Texte intégral
Q - Pas trop fatigué ?
- « Non, mais c'était un bon travail, le résultat est correct, je crois. »
Q - Cela vous satisfait, on a l'impression !
- « Oui, je trouve qu'on a eu un bon travail d'équipe autour de L. Jospin, et le budget est ambitieux, il est sérieux. Je crois en toute modestie qu'il est bon. »
Q - Alors, justement, j'allais vous demander un qualificatif pour définir l'esprit de ce budget 99. Ne me répondez pas excellent, mais dans l'esprit, un mot pour le définir ?
- « Un mot pour le définir, c'est : pour l'emploi, en avant toute. Tout le budget, du côté de ses recettes, des impôts, comme du côté des dépenses, le budget de l'emploi est tout à fait prioritaire, c'est de faire en sorte que le chômage recule encore plus vite en France. Le budget, pour cela, c'est utile. »
Q - C'est un budget de gauche ?
- « C'est un budget de gauche. Oui, nous baissons la TVA, Juppé l'avait augmenté, nous baissons, notamment, la TVA sur les abonnements de gaz et d'électricité, que Balladur avait remonté en 1995... »
Q - Cela fait 130 francs d'économies par an !
- « Eh bien, 130 francs par an, pour quelqu'un qui est au Smic, c'est une économie plus forte que pour quelqu'un qui gagne 30 000 francs. »
Q - Alors, budget de gauche ! Néanmoins, à lire la presse ce matin, tout le monde s'accorde à dire que ce sont particulièrement les entreprises qui sont bien soignées ! Remarquez, il y a des patrons de gauche ! Mais, vous, vous dites : c'est un budget de gauche, mais tout le monde dit : voilà, les entreprises sont favorisées.
- « Il se trouve que, en France comme dans beaucoup de pays, ce sont les entreprises qui créent les emplois. Donc, lorsqu'on dit priorité à l'emploi, eh bien, on fait tout ce qu'il faut pour que les entreprises soient placées dans des conditions pour créer des emplois, d'où la suppression en cinq ans d'un tiers de la taxe professionnelle, qui est un impôt imbécile, comme on a dit souvent dans le passé, d'où aussi l'idée qu'on réduit l'avoir fiscal des entreprises, de façon à les inciter à faire des placements, à construire des usines, plutôt qu'à acheter des titres et à spéculer. Donc, on favorise l'activité productive des entreprises par rapport à leur activité financière. »
Q - Mais alors, cela aurait été quoi, un budget de droite, par exemple ?
- « Un budget de droite, les derniers budgets de droite que l'on a vus, c'était le budget Juppé où la TVA augmentait de deux points, ou l'impôt sur les bénéfices des sociétés a augmenté aussi, où on a réduit les effectifs d'enseignants, alors que nous, les effectifs de fonctionnaires sont stables, mais il y aura plus de professeurs dans l'enseignement supérieur, il y aura plus de magistrats, il y aura plus de fonctionnaires pour protéger la jeunesse, il y aura plus de fonctionnaires pour veiller à l'environnement... Voilà des différences qui, à mon avis, sont tout à fait concrètes. »
Q - Alors, très concrètement également, parlons des ménages, c'est-à-dire vous et moi, à moins que vous soyez concerné par l'impôt sur la fortune, non ?
- « Non. »
Q - Pour tout un chacun - je ne parle pas des entreprises - qu'est ce qu'il y a très concrètement ? Budget de gauche, dites-vous, donc il y a la baisse de la TVA sur les abonnements EDF-GDF - on l'a dit, cela fait 130 francs de moins par an - la gratuité des cartes d'identité, passeports, examens du permis de conduire, et c'est tout ?
- « Non, ce n'est pas tout. Si l'emploi se développe en France, ce sera bon pour les jeunes, ce sera bon pour les moins jeunes aussi. Il y a des chômeurs de longue durée qui attendent, depuis des années, à trouver de l'emploi. Donc, je crois que cette priorité à l'emploi est dans l'intérêt national. Je dois ajouter, dans le domaine fiscal, la réforme de la taxe d'habitation. C'est un impôt local, la taxe d'habitation, que chacun paye. C'est l'impôt le plus payé, c'est l'impôt le plus injuste, parce qu'il est calculé sur ce qu'étaient les appartements, les pavillons, les logements en 1970. Depuis 1970, certains quartiers se sont formidablement revalorisés. D'autres quartiers ont vécu un certain déclin. Donc, rajuster la taxe d'habitation à ses véritables bases, celles de 1998, cela va permettre à la moitié des Français, en général les Français les plus modestes, de payer moins d'impôts locaux. Les autres payeront un petit peu plus, mais de façon graduelle. »
Q - Alors, pour la baisse de la TVA, il n’y aurait pas eu la possibilité de faire un peu plus que... Il y a une curiosité d'ailleurs, dans la baisse de la TVA, c'est la suppression de la taxe sur les allumettes et les briquets ! C'est pour faire plaisir à qui, à M. Charasse ?
- « Non, pas du tout. Je crois que nous avons cherché à simplifier l'impôt, et la meilleure façon de simplifier l'impôt, c'est de le supprimer. Donc, un certain nombre d'impôts - les cartes d'identité, vous en avez parlé, cela coûte 600 millions de francs ; l'impôt sur les permis de conduire, cela intéresse quatre millions de personnes par an, cela coûte aussi 600 millions de francs, et il y a des impôts folkloriques, les tabacs et les allumettes, le sucre pour les alcools anisés... il nous reste des tas de petits impôts qui ont été empilés à travers le temps, qui coûtent très cher à percevoir, et qui cassent les pieds à tout le monde. »
Q - Mais il y aurait eu d'autres solutions, si je puis me permettre...
- « Allez-y, toutes les idées sont bonnes ! »
Q - Mais la vignette auto, pourquoi continue-t-elle à exister ?
- « La vignette auto, c'est un impôt qui est perçu par les collectivités locales et qui, en quelque sorte, fait payer à l'automobiliste proportionnellement à la cylindrée de sa voiture, et aussi à son degré de propreté, le fait qu'il roule sur des routes qui sont bien entretenues et qui sont gratuites. Donc, c'est en quelque sorte la contrepartie d'un service... »
Q - Et qui sont remboursées depuis longtemps, si on prend les autoroutes.
- « Les autoroutes remboursées ? Non ! Certaines autoroutes, rassurez-vous, sont encore chargées de dette. On construit encore des autoroutes. Peut-être que l'autoroute de l'Ouest, ou l'autoroute du Sud sont remboursées, mais il y a encore nécessité de péage. »
Q - La baisse de la TVA sur les disques, beaucoup de gens l'attendent. Je crois même que c'était une promesse. Il y a les jeunes notamment qui attendent. Pourquoi ne pas l'avoir fait cette fois-ci ?
- « Alors, sur trois points nous avons besoin d'une autorisation de l'Union européenne qui définit ce qui est au taux normal - 20,6 - et ce qui est au taux réduit - 5,5 . Et D. Strauss-Kahn et moi-même avons écrit au début de l'année, à l'Union européenne, au commissaire qui s'occupe de ces questions là, pour à nouveau reposer la question des disques compacts, des biens culturels qui intéressent les jeunes. La réponse n'est pas encore là, mais elle n'est pas très encourageante. Nous avons aussi interrogé sur la restauration, et là encore la réponse est peu encourageante, donc il faut encore insister. Par contre en ce qui concerne les services rendus à domicile, qui permettent à des personnes âgées d'être gardées chez elles plutôt que d'aller dans un hôpital anonyme et coûteux, ou la garde d'enfants, là nous avons l'espoir d'abaisser la TVA de façon très sensible. »
Q - Alors on va voir les réactions dans la presse ce matin, dans un instant. En gros, à part l'opposition, mais elle est dans son rôle d'opposant précisément, tout le monde est content, patrons compris. Les communistes également. Comment cela s'est-il passé avec les communistes, membres de la majorité plurielle et du Gouvernement ? Cela a été donnant-donnant ?
- « Il y a une grosse différence de méthode entre Juppé et Jospin. Il y a eu discussion profonde, répétée - j'y ai participé personnellement - avec toutes les composantes de la majorité plurielle. On a étudié différentes hypothèses, et je crois que ce sur quoi on a abouti satisfait les différentes composantes de la majorité, y compris la composante communiste qui est tout à fait importante dans la majorité qui soutient le gouvernement de L. Jospin. »
Q - Mais ils demandaient beaucoup plus, les communistes.
- « Tout le monde demandait un petit peu plus au départ. Je crois que c'est le propre d'un budget, qu'il faut passer de l'espoir à une ambition réaliste. Je crois que c'est ce qui a été fait et je crois ce que D. Strauss-Kahn et moi avons présenté le 22 juillet est à la fois ambitieux, va dans le sens de l'emploi, va dans le sens de la justice sociale, et je crois que la France va entrer dans le XXIème siècle, bien, avec ce budget. »
Q - Encore deux petites questions. C'est un budget basé sur la croissance. Au cas où la croissance ne tient pas ses promesses, alors que ce passe-t-il, tout s'effondre ?
- « La croissance ne tombe pas du ciel. La croissance, c'est comme un arbre, cela se cultive. Et en soutenant la consommation l'an dernier, en encourageant la reprise de l'investissement, la croissance française, comme d'ailleurs la croissance des onze pays de l'euro, est tirée par ce l'on appelle la demande intérieure. Ce n'est plus l'exportation lointaine vers l'Asie ou les Etats-Unis qui tirent la croissance française, c'est la demande des consommateurs, la demande des entreprises. Et cela, c'est solide, c'est durable. Alors si la croissance fléchissait d'ici quelques années, et bien comme on réduit les déficits - cette année on va réduire les déficits dans la plus forte proportion des pays de l'euro - on aura une réserve. On aura rechargé les batteries de façon à pouvoir remettre un peu d'énergie, c'est à dire remettre un peu de dépenses publiques pour soutenir la croissance quand elle fléchira. »