Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
En ce début d'année, je crois que tous, nous avons le sentiment que les enjeux de notre temps sont en train d'évoluer, fortement, vers plus de démocratie, plus de justice et plus de sécurité en France, en Europe et dans le monde. Qui peut encore ignorer la question de la mondialisation, non seulement des échanges mais aussi des risques, des crimes et des conflits ?
Dans ce contexte, la manière dont l'Union européenne traite ces thématiques est essentielle pour les citoyens, pour l'avenir des institutions et pour la crédibilité de l'action politique.
Nous sommes loin des premiers pas de la construction de l'Europe avec le traité de Rome et une définition purement économique de la question européenne. Ce n'est véritablement que depuis dix ans, en 1992, avec la signature du traité de Maastricht, que l'Europe a clairement posé les principes de respect des droits et libertés fondamentales et initié la coopération des Etats membres en matière de justice civile et pénale.
Dix ans plus tard, où en sommes-nous ?
La question mérite d'être posée. C'est pourquoi je voudrais remercier toute l'équipe du Forum d'avoir organisé ce débat sur l'Europe judiciaire et de me donner ainsi l'occasion de m'exprimer sur un sujet qui me tient à cur tant il me semble impossible d'assurer à nos pays une stabilité et une paix durable sans une justice capable de faire sereinement appliquer le droit sur tout le territoire de l'Union.
Depuis Amsterdam, l'Europe s'est fixé pour objectif prioritaire de devenir un espace de liberté de sécurité et de justice. Il était en effet incontournable d'accompagner ainsi la libre circulation des personnes et de garantir à chaque citoyen européen que des règles communes et des principes fondamentaux seraient appliqués où qu'il se trouve. Dans le même temps, la libre circulation des marchandises, les échanges croissants entre entreprises européennes, nécessitaient un cadre juridique sûr.
Avec les attentats du 11 septembre, ces engagements en faveur d'une plus grande coopération judiciaire ont pris une nouvelle dimension et tous les Etats membres de l'Union européenne se sont remarquablement mobilisés. Parmi eux, la France a pris, très vite, plusieurs initiatives et a milité pour que l'on aboutisse à des décisions opérationnelles, concrètes et utiles. Bien sûr, nous pouvons tous déplorer qu'il ait fallu un 11 septembre pour accélérer le mouvement. Pour autant, nous ne pouvons que nous réjouir de voir que les Quinze peuvent progresser rapidement et solidairement, y compris dans ce domaine sensible qu'est l'Europe pénale, dès lors qu'il existe une forte volonté politique.
Le conseil européen de Tampere avait déjà lancé, à la fin de l'année 1999, les travaux pour la construction de cet espace judiciaire européen. A travers cette démarche, c'est le thème de l'accès à la justice, thème que vous avez d'ailleurs abordé ce matin, qu'il a désigné comme étant une priorité politique.
En effet, lorsque l'on évoque l'espace judiciaire européen, on pense d'abord à un espace où les citoyens peuvent se déplacer et exercer leur activité librement et en toute sécurité, c'est-à-dire un espace où les décisions de justice sont appliquées sans obstacle, et où les litiges peuvent être traités et réglés sans entrave.
La portée des mesures prises dans le domaine pénal, par exemple pour lutter contre la criminalité transnationale organisée et contre le terrorisme, n'est mesurée avant tout, que par les professionnels du droit -et par les criminels. Pour nos concitoyens, l'espace judiciaire européen n'a de sens que s'il leur facilite un accès à la justice de façon équivalente en tout point de l'Union. C'est dans la justice au quotidien, dans le règlement des conflits familiaux, des litiges commerciaux ou de consommation qu'ils peuvent mesurer la construction d'une Union européenne du droit.
C'est la raison pour laquelle nous devons soutenir la négociation de la directive sur l'assistance judiciaire qui va débuter dans quelques jours.
De nombreux progrès ont été accomplis depuis Tampere, comme les chefs d'Etat et de Gouvernement en ont d'ailleurs fait le bilan le 16 décembre dernier, au conseil européen de Laeken.
Je voudrais les évoquer rapidement en essayant d'en tirer des perspectives pour l'avenir de l'Europe judiciaire.
I. TOUT D'ABORD DANS LE DOMAINE CIVIL
Des textes importants ont été adoptés par l'Union européenne. Trois d'entre eux en particulier représentent un pas en avant significatif :
- le règlement sur la compétence judiciaire et la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, qui simplifie radicalement la circulation des jugements civils et commerciaux,
- le règlement sur l'obtention des preuves, qui facilite et accélère les échanges entre juges,
- et la décision mettant en place le réseau judiciaire européen en matière civile et qui donnera une impulsion à la coopération entre juges.
Voilà trois textes qui abaissent les frontières de manière directement perceptible et qui concrétisent un meilleur accès des citoyens européens à la justice.
Que nous soyons consommateur ou chef d'entreprise, l'espace judiciaire européen doit apporter à chacun la sécurité juridique.
Cette sécurité juridique existe quand, à l'occasion d'un contentieux transfrontrière, on peut aisément identifier le juge compétent ou le droit qui doit être appliqué.
Elle existe aussi quand le bénéficiaire d'une créance consacrée par un jugement ou un acte notarié peut exécuter directement ce titre, dans n'importe lequel des États membres où sont situés les actifs de son débiteur, et cela sans avoir à refaire un nouveau procès.
Le concept de titre exécutoire européen repose sur le principe de la reconnaissance mutuelle. Il doit être mis en uvre tant dans le domaine civil que commercial. La Présidence espagnole vient d'engager des travaux sur ce sujet.
Je sais que vos débats ont souligné l'importance des décisions et des projets qui portent sur le droit de la famille.
C'est un sujet difficile. Il concerne une matière où les traditions nationales sont parfois très opposées les unes aux autres. Surtout, il touche un domaine situé au cur de la vie des femmes et des hommes, où les sentiments affleurent naturellement très vite, et où les conflits s'exacerbent rapidement. Parce qu'il s'agit de l'intimité des personnes et à cause des incidences possibles sur d'autres aspects de leur vie, nous devons avoir le souci permanent d'une procédure pacifiée et qui ne génère pas une surenchère dans le conflit. Le droit des enfants, enfin, doit être préservé pour éviter qu'ils ne deviennent l'otage de la séparation de deux adultes.
Soyons clairs : nous constatons de fortes oppositions entre partenaires. A titre d'exemple, les travaux qui devraient permettre de résoudre les difficultés liées au droit de visite des enfants et aux déplacements illicites piétinent depuis des mois. Plus généralement, nous déployons tous les moyens dont nous disposons, y compris sur le plan bilatéral, pour aplanir et réduire ces oppositions malheureusement réelles.
Il est essentiel que des progrès interviennent rapidement sur le plan européen.
J'entends rappeler fermement à mes collègues, la semaine prochaine, lors du conseil qui se tiendra à Saint-Jacques de Compostelle, que nous devons avancer sur ces dossiers beaucoup plus rapidement. Il le faut, pour faire évoluer des situations bloquées et, avec elles, pour faire bouger des mentalités arc-boutées sur elles-mêmes et, disons-le, égoïstes.
Dans tous les domaines, mais dans celui de la famille en particulier le lien entre les lois et les cultures est déterminant. Le rôle des juges l'est aussi - facilitant ou non les évolutions au quotidien. C'est pourquoi ils doivent à tous prix dépasser leurs préjugés nationaux. Il ne doit plus y avoir de discrimination nationale, de favoritisme partisan, entre deux citoyens européens.
Notre rôle, en tant qu'institution judiciaire, en tant que politiciens de l'Europe, est d'aider les juges de nos Etats membres à se rencontrer et ainsi de leur permettre, grâce aux liens noués, de mieux se connaître, se comprendre et s'accepter.
II. DANS LE DOMAINE PENAL
Les conclusions du Conseil européen de Tampere visaient plusieurs objectifs :
- le rapprochement des législations
- la mise en uvre du principe de reconnaissance mutuelle
- le renforcement de la coopération judiciaire
Nous avons progressé dans ces trois domaines :
1. Le rapprochement des législations s'est progressivement étendu aux principales infractions de la criminalité organisée : protection des intérêts financiers de la communauté, corruption, contrefaçon de monnaie, traite des êtres humains, aide à l'entrée et au séjour irréguliers, blanchiment et bien sûr terrorisme. Mais nous devons encore travailler pour ce qui est des infractions liées au trafic de stupéfiants.
Faut-il aller plus loin que la simple harmonisation - et parvenir à des infractions communes au niveau européen. Pourquoi pas ?
La France a joué un rôle majeur dans l'élaboration de ces textes. La décision cadre sur le terrorisme, adoptée en décembre dernier dans des délais très rapides, permet de mettre en uvre une coopération plus efficace au sein de l'Union européenne dans la lutte contre le terrorisme.
2. Le renforcement de l'entraide judiciaire pénale est un enjeu fondamental face à une criminalité grave qui ne connaît plus de frontières. L'efficacité de la lutte contre les agissements de la délinquance transnationale, notamment de la criminalité organisée, passe par une collaboration étroite, efficace et la plus directe possible entre les autorités judiciaires. A cet égard, il faut bien admettre que dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale, nous avons fait de grands pas en avant avec l'adoption de la convention du 29 mai 2000 sur l'entraide judiciaire - et plus récemment avec le protocole sur la lutte contre la criminalité financière.
Ainsi, en mars 2001, nous avons mis en place l'unité provisoire de coopération judiciaire appelée Pro-Eurojust. L'accord sur la décision créant l'unité définitive Eurojust a été trouvé en décembre dernier. Le Gouvernement français y a installé dès le début une équipe dynamique et très active dans cette nouvelle instance qui concrétise l'émergence d'un véritable espace judiciaire européen.
Reste la mise en place d'un dispositif opérationnel de coopération judiciaire au niveau européen.
Dans une première étape, je reste persuadée que nous devons développer plus encore Eurojust et accompagner ce développement.
Nous savons qu'il faut lui donner le temps de faire ses preuves. Pour l'instant, Eurojust a des pouvoirs de coordination et d'incitation forts. Par contre, il n'a pas de pouvoir de déclenchement des poursuites ou d'évocation des affaires.
Faudra-t-il aller plus loin ? Certainement.
Se pose également la question du parquet européen. Le Premier ministre, le Chancelier allemand en ont fait un élément à terme de la construction de l'espace judiciaire. De son côté, la commission vient également de nous inviter à cette réflexion avec son livre vert sur le procureur européen financier et la protection des intérêts financiers communautaires.
De mon point de vue, il faut que l'articulation avec les dispositifs nationaux soit correctement assurée. C'est pourquoi je crois à un parquet européen s'inscrivant dans la continuité d'Eurojust, pas à côté ou au-dessus des dispositifs étatiques, mais liés à ceux-ci.
3. Le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice a donné lieu à un programme de mesures très complet sous impulsion française.
Le mandat d'arrêt européen que nous avons adopté en décembre dans des délais records s'appuie sur ce principe de reconnaissance mutuelle que le conseil européen de Tampere avait consacré. Il se fonde donc sur la confiance réciproque entre les systèmes judiciaires des Etats membres.
C'est une étape importante dans la construction de l'espace judiciaire européen. Surtout, il consacre plus encore le respect de nos règles démocratiques et la protection des droits de la personne humaine.
Le mandat d'arrêt va se substituer, au sein de l'Union, à la procédure actuelle d'extradition, procédure excessivement longue et lourde.
Il va permettre la remise directe des personnes recherchées entre autorités judiciaires, dans la garantie des droits et des libertés fondamentaux.
Les obstacles traditionnels de l'extradition sont supprimés. Néanmoins, nous avons prévu des mécanismes pour éviter tout abus.
En conclusion.
L'Europe de la justice, nous en sommes tous convaincus ici, est une nécessité. C'est une exigence légitime du citoyen européen. En repensant au titre que vous avez choisi pour cette journée de réflexion, je dirai même qu'il ne peut y avoir de véritable citoyenneté européenne sans cet espace de liberté, de sécurité et de justice.
C'est un grand et difficile chantier et cela parce que la justice est au cur des souverainetés nationales. Nous n'aboutirons que si nul ne se sent dépossédé par l'architecture mise en place mais au contraire renforcé et soutenu dans ses droits et dans l'application des décisions rendues. La justice doit gagner en force et en substance grâce à une simplification des procédures, une coopération des organisations nationales et à un champ de compétence territoriale élargie.
L'organisation et les contenus de cet espace devront aussi tenir compte des perspectives d'élargissement de notre Europe.
Tout cela doit se faire de façon transparente et avec le souci de l'intérêt des citoyens car ce sont eux qui fondent tous nos efforts, eux qui sont victimes quand la justice est défaillante, eux qui sont plus forts quand la justice fonctionne. Ce sont certainement des journées ouvertes comme celle d'aujourd'hui qui, en nous faisant mieux comprendre ce que les européens veulent construire ensemble, permettront de réussir l'Europe des citoyens .
Je vous remercie.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 14 février 2002)
Chers amis,
En ce début d'année, je crois que tous, nous avons le sentiment que les enjeux de notre temps sont en train d'évoluer, fortement, vers plus de démocratie, plus de justice et plus de sécurité en France, en Europe et dans le monde. Qui peut encore ignorer la question de la mondialisation, non seulement des échanges mais aussi des risques, des crimes et des conflits ?
Dans ce contexte, la manière dont l'Union européenne traite ces thématiques est essentielle pour les citoyens, pour l'avenir des institutions et pour la crédibilité de l'action politique.
Nous sommes loin des premiers pas de la construction de l'Europe avec le traité de Rome et une définition purement économique de la question européenne. Ce n'est véritablement que depuis dix ans, en 1992, avec la signature du traité de Maastricht, que l'Europe a clairement posé les principes de respect des droits et libertés fondamentales et initié la coopération des Etats membres en matière de justice civile et pénale.
Dix ans plus tard, où en sommes-nous ?
La question mérite d'être posée. C'est pourquoi je voudrais remercier toute l'équipe du Forum d'avoir organisé ce débat sur l'Europe judiciaire et de me donner ainsi l'occasion de m'exprimer sur un sujet qui me tient à cur tant il me semble impossible d'assurer à nos pays une stabilité et une paix durable sans une justice capable de faire sereinement appliquer le droit sur tout le territoire de l'Union.
Depuis Amsterdam, l'Europe s'est fixé pour objectif prioritaire de devenir un espace de liberté de sécurité et de justice. Il était en effet incontournable d'accompagner ainsi la libre circulation des personnes et de garantir à chaque citoyen européen que des règles communes et des principes fondamentaux seraient appliqués où qu'il se trouve. Dans le même temps, la libre circulation des marchandises, les échanges croissants entre entreprises européennes, nécessitaient un cadre juridique sûr.
Avec les attentats du 11 septembre, ces engagements en faveur d'une plus grande coopération judiciaire ont pris une nouvelle dimension et tous les Etats membres de l'Union européenne se sont remarquablement mobilisés. Parmi eux, la France a pris, très vite, plusieurs initiatives et a milité pour que l'on aboutisse à des décisions opérationnelles, concrètes et utiles. Bien sûr, nous pouvons tous déplorer qu'il ait fallu un 11 septembre pour accélérer le mouvement. Pour autant, nous ne pouvons que nous réjouir de voir que les Quinze peuvent progresser rapidement et solidairement, y compris dans ce domaine sensible qu'est l'Europe pénale, dès lors qu'il existe une forte volonté politique.
Le conseil européen de Tampere avait déjà lancé, à la fin de l'année 1999, les travaux pour la construction de cet espace judiciaire européen. A travers cette démarche, c'est le thème de l'accès à la justice, thème que vous avez d'ailleurs abordé ce matin, qu'il a désigné comme étant une priorité politique.
En effet, lorsque l'on évoque l'espace judiciaire européen, on pense d'abord à un espace où les citoyens peuvent se déplacer et exercer leur activité librement et en toute sécurité, c'est-à-dire un espace où les décisions de justice sont appliquées sans obstacle, et où les litiges peuvent être traités et réglés sans entrave.
La portée des mesures prises dans le domaine pénal, par exemple pour lutter contre la criminalité transnationale organisée et contre le terrorisme, n'est mesurée avant tout, que par les professionnels du droit -et par les criminels. Pour nos concitoyens, l'espace judiciaire européen n'a de sens que s'il leur facilite un accès à la justice de façon équivalente en tout point de l'Union. C'est dans la justice au quotidien, dans le règlement des conflits familiaux, des litiges commerciaux ou de consommation qu'ils peuvent mesurer la construction d'une Union européenne du droit.
C'est la raison pour laquelle nous devons soutenir la négociation de la directive sur l'assistance judiciaire qui va débuter dans quelques jours.
De nombreux progrès ont été accomplis depuis Tampere, comme les chefs d'Etat et de Gouvernement en ont d'ailleurs fait le bilan le 16 décembre dernier, au conseil européen de Laeken.
Je voudrais les évoquer rapidement en essayant d'en tirer des perspectives pour l'avenir de l'Europe judiciaire.
I. TOUT D'ABORD DANS LE DOMAINE CIVIL
Des textes importants ont été adoptés par l'Union européenne. Trois d'entre eux en particulier représentent un pas en avant significatif :
- le règlement sur la compétence judiciaire et la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, qui simplifie radicalement la circulation des jugements civils et commerciaux,
- le règlement sur l'obtention des preuves, qui facilite et accélère les échanges entre juges,
- et la décision mettant en place le réseau judiciaire européen en matière civile et qui donnera une impulsion à la coopération entre juges.
Voilà trois textes qui abaissent les frontières de manière directement perceptible et qui concrétisent un meilleur accès des citoyens européens à la justice.
Que nous soyons consommateur ou chef d'entreprise, l'espace judiciaire européen doit apporter à chacun la sécurité juridique.
Cette sécurité juridique existe quand, à l'occasion d'un contentieux transfrontrière, on peut aisément identifier le juge compétent ou le droit qui doit être appliqué.
Elle existe aussi quand le bénéficiaire d'une créance consacrée par un jugement ou un acte notarié peut exécuter directement ce titre, dans n'importe lequel des États membres où sont situés les actifs de son débiteur, et cela sans avoir à refaire un nouveau procès.
Le concept de titre exécutoire européen repose sur le principe de la reconnaissance mutuelle. Il doit être mis en uvre tant dans le domaine civil que commercial. La Présidence espagnole vient d'engager des travaux sur ce sujet.
Je sais que vos débats ont souligné l'importance des décisions et des projets qui portent sur le droit de la famille.
C'est un sujet difficile. Il concerne une matière où les traditions nationales sont parfois très opposées les unes aux autres. Surtout, il touche un domaine situé au cur de la vie des femmes et des hommes, où les sentiments affleurent naturellement très vite, et où les conflits s'exacerbent rapidement. Parce qu'il s'agit de l'intimité des personnes et à cause des incidences possibles sur d'autres aspects de leur vie, nous devons avoir le souci permanent d'une procédure pacifiée et qui ne génère pas une surenchère dans le conflit. Le droit des enfants, enfin, doit être préservé pour éviter qu'ils ne deviennent l'otage de la séparation de deux adultes.
Soyons clairs : nous constatons de fortes oppositions entre partenaires. A titre d'exemple, les travaux qui devraient permettre de résoudre les difficultés liées au droit de visite des enfants et aux déplacements illicites piétinent depuis des mois. Plus généralement, nous déployons tous les moyens dont nous disposons, y compris sur le plan bilatéral, pour aplanir et réduire ces oppositions malheureusement réelles.
Il est essentiel que des progrès interviennent rapidement sur le plan européen.
J'entends rappeler fermement à mes collègues, la semaine prochaine, lors du conseil qui se tiendra à Saint-Jacques de Compostelle, que nous devons avancer sur ces dossiers beaucoup plus rapidement. Il le faut, pour faire évoluer des situations bloquées et, avec elles, pour faire bouger des mentalités arc-boutées sur elles-mêmes et, disons-le, égoïstes.
Dans tous les domaines, mais dans celui de la famille en particulier le lien entre les lois et les cultures est déterminant. Le rôle des juges l'est aussi - facilitant ou non les évolutions au quotidien. C'est pourquoi ils doivent à tous prix dépasser leurs préjugés nationaux. Il ne doit plus y avoir de discrimination nationale, de favoritisme partisan, entre deux citoyens européens.
Notre rôle, en tant qu'institution judiciaire, en tant que politiciens de l'Europe, est d'aider les juges de nos Etats membres à se rencontrer et ainsi de leur permettre, grâce aux liens noués, de mieux se connaître, se comprendre et s'accepter.
II. DANS LE DOMAINE PENAL
Les conclusions du Conseil européen de Tampere visaient plusieurs objectifs :
- le rapprochement des législations
- la mise en uvre du principe de reconnaissance mutuelle
- le renforcement de la coopération judiciaire
Nous avons progressé dans ces trois domaines :
1. Le rapprochement des législations s'est progressivement étendu aux principales infractions de la criminalité organisée : protection des intérêts financiers de la communauté, corruption, contrefaçon de monnaie, traite des êtres humains, aide à l'entrée et au séjour irréguliers, blanchiment et bien sûr terrorisme. Mais nous devons encore travailler pour ce qui est des infractions liées au trafic de stupéfiants.
Faut-il aller plus loin que la simple harmonisation - et parvenir à des infractions communes au niveau européen. Pourquoi pas ?
La France a joué un rôle majeur dans l'élaboration de ces textes. La décision cadre sur le terrorisme, adoptée en décembre dernier dans des délais très rapides, permet de mettre en uvre une coopération plus efficace au sein de l'Union européenne dans la lutte contre le terrorisme.
2. Le renforcement de l'entraide judiciaire pénale est un enjeu fondamental face à une criminalité grave qui ne connaît plus de frontières. L'efficacité de la lutte contre les agissements de la délinquance transnationale, notamment de la criminalité organisée, passe par une collaboration étroite, efficace et la plus directe possible entre les autorités judiciaires. A cet égard, il faut bien admettre que dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale, nous avons fait de grands pas en avant avec l'adoption de la convention du 29 mai 2000 sur l'entraide judiciaire - et plus récemment avec le protocole sur la lutte contre la criminalité financière.
Ainsi, en mars 2001, nous avons mis en place l'unité provisoire de coopération judiciaire appelée Pro-Eurojust. L'accord sur la décision créant l'unité définitive Eurojust a été trouvé en décembre dernier. Le Gouvernement français y a installé dès le début une équipe dynamique et très active dans cette nouvelle instance qui concrétise l'émergence d'un véritable espace judiciaire européen.
Reste la mise en place d'un dispositif opérationnel de coopération judiciaire au niveau européen.
Dans une première étape, je reste persuadée que nous devons développer plus encore Eurojust et accompagner ce développement.
Nous savons qu'il faut lui donner le temps de faire ses preuves. Pour l'instant, Eurojust a des pouvoirs de coordination et d'incitation forts. Par contre, il n'a pas de pouvoir de déclenchement des poursuites ou d'évocation des affaires.
Faudra-t-il aller plus loin ? Certainement.
Se pose également la question du parquet européen. Le Premier ministre, le Chancelier allemand en ont fait un élément à terme de la construction de l'espace judiciaire. De son côté, la commission vient également de nous inviter à cette réflexion avec son livre vert sur le procureur européen financier et la protection des intérêts financiers communautaires.
De mon point de vue, il faut que l'articulation avec les dispositifs nationaux soit correctement assurée. C'est pourquoi je crois à un parquet européen s'inscrivant dans la continuité d'Eurojust, pas à côté ou au-dessus des dispositifs étatiques, mais liés à ceux-ci.
3. Le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice a donné lieu à un programme de mesures très complet sous impulsion française.
Le mandat d'arrêt européen que nous avons adopté en décembre dans des délais records s'appuie sur ce principe de reconnaissance mutuelle que le conseil européen de Tampere avait consacré. Il se fonde donc sur la confiance réciproque entre les systèmes judiciaires des Etats membres.
C'est une étape importante dans la construction de l'espace judiciaire européen. Surtout, il consacre plus encore le respect de nos règles démocratiques et la protection des droits de la personne humaine.
Le mandat d'arrêt va se substituer, au sein de l'Union, à la procédure actuelle d'extradition, procédure excessivement longue et lourde.
Il va permettre la remise directe des personnes recherchées entre autorités judiciaires, dans la garantie des droits et des libertés fondamentaux.
Les obstacles traditionnels de l'extradition sont supprimés. Néanmoins, nous avons prévu des mécanismes pour éviter tout abus.
En conclusion.
L'Europe de la justice, nous en sommes tous convaincus ici, est une nécessité. C'est une exigence légitime du citoyen européen. En repensant au titre que vous avez choisi pour cette journée de réflexion, je dirai même qu'il ne peut y avoir de véritable citoyenneté européenne sans cet espace de liberté, de sécurité et de justice.
C'est un grand et difficile chantier et cela parce que la justice est au cur des souverainetés nationales. Nous n'aboutirons que si nul ne se sent dépossédé par l'architecture mise en place mais au contraire renforcé et soutenu dans ses droits et dans l'application des décisions rendues. La justice doit gagner en force et en substance grâce à une simplification des procédures, une coopération des organisations nationales et à un champ de compétence territoriale élargie.
L'organisation et les contenus de cet espace devront aussi tenir compte des perspectives d'élargissement de notre Europe.
Tout cela doit se faire de façon transparente et avec le souci de l'intérêt des citoyens car ce sont eux qui fondent tous nos efforts, eux qui sont victimes quand la justice est défaillante, eux qui sont plus forts quand la justice fonctionne. Ce sont certainement des journées ouvertes comme celle d'aujourd'hui qui, en nous faisant mieux comprendre ce que les européens veulent construire ensemble, permettront de réussir l'Europe des citoyens .
Je vous remercie.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 14 février 2002)