Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, sur les conditions de travail et la formation au sein de la police, la politique de sécurité de proximité et sur le rôle de l'IHESI, à Paris le 25 juin 1998.

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Circonstance : Clôture de la 9e session nationale de l'Institut des Hautes Etudes de la Sécurité intérieure à Paris le 25 juin 1998

Texte intégral

C'est avec un vif plaisir que je vous reçois aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, auditeurs de la 9ème session nationale de l'IHESI. Je suis, vous le savez, avec intérêt les travaux de votre Institut. Et d'abord parce que je me souviens d'avoir créé en 1981 le ministère de la Recherche. J'ai toujours porté à celle-ci, qui remet en question, constamment, l’État des connaissances acquises, un intérêt passionné. Ensuite il n’est pas d'action féconde qui ne soit éclairé par la pensée.

Fidèle à la tradition instituée par mes prédécesseurs depuis presque dix ans, et heureux de pouvoir m'exprimer devant l'auditoire choisi que vous constituez, je voudrais aujourd'hui développer devant vous, l’État de mes réflexions en matière de sécurité intérieure :

1) Tout d'abord, la sécurité est l'affaire de tous. Cela est particulièrement vrai dans une démocratie : l’article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen met sur le même plan sûreté et liberté.

Ceci commande l'ouverture réciproque de tous les partenaires de la sécurité, même si en dernier ressort la responsabilité est toujours celle de l’Etat.

2) La politique gouvernementale de sécurité de proximité, confortée par des actions de lutte contre les violences urbaines et contre la délinquance des mineurs, portera, j'en suis sûr, ses fruits dans la durée.

3) L'IHESI a un rôle essentiel à jouer dans cette politique en matière de recherche et de formation, deux domaines qui doivent être étroitement corrélés à l'action d'ensemble, ainsi que dans l’évaluation de nos politiques de sécurité.

1) La sécurité intérieure est indissociable de la refondation républicaine et civique de la France.

1a) Les lois de modernisation et de programmation sur la sécurité ont comporté des avancées certaines mais il faut s'intéresser davantage à la vie policière elle-même, et aux attentes de nos concitoyens.

Les structures et le fonctionnement de la police nationale ont sensiblement évolué ces dernières années. Aboutissement d'un long processus, la LOPS de 1995 a permis l'unification des corps de la police nationale et l'introduction d’une nouvelle pyramide des grades et des fonctions. J'ai souhaité prolonger ce mouvement parce qu'il m'est apparu que la loi définissait les bons objectifs pour l’institution policière, et cela dans la continuité des actions engagées au début des années 80. Aussi bien il n'y a d'action efficace que dans la durée.

Cette nouvelle organisation permet, ainsi, de mieux répondre aux défis auxquels notre société est confrontée : terrorisme, grande criminalité internationale, maîtrise des flux migratoires dans le respect des droits des étrangers et de l’intérêt national qui commande à la France de rester ouverte au monde : l'assouplissement de la politique des visas va évidemment de pair avec l'application de la loi sur le séjour. Enfin il nous faut faire reculer la délinquance, combattre les violences urbaines, assurer l'ordre public, condition de l'exercice des libertés.

La police mérite bien des égards. Elle est souvent, dans certains quartiers, ce qui reste de la République quand les autres institutions ne parviennent plus à jouer leur rôle. Ce constat n'est évidemment qu'une incitation pour affirmer nos autres politiques : priorité à l'emploi, l’éducation, à la cohésion sociale, et notamment à la politique de la ville.

J'attache donc une importance particulière aux aspirations des hommes et des femmes qui servent dans la Police Nationale, comme aux conditions de travail dans lesquelles ils accomplissent leur mission.

C'est pourquoi, j'ai voulu que deux grands chantiers soient mis en œuvre dans les mois à venir : la relance de la politique sociale et un nouvel élan pour la formation, notamment en matière de formation continue.

Je veux donner à la police nationale l'efficacité et les moyens nécessaires à son travail ainsi que la considération qu'elle mérite de la part de nos concitoyens.

La relance d'une politique sociale correspond à une aspiration profonde et maintes fois exprimée des policiers.

Certaines mesures avaient déjà été prises, comme le recrutement de psychologues ou le développement d'une médecine de prévention, dans la perspective de sa généralisation en 1999 ; ou encore la mise en place des Comités d'Hygiène et de Sécurité.

Il faut maintenant aller plus loin pour améliorer les conditions de vie des policiers.

J'ai confié à Monsieur Jean-Marie ALEXANDRE, Président du Crédit Social des Fonctionnaires, une mission d'analyse et de propositions dans le cadre de la politique de sécurité définie par le Gouvernement. Quatre thèmes ont retenu mon attention : le renforcement de la protection juridique, médicale et sociale des policiers, les conditions de travail et de vie dans les services, les conditions de vie familiale ainsi que la place et le rôle de la police dans la société.

Deuxième chantier : dans le domaine de la formation, des efforts importants ont déjà été entrepris. J'ai décidé la création d'une Direction de la formation de la police. J'entends également organiser, à la fin de l’année, des assises nationales de la formation et de la recherche dans la police. Il s'agit de donner un nouvel élan aussi bien à la formation initiale qu'à la formation continue pour mieux répondre aux besoins de la police.

Cette relance de la formation permettra aussi une amélioration et un déroulement plus harmonieux des carrières. Il importe en effet de lier plus étroitement recrutement, formation, débouchés, carrières et revalorisation professionnelle dans le cadre d'une plus grande mobilité fonctionnelle et géographique.

1b) Le citoyen doit être davantage partie prenante de la définition de la politique de sécurité intérieure. Une partie de nos concitoyens vit repliée sur elle-même.

Certains résident dans des quartiers où le sentiment d'abandon est profondément ressenti ; une situation que l'on pourrait qualifier de “non-droit” s'est progressivement développée sur certains territoires. Cette situation n'est pas acceptable.

J'ai déjà insisté sur les causes et les effets de cette grave crise urbaine : chômage, précarisation, crise de l'éducation et de la transmission des valeurs. En moins d'un quart de siècle, une ségrégation spatiale a redoublé la ségrégation sociale. Certains quartiers sont devenus de quasi-ghettos ou se concentrent les populations en difficulté. En l'absence de politique de la population et de logement, les gouvernements successifs n'ont pas su ou pu empêcher le départ des anciens habitants, ni l'arrivée massive de populations nouvelles, démunies ou mal intégrées. Les habitants restés sur place – le plus souvent des personnes âgées ou des familles très modestes – se sentent aussi abandonnés que les populations précarisées nouvellement arrivées. Il en résulte les problèmes que vous savez.

Comment dans ces conditions, convier nos concitoyens à s'associer à l'élaboration d'une politique de sécurité nouvelle ? Il faut à la fois reconstruire l’État là où c'est nécessaire, et revenir à une politique de mixité sociale. Bref, il faut donner à chacun une nouvelle chance d'intégration dans la République.

2) Une politique de sécurité intérieure ne peut avoir de réalité hors d'un projet de refondation républicaine et civique de notre société.

Tout passe par là. Mais pour en rester à la sécurité au quotidien, il ne suffit pas de se conformer à quelques règles simples : éviter par exemple de laisser sa porte ouverte, sa moto ou son vélo sans cadenas, sa sacoche et ses papiers exposés au vu de tous.

Nos concitoyens se trouvent trop souvent démunis devant les agressions, les marques d'incivilité, les manifestations violentes et en conçoivent un vif ressentiment (il est vrai que dans certains endroits comme le montre la lecture des diagnostics établis par les Contrats Locaux de sécurité. la population subit des intimidations de la part de petits groupes de jeunes sans repères). Nos concitoyens en rendent responsables leurs élus, leurs maires en tout premier lieu, et les assaillent de demandes de protection. Certains peuvent faire appel à des polices privées ; pour les acteurs économiques, à des sociétés de gardiennage. Mais ce n'est pas possible pour les habitants des quartiers en difficulté.

Le Gouvernement a soumis à la délibération du Parlement un projet de loi relatif à la clarification des rôles et des fonctions des polices municipales. Je souhaite aujourd'hui qu'un second projet de loi prenne en considération le statut et la fonction des sociétés de gardiennage.

Mais l'essentiel est ailleurs. La sûreté est un droit inaliénable et imprescriptible de tous les citoyens et il incombe à l’État d'assurer ce droit.

Il s'agit de faire vivre l’égalité et par conséquent la liberté.

3) Le colloque de Villepinte a défini trois principes simples d'action : la citoyenneté, la proximité et l’efficacité de la chaîne pénale.

a) La citoyenneté implique des valeurs partagées. C'est là d'abord le rôle des parents et de l'École. La République n'est pas un régime de faiblesse. Elle est le règne de la loi. On ne peut pas mettre un policier derrière chaque Français. L'éducation à la citoyenneté commande tout le reste.

b) La proximité doit s'appliquer à la police comme à la justice. L'efficacité de l'action de police implique l’immersion dans le tissu social, et la connaissance intime des populations pour prévenir les incivilités comme les violences urbaines.

Cette proximité passe par une connaissance approfondie des quartiers, de la population, de sa psychologie, de sa sociologie et enfin des institutions. Elle passe aussi par un vrai dialogue et un respect authentique. Elle invite à un travail rénové à l'échelle des quartiers et des îlots n'opposant pas la prévention et la sanction. Quand la prévention a échoué, la sanction est nécessaire. Elle doit avoir une valeur éducative car le but final doit rester la réinsertion.

c) L'efficacité de la coopération entre la police et la justice passe au niveau de la police par un traitement rapide et conclusif des affaires, une formation améliorée sur le plan technique et professionnel, une assistance et une attention soutenue aux victimes et plaignants et une attitude policière toute empreinte de conscience professionnelle, fondement de la confiance de nos concitoyens.

Cette plus grande efficacité de la police implique une véritable coopération avec la justice qui doit renouveler ses pratiques ainsi qu'avec les autres services de l’Etat, les collectivités locales, les milieux associatifs ou socioprofessionnels.

Les partenaires qui participent à l'élaboration d'un Contrat Local de Sécurité, ont besoin de comprendre et de diagnostiquer précisément les risques encourus. Le diagnostic des violences urbaines, de leur acuité, de leur déroulement a, certes, déjà été effectué.

Des travaux récents ont permis de l'affiner encore. Y compris le rapport de Mesdames LEGUENNEC et BODY-GENDROT, qui m'a été remis il y a quelques jours. II faut continuer, il faut pousser plus avant dans l'analyse du décalage entre l'image que la police a d'elle-même, le rôle qu'on lui assigne et les demandes de la population. Il est clair que le développement des incivilités contribue plus encore que les violences urbaines au sentiment d'insécurité.

Voilà pourquoi j'ai demandé aux Préfets, dans le cadre des Contrats Locaux de sécurité, d'engager un réel effort de réflexion préalable et de concertation avec l'ensemble des acteurs concernés par les problèmes de sécurité.

La sécurité ne saurait en effet être l'affaire des seules forces de police ni du ministère de l'intérieur. C'est l'affaire de tout le gouvernement et de tous les acteurs de terrain : au niveau national, du ministère de la Défense, dont dépend la gendarmerie ; du ministère de la Justice, y compris la protection judiciaire de la jeunesse ; du ministère de l'Éducation Nationale dont les personnels ont la tâche d'encadrer et d'instruire nos enfants ; du ministère du Logement ; du ministère de l'Emploi et de la Solidarité ; du ministère de la Ville. Mais c'est aussi l'affaire des élus locaux, des associations, des parents et des familles.

II) La politique gouvernementale de sécurité de proximité, confortée par des actions spécifiques de lutte contre les violences urbaines et contre la délinquance des mineurs, montrera son efficacité dans la durée, si chacun prend pleinement conscience de ses devoirs.

1) Les principes de la politique gouvernementale ont été développés lors du colloque de Villepinte le 24 octobre 1997, “des villes sûres pour des citoyens libres”.

La multiplication des crimes et délits – passés de 500 000 environ par an à plus de 3 500 000 ces trente années est un fait.

Le colloque de Villepinte a fait naître des attentes et des espoirs. Il a surtout permis de bousculer les fausses oppositions, les habitudes et les routines d'esprit : l'opposition prévention/répression par exemple. La prévention n'est pas une pratique de gauche comme la répression serait l'apanage de la droite. La prévention est nécessaire. Mais quand elle n'agit plus, il faut sanctionner. Car la sanction est structurante. Naturellement il faut traiter différemment le primo délinquant et le multirécidiviste.

Des orientations claires ont été définies : réunion périodique du Conseil de sécurité intérieure, création du conseil supérieur de déontologie de la sécurité, loi sur les polices municipales, rapport Hyest-Carraz sur le redéploiement des forces de police et de gendarmerie, lutte contre les violences à l'école ou contre la délinquance des mineurs, relance de la politique de la ville et surtout, pour ce qui nous concerne, accent mis sur la police de proximité.

Cette nouvelle politique de proximité se met progressivement en place : 408 contrats locaux de sécurité sont en préparation ; 54 ont été déjà signés ; le recrutement de plus de 4 965 jeunes adjoints de sécurité a déjà été opéré ; 8 250 d'entre eux, au total, seront recrutés avant la fin de l’année 1998.

D'autres engagements significatifs du Gouvernement seront bientôt connus : j'ai reçu l'accord du Premier Ministre pour le recrutement anticipé de 1 400 policiers afin d'éviter les difficultés qu'entraîneront les nombreux départs en retraite.

J'ai demandé à la Direction Centrale de la Sécurité Publique de réussir le pari d'une mutation qualitative et quantitative de l'actuel îlotage : sur le plan quantitatif, cette Direction a reçu l’instruction de doubler le nombre de ses îlotiers d'ici la fin de l’année, pour atteindre je chiffre d'environ 7 000 agents à cette date. Sur le plan qualitatif, je lui ai demandé de procéder à plusieurs expériences d'ici l'an prochain de modification du dispositif d'emploi de la sécurité publique et notamment – à titre expérimental dans quelques sites bien choisis – de modifier l'organisation du service pour tendre vers une véritable sectorisation de faction de police.

Une telle expérience a pour but de permettre au gardien de la paix d'être un interlocuteur privilégié et rassurant pour nos concitoyens. L'attribution de la qualité d'OPJ ne pourra que faciliter et renforcer cette action. Autant de perspectives et de chances de réussir un mouvement de rénovation en profondeur des pratiques et des méthodes de travail. Autant de moyens d'associer nos concitoyens à la transformation de l'action de police.

2) Des décisions ont également été prises par le Gouvernement pour lutter contre les violences scolaires et la délinquance des mineurs.

Le plan anti-violence à l’école présenté le 5 novembre 1997 a pour objet de sensibiliser la communauté éducative aux problèmes de violence à l’intérieur et aux abords immédiats des établissements scolaires. Il s'articule dans les neuf zones-tests, autour des actions concertées des élus, des responsables de la police, de la justice, de la gendarmerie avec les responsables locaux de l'Éducation Nationale. Les services de police sont appelés à participer partout à cette action dans le cadre des Contrats Locaux de Sécurité.

Le recrutement des Adjoints de Sécurité, leur nombre important, permettront de mener une action aussi bien préventive que dissuasive. Les adjoints de sécurité reçoivent déjà une formation adaptée.

Ils contribueront à développer les actions, en plus de celles menées au sein des écoles, contre le trafic et la consommation de stupéfiants, le racket, le recel, l’insécurité et d'une manière générale, les incivilités.

Une circulaire interministérielle précisera bientôt les dispositions en la matière.

Pour ce qui concerne la lutte contre la délinquance des mineurs, le conseil de sécurité intérieure s'est réuni le 8 juinv1998 sous la présidence du Premier ministre pour arrêter les orientations du plan gouvernemental. L'objectif est ambitieux : donner une réponse systématique, rapide et lisible à chaque acte de délinquance.

La délinquance des mineurs est en effet l’une des questions les plus préoccupantes qui soit. Quantitativement, cette délinquance ne cesse de s'accroître alors que celle des majeurs stagne, voire décroît légèrement. Qualitativement, ces mineurs se détournent des formes traditionnelles (comme le vol) pour aller vers les formes plus violentes de la délinquance.
Combattre une telle délinquance suppose la mobilisation de tous : des forces de sécurité certes, mais surtout des parents et des familles afin qu'ils exercent la plénitude de leurs responsabilités à l’égard des enfants ; de l’école en partenariat avec les associations culturelles et sportives.

C'est toute la police nationale qui se trouve mobilisée, aux côtés des acteurs sociaux et politiques pour relever ce défi : 17 500 fonctionnaires seront spécialement formés à cet effet dans les deux ans.

Pour ce qui concerne la compétence spécifique des brigades des mineurs, elle sera étendue aux actes commis par des mineurs en milieu scolaire dans les 26 départements prioritaires.

Dans chaque circonscription de sécurité publique, sera mis en place un “correspondant local police-jeunes” chargé notamment de tenir le “tableau de bord” de la délinquance liée aux mineurs. Ce correspondant sera l'interlocuteur privilégié des différents partenaires, et participera à l'action des dispositifs locaux de sécurité.

En outre, au niveau départemental, sera institué “un référent police-jeunes” issu des corps de conception et de direction ou du corps des officiers. Il centralisera les informations départementales sur la délinquance des mineurs coordonnera l'action des correspondants locaux, ainsi que les brigades de mineurs exerçant au niveau local.

Je suis conscient de la difficulté de la tâche. Pour les mineurs délinquants multirécidivistes, il faudrait par exemple des mesures d'éloignement. On se heurte là à des obstacles de taille : la diminution du nombre des places dans les centres de la protection judiciaire de la jeunesse et les réticences de l'Éducation Nationale à accueillir dans les établissements scolaires éloignés des départements où ils habitent certains mineurs difficiles, dans l’intérêt de leurs camarades et dans le leur propre.

Enfin, l'absence d'offre de travail, l’éclatement des cadres familiaux, les difficultés d'intégration de certaines familles d'origine étrangère, l’affaissement du patriotisme républicain – qui n'est rien d'autre que l'amour de l’égalité en même temps que l'amour de la France – sont autant de facteurs que le Gouvernement doit prendre en compte. L'intégration ne peut résulter que d'un désir partagé : volonté des Français d'enrichir et d'agrandir la France par l'accueil généreux de ces jeunes qui portent au visage le signe de leur différence. Volonté de ces jeunes de servir le pays où ils feront leur avenir : la France et nulle part ailleurs. Ainsi seulement nous préviendrons les tentations de repli communautariste et nous ferons vivre une société citoyenne.

Pour cela bien sûr il faudra aussi reconstruire nos villes œuvrer à une véritable “mixité” de l'habitat, en mettant en œuvre une nouvelle politique d'urbanisme et de logement social. Je sais aussi qu'il faudra convaincre nos concitoyens, et d'abord les élus, que la mixité sociale induit à terme beaucoup moins d'inconvénients que la ségrégation urbaine.

III) L'IHESI a en effet un rôle à jouer dans cette évolution en cours, notamment en matière de recherche et de formation, ainsi que dans l’évaluation de nos politiques de sécurité.

J'entends bien en effet que l'IHESI et que ses auditeurs contribuent par la réflexion, les études et la recherche à l’évolution nécessaire des conceptions en matière de sécurité intérieure.

Votre Institut aura dix ans l'an prochain. Depuis sa création par Pierre JOXE en 1989, il a fait la preuve de son efficacité. Il a montré à maintes reprises son utilité pour le ministère de l'intérieur et pour le pays. J'en attends beaucoup plus encore.

1) La mission principale de l'IHESI, vous la connaissez bien : les textes ont défini l'Institut comme un lieu de réflexion, de recherche et de débat sur les problèmes de société en matière de sécurité et de prévention.

Vous êtes l'illustration même de cette aptitude à la réflexion et au débat vous en avez le goût et la vocation. Vous venez d'horizons différents : pour certains, des corps de souveraineté (le corps préfectoral, les magistrats, la police, la gendarmerie, la douane ou les sapeurs-pompiers) ; pour d'autres de la société, hors de l'administration, ce que d'aucuns appellent d'un mauvais mot “la société civile”, car en République l’État fait partie de la société. Il se doit d'être l’État des citoyens. Vous êtes donc journalistes, cadres d'entreprises ou représentants du monde associatif.

Dans tous les cas, vous avez pu apprécier l’intérêt d'une telle structure, l’intérêt d'un tel creuset pour la réflexion en commun sur les questions de sécurité intérieure.

Je suis d'ailleurs persuadé que les hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur qui veulent accéder aux corps de direction et de contrôle, pourraient utilement et peut-être nécessairement – nous en reparlerons – passer en stage de formation continue pendant plusieurs mois dans votre Institut. J'ai demandé que cette possibilité soit étudiée dans les mois qui viennent, notamment lors des assises de la formation.

2) Mais j'entends demander à l'Institut beaucoup plus encore, profitant de ses multiples capacités, notamment en matière de recherche et de prospective.

L'une des deux autres missions de l’IHESI est de coordonner des programmes d'étude et de recherche. J'ai suivi avec attention les résultats du 2ème concours d'étude destiné aux personnels de la sécurité intérieure. L'IHESI étudie aussi, à ma demande, les tendances lourdes de notre société et son évolution – délinquance des mineurs, toxicomanie, violences urbaines, ratés de l'intégration –, je souhaite aussi que l'Institut, sous l'impulsion de son directeur, M. Philippe MELCHIOR, oriente ses recherches sur les institutions qui concourent à la sécurité, sur leur organisation et sur les questions de formation.

Il convient en outre d'élargir l’audience de l'Institut. Le centre de documentation, les publications de l'IHESI sont enfin bien connus. L'intérêt d'une telle accumulation de connaissances n'est pas seulement scientifique, ni même seulement pratique pour les fonctionnaires des services de sécurité. Ces publications, cette documentation doivent être au service de tous les acteurs de la sécurité. Chacun pourra, à la lumière de ces travaux mieux comprendre notre société. Je tiens particulièrement à cette transparence, parce que je suis persuadé qu'une population mieux informée comprend mieux le travail de sa police et donc en favorise les efforts. La République passe par des citoyens éclairés.

J'ai suivi avec une égale attention l'intérêt de l'Institut pour ce qui concerne les questions européennes et internationales. L'Europe est aujourd'hui une réalité ayant des conséquences importantes dans le domaine de la sécurité. L'IHESI a bien fait de créer un département international. Certaines actions pour 1999 (notamment une première session européenne sur le modèle des sessions nationales ou encore la structuration d'un véritable pôle européen de recherches) vont dans le bons sens. J'ai demandé à l’IHESI de procéder à une véritable analyse comparative de ce qui se fait à l’étranger, avec comme perspective l'accroissement des échanges et des expériences internationales. Je voudrais souligner l’intérêt des études comparées, la promotion et l'adaptation nécessaire du modèle français de sécurité à d'autres pays qu'il faut aider à construire des États dignes de ce nom, car il n'y a pas de développement hors de la sécurité.

Pour décider aujourd'hui, le Ministre de l'Intérieur a besoin d'avoir une vision prospective à cinq, voire dix années. Il ne peut y parvenir sans l'appareil le plus complet d'analyse, au niveau national comme au niveau international.

3) Votre Institut doit enfin devenir une utile structure de prospective, d’évaluation des politiques publiques et d'aide à la décision, sans faire double emploi bien entendu avec les corps d'inspection notamment l’IGA ou I'IGPN qui ont leur vocation propre et dont je tiens à saluer le rôle.

Le Conseil de Sécurité Intérieure vous demande par ma voix une étude de faisabilité sur un observatoire de la délinquance, chargé de l’analyse des statistiques, de certaines enquêtes de terrain comme de monographies.

Cela doit vous inciter à développer vos travaux en matière de police de proximité. Votre Institut collabore déjà à l’élaboration de nombreux Contrats Locaux de Sécurité. Je me réjouis à cet égard que 102 collectivités locales aient fait appel à vous pour les aider à établir leur diagnostic de sécurité.

Cette aide méthodologique n'est qu'une première étape. J’attends de vous une analyse plus fine encore du sentiment d'insécurité au niveau local. Le Contrat Local de Sécurité est un outil qu'il faudra sans cesse perfectionner.

Pour ce qui VOUS concerne, auditeurs de la 9ème session, j'ai pris connaissance des travaux de vos groupes de diagnostic, sur les nouveaux métiers de la sécurité, particulièrement de celui sur la coopération européenne. Les rapports “sur les nouveaux métiers de la prévention et de la sécurité dans les quartiers d'habitat social”, ou encore dans le rapport “sur les nouveaux métiers de la médiation” m'ont beaucoup intéressé. J'ai pris connaissance de ce que certains d'entre vous ont écrit de la sécurité privée dans les entreprises ou encore de leur gestion des risques accidentels ou technologiques majeurs. Un groupe a travaillé sur “l’évolution des métiers de l'administration de la sanction pénale”. Ce sujet, vous le savez, ne m'a pas laissé indifférent ni inerte lors de la préparation du conseil de sécurité intérieure sur la délinquance des mineurs.

Il appartient maintenant à votre directeur – en liaison avec les responsables des services – de me faire les propositions pratiques qui découlent de vos travaux.

Que les responsables de l'Institut sachent donc à cette occasion combien j'apprécie leur contribution et leur apport à la définition de nos grands axes de travail.

Vous quittez vraisemblablement cette session de formation avec un peu de nostalgie, bien compréhensible. Vous partez cependant riches de l'enseignement que vous avez reçu de l'institut et mieux armés, grâce aux liens qui ont pu se tisser entre vous au cours de ces mois de travail.

Je souhaite que vous gardiez présents à l'esprit les échanges et les débats auxquels vous avez participé. J'attache de l'importance à l'existence de ces “réseaux d'experts” que constituent les anciens auditeurs. Ces réseaux doivent rester actifs, capables de prolonger les réflexions de l'Institut dans l'opinion publique. Ils pourront aussi fédérer les énergies et les bonnes volontés pour faire de la sûreté une ardente obligation de l’État et de tous ceux qui ont une responsabilité à assumer.

Je compte donc sur vous pour continuer à être, individuellement aussi bien que collectivement, les promoteurs d'une réflexion de sécurité intérieure que l’IHESI à la charge – pour le ministère de l'Intérieur comme pour notre pays – de nourrir en permanence.