Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur les limites de la liberté d'expression de la presse et sur la nécessité de rénover la formation des journalistes, Paris le 9 avril 1998.

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Circonstance : Colloque "Liberté d'expression et droit des personnes", à l'Assemblée nationale, le 9 avril 1998

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Assemblée Nationale,
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Messieurs les Présidents,
Messieurs les Professeurs,
Mesdames et Messieurs,

« Liberté d'expression et droit des personnes », le thème que vous avez retenu pour votre colloque reste hélas d'une grande actualité. L'année qui s'est écoulée depuis votre précédente rencontre a été lourde d'événements qui ont été autant d'occasions de s'interroger sur le travail des médias. Je rappellerais la mort accidentelle de la princesse de Galles ; la publication à la une de France Soir d'une prétendue photo de l'accident, issue d'un site internet dont le commentaire suggérait qu'elle était peut-être fausse. Ce qu'elle était effectivement. J'évoquerais également l'annonce de la mise en examen du maire de Chablis, le traitement de l'assassinat du Préfet ERIGNAC, les images d'un guide de haute montagne menotté ou encore les rebondissements de l'affaire Elf.

Les réactions du public sont souvent ambivalentes : les ventes et les audiences augmentent lorsqu'éclatent les affaires ou les drames. Mais l'indignation est prompte à se faire jour lorsque le traitement de l'information semble jeter en pâture l'intimité ou le malheur des acteurs de l'actualité. Les personnes citées ont le sentiment de se voir privées de leur droit à la présomption d'innocence. Les victimes voient se surajouter à leur infortune, ... des blessures supplémentaires liées aux conditions dans lesquelles elles se trouvent projetées sous les projecteurs des médias. Finalement, un mouvement d'opinion s'amplifie dénonçant le laxisme des juges ou l'indifférence des autorités.

* Réforme de l'instruction.

Madame Elisabeth GUIGOU, Garde des Sceaux, vous dira cet après-midi ce que sont les intentions du gouvernement dans ce domaine.

Notre droit est déjà très complet. Il ne manque pas de sévérité. Il n'est pas toujours appliqué dans toute sa rigueur afin que puisse s'exprimer la liberté d'expression et le nécessaire rôle de contre pouvoir des médias.

Cela n'interdit pas, bien au contraire, des révisions sur des sujets précis. Cela implique sérénité et prudence.

Et je peux vous dire que c'est dans un tel esprit que se mène la coopération dans ce domaine entre le ministère de la justice et mon propre ministère.

L'impact de ces aménagements sera d'autant plus fort qu'il s'accompagne d'une réforme de l'instruction dont je crois qu'elle devrait assainir la relation entre la justice et les médias. La procédure se trouvera raccourcie et surtout limitée : précisément dans le temps. Un « juge des libertés » conduira à l'organisation de débats publics et contradictoires à chaque moment-clé de la procédure. Ce sont ces fameuses « fenêtres » appelées de leurs vœux par nombre de magistrats et avocats.

Le système actuel n'est pas satisfaisant, puisqu'il affirme un principe de secret, difficilement tenable, alors que l'instruction peut s'étendre sur une très longue période et que les faits ou les actes de procédure ne peuvent être commentés.

Le registre dans lequel je suis amenée à me situer en tant que ministre de la culture et de la communication est de l'ordre de la prévention et de la réflexion. Il s'agit pour moi - comme je l'ai déjà dit - d’œuvrer pour favoriser la plus grande compétence et de la responsabilité des journalistes.

* Formation.

Au-delà de l'amélioration de notre système de formation des journalistes, des écoles et formations universitaires, il nous faut réfléchir à une formule qui garantirait au moins deux semaines de rappel du droit de l'information et de sensibilisation à la déontologie journalistique, pour tout nouveau journaliste, dans sa première année d'activité. Cette formule me paraît être celle qui convienne le mieux à une situation où, selon les statistiques de la Commission de la carte, moins de 20 % des journalistes auraient suivi une formation initiale à cette profession.

Un système de ce type existe dans des pays voisins tels que l'Allemagne ou la Suisse.

Il n'interdit pas d'imaginer des périodes de « rappel » qui seraient proposées périodiquement sous forme par exemple de séminaires d'éthique organisés au sein des rédactions ou dans le cadre des écoles ou des départements universitaires. L’Ecole supérieure de journalisme de Lille prépare un tel séminaire. Le Centre de perfectionnement des journalistes propose des modules spécialisés dans ce domaine. Il reste à en élargir et en systématiser la fréquentation.

* Médiateurs.

Le travail de la rédaction doit faire également l'objet d'une réflexion et d'une interrogation au jour le jour. Les questions et les remarques du public doivent pouvoir y trouver leur place.

C'est pourquoi je me suis prononcée en faveur de la création de postes de médiateurs.

Durant des décennies, les syndicats de journalistes se sont trouvés investis de la réflexion déontologique de cette profession. Nous leur devons la « charte de 1918 ». La plupart de ses dispositions gardent une grande actualité. Elle affirme toutefois que le journaliste n'aurait à rendre de compte que devant ses pairs. Je ne crois pas qu’une telle vision corresponde à notre temps. La société, le public considèrent qu'il existe une nécessité de dialogue et de débat sur de tels sujets.

Le public est aujourd'hui plus exigeant et mieux formé.

Il baigne dans l'information et contribue souvent à sa production à un titre ou à un autre au gré de l'activité professionnelle, des engagements associatifs, etc. Ce public identifie les erreurs et les approximations, s'émeut des fautes commises. Il apprécie davantage les conséquences qui peuvent découler des erreurs ou différents dérapages.

Le public est également mieux informé sur les médias et leurs structures. Il comprend mieux, dans les problèmes rencontrés, ce qui relève de questions de méthodes et d'organisation. Il situe largement ce qui relève de la responsabilité individuelle d'un journaliste et ce qui relève de la responsabilité de la collectivité dans laquelle celui-ci intervient : sa rédaction, son entreprise.

Le médiateur est l'une des réponses possibles, adaptée au niveau d'exigence et de maturité du public. Sa nécessité et sa pertinence sont ressenties par nombre de journalistes conscients qu'il y a urgence en matière de déontologie journalistique et d'éthique de l'information.

C'est parce qu'en tant que Ministre de la culture et de la communication je me sens autant ministre du public que des médias, que je crois à l'intérêt de tels médiateurs.

* Le rôle de ces médiateurs.

Les médiateurs, les ombudsman dans la presse anglo-saxonne, sont des journalistes indépendants de la rédaction, ayant accès au management, responsables devant le public qui les interroge.

Depuis quatre ans déjà, le Monde a pris l'initiative de créer une telle fonction auprès de sa rédaction. La lecture de ses pages, chaque samedi, avec ses interventions, ses recommandations et le choix de lettres de lecteurs qu'il décide de publier, montre bien tout l'intérêt de cette approche. Elle se retrouve dans des journaux aussi différents qu'El Pais ou le Los Angeles Times. L'expérience n'a pourtant pas fait école, ailleurs en France et je le regrette.

C'est pourquoi j'ai fait le choix de prendre une nouvelle initiative dans ce sens en demandant aux entreprises de l'audiovisuel public de créer à leur tour cette fonction. Chacune a réfléchi et défini une méthode en fonction de sa spécificité. RFI vient d'annoncer son choix en faveur de Noël COPIN, dont je salue la présence ici. D'autres annonces interviendront dans les tout prochains jours.

L'installation des médiateurs dans chacune de ces entreprises permettra de mener à bien également la mise au point de chartes de rédaction.

Médiateurs et chartes ne régleront pas tous les problèmes, comme par miracle.

Ils s'inscrivent en revanche dans ce nécessaire renouvellement des rapports entre les médias, leur public, la société et ses acteurs. Ils sont un facteur d'activation de l'esprit de responsabilité des journalistes.

* Des structures d'échange et de réflexion.

D'autres formes de dialogues et de réflexions conjointes restent à concevoir. Celles-ci permettraient de revenir sur les questions posées dans le traitement de l'actualité. Pourquoi ne pas envisager des structures de concertations entre les journalistes et certaines professions ou certains acteurs sociaux : scientifiques, travailleurs sociaux, associations intervenant en milieux sensibles, magistrats et différents intervenant du système judiciaire. La Commission TRUCHE préconisait une telle commission réunissant magistrats, avocats et journalistes. Je crois à une telle formule, dont nous avons parlé avec Elisabeth GUIGOU. Mon ministère est prêt à y apporter son soutien total.

Je vous remercie de votre attention.