dépassé. Les comités techniques paritaires sont, de l'avis général, une forme peu satisfaisante de participation des fonctionnaires à la modernisation des services. Il faut examiner comment des comités d'entreprise et d'établissement sur le modèle du droit commun pourraient remplacer cette institution insuffisamment efficace.
Enfin, nous pouvons aller plus loin dans une approche de co-responsabilité. L'association des salariés à l'administration des entreprises qu'ils soient ou non actionnaires de l'entreprise doit progresser. Il faut soutenir les efforts des sociétés qui font une place aux représentants des salariés dans leurs instances de direction (au Conseil d'administration ou dans le conseil de surveillance).
(source http://www.bayrou.net, le 13 février 2002)