Interviews de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement des transports et du logement, dans "L'Humanité" du 25 mai, à Europe 1 le 11 juin et à RTL le 19 juin 1998, sur l'accord avec les Etats-Unis sur le transport aérien, la grève des pilotes d'Air-France et l'aide au transport ferroviaire.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - L'Humanité - RTL

Texte intégral

L’Humanité le 25 mai 1998

Patrick Apel-Muller : Vous revenez des Etats-Unis où s’est concrétisé l’accord sur les échanges aériens transatlantiques. Ce que les autorités américaines baptisaient « l’accord ciel ouvert ». Dans quel sens a penché le compromis ?

Jean-Claude Gayssot : Après de nombreux mois d’efforts, nous sommes arrivés à conclure un accord mutuellement avantageux. Il ne s’agit pas d’un accord dit « ciel ouvert » comme les Etats-Unis en ont passé avec d’autres pays européens et qui aurait privilégié à terme les compagnies les plus puissantes, donc les américaines ! Au contraire, avec l’accord actuel, chacun gagnera. Dès cette année, cela devrait permettre par exemple à Air France une progression de 15 % de son chiffre d’affaires transatlantique. Encore faut-il que nous soyons capables de développer notre compagnie. C’est un des enjeux actuels en matière d’investissements humains et matériels : emplois, nombre de pilotes, achats d’avions, capacités de la compagnie… Depuis quelques mois, Air France a décidé l’embauche de plusieurs centaines de pilotes et envisage près de 40 milliards d’investissements. Accepter le « ciel ouvert » eût été accepter la dérégularisation, la déréglementation. Il n’en était pas question. Bref, nous avons de part et d’autre négocié avec l’esprit de responsabilité et de manière pragmatique.

Patrick Apel-Muller : Air France peut-elle puiser dans ces dispositions un carburant pour son développement ? Et comment jugez-vous son bulletin de santé, alors que plusieurs syndicats décident de grèves ?

Jean-Claude Gayssot : Pour parler franchement, lorsque je regarde ce qui s’est passé depuis plusieurs années : réduction massive des effectifs, arrêt de la formation des pilotes, arrêt des achats d’avions, filialisation, sous-traitance, déficit et cela malgré les efforts accomplis notamment par le personnel, je me dis que les choses changent ! Nous sommes peut-être à un tournant. Un avenir positif est en passe de s’ouvrir : tant dans le domaine des embauches que dans celui du rayonnement de l’entreprise publique. L’accord bilatéral avec les Etats-Unis a d’ores et déjà permis le renforcement des alliances indispensables au plan international avec deux grandes compagnies américaines : Delta et Continental. La construction des deux nouvelles pistes à Roissy donne des perspectives réelles que les autres aéroports européens n’offrent pas. J’ai parlé de l’embauche, des investissements dont toute l’industrie française et européenne bénéficiera : moteurs, avions, équipements. La capacité financière et les alliances nouvelles que l’ouverture partielle du capital peut permettre, tout en demeurant une entreprise au capital public majoritaire, s’inscrivent, je le crois très sincèrement, dans une authentique et nouvelle chance de développement qu’il faut saisir. Mais nous sommes convalescents. Ne gâchons rien. C’est pourquoi dans ces conditions, je crois plus encore au dialogue social.

Patrick Apel-Muller : Avez-vous des propositions pour débloquer la situation ? Le refus des pilotes d’échanger une partie de leurs salaires contre des actions remet-il en cause l’échafaudage de la réforme d’Air France ?

Jean-Claude Gayssot : Tout le monde y gagnera au bout du compte, et je suis prêt à prendre les paris : on pourra le vérifier publiquement dans quelques années. Mais, de toute manière, concernant la question précise que vous posez, le président d’Air France et moi-même avons donné des assurances et des garanties. La première, c’est qu’il n’y aura pas de baisse de revenus pour les pilotes dans le cadre de cet échange actions-salaires. La deuxième, c’est qu’il faut, au préalable, la signature d’un accord collectif et j’ai précisé que cet accord ne pourrait intervenir sans la signature d’une organisation syndicale représentative. La troisième a été précisée par M. Spinetta : ceux qui ne seront pas d’accord pourront opter pour une autre formule qui maintiendra le salaire actuel, sans progression, pendant plusieurs années. Il y a véritablement de quoi négocier. Quant aux menaces contre la Coupe du monde de football que certains médias évoquent, je pense qu’ils sous-estiment la qualité et le sens des responsabilités des pilotes, eux qui, j’en suis sûr, comme tous les salariés d’Air France, ont envie que leur compagnie vive et gagne. Sans parler de l’attrait et surtout de l’image que la Coupe du monde peut et doit donner de la France.

Patrick Apel-Muller : Un ministre communiste aux Etats-Unis, c’est encore un événement. En êtes-vous revenu conforté dans votre jugement sur ce pays, ou séduit par le dynamisme du libéralisme outre-Atlantique ?

Jean-Claude Gayssot : C’est effectivement la première fois qu’un communiste ministre français était reçu officiellement par ses homologues aux Etats-Unis. Cette attitude normale est aussi positive dans la mesure où elle permet de dépasser des discriminations d’un autre âge à l’égard d’une sensibilité politique qui constitue un élément incontournable de la réalité de la gauche française au pouvoir. Ne nous y trompons pas, les Etats-Unis sont aujourd’hui la seule superpuissance. Ils en ont conscience. Il ne s’agit donc pas de considérer que des rapports normaux peuvent être spontanément simples. Mais les Américains, les responsables que j’ai rencontrés ont des côtés directs attachants. Et la France, malgré toutes les vicissitudes et les conflits politiques passés, garde une image intéressante. En tout cas, il serait absurde de les ignorer. Mon programme, durant près d’une semaine, a été particulièrement chargé. J’ai rencontré deux ministres, celui du Logement, M. Cuomo et celui des Transports, M. Slater avec lesquels j’ai eu des entretiens très positifs et très cordiaux. J’ai également discuté avec des dirigeants de grandes entreprises américaines ayant des rapports de coopération avec des entreprises françaises et aussi avec des chefs d’entreprises françaises, des universitaires, des dirigeants de transports publics à New York, Washington et Atlanta, des élus de grandes villes et du Congrès… Je suis convaincu qu’il faut poursuivre notre travail de compréhension, de connaissance et de relations en voyant la réalité en face. C’est-à-dire pas toujours comme on nous la décrit, pas toujours comme on la pense ! Pour vous dire le fond de ma pensée, je suis plus que jamais convaincu de la nécessité du dépassement du capitalisme au nom de l’humanisme, de la démocratie donc de l’efficacité qui caractérisent le sens profond de la mutation de mon parti. Pour ces raisons, je crois utile de reconnaître toutes les dimensions des contradictions de ce système. Par exemple, il n’est plus juste de dire aujourd’hui que la croissance de l’emploi n’est fondée là-bas que sur l’augmentation des « petits boulots ». Mais il serait tout aussi erroné de ne pas voir que les inégalités se creusent, que les violences et les discriminations perdurent, que le financement des services publics à la hauteur des ambitions qu’ils se fixent ou même celui des grandes infrastructures dont pourtant ils reconnaissent la nécessiter demeure difficile.

Patrick Apel-Muller : Vous étiez en milieu de semaine dernière à Berlin pour négocier l’avenir d’Airbus avec les ministres européens. La position allemande l’a-t-elle emporté ?

Jean-Claude Gayssot : Airbus est un joyau. Aujourd’hui, c’est la seule entreprise de dimension européenne qui peut rivaliser avec Boeing-McDonnell Douglas. A Berlin, les quatre « ministres Airbus » ont discuté avec les constructeurs à la fois de la constitution d’une société Airbus de plein droit et de la gamme des avions à produire. Sur le premier point, les choses avancent même si elles sont très complexes. En effet, les autres entreprises, anglaises, allemandes, ont des actionnaires privés, et les Espagnols s’apprêtent à privatiser eux aussi. Pour notre part, nous entendons défendre le caractère public de notre actionnariat, l’emploi, les pôles de compétences, les localisations et nous voulons, comme le Premier ministre l’a dit lors du sommet franco-allemand en Avignon, que des critères de rentabilité financière ne soient pas la seule référence pour la constitution de la future société. En effet, il est possible, selon nous, de défendre notre place, notre statut en intégrant la dimension stratégique et sociale de la construction aéronautique à l’échelle européenne. Là encore, c’est un formidable défi à relever. Pour ce qui est de la gamme des produits, c’est-à-dire des avions gros-porteurs (AXX) et du « cent places », nous avons insisté ensemble sur la nécessité d’avancer pour répondre aux besoins nouveaux.

Europe 1 le jeudi 11 juin 1998

Jean-Pierre Elkabbach : On n’a pas fini de commenter le conflit d’Air France, ses conséquences et ses leçons. Les pilotes ont-ils eu raison de faire grève ?

Jean-Claude Gayssot : « Il aurait mieux valu qu’il n’y ait pas de grève. Je le dis tout net. La situation d’Air France est telle… Elle est en voie de redressement ; des perspectives formidables s’ouvrent à elle aujourd’hui ; cette paralysie a été préjudiciable, très gravement, à la compagnie. »

Jean-Pierre Elkabbach : Donc, on aurait pu éviter ce conflit ?

Jean-Claude Gayssot : « Il fallait l’éviter, il fallait tout faire pour l’éviter. Il y a eu malheureusement le démarrage du conflit. Dès lors qu’il avait démarré, il fallait tout faire pour que, sur la base des objectifs économiques et sociaux fixés par la compagnie et le Gouvernement, ce conflit dure le moins longtemps possibles. »

Jean-Pierre Elkabbach : Les pilotes disent aujourd’hui que l’accord tel qu’il a été signé était prêt un mois avant le début du conflit.

Jean-Claude Gayssot : « Si cet accord était prêt il y a un mois, on ne comprend pas pourquoi il y a eu conflit. Je crois vraiment, en réalité, que nous sommes passés sûrement dans la semaine qui s’est écoulée, notamment dans la nuit de vendredi à samedi, très près de l’accord ; tout le monde le dit ; cela prouve qu’il ne fallait pas désespérer de la discussion et de la négociation. »

Jean-Pierre Elkabbach : Pourquoi ça ne s’est pas terminé dans la nuit de jeudi à vendredi et qu’on a perdu des centaines de millions ?

Jean-Claude Gayssot : « Parce qu’il n’y a pas eu de paraphe mis au bas de l’accord. Il devait encore y avoir des problèmes en suspens. Mais il est très important que l’on sache… J’entends sur les ondes ou je lis dans les journaux : “La surprise de l’accord dans la nuit de mardi“. Mais cette surprise, elle ne surprend que ceux qui pensaient qu’il n’y avait aucune possibilité de discussion et ceux qui ne savaient pas qu’effectivement nous avions été tout près d’un accord entre la direction d’Air France et le syndicat majoritaire des pilotes. »

Jean-Pierre Elkabbach : Les avions redécollent, le trafic va redevenir normal pendant le week-end. Avez-vous chiffré les dégâts ou les pertes ? 1 milliard ou plus ?

Jean-Claude Gayssot : « Les pertes sont considérables. Il est bien évident que quand une compagnie ne vole pas, n’a pas ses avions qui volent, on perd. Les chiffres annoncés sont excessifs. Si Air France gagnait 1 ou 1,5 milliard par semaine de bénéfices, cela voudrait dire qu’elle aurait plus de 60 milliards par an de bénéfices. Malheureusement, on n’est pas là. Disons qu’en solde, c’est très important : ça fait plus de 60 millions en net, et en chiffre d’affaires, c’est plus important — ça peut aller au-delà de 100 millions. Maintenant, il faut, si je puis dire, faire en sorte que ce conflit soit derrière nous, mais pas simplement au niveau de la chronologie : il faut qu’il soit derrière nous au point de vue de cette mobilisation de la compagnie, avec tous ses salariés, pour faire gagner Air France qui a des atouts formidables à jouer. »

Jean-Pierre Elkabbach : La veille du conflit, croyant l’éviter, vous avez promis beaucoup aux pilotes, et même un peu lâché — on parle de propos laxistes de votre part. Avez-vous fait une gaffe ?

Jean-Claude Gayssot : « Non seulement je n’ai pas eu de propos laxistes — j’ai tenu en permanence le langage du choix ferme concernant les objectifs économiques : il n’y a pas eu un seul moment où le Gouvernement a été défaillant par rapport au soutien du président d’Air France. Mais j’ai créé les conditions pour que la négociation aboutisse. Si on relit ce que j’ai dit avant le conflit, après avoir reçu tous les syndicats et discuté avec la direction d’Air France, sur ce qui pouvait permettre l’accord, on se rend compte que ce qui a été signé dans la nuit de mardi correspond pratiquement à ce que j’avais proposé. »

Jean-Pierre Elkabbach : Mais il y avait deux stratégies. Vous avez toujours dit : « Il faut convaincre et pas contraindre ». On comprend bien que la méthode Jospin, à partir d’un certain moment, c’était plutôt la fermeté : mettre les pilotes face à leurs responsabilités, leur imposer la solution. C’est la méthode Jospin qui l’a emporté, pas celle de Gayssot !

Jean-Claude Gayssot : « D’abord, rappelez-vous le communiqué de Matignon. »

Jean-Pierre Elkabbach : D’accord, mais est-ce que vous ne pouvez pas reconnaître les faits ?

Jean-Claude Gayssot : « Reconnaître les faits, c’est justement reconnaître ce que je vais vous dire, c’est-à-dire que Matignon, samedi, après une rencontre avec le président Spinetta, D. Strauss-Kahn et moi-même, a fait une déclaration expliquant qu’il fallait aboutir sur les objectifs économiques fixés par la compagnie ; il en a appelé à la responsabilité et au dialogue ; je ne cesse de faire cet appel avant le conflit et pendant le conflit. On veut opposer deux méthodes. Preuve est faite que c’est la négociation qui a permis d’aboutir, et pas autre chose. »

Jean-Pierre Elkabbach : A partir du moment où on a dit : « Il n’y aura plus de négociations, c’est le conseil d’administration d’Air France qui va vous imposer, aux pilotes, le gel des salaires. »

Jean-Claude Gayssot : « Je crois que si on oppose à une épreuve de force une autre épreuve de force, non seulement on ne résout pas les conflits, mais on risque de les étendre. »

Jean-Pierre Elkabbach : Vous étiez en contact permanent avec Matignon, c’est une évidence, et aussi avec R. Hue : vous cherchiez la négociation et le compromis, et au même moment, M. Hue encourageait la lutte. Il disait : « Toute lutte est bonne pour le mouvement social ». Pensez-vous qu’il vous a facilité le travail ou était-ce son job ?

Jean-Claude Gayssot : « Que la sensibilité à tout ce qui s’exprime dans le mouvement social, du point de vue des exigences, soit portée et défendue par le Parti communiste, ce n’est une surprise pour personne. Au sens du Gouvernement, je veux dire que nous avons été élus et sommes au Gouvernement pour réaliser dans la durée des avancées sociales, des avancées économiques, faire la démonstration que dans ce pays on peut, autrement qu’en cédant à l’ultralibéralisme, gagner des paris de croissance, gagner la bataille de l’emploi, gagner la bataille pour le progrès social. Mais il faut associer aussi ceux qui font la vie même de ce pays, c’est-à-dire les forces vives, les salariés, les commerçants, les artisans. »

Vous, vous disiez : il faut peut-être négocier etc. Mais en même temps, est-ce que pour Matignon, c’est-à-dire le Premier ministre, il ne fallait pas démontrer que le mouvement social ne pouvait pas être tout le temps récompensé ? Il fallait, en quelque sorte, décourager les autres qui regardaient ?

Jean-Claude Gayssot : « J’espère que non : il n’y a pas ce type de calcul dans l’attitude du Gouvernement. Ce qui est vrai, nous sommes confrontés à un réel problème : souvent, la grève est devenue — et pas que pour les syndicats, je le dis pour l’ensemble des partenaires sociaux —, souvent la grève est devenue le point de départ de la discussion et de la vraie négociation. Alors que ça devrait être l’arme ultime. Alors il y en a certains qui attendent que la grève soit déclenchée ; et puis, comme elle va être, disons elle ne va pas être prisée par les populations, les grévistes vont être isolés ; et d’autres qui attendent de commencer les négociations après avoir fait la preuve du rapport de force par la grève. Il faudrait peut-être avancer vers une autre démarche dans notre pays. »

Jean-Pierre Elkabbach : On va vite. Vous deviez ouvrir le capital d’Air France de 20 % en septembre. Vous confirmez la date, l’ampleur ?

Jean-Claude Gayssot : « Bien sûr. Nous attendons l’évaluation pour pouvoir ouvrir le capital. Il sera ouvert à hauteur de 20 % en septembre. »

Jean-Pierre Elkabbach : Et vous n’irez pas par étape, un peu plus loin ?

Jean-Claude Gayssot : « Mais l’objectif, comprenez bien, n’est pas de privatiser. La droite me reproche, nous reproche, assez de ne pas avoir cédé à ses sirènes de la privatisation. Mais la privatisation, y compris… C’est plus grave encore pour la situation de conflit à Air France. Voilà ce que je veux dire. A Panam, c’était privatisé, ils ont mis la clé sous la porte. Nous, nous voulons défendre le secteur public qui soit, en même temps un secteur public moderne, ouvert. »

Jean-Pierre Elkabbach : Il faut le démontrer ?

Jean-Claude Gayssot : « Il faut le démontrer, c’est le challenge que nous devons… »

Jean-Pierre Elkabbach : Le socialiste M. Sapin a dit : « Quand une entreprise se trouve totalement dans le secteur concurrentiel, il n’y a plus de légitimité à y maintenir une forte présence capitalistique de l’Etat ».

Jean-Claude Gayssot : « Oui, eh bien le socialiste et d’autres socialistes ont fait une déclarations… »

Jean-Pierre Elkabbach : Il dit que ce qu’il veut quoi…

Jean-Claude Gayssot : « …avec les communistes pour dire qu’il fallait arrêter le processus de privatisation. Nous l’avons arrêté ; nous ne l’avons pas arrêté sur une démarche de fermeture ou en se recroquevillant, mais en ouvrant, en modernisant. Et la modernisation, c’est aussi d’autres rapports sociaux dans l’entreprise. »

Jean-Pierre Elkabbach : Dernière question : la gauche plurielle, elle boite après ce conflit ? Le Parti communiste reste-t-il l’allié de M. Jospin pour gouverner, ou y a-t-il une blessure ?

Jean-Claude Gayssot : « Mais bien sûr que le Parti communiste reste allié. Nous sommes là, avec l’idée que, dans la durée, il faut gagner. Pour gagner, il faut que chaque sensibilité, non seulement converge vers l’objectif général qui est celui du progrès économique et social, et il faut que chaque sensibilité puisse s’exprimer, faire converger sa façon à elle de voir la meilleure efficacité à gagner. »

RTL le vendredi 19 juin 1998

Jean-Pierre Defrain : Pourquoi vous êtes-vous lancé dans la réforme de la SNCF ? Est-ce que cela va remettre en cause le principe de la double structure : le Réseau ferré de France d’un côté et la SNCF s’occupant de la vieille exploitation du réseau ?

Jean-Claude Gayssot : « Pourquoi d’abord ? Parce que nous l’avions annoncé dès le départ : j’avais dit que la réforme votée par la précédente majorité portait en elle non seulement des risques, des dangers, mais de plus ne résolvait pas le problème de l’endettement. Non, il fallait non revenir en arrière, sans faire du statu quo, mais faire une réforme de la réforme. C’est ce que je propose. Elle se réduit à trois idées : premièrement, s’attaquer au problème du surendettement ; il faut enrayer à tout prix la spirale qui déjà a recommencé, puisque RFF qui avait 134 milliards de dettes, aujourd’hui en a 135. Le Gouvernement va participer de manière plus importante pour les trois prochaines années avec des concours financiers significatifs. »

Jean-Pierre Defrain : Vous confirmez 37 milliards de francs ?

Jean-Claude Gayssot : « Je ne confirme pas les chiffres : je vous confirme que ça ira au-delà des 30 milliards qui seraient la simple répétition des 10 milliards déjà donnés cette année. »

Jean-Pierre Defrain : Ce qui va faire râler les contribuables !

Jean-Claude Gayssot : « Non, parce que les contribuables, comme tous les usagers dans notre pays considèrent, pensent — ils l’ont d’ailleurs montré en d’autres circonstances — qu’il faut que le chemin de fer se développe, pour le trafic voyageurs, mais aussi pour le trafic marchandises. C’est d’ailleurs une option générale, à l’échelle de l’Europe aujourd’hui : il faut développer le transport par rail, notamment sur le trafic marchandises. Donc, cela correspond à une aspiration de la société. Deuxièmement, comme il y avait des risques, y compris des craintes sur l’éclatement possible, nous créons un conseil supérieur du service public ferroviaire, qui aura justement pour mission de coordonner la synergie et développer le service public. »

Jean-Pierre Defrain : Avec avis consultatif.

Jean-Claude Gayssot : « Oui. Ce n’est pas un organisme délibératif, mais il aura son mot à dire sur les infrastructures, sur les choix qui seront proposés par le Gouvernement ; qui pourra être consulté et où il y aura des représentants non seulement des élus de la nation, mais aussi des entreprises de la SNCF, de RFF et d’organisations de salariés. »

Jean-Pierre Defrain : Vous avez parlé ce matin d’hémorragie d’emplois à la SNCF. Est-ce à dire que cette entreprise publique va pratiquer une politique d’engagement dans les prochaines années ?

Jean-Claude Gayssot : « Il s’est passé des choses terribles. Depuis 1984, il y a 80 000 emplois de cheminots qui ont été supprimés, pour arriver à un surendettement et une baisse des trafics. Depuis dix ans, 60 000 cheminots ont été supprimés, 6 000 par an. On a tout fondé sur la réduction, sur une sorte de productivité à outrance en s’appuyant sur une réduction d’effectifs. Je pense qu’il faut fonder l’efficacité de l’entreprise sur la croissance des trafics et enrayer cette réduction massive des effectifs. Déjà le Gouvernement a commencé, puisque suite à une baisse de 28 milliards d’endettement de la SNCF, j’ai demandé qu’il y ait 1 000 embauches supplémentaires à statut, et qu’il y ait plus de 1 000 emplois-jeunes qui soient affectés à la SNCF. »

Jean-Pierre Defrain : Faut-il s’attendre à des augmentations de tarifs à la SNCF ?

Jean-Claude Gayssot : « C’est le contraire qui est en train de se passer. Nous avons une politique de conquête à mettre en œuvre : il faut à la fois encourager les voyageurs à venir prendre le train dans le réseau urbain et interurbain, et encourager également à ce que les transporteurs de marchandises viennent sur le rail. C’est une politique de conquête audacieuse, mordante. Je vais vous dire franchement : peut-être que dans notre pays nous nous sommes trouvés dans une telle perspective non de déclin programmé de la mort du rail, mais d’un développement avec des perspectives de progrès tout à fait considérables. »

Jean-Pierre Defrain : A propos de tarifs, comment est-ce que vous justifiez l’augmentation particulièrement élevé de tarifs en Ile-de-France : cartes oranges, carnets de tickets. Plus 3,4 %.

Jean-Claude Gayssot : « Non, vous n’avez pas bien vu. »

Jean-Pierre Defrain : C’est modulé.

Jean-Claude Gayssot : « C’est très important la dernière utilisation de votre mot “modulé“. En Fait, au total, jamais la hausse n’a été aussi faible puisque, je veux le dire devant les auditeurs de RTL et beaucoup prennent le transport collectif en région parisienne : la hausse sera de 1,2 % en moyenne. Jamais elle n’a été aussi basse. Alors c’est vrai que c’est modulé et par exemple sur certaines zones et notamment Paris intra muros, elle sera plus importante. Pourquoi ? Parce que l’offre de transport est de 7 % — en augmentation par rapport à ce qu’elle était l’an dernier. Au point de vue de l’augmentation qu’il y aura sur Paris, c’est en dessous de l’offre de transport. Mais par contre pour les jeunes, c’est une baisse de 25 à 45 % c’est-à-dire que, désormais, un jeune non seulement pourra prendre ces transports collectifs avec moins de coût et en plus, je dois le dire parce que personne ne l’a dit encore de manière très développée, il pourra, les jours fériés et les week-ends, partir sur toutes les zones avec sa carte nouvelle qui permettra la réduction des tarifs. Et puis je termine là-dessus, pour ceux qui habitent en banlieue et qui habitent très loin, non seulement l’augmentation ne sera pas au niveau que je viens d’indiquer mais elle sera inférieure. C’est-à-dire que l’on soigne — pardonnez-moi le mot — ceux qui payaient le plus jusqu’à présent et ceux qui étaient le plus éloignés. »

Jean-Pierre Defrain : C’est au membre du Gouvernement et à l’homme politique que je pose cette question : que pensez-vous des 3 000 à 4 000 emplois qui vont être supprimés à GIAT-industries ?

Jean-Claude Gayssot : « Dès lors qu’on entend des suppressions d’emplois, bien entendu ceci constitue pour le ministre et l’homme politique un drame et un problème. Vous savez, la politique du Gouvernement est totalement tournée vers la lutte contre le chômage. Il y a dans ce secteur d’activité des décisions et des problèmes particuliers qui sont posés. Moi, je souhaite que dans tous les cas, l’objectif de l’emploi, de la défense de l’emploi soit au bout des décisions. »

Jean-Pierre Defrain : Vous étiez, il y a quelques semaines, aux Etats-Unis. Vous partez dimanche pour Cuba : une mission diplomatique ?

Jean-Claude Gayssot : « J’aurais dû aller aux Etats-Unis et accompagner le Premier ministre. »

Jean-Pierre Defrain : Pour signer l’accord sur l’aviation civile ?

Jean-Claude Gayssot : « Voilà ! Pour signer l’accord aérien. Il se trouve qu’hier, j’avais un Conseil des ministres des Transports européens auquel je tenais absolument, notamment contre les perspectives de libéralisation des chemins de fer. Je vais aller à Cuba dimanche avec une délégation. C’est un voyage officiel. Ce n’est plus dans le même sens que ce que j’ai pu faire, une fois, déjà à Cuba. Ce n’est pas seulement la solidarité. C’est un voyage de rapports d’Etat à Etat car je crois qu’il est tout à fait normal, vis-à-vis de ce pays de 11 millions d’habitants, qu’il y ait des relations tout à fait normales. Des professionnels, des entreprises, des députés m’accompagnent. Il y aura beaucoup d’accords à signer et je vais inaugurer la ligne Air France sur Roissy-La Havane. Je crois que c’est aussi un signe d’une évolution positive sans discrimination vis-à-vis de Cuba. »