Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs des Députés,
Votre assemblée doit se prononcer sur trois projets de loi communément appelés "projet bioéthique".
Le débat qui va s'ouvrir est nouveau pour beaucoup d'entre vous. J'aurais souhaité aujourd'hui pouvoir y assister intégralement mais vous n'ignorez pas que le Sénat doit débattre à partir de 16 heures de la proposition de loi relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises.
Vous allez aborder un débat enrichi des apports de tous ceux, médecins, juristes, hommes politiques, philosophes et hommes d'église qui ont fait entendre leur voix au cours de ces deniers mois.
Parmi eux je tiens à remercier les Présidents des commissions et les rapporteurs. Je voudrais également dire à M. le Professeur Mattei quel apport précieux a constitué l'étude qu'il a remise à M. le Premier ministre.
La science a permis de faire ressurgir l'espoir pour de nombreux couples frappés par la maladie ou la stérilité.
Si désormais, la médecine ne se contente plus d'apaiser les souffrances, de soigner de guérir, si elle peut donner la vie, là où la nature s'y refusait, si elle peut décrypter l'homme et même le modifier, elle nous pose des interrogations fondamentales.
Aujourd'hui, c'est au Parlement d'y répondre.
Le temps est d'autant plus venu qu'au-delà des frontières, l'Europe de la Bioéthique a sensiblement progressé.
Au Conseil de l'Europe, les travaux d'élaboration de la convention-cadre sont en voie d'achèvement.
À Bruxelles, des directives ont été adoptées, d'autres le seront prochainement : je pense à celle relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.
Pour autant les systèmes nationaux, restent divers. De l'Allemagne à l'Espagne, les réponses ne sont pas les mêmes : aux interdictions de l'un répondent les autorisations de l'autre.
La France, quant à elle, doit prendre sa place dans l'élaboration des normes qui permettront aux sociétés de s'organiser autour d'une éthique biomédicale.
Je n'ignore pas que la tâche qui vous est demandée est difficile.
Difficile, parce que les problèmes posés par la bioéthique touchent par excellence à la liberté, aux choix intimes de chacun et à nos convictions les plus profondes. Nous devons nous garder des prises de position passionnelles.
Difficile encore parce que l'action du législateur ne peut avoir de sens que si elle se fonde sur l'avis du médecin, que si elle se nourrit des différents courants de pensée que si elle répond aussi à l'attente de nos concitoyens.
Que deviendrait une réglementation en matière de bioéthique qui ferait fi de l'état de la science ? Que serait une législation qui ne tiendrait pas compte des pratiques qui, depuis des années, ont permis à des couples de fonder la famille à laquelle ils aspiraient ? Mais que serait une législation qui ignorerait les principes éthiques qui assurent la dignité de l'Homme ?
Nous avons besoin de règles dont la généralité permet une adaptation à des situations nouvelles que nous n'anticipons peut-être pas ou dont nous ne mesurons pas encore totalement la portée.
Pour autant, nous devons répondre également aux besoins concrets de réglementation qui se font sentir devant certaines techniques controversées.
Telle est la double approche, normative et pragmatique, que le Gouvernement a choisi d'adopter dans les projets de loi que Madame le ministre d'État, Monsieur le ministre de la Recherche et moi-même vous présentons aujourd'hui.
Leur complémentarité est essentielle tant il est vrai qu'il n'y a pas de principes sans déclinaison ni d'applications sans fondement.
Mais l'on se tromperait à considérer le projet de loi sur le corps humain comme le simple énoncé d'une philosophie générale sur le respect de la dignité humaine.
Il pose des principes d'ordre public que chacun, médecin, chercheur ou simple citoyen, devra respecter et dont le juge assurera l'effectivité par les mesures tant civiles que pénales énoncées par le texte.
Une fois encore, permettez-moi de le rappeler : cette législation cadre que constitue le projet de loi relatif au corps humain permet de passer de l'éthique au droit.
Il faut poser des principes forts, clairs et concis qui traduisent la portée du projet : constituer une véritable Déclaration du droit du corps humain.
Déjà en première lecture, votre Assemblée puis le Sénat a forgé, chacun avec sa sensibilité propre, les principes du texte.
Poursuivant cette voie, votre commission des lois propose plusieurs modifications que j'approuve car elles permettent de mieux décliner encore les règles qui concourent à assurer de la dignité humaine à travers les techniques biomédicales.
Ces règles tendent d'abord à organiser le statut juridique du corps humain.
À ces principes premiers, parce qu'ils appréhendent l'être humain dans son unité, s'en ajoutent deux autres que je qualifierais de dérivés car ils trouvent leur source dans les rapports juridiques qui s'établissent entre les personnes.
Il s'agit de la protection des libertés individuelles dans l'utilisation des examens génétiques et la non-discrimination entre les filiations biologiques et médicalement assistées.
Permettez-moi de revenir succinctement sur ces deux aspects.
Les principes premiers
Le statut juridique du corps humain s'organise autour de l'individu comme de l'espèce.
L'Homme appréhendé dans son unité.
Trois règles concourent à sa protection, que le projet de loi consacre.
Vous les connaissez : ce sont l'inviolabilité du corps humain, son indisponibilité et ce qu'il est convenu d'appeler "l'anonymat" du don des éléments et produits du corps.
Sur les deux règles de l'inviolabilité et de l'indisponibilité du corps humain, chacun s'accorde.
Ces principes ne sont pas nouveaux. Développés par la jurisprudence, ils sont bien connus des juristes.
Cependant, permettez-moi de penser qu'en leur donnant force législative, le Parlement fait œuvre d'importance. En effet, le droit ignore encore, à ce jour, la nature des rapports que le sujet entretient avec son corps.
Aussi, le projet de loi fixe-t-il un cadre aux interventions opérées sur le corps humain, qu'il s'agisse d'actes de soins ou de prélèvements d'organes.
Tout d'abord, aucune intervention ne peut être pratiquée sans le consentement libre et éclairé de la personne.
Telle est la portée du principe d'inviolabilité qu'à la suite du Gouvernement, votre Assemblée, comme le Sénat, ont choisi d'énoncer expressément.
Ensuite, il est interdit de traiter le corps humain comme un objet de commerce, ce que traduisait, dans le texte du Gouvernement, le concept d'indisponibilité.
La Haute Assemblée n'a pas souhaité reprendre la notion. Votre commission des lois non plus.
Mais l'intention commune est bien d'affirmer que le corps humain n'a pas de valeur patrimoniale.
Il ne s'agit évidemment pas d'empêcher la commercialisation des produits qui pourraient être développés à partir du corps, comme le sont de nombreux médicaments.
Le produit fini continuera, au même titre que l'invention, à avoir un prix. Mais la matière brute ne doit pas faire l'objet de paiement.
Le projet de loi en tire trois conséquences. Le corps humain ne se vend pas : les trafics d'organe doivent être condamnés. Il ne se loue pas : les conventions de mère porteuses sont nulles. Il ne peut davantage faire l'objet, en tant que tel, d'un brevet.
Cette dernière interdiction est délicate à formuler s'agissant du génome humain. Nous ne pouvons nous approprier sa connaissance, patrimoine de l'humanité. Mais nous savons aussi quels enjeux considérables, au plan mondial, pose la brevetabilité des gènes.
Un équilibre doit être trouvé et je salue, à cet égard, le travail commun opéré par votre commission des lois et Monsieur le rapporteur de la commission spéciale : le texte qui en est issu me paraît pleinement satisfaisant.
Reste un dernier principe relatif au corps humain : celui de l'anonymat de la personne qui fait don d'éléments ou produits de son corps, ou, plus précisément, celui de l'interdiction de révéler des informations permettant la connaissance réciproque du donneur et du receveur.
La question a été discutée.
Certains ont d'abord douté de son opportunité, mais je crois fermement que cette interdiction s'impose au nom de la dignité humaine : que l'on songe au risque de sélection ou de chantage que pourrait générer la révélation de ces informations.
D'autres, ensuite, se sont interrogés sur la place de cette règle dans le code civil en raison de sa relativité. Je comprends cette hésitation, mais je crois néanmoins, comme votre commission des lois, plus sage de l'y laisser.
L'anonymat du don fonde en effet les principes régissant l'établissement de la filiation des enfants nés d'une assistance médicale à la procréation, qui trouvent tout naturellement leur place dans le code civil.
L'Homme appréhendé dans sa globalité.
Par-delà l'individu, le projet de loi entend protéger également la personne dans son appartenance à l'espèce humaine.
La démarche n'est assurément pas facile. Elle ne peut cependant être éludée.
En effet, les découvertes génétiques modifient aujourd'hui radicalement le champ de l'intervention médicale.
Nous savons qu'à plus ou moins brève échéance, l'intervention humaine pourra étendre son emprise sur les générations futures.
Aujourd'hui, la thérapie génique germinale fait l'objet d'une condamnation quasi unanime. Mais nulle interdiction ne figure dans les textes.
Et que dire de la sélection eugénique ? Les moyens, nous le savons, en existent déjà.
Les événements tragiques que ce siècle a traversés nous incitent à une condamnation générale et absolue des manipulations et des tris eugéniques.
Le projet de loi initial avait opté en ce sens. Le Sénat a entériné ce choix. Votre assemblée souhaite à la fois plus de précision et de nuance.
À la réflexion, cette démarche me paraît souhaitable.
Il ne me paraît pas humainement possible d'empêcher, par exemple, des parents de choisir de ne pas mettre au monde un enfant qui sera porteur d'une maladie grave et incurable. En revanche, on ne peut admettre que certains organisent la sélection des personnes en fonction de la couleur de la peau ou de la détermination du sexe.
En ce domaine, la condamnation doit porter avant tout sur ce que je dénommerai, après d'autres, "l'esprit de système", c'est-à-dire l'organisation d'une méthode de sélection.
La formulation retenue par votre commission des lois rend précisément compte de cet aspect et je m'y rallie totalement.
J'en viens maintenant aux principes que j'ai qualifiés de dérivés, c'est-à-dire à l'encadrement des examens génétiques et à la non-discrimination des filiations biologiques et médicalement assistées.
Ces questions ne sont pas moins sensibles.
Dans l'un et l'autre cas, nous touchons aux libertés individuelles comme au plus intime de la vie privée.
Dois-je le rappeler ? La connaissance des prédispositions pathologiques constitue un instrument sans précédent de sélection puisqu'elle conduit à anticiper les choix. Les tests d'identification génétique permettent de décrypter subrepticement et avec une fiabilité quasi absolue l'identité biologique des individus. Quant à l'assistance médicale à la procréation, elle pourrait, si nous n'y mettons pas obstacle, créer des enfants à pluri paternité ou maternité.
Vous le constatez, ce qui est en jeu c'est le respect de la dignité de l'Homme, mais c'est aussi celui des principes qui fondent notre société, je veux parler de la liberté et de l'égalité.
Les examens génétiques.
Sur la nécessité d'encadrer le recours aux examens et empreintes génétiques, le consensus a été total, en première lecture, et je me félicite que votre commission des lois ait fait sienne les choix opérés.
Les tests d'identification génétique risqueraient de ruiner la paix des familles si des limites n'étaient posées à leur utilisation.
On ne saurait davantage admettre que l'étude des caractères génétiques d'une personne servent des intérêts privés. À travers la médecine prédictive et la sélection qu'elle peut permettre, c'est la liberté contractuelle et au premier chef, celle de l'emploi, qui est en jeu.
Je n'insisterai pas car je sais votre Assemblée particulièrement attentive à ces risques de dérive.
L'assistance médicale à la procréation.
Permettez-moi, en revanche, de m'attarder quelque peu sur les conséquences juridiques, au regard de la filiation, de l'assistance médicale à la procréation.
Sur ce sujet, il est une donnée que personne ne conteste : une technique médicale ne saurait changer la nature d'une filiation.
Je dirais, et n'y voyez pas un paradoxe, que s'il existe des enfants nés d'une procréation médicalement assistée, il n'y a pas de filiation qui en soit issue.
La filiation est légitime, naturelle ou adoptive.
Rejoignant l'analyse du Gouvernement, votre Assemblée et le Sénat en ont tiré les conséquences du point de vue de la maternité comme de la paternité :
– la mère de l'enfant est la femme qui accouche, aurait-elle porté les ovocytes d'une autre ;
– quant au près, il doit, en cas d'insémination avec tiers donneur, être déterminé en considération du double principe de l'anonymat du don et de la non-discrimination des filiations. Il ne peut donc s'agir que du mari ou du compagnon de la mère dès lors qu'ils consentent à l'insémination.
Je n'insisterai pas sur les aménagements techniques que nécessite, en matière de désaveu et de recherche de paternité naturelle, l'intervention d'un tiers donneur pour que les enfants ainsi procréés soient soumis aux mêmes règles que celles applicables aux autres enfants.
Sur ce point, en effet le consensus est total entre votre commission des lois, le Sénat et le Gouvernement, même si d'autres voix ont pu s'élever contre ce que certains appellent "les paternités forcées".
Je répondrai seulement deux choses à ceux qui s'offusquent qu'une paternité soit imposée à celui qui a consenti à une insémination avec tiers donneur. Le Gouvernement ne saurait donner son aval à un mécanisme qui programmerait des procréations sans parent. Quant à la parenté, elle n'est pas hélas qu'amour, elle peut n'être que devoir.
Le consentement à l'insémination devient ainsi le pivot de la filiation. C'est lui qui fonde la paternité et la maternité.
Faut-il pour autant soumettre son expression ou son recueil à des conditions particulières ?
Le Gouvernement ne l'avait pas jugé nécessaire. Le Sénat n'a pas partagé ce choix.
À la réflexion, je ne pense pas qu'une réponse uniforme puisse être apportée à cette question.
La solennisation d'un consentement est un moyen de protéger la volonté en permettant d'en vérifier le caractère libre et éclairé. Elle ne se conçoit que si un risque est à craindre à ce sujet.
Or, ce risque peut exister lorsqu'un couple recourt à une insémination avec tiers donneur en raison de cet élément d'extranéité dont les conséquences ne sont pas nécessairement mesurées.
Rien de comparable dans l'assistance médicale à la procréation intraconjugale.
J'adhère donc totalement à la distinction que votre commission des lois propose d'opérer entre ces deux situations.
Le consentement sera recueilli par le juge dans le seul cas où l'insémination sera réalisée avec les gamètes d'un tiers.
Loin d'avoir un rôle passif le juge informera le couple des conséquences juridiques de l'opération au regard de la filiation.
J'ajoute que la confidentialité la plus stricte entourera ces démarches. Des mesures procédurales seront prises à cet effet par voie réglementaire.
Telles sont les précisions que votre commission des lois entend apporter au texte. Je les approuve pleinement.
Une fois encore notre convergence de vues est totale et je m'en réjouis.
Je n'en suis pas surpris. J'ai eu peur Monsieur le rapporteur de la commission des lois et Monsieur le rapporteur de la commission spéciale, un dialogue très ouvert.
Qu'ils soient remerciés pour leur écoute et la qualité de leurs interventions.
Mes remerciements font aussi, pour la richesse de leur travail, à la commission des lois et à tous ceux dont les réflexions ont fait progresser le débat.
Nous élaborons ensemble progressivement cette charte de l'éthique biomédicale que constitue le statut du corps humain.
Me permettez-vous de dire qu'en tant qu'homme, j'en éprouve un certain vertige et beaucoup d'humilité ?
Vertige, parce que les ressources de la Science sont inépuisables. Humilité, parce que j'en pressens, comme vous-même, les dangers.
En tant que ministre, mes sentiments ne sont guère éloignés : la tentation est forte d'ouvrir grand le champ scientifique du possible, mais la conviction l'emporte de n'admettre que l'acceptable pour le devenir de l'Homme.
Les voix qui se sont élevées jusqu'ici me rassurent.
Qui mieux que Pascal pourrait conclure ?
Permettez-moi de le citer.
Il disait : "Nous sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous avons d'être nous dérobe la connaissance des principes premiers qui naissent du néant. Le peu que nous avons d'être nous cache la vue de l'infini".
Dans ce projet, nous avons simplement cherché à situer l'Homme.